En cas de mémoire courte, l’attaque au couteau sur Naithy Nelson, jeune homme noir de 20 ans, par un chauffeur de bus de la Société De Lijn est venue rappeler aux Belges que la négrophobie ne se limite pas à Instagram et peut aboutir au crime[6]. Le lendemain de cette agression, soit le 3 février 2017, en passant la frontière vers la banlieue parisienne, c’est Théo, 22 ans, qui se fait violer à la matraque et tabasser par 4 policiers d’Aulnay-sous-Bois. Le tout filmé par une trentaine de témoins. Résultat : opération urgente de l’anus déchiré sur 10 cm et 60 jours d’incapacité de travail pour Théo. Inculpations de « viol » pour l’un des pandores et de « violences volontaires » pour ses trois collègues[7].
Police partout, justice nulle part
Les points communs de ces « faits divers » sautent aux yeux des racisé-es tandis que nombre de blancs mobilisent leur privilège racial conjugué à leur mauvaise foi pour éviter de les voir. D’abord, à travers 3 pays (Belgique, France, Italie), la couleur de peau des victimes est la même : noire. Ensuite, dans l’un ou l’autre des cas, l’humiliation, l’agression ou le meurtre font partie intégrante des récits.
Enfin, si le mot « racisme » apparaît timidement, ici ou là, le terme « négrophobie » est toujours aux abonnés absents du traitement médiatique. Les mécanismes structurels à l’origine de ces « tragédies » ne sont jamais épinglés. Le racisme d’État comme la négrophobie institutionnelle ou policière ne sont pas identifiés, questionnés et encore moins stigmatisés. Tout se déroule comme si personne, chez les journalistes, les intellectuels, les politiques, tous majoritairement blancs, n’était à même d’articuler ces agressions négrophobes qui se renouvellent en Europe sur des fréquences de plus en plus courtes. A l’évidence, la motivation fait défaut.
Car la négrophobie, outil de la hiérarchisation et de la domination raciale, arrange les différentes Autorités comme elle indiffère les médias, tant que cités et ghettos ne brûlent pas. A l’image du taux élevé de chômage qui convient à nombre de politiciens et de patrons afin de déforcer sinon anéantir toute revendication sociale, toute mobilisation subversive, entre ceux qui ont un travail et ceux qui en sont exclus.
A l’instar de la famille d’Adama Traoré, de celle de Naithy, la famille de Théo « appelle au calme », à ce que « justice soit faite » et autres lieux communs de circonstance. Le problème, c’est quelle justice ? En matière de violences policières, l’impunité judiciaire est la règle ; l’amnésie politicienne, une banalité ; la bienveillance médiatique envers les bourreaux, une habitude. Afin que demain, en toute arabo-négrophobie assumée, en toute continuité coloniale exaltée, de « pauvres policiers surmenés » puissent continuer à humilier, brutaliser, violer et tuer du noir et de l’arabe lorsqu’ils l’estiment « justifié »[8].
Quelle justice, en effet ? Dès le moment ou la jurisprudence des décisions ne plaide pas en faveur d’une impartialité mais de la défense d’un suprémacisme et corporatisme blancs qui, in fine, protège des brutes, des violeurs et des assassins sous prétexte qu’ils sont «dépositaires de l’autorité publique».
« Théo et Adama te rappellent pourquoi Zyed et Bouna couraient…»
Circulant sur les réseaux sociaux, cette petite phrase résume bien une autre facette du problème. Et résonne dans le cœur de nombre de racisé-es un jour « contrôlé-es au faciès ». En 2005, si Zyed, Bouna et Muhitin tentaient d’échapper au contrôle de police, c’était bien pour échapper à l’humiliation et aux insultes racistes assurées, c’était bien pour échapper aux probables coups encaissés, c’était pour éviter « le pire »… sans savoir que, pour deux d’entre eux, ils allaient en mourir[9]. Trois semaines de révoltes populaires à travers la France et dix années de procédure plus tard, le tribunal de Rennes a prononcé la relaxe des deux policiers poursuivis dans cette affaire pour non-assistance à personne en danger. Circulez, les familles endeuillées noires et arabes : la justice, c’est pas pour vous !
Le pire, la négation de son être intime, la torture ultime, Théo l’a subie. Sans que son casier judiciaire vierge ne le protège en quoi que ce soit. « Il était là au mauvais moment au mauvais endroit », diront les distraits, les aliénés et les privilégiés blancs. Non ! Théo est surtout « un noir de banlieue » ! Selon ces critères, il n’avait aucune chance face à ses bourreaux qui savent pertinemment qu’ils peuvent tout se permettre contre « ces gens-là ». C’est l’une des conséquences de la négrophobie structurelle que la plupart des médias, politiciens et intellectuels s’efforcent d’escamoter ou d’invisibiliser par le silence… Au Canada, femmes et hommes politiques savent désormais que les silences ont des « conséquences » et vous rendent complices[10]. En France comme en Belgique, ils continuent à l’ignorer, selon les modalités d’une vieille hypocrisie pestilentielle…
Aucune amélioration sociopolitique
En Europe, malgré une relative prise de conscience, la volonté politique d’identifier et de s’attaquer aux mécanismes structurels de la négrophobie fait défaut. De nombreuses propositions pour lutter contre ce racisme spécifique, via des rapports, des colloques, des conférences et autres « Assises de la diversité », sont restées lettre morte.
Il y a pourtant urgence à déconstruire préjugés et stéréotypes à travers l’enseignement de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, leur vulgarisation et médiatisation. A cet égard, la représentation des noirs dans les manuels scolaires allemands est désastreuse et introduit dès le plus jeune âge des stéréotypes négrophobes. A cela s’ajoute, comme en Italie, en Espagne ou en Belgique, l’absence de visibilité d’afro-allemands dans les shows télévisés, l’animation de divertissements et la présentation d’informations. Sans parler des crimes de haine qui, en Suède, pour l’année 2014, s’élevait à 17% à l’encontre des citoyens noirs (1.075 au total).
Il est impératif pour les pays européens de mettre en œuvre une véritable politique antiraciste privilégiant le développement d’outils et de pratiques de mesure pour un diagnostic de l’ampleur des actes négrophobes ; pour un soutien efficient aux associations de victimes ; pour des actions efficaces en matière de discrimination à l’emploi ; pour un une véritable justice indépendante contre les violences policières et contre le profilage ethnique[11] ou les contrôles au faciès ; pour un dispositif de sanctions proportionnelles aux délits à caractère négrophobe…
A l’Ouest, rien de nouveau ! Tout cela a déjà été dit, écrit et rappelé tandis qu’au fil des années aucune amélioration sociopolitique n’est constatée et qu’au contraire, la situation s’aggrave. Le 21 mars 2016, il y a bientôt un an, la présidente du Réseau Européen de Lutte contre le Racisme (ENAR), Sarah Isal, concluait ainsi son étude qualitative sur la négrophobie en Europe : « Il n’existe aucune politique nationale ou européenne qui aborde spécifiquement les inégalités et discriminations vécues par les personnes noires ». Et l’activiste de lancer un appel pressant aux Autorités européennes : « Etant donné les preuves accablantes, c’est choquant. Nous ne pouvons pas simplement ignorer les vies des 12 millions de personnes noires en Europe. C’est un signal d’alarme à l’Union européenne et à ses Etats-membres: ils doivent mettre fin aux discriminations structurelles à l’encontre des personnes noires[12] ».
Comme le préconise le chercheur italien Pietro Basso, il s’agit de prendre en compte les différentes facettes du racisme structurel et se focaliser sur « l’entrelacement explosif du racisme d’État, du racisme doctrinaire et du racisme populaire[13] ». Toute lutte antiraciste – et par conséquent contre la négrophobie – qui écarte ces modalités propres ainsi que leurs interactions ne peut qu’échouer. Comme c’est le cas, en France et en Belgique, depuis plus de 30 ans, depuis plus de 2 générations…
The fire next time
Quel candidat-e à l’élection présidentielle 2017 propose le moindre projet sérieux pour enrayer cette arabo-négrophobie ? Pour que l’intégrité physique de citoyens soit enfin respectée par la police, les magistrats, les employeurs, les propriétaires de logements[14]. Aucun candidat n’en parle, aucun ne s’engage, aucun ne veut perdre son « précieux » pourcentage d’électorat négrophobe. Seule la candidate Rama Yade a eu « envie de chialer » en apprenant ce que Théo a enduré[15]. Tandis que l’apparatchik Benoît Hamon a versé une larme de crocodile « socialiste » ou que Jean-Luc Mélenchon, ami de la négrophobe Laurence Rossignol[16], préfère se la jouer « moderne » en présentant son hologramme dans ses meetings… Et ne parlons pas du gouvernement fédéral belge, cornaqué par l’extrême-droite flamande avec la complicité d’une droite francophone, tout aussi coloniale et négrophobe que son homologue française.
Réfugié en France avant sa mort, l’écrivain afro-américain James Baldwin avertissait dans son ouvrage The fire next time : « Nous sommes responsables envers la vie. Elle est le point lumineux dans toutes ces terrifiantes ténèbres desquelles nous sommes issus et auxquelles nous retournerons. Il nous faut négocier ce passage aussi noblement que nous en sommes capables par égard à ceux qui viendront après nous[17] ».
A Aulnay, la révolte a déjà commencé depuis plusieurs jours. Durant une des nuits, elle a donné lieu à des « tirs de sommation » à balles réelles de la police[18]… Il arrive un moment où parler, écrire et avertir ne sert plus à rien. Vous, les politiques irresponsables, la justice à 2 vitesses, les médias arabo-négrophobes, avez favorisé ce moment. Vous l’avez cherché et l’avez voulu. Nos morts, nos blessés et nos familles brisées en témoignent depuis des décennies. Tout cela n’est plus « regrettable », tout cela n’est pas « accidentel », tout cela est structurel. Et il n’est décidément plus temps de « chialer ». Si un frein sociopolitique n’est pas trouvé, c’est Jimmy qui aura encore raison : la prochaine fois, le feu !
Notes
[1]http://www.bozar.be/fr/activities/123137-debates—afropolitan-festival-2017
[2]http://www.sudinfo.be/1764210/article/2017-01-15/miss-belgique-au-coeur-d-une-polemique-raciste-voici-le-message-de-tres-mauvais
http://www.lesoir.be/1417594/article/soirmag/actu-soirmag/2017-01-16/miss-belgique-s-excuse-apres-un-commentaire-juge-raciste-sur-instagram-video
[3]https://francais.rt.com/international/33025-venise-refugie-africain-se-noie-video
[4]http://www.bozar.be/fr/activities/123451-lutte-contre-l-afrophobie-ou-en-est-on-aujourd-hui-en-europe
[5]http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/12/21/01016-20161221ARTFIG00164-affaire-adama-traore-trois-juges-vont-reprendre-l-enquete-a-paris.php
[6]http://www.dhnet.be/actu/faits/agression-d-un-mineur-dans-un-bus-de-lijn-en-flandre-maman-viens-a-l-arret-de-bus-le-chauffeur-m-a-pointe-58939bb2cd70ff671df39c8f
[7]http://www.bfmtv.com/police-justice/aulnay-sous-bois-theo-raconte-son-interpellation-1097492.html
[8]http://www.revolutionpermanente.fr/L-anus-dechire-a-coups-de-matraque-Les-methodes-de-la-police-de-Drancy-93
[9]http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/05/18/mort-de-zyed-et-bouna-relaxe-definitive-des-deux-policiers_4635109_3224.html
[10]http://www.lefigaro.fr/international/2017/02/05/01003-20170205ARTFIG00028-un-depute-canadien-demande-pardon-aux-musulmans-apres-l-attentat-a-quebec.php
[11] Le « profilage ethnique » peut se définir comme « le recours, par les officiers de police ou des services de sécurité, de l’immigration et des douanes, à des généralisations reposant sur la race, l’ethnicité, la religion ou l’origine nationale, plutôt qu’à des éléments liés au comportement individuel ou à des indices objectifs, pour appuyer les soupçons sur la base desquels seront engagées des actions discrétionnaires de maintien de l’ordre. C’est souvent à travers les choix qu’opèrent les policiers lorsqu’ils décident qui ils vont arrêter dans la rue, pour des contrôles d’identité, des interrogatoires, des fouilles et des gardes à vue, que cette pratique est la plus manifeste » (Fiche d’informations n°40, ENAR, Bruxelles, juin 2009).
[12]https://belafrikamedia.com/belafrika/2016/03/21/info-afrophobie-sous-embargo-jusquau-22-mars-2016-11h-les-personnes-noires-en-europe-confrontees-au-racisme-dans-un-contexte-anti-immigration/
[13]https://www.syllepse.net/syllepse_images/divers/la_racisme_europpeen.pdf
[14]http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/01/19/incendie-du-boulevard-auriol-60-000-euros-d-amendes-pour-deux-personnes-morales_1631980_3224.html
[15]http://www.liberation.fr/direct/element/aulnay-sous-bois-ca-me-donne-envie-de-chialer-reagit-rama-yade_57529/
[16]http://www.liberation.fr/france/2016/03/30/laurence-rossignol-et-les-negres-qui-etaient-pour-l-esclavage_1442820
[17]http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/La-prochaine-fois-le-feu
[18]http://www.liberation.fr/direct/element/des-tirs-de-sommation-de-la-police-dans-la-nuit-de-lundi-a-mardi-a-aulnay-sous-bois_57608/
Terrible!!! Du racisme à l’état pur!!!
Il a fallu une incroyable mobilisation de plus de 200 personnes pour pouvoir déposer une plainte dans un commissariat de police de la ville de Bruxelles,
suite à l’agression violente à l’arme blanche par un chauffeur de bus sur un jeune adolescent!!!
——————-Naithy Nelson est un jeune et brillant adolescent de 16 ans. Il y a 10 jours près de la périphérie de Bruxelles, ce dernier attend le bus de Lijn (société belge de transport) pour rentrer chez lui.
Le bus arrive et le chauffeur ne veut pas reconnaître son titre de transport commandé par sms. Naithy répond qu’il est en règle,
le chauffeur s’énerve et refuse qu’il aille s’asseoir.Le jeune adolescent insiste pour rentrer dans le bus.
Le chauffeur sort un couteau de cuisine et se précipite vers lui.
Naithy est violemment poignardé et fort touché près du coeur.Le jeune s’échappe dans la rue, l’agresseur essaye de le rattraper.
Le chauffeur réalise son acte et décide de remonter dans son bus, afin de s’enfuir.Naithy fort blessé arrive à le suivre et monte de justesse dans le bus. Le jeune appelle la police. Une voiture des forces de l’ordre arrive et interpelle Naithy convaincu que c’est l’agresseur et non
la victime. Le jeune est sorti du bus par les policiers malgré la période de grand froid.Après de longues discutions notamment avec quelques témoins, les policiers réalisent qu’ils se trompent.
Le jeune est toujours maintenu dehors par la police, assis par terre. Le chauffeur est dans le bus.Une ambulance est appelée, le jeune Naithy demande aux policiers à ce que cette dernière ne vienne pas: (« je ne sais pas si ma maman a assez d’argent pour payer! »).
Les policiers décident de renvoyer l’ambulance.Sous pressions par téléphone de la société de transport: (« nous n’avons pas suffisamment de chauffeurs! ») les policiers finissent par laisser partir en toute impunité l’agresseur.
Naithy rentre chez lui, sa mère décide de porter plainte dans la commune ou a eu lieu les faits.
La mère et le fils se rendent au commissariat de Grimberghen,
les policiers de service refusent d’accepter la plainte.Dans la soirée, la famille se dirige à Bruxelles, dans la commune d’Ixelles, que la famille connait bien.
Au commissariat d’Ixelles, les policiers en service refusent également d’accepter la plainte.
Malgré l’insistance de la mère face à la gravité des faits, il lui est impossible de déposer plainte.Après avoir rencontré la militante très active Mireille-Tsheusi Robert, les associations « Vie meilleure en Afrique », Nkento asbl, Change asbl, Bamko asbl s’organisent et une grande mobilisation
devant le commissariat de police d’Ixelles est organisée aujourd’hui pour que Naithy puisse porter plainte.Après plus de 2h 46 min et une ambiance tendue afin de dissuader à nouveau la famille, la plainte a enfin été déposée.
De nombreux citoyens de toutes origines ayant bravé le froid sont venus très nombreux (plus de 200 personnes) afin de soutenir Naithy et sa mère.
Lors du drame, à l’exception du journal la dernière heure,
qui a publié le 3 février 2017 un article dans la rubrique faits divers, aucun média n’a relayé l’info.Le chauffeur n’a pas été interpellé et ce dernier continue d’exercer tranquillement sa profession.
Selon le rapport du médecin, Naithy a eu un réflexe extraordinaire en reculant en arrière, sans ce dernier, le jeune adolescent ce serait effondré et n’aurait eu aucune chance d’être réanimé.
Le racisme a gangrené notre société et nos institutions ne sont certainement pas épargnées.
Les discours populistes et racistes de certains politiciens, journalistes et intellectuels alimentent la haine et engendrent de terribles passages à l’acte, un peu partout dans le monde.
Nous ne pouvons envisager un Monde meilleur tant que la justice fonctionnera à deux vitesses.
Naithy nous rappelle aujourd’hui que l’indignation ne peut être sélective et ne peut plus concerner «que certaines catégories de personnes»
Naithy nous rappelle par son humilité et toute son humanité que nous portons tous une immense responsabilité vis-à-vis de ces actes ignobles, voire inqualifiables qui le plus souvent sont assurés
de toute impunité…mourad boucif
Ixelles / 19h52 / samedi 11 février 2017