Le premier génocide du XXe siècle: Herero et Nama face à l’Allemagne impériale.

Des femmes Herero contraintes au travail forcé, transportant des marchandises dans le camp de concentration de Swakopmun

Le continent africain a déjà connu à la fin du 20e siècle le génocide des Tutsi du Rwanda; il reste menacé par d’autres risques génocidaires, notamment au Burundi voisin (voir ici) et au Soudan du Sud . Mais un génocide mis en oeuvre au début du siècle reste encore relativement peu connu.

Il est d’autant plus important qu’il soit reconnu, que le général Lothar Von Trotha qui l’exécuta à l’encontre des populations Herero et Nama, avait auparavant sévi dans les autres colonies allemandes de l’époque, le Rwanda et le Burundi.

 

Herero et Nama dans le Sud -Ouest africain allemand (1904-1908)

L’ouverture d’une exposition au Memorial de la Shoah à Paris permet de se pencher sur ce qui constitua une extermination planifiée.

A travers l’exposition riche de nombreux documents d’archives, d’objets et de photographies, le Mémorial de la Shoah se propose d’aborder cet épisode méconnu de l’histoire du colonialisme allemand.

A la fin du 19e siècle, les envahisseurs allemands s’emparent des terres et du bétail des Nama qui menaient une vie pastorale.

Herero et Nama, vivaient dans la partie Sud-ouest du continent africain, devenu depuis la Namibie.

Dans le cade de l’expansion de la colonisation allemande menée par Bismarck, alors chancelier de l’empereur Guillaume Ier, l’Allemagne s’octroie ce territoire en 1884 et le colonise.

 

Une extermination pour ˝ un territoire blanc˝ !

Vingt ans plus tard, en 1904, des guerriers Herero, soutenus par leurs voisins Nama se soulèvent et tuent des colons allemands.

En juin 1904, le général Lothar Von Trotha, nommé commandant en chef des troupes de la colonie allemande du Sud-ouest africain, débarque dans la possession du Reich avec pour mission d’en finir avec la révolte des Herero et des Nama.

Von Trotha est déjà connu pour ses méthodes de répression coloniale  en Chine et dans l’Est africain allemand (Tanzanie, Burundi et Rwanda).

La guerre qu’il va mener, sur ordre de l’empereur Guillaume II, est féroce. Il planifie l’extermination des deux peuples en vue de constituer un territoire « blanc ».

Ce crime de masse suscite depuis un important travail de mémoire, en Namibie même, parmi les  historiens, ainsi qu’en Allemagne .

De plus un documentaire de la réalisatrice Anne Poiret  (voir ci-dessous) ainsi que d’autres travaux  soulèvent la question du lien entre la politique raciale de l’Allemagne coloniale des années 1900 et celle de l’Allemagne nazie.

Notons que le premier gouverneur de la colonie (Südwest-Afrika en allemand) est un certain Dr Heinrich Goering, dont le fils Hermann Goering sera l’un des plus importants dirigeants nazis.

 

Massacre planifié des Herero lors de la bataille de Waterberg

En août 1904, des milliers de Herero perdent la vie durant cette bataille. Ceux qui parviennent à s’échapper sont traqués et contraints de fuir dans le désert Omaheke, où les puits d’eau ont été empoisonnés par les militaires.

Peu survivront. Von Trotha, s’en prit ensuite aux Nama avec la même cruauté.

Il va mener durant trois ans une politique d’extermination systématique contre ces deux peuples, préfigurant ainsi le génocide qui débute quelques mois plus tard, suite à l’ordre émis par Von Trotha le 2 octobre 1904 .

Cet ordre proclame : « Dans les frontières allemandes, chaque Herero, armé ou non, en possession de bétail ou non, sera abattu. » et précise: « Je crois que cette nation, en tant que telle, doit être annihilée « ,

Des camps de concentration.

Par la suite, une fois les rebelles vaincus, la levée de l’ordre d’extermination ne signifie pas pour autant la fin de l’horreur.

Dans les « Konzentrationslagern » (camps de concentration) de Lüderitz, Karibib, Swakopmund, où les conditions de vie sont atroces, Nama et Herero vont être éliminés par le travail. Le décompte des morts « par épuisement » y est tenu très scrupuleusement, laissant à la postérité une litanie de preuves bureaucratiques macabres.

 

Shark Island (l’île aux requins) : un enfer de pierre

Cornélius Frédériks, chef des Namas a  dirigé la révolte contre l’occupant allemand. Une photo le montre enchaîné. Les allemands avaient promis à Cornélius et à ses hommes qu’ils auraient la vie sauve s’ils déposaient leurs armes. Lors d’une embuscade, ils furent arrêtés, faits prisonniers dans le camp de Shark Island, un immense îlot de pierres où étaient internés des hommes, des femmes et des enfants sans distinction.

Le « médecin » de ce camp pratiquait des expérimentations médicales sur des cobayes humains. Il faisait  également des recherches sur les crânes des cadavres. Les femmes prisonnières étaient contraintes de faire bouillir ces têtes qui pouvaient être celles de leur famille ou de leurs amis. Elles devaient gratter la chair avec des morceaux de verre afin que les crânes puissent être envoyés à Berlin pour y démontrer ˝scientifiquement˝ la supériorité de la race blanche.

Ces crânes ont donné lieu à une exhibition macabre : ils ont été exposés dans des cages en verre à l’hôpital Universitaire de La Charité à Berlin.

˝Nous voulons des excuses˝

La mémoire du génocide ne fut jamais perdue parmi les descendant.e.s des victimes.

Ainsi près de cents ans plus tard, en 2011, après l’indépendance de la Namibie (qui survint fort tard en 1990), une délégation Herero et Nama se rend  à Berlin pour une cérémonie organisée par le gouvernement allemand  afin  de demander que leur soient restitués vingt crânes de leurs ancêtres. Aucun nom ne figurait sur les crânes. Ceux-ci, répertoriés à l’aide de numéros dans des registres, ne garantissaient donc pas l’identité du défunt.

Tous sont venus à Berlin avec l’espoir d’une reconnaissance du génocide par l’Allemagne. Tous brandissent des pancartes et scandent : ˝des excuses, nous voulons des excuses˝.

David Frédéricks, descendant du dirigeant de la révolte Cornélius  Frédéricks, ainsi que son épouse particulièrement active,  font partie de la délégation. Leur peuple a été massacré, ils ont perdu leur culture et leur droit sur les terres.

Tout deux mènent un combat sans relâche pour que soit reconnu le génocide.

La ministre allemande des affaires étrangères de cette époque, présente des regrets lors de son discours mais sans envisager une reconnaissance  officielle du génocide.

Suite à cette cérémonie, des négociations en vue de réparations furent envisagées.

En 2012, le parlement allemand se rétracte et refuse de qualifier l’extermination des Herero de « génocide ».

Aujourd’hui, l’Allemagne et la Namibie négocient une déclaration commune dans laquelle l’Allemagne doit s’excuser pour ce premier génocide du XXe siècle. Mais alors qu’en juillet 2015, le président de la chambre allemande des députés (Bundestag) a reconnu que le pays avait mené « une guerre raciale » dans son ex-colonie, le gouvernement  actuel ne veut toujours pas entendre parler de compensations financières pour les victimes.

L’Allemagne ne semble pas prête à débourser les sommes qui pourraient lui être demandées  et qui se montent à 4 milliards de dollars

˝Tout génocide secrète son négationnisme ˝

Le silence ou le déni: il y a encore des négationnistes qui prétendent que  les points d’eau n’étaient pas empoisonnés, que le désert Omaheke n’était pas si désertique, que l’ordre de Von Trotha n’avait pour but que d’effrayer l’ennemi… les preuves  d’une extermination planifiée sont là, tangibles.

Au total, le peuple Herero a été décimé à 80 % et le peuple Nama à 50 %

L’Allemagne reconnait le génocide des Herero et des Nama

Les demandes des victimes  sont simples : une reconnaissance du génocide, des excuses officielles, le rapatriement des restes humains volés à des fins pseudo-scientifiques et, enfin, des négociations avec les autorités allemandes autour de la question des réparations.

Le 10 juillet 2015, pour la première fois, l’Allemagne a officiellement qualifié de « génocide » le massacre des peuples Herero et Nama perpétré sous ses ordres en Namibie en 1904 et 1905  ( voir ici ).

Pour la première fois, ce terme est employé de manière officielle au plus haut sommet de l’État pour qualifier le comportement de la « Schutztruppe » (troupe de protection) emmenée par le général Lothar Von Trotha.

Un comportement dont les plus atroces détails sont consignés depuis 1918 dans le « Blue Book » (livre bleu), rapport à charge commandé par le Parlement anglais et dont une copie est toujours conservée à Westminster. Dans ce livre, Thomas O’Reilly, jeune major d’origine irlandaise, ami des Herero., a rassemblé des témoignages et des récits atroces

Le « Report on the Natives of South-West Africa and their Treatment by Germany », rédigé en 1918 pour le Parlement du Royaume-Uni, contient plus de détails qu’il n’en faut pour démontrer que, sous les ordres du Kaiser, le général Lothar Von Trotha entendait bien exterminer les deux peuples qui lui résistaient.

Ainsi deux Vernichtungsbefehl (« ordres d’annihilation »), émis le 2 octobre 1904 et le 22 avril 1905, prouvent l’implacable volonté de génocide. Ils furent malheureusement suivis d’effets, la population Herero ayant été éliminée à 80 % tandis que la moitié des Nama étaient tués.

Le 9 juillet 2015, cent ans après la fin de la domination allemande sur la Namibie, deux délégations de Herero et Nama seront reçues à Westminster pour une rencontre et des discussions. À cette occasion seront lus des extraits du Blue Book

Une répétition générale ?

En 2015, L’écrivain française Élise Fontenaille-N’Diaye publie des extraits du rapport. Elle a baptisé son roman historique du même nom . En 200 pages, elle ranime le souvenir d’un génocide lui aussi tombé dans l’oubli. Elle y livre son point de vue d’écrivain,. ˝Quelque part entre le désert du Kalahari et la presqu’île de Shark Island, au large de Lüderitz, s’est déroulée une macabre répétition générale, préfiguration des génocides à venir. » 

Cette problématique est aussi abordée dans un documentaire réalisé par Anne Poiret, diffusé sur France 5 en mai 2012 Namibie : le génocide du IIe Reich

« Il y a des pistes, des concordances, des hommes que l’on retrouve », souligne Anne Poiret dans son travail. Parmi ces hommes, il y a Theodore Molison et Eugen Fischer, le père de l’anthropologie génétique allemande. Ils seront tous les deux les maîtres de Josef Mengele,˝ l’ange de la mort ˝ des camps nazis. Tous deux ont effectué des recherches dans le Sud-ouest africain au début du XXe siècle dans l’idée de prouver la supériorité de la˝ race blanche ˝, notamment par la mesure des crânes.

Ce documentaire montre également des photos d’archives, des images d’aujourd’hui, des témoignages de descendants Nama et d’historiens rendant compte de la réalité de cet épisode tragique.

Un descendant du peuple Nama nous fait vivre son émotion et l’injustice qu’il éprouve en foulant la terre qui a appartenu à ses ancêtres et qui demeure encore de nos jours la propriété des descendants allemands. Il commente avec tristesse ce passage où des habitants traversent une étendue de sable sans se soucier qu’à cet endroit ont été enterrés des cadavres sans sépulture.

Des Allemands, installés en Namibie, accoudés au bar de leur pub, y perpétuent le déni de l’histoire.

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