Kaboul, le froid a tué plus de 23 enfants dans l’indifférence générale.
A Kaboul, ce mois de janvier a été le plus froid depuis 20 ans. Le froid a tué plus de 23 enfants, dans les camps de réfugiés internes. Ce sont des villageois qui ont fuit les zones bombardées du sud, principalement Helmand et Kandahar et se sont installés dans des camps de fortune dans la capitale. Ce sont aussi les réfugiés expulsés d’Iran ou du Pakistan.
Les conditions de vie dans ces camps sont indescriptibles. Pas d’eau courante, pas de sanitaire, pas de chauffage… Dans ces camps, les enfants ont faim et froid en permanence. Ils souffrent de malnutrition, ils manquent de tout, ils sont habillés de loques, beaucoup sont pieds nus. La mortalité infantile, le nombre d’enfants qui n’atteint pas l’âge de 5 ans, est de 1 sur 5. Le taux le plus haut au monde.
Avec le gel – des températures qui vont jusque moins 17- les enfants perdent leurs doigts et leurs orteils.
Nous avons visité le camp de Nasaji Bagrami en décembre et y avons organisé une distribution de 3200 kilos de riz et de haricots. Cela n’aura pas suffit. Le New York times annonçait samedi que 14 enfants y étaient morts. Nous avons appelé Kaboul ce dimanche matin et Mohammad Ibrahim, le porte-parole du camp, nous a appris que le nombre s’élevait à 15.
Michael Keating, le coordinateur humanitaire de s Nations Unies en Afghanistan parle de crise humanitaire.
Que faisons-nous ? Quelle est notre responsabilité dans cette crise ?
Nos militaires sont là-bas et effectuent des bombardements. Ils sont basés à Kandahar.
Nous devons oser poser des questions : ‘Monsieur De Crem, avons-nous bombardé ces villages ? Avons-nous forcé ces civils à fuir leurs maisons, à abandonner leurs terres et leur bétail et à vivre dans des conditions pareilles ? ’
Lorsque des civils doivent fuir des zones de combat, il est de la responsabilité des militaires de les aider à se réinstaller de manière correcte. Le minimum aurait été de leur permettre de survivre à l’hiver. Un hiver très froid en Afghanistan, c’est quelque chose de prévisible. Selon le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies la pauvreté tue plus de civils en Afghanistan que Al Qaida et les Talibans.
Notre présence en Afghanistan améliore-t-elle ou empire-t-elle la situation pour les populations civiles ? Que faisons-nous là-bas ? A quoi sert l’aide humanitaire, si des enfants meurent de froid au milieu de la capitale ?
Selma Benkhelifa et Samir Hamdard
A Kaboul le froid tue des dizaines d’enfants
A Kaboul, ce mois de janvier a été le plus froid depuis 20 ans. Le froid a tué plus d’une vingtaine d’enfants, dans les camps de réfugiés internes.
Solidarity Shop s’est rendu sur place et a organisé une distribution de 14 kilos de charbon par famille, pour les 322 familles du camp de Nasaji Bagrami.
Soit 4,5 tonnes de charbon. Cela devrait permettre aux familles d’avoir chaud pendant quelques semaines…
Retour d’Afghanistan
Kaboul
Jour 1
Aéroport de Kaboul. L’avion atterrit et ralentit sur une longue piste, bordée d’hélicoptères, couleur camouflage. Des dizaines d’hélicoptères menaçants nous fixent, leurs lance-missiles ressemblent à des yeux. Combien de vies se sont brutalement terminées sous ce regard de plomb ?
Pas de doute, on est dans un pays en guerre.
Nous sortons de l‘aéroport et sommes directement sur un grand boulevard bordé d’affiches publicitaires. Nestlé et Coca Cola sont omniprésents.
La ville est étonnante. Sale, polluée, grouillante de monde. On voit de chars à tous les rondpoints et des militaires en armes partout. Chaque ministère, chaque bâtiment public est barricade derrière des murs de béton, surplombes de barbelés, une mitrailleuse à chaque entrée.
Quelle est la légitimité d’un gouvernement qui craint la majorité de sa population ?
La circulation est d’une telle densité qu’il semble impossible de s’extirper de l’embouteillage permanent. Les vieilles voitures minables, les charrettes tirées par un cheval ou un âne et les rickshaws se disputent la route à d’énormes land-rover appartenant aux étrangers ou aux businessmen douteux que la guerre a enrichis.
Toute la ville est misérable. Les seuls bâtiments corrects sont ceux construits avant l’invasion soviétique, cribles de balles. Le reste est construit sans aucune réflexion ni logique. Des bicoques en torchis et en taule ondulée servent de magasins, de pharmacie, de cabinet de médecin. Ce dédale de maisons montent presque jusqu’au sommet des montagnes qui encerclent Kaboul. Les Kaboulis disent qu’il y a dix ans, il n’y avait pas une seule habitation sur ces montagnes.
Partout des tas de détritus et une fourmilière de gens qui récupèrent, déplacent des morceaux de métal et de bois sur des brouettes, réparent des objets divers. Leur remue-ménage semble incompréhensible et vain. Tout est sale et poussiéreux.
Parfois au milieu de cette misère, une maison rose à colonnes dépasse de hauts murs, un portail à ouverture électronique garantit la sécurité des occupants. Je ne sais pas ce qui me choque le plus, si c’est le mauvais gout de ces riches ou leur indifférence.
Nous arrivons à la maison située à Niazi, dans la banlieue de Kaboul. Nous sommes entre ville et campagne. Il fait un peu plus calme.
Repos pour le reste de la journée.
Jour 2
Nous partons visiter un camp de IDPs, les déplacés internes. Selon les chiffres des ONG, il y a 309 000 IDPs [1]en Afghanistan. Les camps sont vraiment dans la ville. Si le reste semble miséreux, ce n’était encore rien à cote des camps.
Je ne comprends pas comment des êtres humains peuvent y survivre. Les enfants sont sales, habillés en loques, tous sans chaussettes et beaucoup pieds nus sans chaussures. Pourtant malgré le soleil, il gèle. La température avoisine 0 degré.
En face du camp, une maison très chic. De l’autre cote, l’usine Coca Cola.
Le camp lui-même est une sorte de village compose de petites bâtisses en torchis.
L’entrée de chacune est camouflée par une couverture. Nous nous baissons pour passer cette petite porte et nous arrivons dans une sorte de petite cour. Une vieille dame y est assise devant un tandoori, une sorte de four creuse dans la terre. Elle fait du pain et nous en propose. Une femme est assise dans un coin et se couvre entièrement le visage à l’arrivée des hommes. Elle tient un tout jeune bébé emmailloté dans les bras. Je m’approche du bébé. La maman découvre son visage et me sourit. Ce n’est pas a proprement parle une femme. Elle ne doit pas avoir plus de 14 ou 15 ans.
L’intérieur de ce qui sert de maison à toute la famille est minuscule, environ 3 mètres carrés dans lesquels s’entassent les quelques possessions de la famille, un coffre, des tapis, un petit poêle a bois.
L’homme nous explique qu’ils viennent de Helmand dans le Sud et que leur village a été bombardé. Ils vivent la depuis trois ans.
Les enfants nous regardent avec curiosité. Ils sont tout sourire. Aucun ne mendie, ils veulent juste être pris en photos et trouvent très drôle de se voir sur l’appareil numérique.
En sortant nous voyons un vendeur de ballons. Enfin une touche de couleur dans cet enfer.
Nous partons en promettant de revenir. Le Solidarity Shop a une réserve d’argent. Nous allons faire une distribution de riz dans le camp. Ils nous ont dit être 322 familles, la plupart du même village de Helmand et quelques familles de Kandahar.
Jour 3
Nous visitons Kaboul et la famille. Les Afghans ont tous de grandes familles et Samir n’échappe pas à la règle.
Toute la ville a une histoire sanglante. Ici la place Ariana ou Najubullah[2] a été pendu. La les ruines du palais présidentiel criblées de balles ou Daoud Khan[3] et sa famille ont été tués. Les ruines du centre culturel russe théâtre de combats acharnés. La mosquée chiite ou un kamikaze a tué –il y quelques jours – 72 personnes réunies à l’occasion d’Achoura, la commémoration de la mort de Hussein, petit fils du Prophète.
Nous arrivons dans le quartier de Qalra. Quartier nouvellement construit dans cette ville qui s’agrandit chaque jour. La maison que nous visitons est celle de Abdul Wahid, un vieux monsieur imposant avec un turban et une longue barbe grise. Nous apportons des fruits et des ballons.
Le spectacle est amusant. Le vieux pashtoun a l’air sévère se retrouve avec trois gosses sur les genoux et jouent avec eux et les ballons. Il finit par leur accrocher un ballon au poignet chacun. Les petits trouvent ca génial, Sayf aussi.
On nous offre à manger. Une soupe à la graisse de mouton dans laquelle on fait tremper le pain qui a plusieurs jours, de la viande séchée et la salade et les fruits que nous avons apportés.
On sent une misère immense chez des gens qui n’ont pas été habitué à la misère. Ce sont des réfugiés de Gazni. Le fils aine a été tué par les Talibans, décapité. La maman s’excuse en me disant que son pays est trop triste pour moi.
La famille a propose à la veuve du fils aine d’épouser le cadet, comme le veut la tradition. Elle ne voulait pas et est repartie avec ses enfants chez son père. Au bout de trois mois, celui-ci lui a fait comprendre à sa fille qu’il ne comptait pas la nourrir, elle et ses enfants. Elle est revenue chez ses beaux-parents et a épousé son beau-frère…
Elle a un nouveau né. Ici tous les bébés sont emmaillotés très serrés et maquillés de khôl.
Nous partons pour un tout autre quartier : Mikroyan, le quartier construit sous le régime communiste. Un quartier qui fut tres chic, maintenant complètement délabré. Ce sont des blocs d’immeubles a appartements modernes avec du chauffage central, de vraies salles de bain. Des boutiques qui ont des vitrines – ici c’est un luxe- vendent des cosmétiques (le vendeur est Sikh), des fruits et légumes, … Dans ces quelques centaines de mètres carres, on a l’impression d’être dans une ville normale. Impression que je n’ai eue nulle part ailleurs dans Kaboul.
La nuit tombe et il faut rentrer. Il n’y a pas de réel couvre-feu mais sortir le soir est dangereux et de toute façon des qu’il fait nuit les taxis refusent de venir jusque dans notre quartier.
Jour 4 et 5
Je joue à la femme afghane.
Une journée type de femme afghane commence à 5 heures du matin. Comme je ne pousse pas le mimétisme à ce point-la, j’ai toujours l’air d’une européenne paresseuse alors que je me lève à 7 heures !
Tout d’abord la mère de famille – ici les familles comptent en moyenne 8 enfants- allument le feu. Autre détail que je n’ai pas encore mentionné sur Kaboul, la majorité des gens se chauffe au bois. On voit donc d’immenses terrains avec des tas de bois à bruler qui dépasse parfois 10 mètres de haut, partout dans la ville. Je n’ose même pas imaginer le cout écologique…
Les maisons comme la notre sont chauffées avec des poêles à bois, un peu comme nos poeles ardennais. La mère de famille commence donc sa journée en allant chercher du bois pour le feu. Elle place ensuite une grande bouilloire sur le poêle qui fournira de l’eau chaude pour la journée. Il y a l’eau courante dans la maison mais pas d’eau chaude.
Pas de douche ni de baignoire. On se lave à la bassine. Et je précise que nous sommes dans une maison bourgeoise chez des gens qui ne manque de rien.
On déjeune vers 7 heures. Du thé, des œufs, du pain. Parce qu’on est chez des gens aisés, tous les repas sont copieux.
Ensuite la mère de famille fait son pain. Elle a pétrit la farine avant le petit déjeuné. La maison se compose de plusieurs pièces autour d’une cour. Dans une des pièces, il y a le générateur qui nous donne de l’électricité et le tandoori. Il s’agit d’un four rond maçonné à la verticale dans la terre. On y fait un grand feu qui tourbillonne puis on colle les pains sur les parois. Ca a l’air simple. J’ai essayé et c’est en fait très compliqué. D’abord c’est brulant, ensuite il faut que ce pain accepte de coller. Bref mon expérience de boulangère afghane ne fut pas une franche réussite.
Apres on prépare le repas du midi. Si on a besoin d’un ingrédient que nous n’avons pas en réserve, on envoie un des grands garçons le chercher. Les journées sont rythmées par la préparation des repas.
La lessive se fait à la main dans des bassines. Et le repassage avec un antique fer à repasser en fonte et en bois, une vraie pièce de musée. Comme il y a 8 enfants dans la famille ces taches prennent toute l’après-midi.
Nous ne sortons jamais et au bout de deux jours je ressens un profond sentiment de claustrophobie. Pourtant personne ne nous enferme ou ne nous interdit de sortir. Simplement les femmes ne conçoivent pas l’idée de loisirs. Nous n’avons pas de raison qui nous oblige à sortir, donc nous ne sortons pas. La seule activité en dehors de la maison, c’est lorsqu’on est invite chez de la famille. Alors on dort les uns chez les autres, surtout si on habite trop loin pour rentrer ou s’il fait déjà nuit.
Un exemple m’a frappe. Notre maison est à deux ou trois kilomètres du zoo de Kaboul et les femmes de la famille n’y sont jamais allées.
Le mari rentre du travail. Il est fonctionnaire et travaille dans le gouvernement. Toute la famille se réunit pour le repas du soir. On mange dans la pièce qui sert de salon, à même le sol. Personne n’a de salle à manger. Les repas sont confectionnes avec soin.
Ensuite il faut faire la vaisselle, rallumer les poêles dans les chambres parce que les nuits sont froides. On regarde vaguement la télévision qui parle de combats, du Pakistan, de la corruption… ce ne sont pas des sujets de conversation. Tous le monde a l’air de se ficher complètement de ce qui se passe dans le pays. Les seuls programmes qui intéressent sont les films et les séries indiens et turcs, en dari. Des daubes inintéressantes tres surveillées par la censure afghane qui rend flous tous les décolletés ou les jambes nues des actrices. Le film adonc en permanence des taches de flou. Je me demande pourquoi ne pas juste interdire la série, plutôt que de perdre cette énergie à surveiller la moindre parcelle de peau nue ?
Jour 6
Distribution du Solidarity Shop
Depuis deux ans, le Solidarity Shop sert de banque alimentaire pour 20 familles. Au début elles étaient 21 mais une des femmes a déménagé et vit trop loin pour venir aux distributions.
Les distributions ont lieu tous les quinze jours. Les femmes viennent et reçoivent un colis avec du riz, de l’huile, de la farine, des lentilles ou des haricots, du sucre et du thé ainsi que d’autres produits de première nécessité qui varient. Cette fois-ci les colis contiennent aussi de la poudre à lessiver et des allumettes.
Samir a fait imprimer des sacs Solidarity Shop, toute sa famille les a cousus. A partir de maintenant, les femmes recevront leur colis dans des sacs ou figurent un dessin réalisé par une prof de Charles Janssens, l’école secondaire d’Ixelles ou j’ai étudié.
Aujourd’hui c’est le jour de la distribution. Les femmes arrivent une par une. Elles sont toutes venues, sauf deux qui ont envoyé quelqu’un a leur place.
Je les interroge une par une. Je leur demande leur nom, le nom de leurs enfants, des détails sur leur situation. Aucune d’entre elles ne connait son âge. Elles parlent très ouvertement, elles sont très sympathiques et pleines de dignité. Elles m’ont toutes dit venir deux fois par mois et ne manquer aucune distribution. J’ai demandé à chacune si elles recevaient suffisamment. Aucune mendicité dans leurs réponses, elles disent toutes qu’elles nous remercient beaucoup et que les colis alimentaires ont réellement change leur vie. Plusieurs d’entre elles ont par contre demandé si nous pouvions ajouter d’autres femmes qu’elles connaissent à notre liste. La plupart des enfants vont à l’école, à trois ou quatre exceptions près. Ceux qui ne vont plus à l’école sont des adolescents qui n’arrivaient pas à suivre. Les mamans sont fières des résultats de leurs enfants et disent spontanément pour chacun en quelle année ils sont.
Seule une des femmes qui n’est pas venue avait déclaré que sa famille ne laissait pas les filles aller à l’école. Je ne sais pas ce qu’il en est maintenant, je ne sais pas non plus quoi faire.
La plupart des femmes sont aussi très enthousiastes à l’idée de commencer le cours de couture. Dès le départ, nous avions discute avec elles de la mise en place d’un projet pour les rendre indépendantes. La couture semble le projet le plus apprécié.
Les gens ici ne portent quasiment que des vêtements traditionnels. Une couturière vient à la maison, prend les mesures et le tissu que sa cliente a préalablement acheté, puis fait le vêtement qu’elle apporte chez sa cliente le lendemain ou deux jours après. C’est la manière la plus courante de s’habiller en Afghanistan. Je suis moi-même habillée d’un panjabi qu’une couturière a cousu après être venue prendre mes mesures. Une bonne couturière peut donc avoir un bon revenu.
Nous avons loué un local, dans la même maison ou ont lieu les distributions et nous avons acheté 20 machines à coudre. Il s’agit de machines à l’ancienne, sans électricité, avec une manivelle.
Nous avons trouvé une professeure. Elle est professeure dans une école et va venir trois jours par semaines pour enseigner aux femmes la couture. Nous lui avons propose un salaire de 100 euro par mois. Le salaire moyen dans l’enseignement est de 150-200 dollars.
Elle a demande si elle pouvait recevoir aussi un colis alimentaire. Ca montre réellement la situation économique catastrophique dans le pays : une enseignante qui travaille a temps plein et a un boulot d’appoint, a besoin de colis alimentaire tant son salaire n’est pas suffisant.
Seules quatre femmes ne veulent pas suivre la formation. Trois d’entre elles parce qu’elles sont très vieilles, une parce qu’elle habite trop loin.
La formation doit durer deux mois. A la fin des deux mois, les femmes recevront la machine à coudre, une paire de ciseaux et un petit fascicule avec les différentes étapes pour faire le patron. Bien sur elles ne connaitront que deux ou trois vêtements de base, mais ici c’est suffisant. L’habillement est très varié dans les couleurs mais pas dans les modèles.
Jour 7
Ce matin, nous partons chez trois des femmes du Solidarity Shop. Je me suis rendue compte lors de la distribution que notre méthode n’est pas tout à fait équitable. Nous donnons le même colis à des familles composées de deux personnes et à des familles avec 8 enfants.
Nous arrivons chez la première femme, elle a 6 filles et un garçon. Nous discutons avec elle. Elle nous offre du the. Elle dit que depuis deux ans, elle n’a plus acheté ni de riz ni de haricots, parce que nos colis suffisent. Par contre la farine et l’huile ne suffisent pas parce qu’elle a une famille nombreuse.
Elle manque aussi de chaussettes, de chaussures, de vêtements (parce que les filles veulent être jolies a l’école, nous explique-t-elle ) et de produits tels du shampoings et du savon. Une des filles voudrait venir au cour de couture avec sa maman. Elle remplacera une de celles qui ne sait pas participer.
Cette visite confirme la théorie d’Engel sur les dépenses. Tant que le besoin de nourriture suffisante n’est pas rempli, on ne souhaite dépenser pour rien d’autre, ensuite vient le besoin de confort, de vêtements, loin après viennent les dépenses de loisirs. On est encore loin de la, mais la famille semble heureuse et les enfants bien nourris.
Notre seconde visite est beaucoup plus dure. Cette femme a perdu son mari, mort d’overdose. Elle a 6 enfants et vit dans le dénuement le plus total. Dans son petit appartement au premier étage d’une maison traditionnelle, il n’y a même pas l’habituel poêle à bois. Ici on se chauffe grâce au « sandaliye », il s’agit de braises de charbon qui brulent en dessous d’une table, recouverte de couvertures. En dessous, il fait chaud, partout ailleurs il gèle.
Elle manque de tout et envisageait de déposer ses enfants dans un orphelinat. Nous l’encourageons, nous lui proposons de l’aide, elle ne demande rien, elle semble résignée. Elle me dit juste que j’ai beaucoup de chance de ne pas être afghane.
La troisième visite est plus drôle. Ici il y a un mari, mais c’est un « bon a rien », c’est l’avis de sa femme en tout cas. Lui se plaint que quand elle se fâche, elle le tape. C’est une famille de Quchis, les parents de la femme étaient encore nomades. Cette famille vit aussi dans une grande pauvreté, mais il y a une vache, deux chèvres et des poules dans la cour. De quoi améliorer le quotidien.
Université de Kaboul
L’après-midi, je donne mon workshop sur les droits des femmes à l’Université de Kaboul. A l’entrée, je lis au dessus de la porte « Islamic Law Faculty ». Dans la salle de classe, il y a une quarantaine de jeunes filles.
Pour commencer, je me présente puis leur demande de noter sur un post-it quel est, selon elles, le problème le plus grave concernant les femmes afghanes. Je leur laisse le temps de noter.
Certaines réponses sont attendues, d’autres sont ahurissantes. Pour la plupart les problèmes principaux sont le manque d’information, d’accès a l’enseignement et les mariages forces. Pour beaucoup d’entres elles, seule une plus grande implantation de la sharia peut résoudre le droit des femmes.
Certaines trouvent que le principal problème vient de la déclaration universelle des droits de l’Homme que l’Afghanistan n’aurait pas du signer parce qu’elle est contraire a la loi islamique.
Une seule parle de viol. Une autre ecrira « there is no women rights in Afghanistan, I dont wanna share anything ». J’aime bien cette fille!
Aucune ne semble consciente de la détresse économique dans laquelle vit la plupart de leurs concitoyennes. Je leur parle de ces femmes que j’ai rencontrées, des mariages forces par la misère, des mères qui n’ont pas de quoi nourrir leurs enfants. Elles hochent la tête l’air apitoyées, mais on dirait que je leur parle de la Somalie, elles ne semblent pas du tout conscientes du fait que c’est de leur ville que je parle. Pourtant la misère est visible partout. Je ne comprends pas cette inconscience, ce détachement.
Quand je leur demande pourquoi certaines d’entre elles trouvent la déclaration universelle des droits de l’Homme problématique, elles me répondent en bonnes élèves ce que leur professeur leur a appris. Le problème vient du fait que la déclaration parle de la liberté de religion et il est interdit pour un musulman de se convertir. J’hallucine !
Je leur demande qu’est-ce cela change dans la vie quotidienne des femmes dont je leur ai parle. Je leur dit qu’elles vivent dans le pays ou sévissent les pires taux de mortalité infantile et de mortalité liée a l’accouchement.
Elles répondent par phrases apprises par cœur, l’Islam résoudra tout, la sharia est la pour nous, nous n’avons besoin de rien d’autre que du Coran.
Ces filles sont en troisième et en quatrième année de droit. Elles travailleront dans le gouvernement, aux rares postes réservées aux femmes, c’est-a-dire au Ministère de la condition de la femme. A quelques exceptions près, elles ne risquent pas de beaucoup aider leurs semblables.
Je sors de l’Université, déprimée.
Jour 8
Visite du projet de Médecins du Monde. Il s’agit d’un centre destiné à suivre les usagers de drogues, le premier projet en Afghanistan qui propose de la méthadone. Le centre suit 71 patients. Le Ministère de la lutte contre le narcotrafic leur met des bâtons dans les roues. Certaines personnes y sont totalement opposées à l’utilisation de la méthadone. Précisons que dans ce Ministère, ainsi qu’au Parlement, des Warlords, barons locaux du trafic de drogues, sont présents. La méthadone, pour eux, c’est un danger pour le marché local de l’héroïne.
La méthadone fonctionne bien mieux que les méthodes de désintoxication qui consistent à enfermer les patients en manque, à les laisser se torturer jusqu’à ce que le manque physique disparaisse. Dans 99 % des cas, les drogues rechutent.
Le responsable du projet, un hollandais sympathique, nous explique qu’il y a 1,5 millions d’usagers de drogues en Afghanistan et aucune statistique sur le SIDA. Dans leur programme, ils ont recensé une prévalence de 1 séropositif sur 6 personnes. Le seuil pour une épidémie à l’échelle nationale est presque atteint. C’est à la fois une catastrophe et un sujet tabou.
En règle générale, je ne pense pas beaucoup de bien du travail des ONG en Afghanistan. Le projet de Médecins du Monde est une exception et je l’ai trouvé vraiment convaincant.
Apres la visite, nous sommes allés au Gulbahar Center, un centre commercial « chic ». D’abord pour entrer, on se sépare, hommes d’un cote, femmes de l’autre et on passe à la fouille de sécurité.
Ensuite à l’intérieur, des magasins ou on ne trouve que de la camelote chinoise et un pseudo resto qui sert des cheese burgers et des pizzas. Des Kaboulis m’ont dit que ca allait beaucoup mieux qu’avant dans leur pays et que la preuve c’est que maintenant il y a de superbes centres commerciaux comme le Gulbahar Center.
Les Talibans ont juré de le faire exploser, je n’irai pas jusqu’à dire que j’approuve l’idée, cependant l’endroit est d’une telle médiocrité que ce ne serait sans doute une perte que pour le riche entrepreneur qui l’a fait construire.
Jour 9
Finalement nous avons décidé de distribuer du riz et des haricots aux IDPs de Helmand. 5kg de riz et 5 kg de haricots par famille. 322 familles.
Rien que préparer les sacs a pris une demi-journée à 5 personnes !
Mais ce matin, nous sommes prêts. Samir a loue une camionnette et nous la remplissons avec les sacs a l’image du Solidarity Shop.
En chemin la camionnette crève un pneu. Personne n’a de roue de secours bien entendu. Mais finalement on trouve assez facilement une roue de récup et nous repartons.
Arrives au camp, je prie pour que la distribution se passe bien. Je suis surprise par l’organisation. Une sorte de chef pashtoun au grand turban prend les choses en main. On voit qu’il a de l’autorité sur les autres. Un autre homme a une liste et commence a appeler les familles nom par nom. Les gens se présentent calmement à l’appel de leur nom. Les femmes sont d’un cote, la plupart en burqa, il y a des burqas de toutes les couleurs. Les hommes sont de l’autre. Il y a des enfants partout.
La distribution dure deux heures. J’observe les enfants. En les regardant attentivement on remarque que leurs loques ont été des vêtements finement brodes dans le passé. Ces gens ne vivaient pas dans la misère, ils vivaient bien avant la guerre. Bien sur la condition de la femme ne devait pas être au top, mais la situation actuelle est innommable.
Apres la distribution, nous visitons quelques familles. Les habitations sont toutes sur le même modèle : des murs en torchis, une petite cour, une petite habitation. Quelques poules, des enfants partout et un nouveau ne dans chaque famille. Les femmes nous expliquent qu’elles accouchent dans le camp. Je ne comprends pas comment on peut accoucher dans de telles conditions.
Le camp est celui que Samir avait visite il y a deux ans. Les choses ont change. Il y a deux ans les gens vivaient encore dans des tentes, maintenant ils ont des sortes de maisons en torchis. Cependant les conditions d’hygiène sont déplorables, pas de latrines, pas d’eau.
Des ONGs sont présentes. Il y a même une tente de l’UNICEF. Les enfants suivent des cours et reçoivent un peu à manger. Des médecins viennent parfois.
C’est loin d’être suffisant. Les habitants du camp ont faim et froid en permanence.
Un homme nous dit que deux de ses enfants sont morts l’hiver dernier à cause du froid.
Un autre nous montre l’usine Coca Cola en face. La il y a parfois de l’embauche, un salaire de misère, mais alors on a de quoi manger.
Les gens nous expliquent avoir fuit leur village qui a été bombarde plusieurs fois. Ils parlent d’avions et d’hélicoptères qui venaient la nuit quand tout le monde dormait. Ils ne comprennent pas pourquoi. Ce ne sont pas des Talibans, juste des civils pris entre deux feux.
Ceux qu’ont appelle les « dommages collatéraux » nous les avons rencontrés et c’est pire que tout ce que vous pouvez imaginer.
Jour 10
Mise en place du cours de couture
Les femmes du Solidarity Shop sont presque toutes venues pour la mise en place du cours de couture. Elles sont contentes et se laissent photographiées devant leur machine. J’espère vraiment que le projet leur donnera l’indépendance et des ressources financières suffisantes pour pouvoir commencer à vivre et plus à survivre.
Je repars sur cette note d’espoir. Notre petit projet a accompli beaucoup : une distribution de plus de trois tonnes de nourriture et un espoir à des femmes courageuses que le monde a abandonné.
[2] Président, assassiné par les talibans le 27 septembre 1996
[3] Le prince Mohammad Daoud Khan (18 juillet 1909, Kaboul – 27 avril 1978) premier président de la République d’Afghanistan (1973–1978).
Afghanistan : un groupe d’enfants massacré dans un bombardement de l’OTAN
mardi 14 février 2012 – 07h:32
Al-Akhbar
Les forces de l’OTAN sous commandement US en Afghanistan ont reconnu ce lundi que plusieurs enfants ont été massacrés lors d’un bombardement la semaine dernière dans la province du nord-est où les troupes françaises sont recluses.
Le président afghan Hamid Karzaï a condamné les frappes aériennes dans la région de Kapisa et a ordonné une enquête après avoir appris que huit enfants ont été tués dans les attaques le 8 février.
Le brigadier-général Carsten Jacobson, porte-parole de l’International Security Assistance Force (ISAF), a déclaré que l’enquête a montré que les soldats étaient engagés contre « un groupe d’hommes, qui étaient armés et avaient un comportement inhabituel ».
Le porte-parole n’a pas précisé quel était le « comportement inhabituel » des hommes, ni pourquoi cela a justifié l’assassinat des enfants.
« Ce groupe a été attaqué par les avions de la coalition et l’engagement a suivi toutes les directives de l’ISAF. A la suite de l’engagement, des pertes supplémentaires ont été découvertes et ces victimes étaient des jeunes Afghans d’âges divers. » [Magnifique langue de bois qui ne sert qu’à édulcorer le fait que ces brutes de l’OTAN ont massacré un groupe d’enfants – NdT]
« A ce stade de notre enquête, nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer, avec une assurance raisonnable, un lien direct avec l’engagement », a-t-il dit.
Jacobson a qualifié de tragédie tous les décès de personnes innocentes, mais il a insisté : « Nous ne savons tout simplement pas encore très bien comment cela est arrivé ».
Les meurtres de civils par les attaques de l’OTAN ont été fréquents depuis que l’occupation américaine de l’Afghanistan a commencé en 2001.
Karzaï, qui a une relation tendue avec ses alliés occidentaux, a régulièrement condamné l’OTAN pour la mort de civils dans la guerre qui dure depuis dix ans contre les insurgés talibans qui se battent pour le renverser.
Le président afghan a également exhorté l’OTAN à mettre fin aux raids nocturnes meurtriers dans les villages et les maisons, qui conduisent souvent à la mort de civils. L’OTAN a rejeté la demande de Karzaï, affirmant que les raids sont un moyen efficace de minimiser les pertes civiles. [Alors que Karrzaï explique au contraire que cela les multiplie… NdT.]
Abdul Hamid Erkin, chef de police dans le district de Kapisa, a déclaré à l’AFP que sept enfants et un handicapé mental de 20 ans ont été tués.
Il a ajouté que les commandants français « ont affirmé que la cible était un groupe de combattants talibans, mais nous avons vérifié la zone, et il y avait pas de talibans ». [Donc l’armée française aurait trempé dans ce massacre ?.. NdT.]
Le mois dernier, Sarkozy a déclaré que les troupes françaises remettraient la responsabilité de la sécurité en Kapisa aux Afghans à partir de mars 2012, suite à la mort de quatre soldats français, tué par un soldat Afghan.
13 février 2012 – Al-Akhbar – Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/conten…
Traduction : Info-Palestine.net
Une carte postale est disponible .
Elle est destinée au ministère de la guerre belge!
Des enfants afghans sur la photo sont récemment décédés du froid. La cause à notre intervention armée…