La France, complice diplomatique de Guantanamo

 

 

 

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Tribune

Arnaud Mafille travaille pour Cage (précédemment appelé CagePrisoners), ONG établie il y a dix ans à la suite de l’ouverture de Guantanamo. « Notre travail consiste à souligner les lois et politiques adoptées depuis 2001 et qui à notre sens viole le principe du droit au procès équitable. » Il est titulaire d’un master en droit public, d’un master en droit international et est l’auteur du rapport « Djamel Beghal : British and French complicity in torture ». Il intervient régulièrement sur la BBC, Channel 4, Channel 5, ITV, The Guardian etc. Rue89

 

 

 

 

 

Il y a douze ans, la CIA transportait le premier détenu à Guantanamo. Plus d’une décennie plus tard, 155 hommes y demeurent détenus. Parmi eux, 77 ont été déclaré libérables depuis plusieurs années par les autorités américaines. Pour 45 autres, les Etats-Unis estiment ne pas avoir de preuves pour les faire comparaître devant la justice mais ont également décidé qu’ils devaient restés incarcérés indéfiniment.

D’emblée, la France ne semble pas avoir joué de rôle particulier dans cet épisode kafkaïen de l’histoire contemporaine. Pourtant, une analyse extensive des câbles publiés par WikiLeaks semble bel et bien montrer que les autorités françaises ont été les complices diplomatiques de leurs comparses US.

En 2005, l’ambassade américaine à Paris expliquait déjà ne s’attendre qu’à « peu de réactions officielles de la part du gouvernement français » puisque l’intérêt hexagonal pour Guantanamo s’était « largement limité à la présence de citoyens français » sur l’île.

 

Un intérêt qui ne va pas jusqu’à l’inquiétude

Cet « intérêt » pour ces Français de Guantanamo ne doit cependant pas être confondu avec un souci officiel pour le respect des droits de ces nationaux. La (non)-réaction d’un représentant français à l’annonce de l’attribution du statut d’« ennemi combattant » à l’un de ses concitoyens par un tribunal militaire spécial en 2005 en témoigne : après s’être vu expliquer le mode opératoire de ces « tribunaux », il déclarera ne pas avoir « de réponse substantielle immédiate ni d’inquiétude particulière ».

Cela est pour le moins surprenant puisque, dès le début, ces « tribunaux » furent décrits par beaucoup comme des cours fantoches. En 2008, la Cour suprême américaine finira même par les juger inconstitutionnels.

Interrogatoires secrets conduits par les Français

L’ambassade américaine semble avoir choisi ses mots avec attention : la France n’avait qu’un intérêt limité pour Guantanamo. Cela était d’ailleurs le sentiment qui dominait après la révélation d’interrogatoires secrets conduits par les autorités françaises sur l’île cubaine. Ces interrogatoires seront ensuite utilisés contre les Français de Guantanamo.

Certains d’entre eux seront condamnés à un an et demi de prison par la justice française. Toutefois, pour l’ambassade américaine, ces peines de principe, avaient d’autres objectifs que la pure répression pénale : couvrir les interrogatoires menés par les agents français à Guantanamo et épargner au gouvernement français toute accusation de complaisance ou de complicité quant à la situation dans les camps de Guantanamo.

Un peu plus que complice silencieux

Tout cela laisse seulement penser que la France a été tout au plus un « complice silencieux » qui aurait tiré profit de la situation à Guantanamo pour interroger certains détenus. Toutefois, il apparait que la France n’a pas restreint son implication à cette posture opportuniste. Des discussions entre diplomates français et américains montrent que la France semble avoir été particulièrement active sur le plan diplomatique afin d’éviter toute condamnation du « système Guantanamo » par les Nations unies.

Affiche de la campagne de l’ONG Cage

Preuve de cela, un câble diplomatique rapporte que les Français « ne soutiendraient pas une résolution sur Guantanamo, bien qu’ils aient été approchés par l’Egypte dans ce sens ».

Dans l’hypothèse où les diplomates américains ne se seraient pas satisfaits de la position française sur la question, il était important pour la délégation hexagonale de souligner que la résolution française introduite à l’ONU et dénonçant les disparitions forcées ne visait en aucun cas les USA.

« Elle avait été plutôt rédigée avec les disparitions politiques en Algérie et en Amérique latine à l’esprit. »

Contre l’initiative d’une enquête sur les conditions de détention

En 2004, Cuba rédigeait une résolution appelant le Comité des droits de l’homme des Nations unies à enquêter sur les conditions de détention à Guantanamo. Selon un câble diplomatique de 2005, la France allait même jusqu’à user de son influence après des Etats membres de l’Union Européenne afin qu’ils votent en bloc contre cette initiative.

Cuba finira par retirer sa résolution.

De même, en 2006, la diplomatie américaine relatait un entretien avec ses homologues français visant à s’assurer de leur soutien pour tenir en échec deux résolutions similaires. Verdict : « La France votera contre la résolution biélorusse condamnant les violations américaines des droits de l’Homme. »

En ce qui concerne la deuxième résolution biélorusse condamnant l’utilisation de sites secrets de détention, la France affirmait qu’elle « voterait contre ou s’abstiendrait ».

La France veut bien accueillir des détenus

Mais depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Barack Obama a été élu, a promis la fermeture de Guantanamo (il y a plus de cinq ans …) et les Etats-Unis cherchent désespérément à « relocaliser » 77 détenus déclarés libérables.

En tant qu’allié loyal, la France a également revu sa position. En 2009, la patrie des droits de l’homme retrouve soudainement son humanisme. Et nos diplomates d’assurer à leurs collègues du nouveau monde que « la France veut aider les USA à fermer le centre de détention US à Guantanamo Bay » se proposant d’accueillir des détenus.

En 2009, un conseiller spécial auprès du ministère français des Affaires étrangères et l’ambassadeur Dan Fried (envoyé spécial pour la fermeture de Guantanamo) se sont rencontrés afin de négocier la relocalisation de six détenus. La France insistait alors sur le fait qu’elle « examinerait ces cas de manière positive ».

… mais elle n’en a accueilli aucun

Pourtant depuis ces déclarations, la France n’a accueilli aucun des détenus ayant demandé l’asile.

Quoi qu’il en soit, après douze années de campagnes et d’outrage du monde juridique, il n’y a toujours aucune perspective de voir Guantanamo fermé. La raison est peut-être qu’aucun pouvoir ne s’est levé pour dire avec force : assez !

Making of
Deux ex-détenus en France

En 2009, avant les déclarations dont parle Arnaud Mafille, la France a accepté d’accueillir deux ex-détenus de Guantanamo, des Algériens d’origine bosniaque : Lakhdar Boumediene et Saber Lahmar.

 

Privés de passeport algérien, ils doivent renouveler chaque année leur titre de séjour en France. « Ni immigrés ni réfugiés », dans une situation administrative complexe, ils ont raconté leur quotidien au Monde, en 2012.

 

Un autre Algérien, Nabil Hadajarab, qui a grandi près de Lyon avant d’être emprisonné pendant onze ans à Guantanamo, a demandé l’asile en France pour obtenir sa libération du camp. Les autorités françaises n’ont pas donné suite, et il a finalement été renvoyé en Algérie en août.

SOURCE

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