"Femmes de la rue". Oui, mais lesquelles? Lettre ouverte à nos élu-e-s.
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Échevines et Échevins bruxellois,
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Bourgmestres bruxellois,
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Députées et Députés bruxellois,
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les Ministres bruxellois,
En féministes, nous fûmes enthousiasmées par la célérité des réactions qui suivirent la diffusion du documentaire « Femmes de la rue » réalisé par Sophie Peeters, étudiante en dernière année de la Haute École flamande Rits.
En effet, il ne s’en est pas fallu de quelques heures pour que les un-e-s et les autres d’entre vous ne condamnent fermement insultes et « harcèlements de rue » que subiraient les femmes dans le quartier bruxellois d’ Anneessens. Et que vous vous engagiez dans des projets de discussion parlementaire, de législation sur le sujet, ou encore dans des actions sur le terrain.
C’était d’autant plus enthousiasmant pour nous que, concernant le sort des femmes, depuis quelques années, nous n’entendions de votre part que de tristes nouvelles : par exemple, celle nous faisant comprendre qu’elles seraient les premières à être sacrifiées sur l’autel de l’austérité.
Ainsi, leur seul horizon était donc de subir la réduction de moitié des allocations de chômage pour les co-habitantes (une chômeuse sur deux est co-habitante), d’accepter les complications à l’accès à la pension (pour cause de non assimilation des périodes consacrées aux tâches traditionnellement accordées aux femmes), de se réjouir du fait que leur salaire est de 23% (en moyenne) inférieur à celui des hommes pour la même fonction, etc.
Nous commencions à songer, pour vous réveiller, vous, élus du Peuple, à une grève générale d’un genre nouveau ; elle serait féministe ! Le Peuple n’est-il pas majoritairement féminin ?
Mais, heureusement, le salut vint par le travail de fin d’année d’une jeune et naïve néerlandophone. Le martyre qu’a connu Sophie Peeters, cette jeune étudiante louvaniste, brillamment mis en scène par elle-même, a permis ce miracle : celui de vous mobiliser en quelques heures, ce que nous n’étions pas parvenus à faire en quelques années. Nous rappelant cette vérité simple, on se soucie plus volontiers du sort des « femmes blanches » égarées dans les contrées lointaines et sauvages d’Anneessens, où règnent en maître le chômage, le décrochage scolaire et la discrimination. Surtout quand les coupables sont des « maghrébins à 95% » (sic), à l’évidence « inintégrés » et peut-être même intégristes.
Cet oubli opportun, c’était également le « point aveugle » du documentaire de la jeune réalisatrice, Mademoiselle Peeters n’a effectivement pas jugé utile de s’intéresser à la vie des femmes de ces quartiers-là…
Sait-elle que les « femmes actives » de ce quartier sont, tenez-vous bien, à près de 60% chômeuses ?
Sait-elle que pour vivre, et faire vivre les leurs, elles doivent essuyer quotidiennement la pression et les discriminations sociales (institutionnelles et structurelles) ?
Sait-elle la part de rejet, de stigmatisation et d’humiliation que subissent celles qui essayent de faire des études pour sortir du chaos, celles qui tentent de décrocher un emploi pour prétendre à l’émancipation financière, celles qui cherchent à inscrire leurs enfants dans des écoles correctes, celles qui se mobilisent pour avoir accès à leurs droits fondamentaux ?
Sait-elle le nombre de filles de ces quartiers qui sont exclues de l’enseignement pour le simple fait qu’elles portent un foulard ?
Sait-elle aussi le nombre de propos vomis quotidiennement sur ces jeunes filles par leurs enseignants, prétendant à longueur de cours être payés pour leur « dévoiler le cerveau »?
Sait-elle le nombre de jeunes filles qui, après avoir fait leurs études, seront renvoyées à leur cuisine malgré tous leurs efforts pour intégrer le marché de l’emploi ?
Sait-elle seulement le potentiel véritablement féministe qu’ont ces femmes et qui reste gâché, pour le plus grand plaisir de notre société machiste?
Nous doutons qu’elle puisse répondre à ces questions-là. Et bien, si ça l’intéresse vraiment, nous l’invitons à nous rencontrer. Nous lui expliquerons tout cela en détail…
Et pour ce qui est de vous, Mesdames et Messieurs les élus (du Peuple), il ne faut pas vous brisiez un si bel élan, que vous entraviez votre nouvelle vocation au féminisme, provoquée par ce salutaire et enrichissant documentaire.
Ainsi, nous nous proposons de vous aider à cette tâche, pleine de noblesse, par ce modeste inventaire, et nous ne doutons pas de la célérité et du sérieux de leur réalisation. Il s’agira donc de :
– revenir sur toutes les mesures d’austérité dont pâtiront les femmes, et celles des quartiers populaires en premier ;
– condamner toutes les discriminations faites aux filles et aux femmes que ce soit dans les rues populaires de Bruxelles ou les institutions bruxelloises, que ce soit dans les faubourgs où séjournent les fonctionnaires européens ou dans les administrations ;
– en finir avec l’exclusion et la discrimination scolaire qui touche les jeunes filles qui ont fait un choix vestimentaire « qui déplaît », cette discrimination paralyse leur rêve d’émancipation ;
– combattre le sexisme dans le traitement des travailleuses sur le marché de l’emploi et détruire définitivement mur et plafond de verre qui condamnent leur évolution professionnelle;
– faire baisser les chiffres astronomiques du chômage des femmes de manière générale et plus particulièrement ceux qui concernent les femmes des quartiers populaires de Bruxelles.
Bref, en guise de conclusion, il s’agira, Mesdames et Messieurs les élus du Peuple, de revaloriser véritablement le statut des femmes et de cesser d’instrumentaliser le féminisme, afin de dominer et de discréditer encore un peu plus les personnes qui se situent tout en bas de l’échelle sociale !
En attendant, veuillez recevoir, Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs les élu-e-s, l’expression de notre plus grande détermination.
Hanane El Khattouti, quartier des Etangs Noirs,
Khadija Hajja, quartier Annessens,
Dalila El Hattachi, quartier de la Cage aux ours,
Chaima El Kharraz, quartier Chicago,
Hajar Moumni, quartier Lemonnier,
Hannae Ben Azzous, quartier Ribaucourt,
Hafsa Rian, quartier des Marolles,
Soumeya Jhabli, quartier Comte de Flandre,
Chadia Samadi, quartier Aumale,
Imène Mahmoud, Meise,
Charlotte Lesdesma, quartier Simonis,
Wassima El Ouardi, quartier Karreveld,
Loubna Draoussa, Kraainem centrum,
Chaima Ouahmed, quartier Bockstael,
Jihad Barkoui, quartier Shweitzer