Ces Belgo-turcs qui retournent tenter leur chance en Turquie

Ils sont jeunes et ils ont de bons diplômes mais ont décidé de quitter le pays pour retourner dans leur pays d’origine. Cette décision fait dire à des chercheurs de l’université d’Anvers qu’il s’agit là d’une véritable fuite des cerveaux, une véritable perte pour notre pays. Ces chercheurs n’ont interrogé que 27 personnes. Mais ils précisent que beaucoup d’autres étaient prêts à répondre à leurs questions et que par ailleurs, la même tendance a été mise en évidence aux Pays-Bas et en Allemagne. Pour eux, c’est clair, il s’agit d’un phénomène de fond.

Ils ont une vingtaine ou une trentaine d’années. Ils sont nés en Belgique et ils voient la Turquie comme un Eldorado. Beaucoup finissent par partir parce qu’ils se sentent discriminés ici.

Zeynep Balci, de l’université d’Anvers, a analysé ce phénomène : « Dans leurs réponses, ces jeunes parlent très souvent de discrimination. Discrimination dans l’enseignement, sur le marché du travail, dans la recherche d’un boulot, etc.« .

Mais d’autres sont simplement attirés par le dynamisme de la Turquie. C’est le cas de Sinan Logie qui est architecte et qui a fait ses valises, il y a deux ans, direction Istanbul.

« J’ai été attiré par le dynamisme du secteur de la construction en Turquie sachant que le gouvernement suit un peu le modèle chinois. Le secteur de la construction et de l’immobilier sont un peu les moteurs de l’économie turque« , raconte l’homme, âgé de 38 ans.

Souvent la désillusion, mais pas toujours

Mais une fois sur place, note l’étude, c’est souvent la désillusion.

« Ça reste quand même un pays népotique et fermé donc ce n’est pas parce que l’on vient de l’étranger avec un bon diplôme que toute le portes s’ouvrent devant vous« , confirme Sinan Logie.

Les conditions de travail sont, elles aussi, à l’origine de beaucoup de déceptions.

« Le point le plus compliqué, c’est que les gens travaillent six jours sur sept, de neuf heures à vingt heures« , explique l’architecte.

Plusieurs connaissances de Sinan Logie pensent à retourner en Belgique. Lui, compte bien rester à Istanbul et y profiter d’un avantage, bien réel celui-là : une vie sociale très animée.

Daphné Van Ossel avec Grégoire Ryckmans

La Belgique désavantage-t-elle les travailleurs d’origine étrangère?

Une étude menée par le bureau européen de statistiques Eurostat conclut que de tous les pays d’Europe, c’est en Belgique que les personnes d’origine étrangère sont le plus désavantagées sur le marché du travail. Un constat confirmé par un récent rapport publié par le Centre pour l’Egalité des Chances, en collaboration avec le SPF Emploi.

Les chiffres Eurostat sont sans appel : sur les citoyens nés en-dehors de l’Union européenne, moins de deux tiers (62%) étaient actifs l’an dernier sur le marché du travail. C’est beaucoup moins que dans la population générale, dont 73% travaillent (moyenne UE : 76%). Dans aucun autre pays européen les travailleurs d’origine étrangère ne sont aussi désavantagés qu’en Belgique. Par comparaison, le taux d’emploi au Portugal est le plus élevé avec 85%. Tous nos pays voisins font mieux que nous, comme la France et les Pays-Bas avec tous deux près de 70%

« Ces mauvais chiffres sont en partie dus au profil spécifique de nos migrants : beaucoup sont venus ici pour travailler dans l’industrie, mais ce secteur est en perte de vitesse« , explique Koen Van Laer, professeur à l’université de Hasselt et spécialisé dans la diversité sur le marché du travail. « Mais les chiffres sont aussi le reflet d’une discrimination persistante. » Un autre obstacle à l’emploi pour les travailleurs d’origine étrangère tient dans les exigences linguistiques élevées en Belgique.

Onem, Forem, Actiris… peu de chiffres

Pour Stéphanie Wyard, porte-parole du Forem, analyser les chiffres d’Eurostat est impossible. « En Belgique le bureau du Plan ne ventile pas la population active par nationalité. Nous pouvons connaître la proportion des non-Belges sur le territoire mais pas leur taux d’activité« . Se pose ensuite la difficulté liée à la définition légale de l’allochtone basée sur la nationalité et non sur l’origine étrangère comme le comprennent beaucoup de gens.

Même constat chez Actiris à Bruxelles où l’observatoire de l’emploi ne travaille que sur base de nationalités et pas des origines. Seul le VDAB, en Flandre, a l’opportunité de questionner un demandeur d’emploi sur son origine, même s’il est Belge. En Wallonie, ce marqueur n’a pas été retenu pour des raisons politiques. Ce qui empêche le même suivi que dans le nord du pays.

Par ailleurs, Eurostat ne travaille pas sur des données statistique, mais procède par enquête en interrogeant un échantillon de la population d’un pays pour en tirer des conclusions à échelle globale. Les seuls chiffres officiels pour la Belgique viennent de l’Onem qui affichent actuellement 449 602 demandeurs d’emploi, un nombre en croissance annuelle 4,2%.

En Wallonie, le nombre des demandeurs d’emploi inoccupés pour le mois de septembre est relativement stable depuis 2009 avec 226 359 inscrits. Le nombre des étrangers non européens est lui passé en quatre ans de 11 500 à 15 000. Celui des étrangers de la zone européenne est en revanche en baisse avec 20 500 inscrits. Soit 1700 de moins qu’en 2009.

L’enquête d’Eurostat ne fait pourtant que confirmer une étude récente réalisée par le centre en collaboration avec le SPF emploi. Sur l’ensemble de la population de 18 à 60 ans, cette étude a permis, sur base du registre de la Population, de détecter les personnes en fonction de leur origine et de l’origine de leurs parents. « Pour 900 000 d’entre elles, nous avons pu remonter jusqu’à l’origine des grands parents », explique Patrick Charlier, directeur adjoint du Centre pour l’Egalité des Chances. Ces données qui ont pu être croisées avec celles de la Banque Carrefour de la sécurité sociale confirment les chiffres d’Eurostat. L’outil « monitoring socio-économique » mis en place depuis 2006 peut même établir l’évolution de l’emploi des Belges d’origine étrangère pour 14 catégories d’individus (Belges d’origine, Belges issus des 14 premiers pays de l’Union, Belges originaires de Turquie, etc.)

Une discrimination à causes multiples

Pour Patrick Charlier, les raisons de cette discrimination sont multiples : « Elles sont liées à la formation et à la relégation de notre système d’enseignement qui dirige les jeunes issus de l’immigration vers les filières moins valorisées. Mais cela ne suffit pas à tout expliquer, car même à diplôme égal, ils ont plus de difficultés à obtenir un emploi« .

Une autre cause de cette relégation serait la structure de l’emploi dans notre pays qui rend les travailleurs moins mobiles en les confinant dans un seul métier. Et enfin, il y a la discrimination constatée sur base du nom d’origine des candidats à un emploi. Le directeur adjoint du Centre pour l’Egalité des Chances ajoute que toutes ces différences sont encore accentuées pour les femmes : « On constate que pour certaines nationalités (turque et marocaine) le retard dans l’obtention d’un travail est doublé pour les femmes« .

Taux d’emploi de 74% pour les « vrais » Belges… 40% pour les autres

Selon l’étude ‘Monitoring socio-économique’ réalisée en Belgique, le taux d’emploi moyen pour les 18 à 60 ans est de 66% pour l’ensemble du pays. Mais il grimpe à 74% pour les travailleurs d’origine belge. Il est encore supérieur à 50% pour les Belges d’origine européenne (les 14 premiers pays de l’Union). Le taux d’emploi chute cependant à 43%, tant pour les Belges d’origine turque que magrébine. Et à 39,7% pour l’Afrique sub-saharienne.

Patrick Charlier constate l’existence d’un arrêté royal favorable aux mesures d’actions positives, en regrettant que ce texte attend d’être adopté depuis 2007.

Car au-delà de l’accès à l’emploi se pose encore la question de la qualité de l’emploi disponible. « Il s’agit souvent d’emplois moins qualifiés, plus précaires ou à durée déterminée. Certains font toute leur carrière dans des sociétés d’Intérim. »

Cette analyse est largement rencontrée par la porte-parole de la ministre de l’Emploi, Monika De Coninck: « Les chiffres d’Eurostat ne sont pas neufs. Cela débute dès l’école et notre marché du travail est très fermé. Il n’est pas facile de trouver un premier emploi, mais pour un allochtone ou un handicapé, l’obstacle est encore plus élevé. » D’où les mesures prises par Monika De Coninck sous forme de stages destinés aux jeunes sans diplôme. « En général après deux ans de travail dans une entreprise, l’absence de diplôme perd son aspect handicapant auprès des employeurs qui s’intéressent davantage à l’expérience acquise. »

Ce n’est pas la faute aux entreprises

En réaction aux chiffres d’Eurostat, Christine Mattheeuws, présidente du Syndicat National des Indépendants se défend de toute discrimination à l’embauche: « Cela est dû au faible niveau de formation, aux problèmes linguistiques et au fait que les migrants travaillent souvent dans des secteurs sensibles tels que l’horeca, la construction, le transport ou le commerce de détail… Les PME choisissent par-dessus tout d’engager la bonne personne au poste adéquat« .

La porte-parole du Forme ne dit pas autre chose : »Les employeurs qui nous téléphonent veulent d’abord trouver un profil. Ils s’intéressent aux compétences, à la motivation, mais nous n’entendons jamais de demandes liées à des critères d’origine. Les entreprises ne s’y intéressent pas« .

Jean-Claude Verset

SOURCE

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