« Oui, je suis un bledard cérébral qui aime la politique : j’assume et je vous emmerde ! »

 

L’envie d’écrire cet article, je l’ai dans l’estomac depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, car comme de nombreuses personnes, j’ai souvent besoin de beaucoup de recul pour prendre nettement position sur des sujets qui me touchent personnellement.

Pendant longtemps, j’ai hésité à l’écrire car j’avais entre-temps pensé à mieux : matérialiser cette envie dans un projet d’écriture de livre, ce qui est en cours et qui je l’espère portera un fruit littéraire qui sera publié au plus tard dans les deux années qui viennent.

Toutefois, j’ai quand même décidé d’écrire l’article que vous lisez suite à des comportements que je trouve indignes et auxquels j’ai encore assisté dans certaines universités et dans certains milieux socioculturels récemment. J’ai aussi décidé de l’écrire suite à la résurgence de débats sur ce qu’on appelle ici en Europe « le bledard », pour désigner de façon caricaturale l’Africain qui vient de débarquer en Europe et que l’on suppose moins « civilisé » et plus « sauvage » que soi-même.

Je voudrais par cet article réparer avec le peu de moyens que j’ai – ma plume notamment -, l’injustice qui est faite aux étudiants africains qui débarquent et sur lesquels pèsent des préjugés lourds ; si lourds qu’ils peuvent constituer un frein à leur épanouissement socioculturel dans leur pays d’accueil. Si la personne en question n’a pas une volonté de fer, la rage d’apprendre et de s’imposer par tous les moyens, la volonté de prendre une revanche sur tous ces esprits simplets qui l’ont sous-estimés, elle craque, blessée dans son amour propre. Et souvent, ces blessures viennent de la propre communauté d’accueil de l’étudiant africain, la communauté africaine subsaharienne, où figurent des individus bourrés de préjugés et hautains. Ayant moi-même suivi ce parcours qui peut psychologiquement vite devenir un parcours du combattant,  je connais toutes les difficultés que ce phénomène peut engendrer.

L’accent

La première caractéristique par laquelle ceux qui se disent plus civilisés reconnaissent celui qu’ils appellent le bledard, c’est  son accent. Infestés par un ethnocentrisme qui peut parfois avoir un caractère dégoutant, ils se moquent de l’accent du bledard qui est à couper au couteau. Il n’est pas rare d’entendre des personnes qui sont nées en Belgique, qui y ont grandi ou qui même sont arrivées récemment et qui ont perdu leur accent, glousser dans le dos du bledard après qu’il se soit exprimé. Dans ce cas-ci, Blancs et Noirs confondus ne se privent pas de rires qui ne sont pas à ranger dans la catégorie de l’humour bienveillant, mais plutôt dans la catégorie du mépris pour ce que l’accent du bledard représente.

Le bledard serait moins « civilisé »

L’argument de la civilisation est celui qui me met le plus hors de moi en raison de l’utilisation abusive du mot « civilisation ». Qu’est ce qu’un civilisé ? Ceux qui répondent à cette question en considérant le bledard comme étant un individu moins raffiné qu’eux, expriment là un état d’esprit raciste et ethnocentriste puéril. Beaucoup d’individus de culture européenne, qu’ils soient Noirs, Balncs, Jaunes ou Rouges, envisagent la normalité des choses à partir de leur culture qu’ils considèrent comme étant la plus civilisée, donc la plus normale de toutes celles qui existent dans le monde. Remarquez, c’est ce que les sociétés occidentales leur enseignent officiellement et officieusement, puisque les images que les médias véhiculent sur les autres cultures sont le plus souvent marquées du sceau de la bizarrerie, de la misère ou encore de la sauvagerie. Le bledard matérialise par sa seule présence ces clichés véhiculés par les médias sur l’Afrique notamment.

Le bledard serait moins intelligent

Cette vision est la résultante de l’argument précédent, celui de la civilisation. Comme autrefois le colon considérait que le colonisé était  moins doué que lui au niveau du cerveau, les personnes ayant baigné dans la société et dans la culture qu’il a forgées, présument aussi que le descendant du colonisé  qui a grandi en Afrique – le bledard -, est doté d’une intelligence moins vive que la leur. Il serait intellectuellement lent à l’allumage. J’ai eu l’occasion d’expérimenter personnellement ce préjugé lorsque j’étais étudiant aux Facultés Universitaires Saint-Louis et que je m’engageais dans des initiatives visant à me donner des responsabilités, comme faire partie du Centre d’Action Universitaire, l’équipe dirigeante des étudiants. J’ai ressenti nettement auprès de mes camarades avec lesquels je menais ce combat, que le fait de débarquer tout fraîchement d’Afrique ne me donnait pas beaucoup de crédit au niveau de mes capacités intellectuelles.

Le bledard parlerait trop politique et trop fort

Pour cacher leurs tares, certaines personnes nées, ayant grandi ou ayant vécu longtemps en Europe, considèrent que le bledard passerait son temps à parler politique et trop fort. Oui le bledard parle politique car il est issu d’une jeunesse qui n’est pas née le cul dans le beurre, qui n’a pas tous les avantages sociaux d’ici. Il s’est sans doute déjà levé à 4 heures du matin dans son pays d’origine pour être sûr de trouver une place de libre dans un auditoire ou dans un amphithéâtre à l’université. Il n’est pas issu d’une jeunesse qui n’en a cure de la gestion de la chose publique, qui consacre beaucoup de temps aux futilités et qui préfère ne pas parler politique pour masquer son ignorance criante en matière de culture générale.  Le bledard est issu d’un pays où les dirigeants corrompus soutenus souvent par l’occident affament leurs peuples. C’est normal qu’il s’intéresse un peu plus à la gestion de la chose  publique car rien ne lui est donné. Il est plus attentif à ce que font les politiques, contrairement à d’autres qui laisseraient le sort d’un pays entier entre les mains d’un petit clan de politiciens sans bouger le petit doigt.

Le bledard parlerait trop fort quand il parle politique, et alors ? Il est tout simplement passionné par l’envie de voir  la chose publique bien gérée tant il est révolté par ce qui se passe chez lui ! Vous avez déjà vu des filles parler dans les transports en commun de leurs aventures ?  Et ces gens qui étalent à longueur de journée leur vie privée dans les transports à haute voix ? Ne crient-ils pas ? En les entendant, les oreilles sifflent et on a des fois envie de leur dire : « Parlez moins fort ou fermez la ! On n’a pas envie de connaître votre vie privée ! » Et quand il s’agit de vie publique qui concerne tout le monde, le bledard parlerait trop fort ?


Tous ces préjugés que je viens de décrire peuvent casser une personne dans son épanouissement social, culturel ou même économique. Les étudiants ou d’autres venant de débarquer, sont uniquement armés de leur courage pour se défendre face à cette société qui ne leur pardonne rien.  Il suffit d’une erreur et tout est négativement démultiplié contre eux. J’ai connu cette situation en débarquant en 2004 en Belgique dans  les milieux que je fréquentais. Rien ne m’a été épargné au début. La considération, je l’ai acquise en me forgeant une carapace solide et en allant la chercher avec les dents, ne partant pas avec les mêmes chances que les autres. Nous vivons dans une société soi-disant ouverte, mais elle est un peu moins ouverte pour le bledard.

Certaines personnes ayant connu cette situation se reconnaîtront dans ce texte. En pensant fortement à elles et à ce qu’elles ont subi ou subissent encore comme moqueries et remarques négatives, je crie fort :  » Oui, je suis un bledard qui s’assume et je vous emmerde ! »

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