Un entretien avec Oum Maryam, la femme de Nizar Trabelsi
« Madame la Ministre, ne prenez pas mon mari en otage… »
Par Luk Vervaet
Oum Maryam est Bruxelloise de naissance. Elle est mère de cinq enfants, dont l’ainée a 15 ans. C’est en assistant à ses procès et en le visitant en prison, qu’elle a connu Nizar Trabelsi. Le couple a décidé de se marier. Mais jusqu’à présent, les autorités belges ont tout fait pour que ce mariage ne puisse avoir lieu.
Nadia, l’amie de toujours d’Oum Maryam, et moi-même ont été sollicités et ont accepté d’être les témoins légaux.
Si je vous en parle, c’est parce que ça illustre ce que vivent des personnes auxquelles l’état belge a déclaré une guerre sans fin et a quasiment ôté les droits les plus élémentaires.
Nizar Trabelsi a bientôt fait onze ans de prison. Soit un an de plus que la peine maximale de dix ans à laquelle il avait été condamné pour avoir eu le plan d’une attaque contre la base militaire de Kleine Brogel. Attaque qui n’a jamais eu lieu.
Voici le récit d’une femme qui l’attend depuis des mois. Aujourd’hui elle a décidé de briser le silence.
« Attendre »
J’attends sa libération depuis septembre 2011.
A ce moment là, il avait fait ses dix ans de prison ferme, fond de peine, jusqu’au dernier jour.
Une assitante sociale envoyée par le tribunal a inspecté ma maison pour voir si tout était en ordre. Si je pouvais bien l’acceuillir quand il sortirait. Ils m’ont dit que c’était positif. Que c’était bien.
Et puis, il y a eu la décision d’ajouter six mois de prison supplémentaires, une punition pour un incident en prison.
Et puis, ils ont ajouté trois mois de prison parce qu’il n’avait pas payé une ammende. Enfermer quelqu’un pour trois mois pour une ammende de 5550 euros non-payée, c’est une peine qu’on n’applique pour personne en Belgique. Sauf pour Nizar Trabelsi.
Et puis, il y a eu le 10 mars 2012. Ce jour là, il avait purgé toutes ses peines, y compris les neufs mois de prison supplémentaires.
La maison était prète pour l’acceuillir. Nous avons tout repeint, tout arrangé. Nizar et moi avions déjà le projet d’amener les enfants ensemble à l’école. Psychologiquement, c’est dur. Il y a eu le stress. J’avais peur que des journalistes se pointent devant ma porte quand il sortirait de la prison. Pendant longtemps, j’ai eu peur pour mes enfants, ma famille, mes frères et soeurs qu’ils auraient à supporter des conséquences de tout ça.
Et là, les autorités ont commencé à dire qu’elles allaient maintenir Nizar en détention en attendant le jugement sur l’extradition de la Cour européenne. En novembre 2011, cette Cour a bloqué la décision de la Belgique de l’extrader vers les Etats-Unis. La ministre de la Justice avait alors dit qu’elle respecterait la décision de la Cour européenne. Mais dans les faits la Belgique se venge de cette décision en maintenant Nizar en prison. Pour justifier l’injustifiable, ils mentent. Un procureur comme Bernard Michel ment quand il dit que la décision de la Cour peut arriver d’ici quelques mois. C’est un mensonge et il le sait. Un jugement peut prendre un an ou même plusieurs années. Ca m’inquiète, qu’ils peuvent mentir à tel point.
On n’a pas accepté cette décision et on a saisi le tribunal. Quand début juin, la Chambre du Conseil de Nivelles a décidé de rejeter la demande de Maitre Marc Nève de mettre Nizar en liberté, sous conditions et sous surveillance s’il le faut, j’ai craqué face à tant d’injustice.
J’ai pleuré… j’attendais tellement sa libération.
J’ai eu l’impression que les procès de Nizar sont devenus des pièces de théatre. Quoi qu’on dise, le scénario est là, ils ont déjà pris leurs décisions.
Mais c’est quoi la justice alors. Où est-elle ?
Il doit rentrer à la maison. Je veux qu’il sorte. Je veux dire à la Ministre : arrêtez de le prendre en otage, laissez nous vivre en paix, il a payé, il a assumé, il a fait ses 10 ans de prison et plus que ça. Sa place est à la maison, pas dans une prison de haute sécurité. Ne vous comportez pas comme les dictateurs dans les pays arabes. Vous avez lu l’article de l’ancien procureur de Charleroi sur Nizar ? Il a dit plein de bonnes choses sur lui.
Oui, je veux parler à la Ministre Turtelboom. Je suis citoyenne de ce pays. Je suis née ici. Je veux qu’elle soit accessible et qu’elle m’écoute. Je veux lui parler de la pression américaine sur notre pays. Lui demander si la Belgique est toujours un pays libre. Si on a toujours notre indépendance par rapport aux Américains ? Pour moi, la réponse est non. Avant, je ne le voyais pas comme ça, mais je l’ai constaté, je l’ai vécu, je veux qu’elle m’explique.
« Dix ans de tranferts et d’isolement »
Ca fait des années que je vis cette injustice. Je me lève le matin et j’attends un coup de fil, qui m’annonce qu’il va encore une fois être tranféré. Jamais il n’a pu rester dans la même prison plus de 5 ou 6 mois. Sur la seule dernière année, il a connu la prison d’Ittre, celle de Bruges, celle de Nivelles, celle de Bruges, celle d’Ittre, et aujourd’hui le voilà à nouveau à Bruges.
C’est épuisant. D’abord ils ont justifié les tranferts parce qu’il y avait le risque d’évasion. Maintenant , ce n’est plus ça. Maintenant c’est au nom de la haute sécurité.
Durant 10 ans, Nizar n’a jamais eu un régime normal. Toujour un régime spécial ou en isolement. Il est ou bien en section spéciale ou en section haute sécurité. Dans les prisons où il y a plusieurs fois par jour une sortie au préo.. lui il n’y a pas droit. Il est seul. Il sort seul pour faire son sport, ou ce sont eux qui choisissent qui peut aller avec lui. Dès qu’il établit un bon contact avec un co-détenu, celui ci est déplacé vers une autre cellule.
Les effets de l’isolement pendant si longtemps sont graves. Différents psychiatres qui l’ont examiné se sont opposés à ce qu’on continue à l’enfermer en isolement. Personne ne les a écoutés.
J’ai vu trembler Nizar pour la première fois à Ittre. Il avait perdu beaucoup de poids à ce moment là. Il était cerné, ne dormait pas, il avait besoin de soins pour sa tete, rien ne se faisait. Il a un ulcer à l’estomac. Il manque de vitamine D. Sa vue a baissée. Maintenant, à Bruges, ils veulent bien l’amener à l’hopital dans la prison, mais à condition qu’il accepte d’être menotté les bras dans le dos et de porter des entraves. Mais vous imaginez-vous d’être examiné pour votre estomac les mains et pieds menottés ?
Il ne reçoit pas les soins dont il a besoin. Mais la semaine passée, le procureur a envoyé un medecin pour l’examiner dans sa cellule, voir sa condition, et voir s’il était capable de se présenter devant la Cour. Le médecin était accompagné de quatre gardiens. Nizar a dit qu’il voulait bien passer l’examen, mais sans la présence des quatre gardiens. Ils ont refusé sa demande, et l’examen n’a pas eu lieu. Résultat : le procureur a dit que Nizar Trabelsi a refusé de se faire examiner par un médecin.
« Visite à un prisonnier en isolement à Bruges »
Il en est maintenant à sa onzième année de détention, pourtant il n’a été condamné qu’à dix ans. Pendant ces dix années il n’a pas eu droit à un jour de congé pénitentiaire pour le préparer à sa libération. Il n’a pas eu droit à une libération conditionnelle.
Quand il est Bruges, ça me prend une bonne partie de la journée pour aller le visiter pendant une heure. Il faut être là à temps. Une fois, j’avais un rendez-vous avec lui fixé à 16.15 h. J’avais 5 minutes de retard à cause des embouteillages. Ils m’ont refusé l’accès. « C’est le règelement madame ».
Quand j’entre à la prison, un gardien m’amène à la salle de visite du quartier de haute sécurité. Il faut passer des couloirs et des couloirs. C’est un labyrinthe très impressionnant. C’est menaçant aussi. Quand j’arrive au quartier de haute sécurité en sous-sol, cinq, six gardiens me dirigent directement vers le lieu de la visite. Mais je passe quand-même devant les quelques cellules à gauche et à droite. J’entends des cris. La fenêtre dans la salle de visite est très haute. Il y a un banc, une table, ils sont fixés, on ne peut pas les déplacer; je ne peux pas m’asseoir à côté de lui, ni lui à côté de moi.
Quand j’allais le visiter avec mon plus petit enfant d’un an, je ne pouvais emporter ni lingettes, ni biscuits, ni biberon d’eau. Ce dernier était fourni par la prison. Une fois, ma fille de huit ans devait absolument aller aux toilettes. Nous avons demandé si elle pouvait aller aux toilettes au rez-de -chaussée, elle était tellement pressée. Nizar et moi ont assuré les gardiens qu’on ne demandait pas de l’accompagner, mais qu’elle pouvait y aller toute seule. Ils n’ont pas voulu la laisser aller. Ils ont dit que la petite devait refaire tout le chemin et aller aux toilettes à l’entrée de la prison. Elle avait huit ans. Et là, j’ai vu la peur dans ses yeux. Elle doit avoir ressenti ça comme quelque chose de tellement injuste. Et d’un coup elle s’est renfermée. Elle a dit qu’elle ne voulait plus aller à la toilette. C’est comme si elle se réalisait soudainement dans quel monde elle avait atterri. Depuis ce moment là, je ne prends plus jamais les enfants avec moi en prison.
« La vie, la foi et la mort »
Ma maman est décédée quand j’avais 17 ans. Je me suis occupée de mes frères et soeurs. Maintenant, j’ai 5 enfants. L’ainée a 15 ans, le cadet aura bientôt 3 ans.
Je me dis qu’on va tous mourir un jour. Ce qu’on vît est une épreuve. Le destin est entre les mains de Dieu. Je fais lui confiance à 100 %. Dieu est au-dessus de la justice humaine. Pour le reste, rien n’est définitif. J’ai entendu l’histoire d’une femme palestinienne condamnée à perpétuité. Elle a été libérée en échange du prisonnier israelien.
Nizar est l’homme au plus grand coeur que j’ai jamais rencontré. Il n’a jamais tué ni blessé personne. Je l’aime beaucoup. Je souffre en sachant qu’il n’est pas soigné comme il le faut. Il préparait un attentat contre une base militaire, pas contre des civils. Au dernier moment il a même abandonné ce plan et a voulu refaire ses bagages et repartir.
Maintenant, ils baffouent leurs propres lois. Quand il n’a pas voulu collaborer avec les Américains et qu’il n’a pas cèdé à leurs chantages, ils lui ont dit : « on va te montrer ce que c’est Guantanamo ». Un des agents américains lui a dit : « tu ne verras plus jamais le ciel. »
Ils font la guerre contre nous, mais le peuple lui n’est pas en guerre. Il veut vivre en paix.
Sortie du nouveau livre de Luk Vervaet
Luk Vervaet est enseignant en prison, membre d’Égalité et de la Commission arabe des droits humains.
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