L’interdiction du foulard et son contexte (géo)politique

Droits de l’homme et indigénisme

mercredi 29 août 2012, par Paul Willems

Pourquoi est-il important pour certain de porter le foulard ?

À cause de la liberté, du droit de s’habiller comme on veut, ou bien à cause de motifs religieux ?

Est-ce que l’Islam n’a quand même pas des choses plus importantes à faire qu’à faire respecter le port ostentatoire d’un signe religieux ?

Est-ce que la religion se borne au port d’un vêtement ? Où l’interdiction en tant que telle du foulard est-elle critiquable ? Quelle signification a-t-elle, cette interdiction ? [1]

Est-ce l’égalité qui commande une telle interdiction ? Les membres d’une institution sont-ils inégaux lorsque certains d’entre eux portent un vêtement religieux ? Ce genre de vêtement fonctionne comme un signe de reconnaissance. Ceux qui le portent font presque directement nombre. Il leur est facile de faire pression sur les autres. Mais ceux qui ne portent pas de vêtements religieux ne font-ils pas nombre également ? Ne font-ils pas également pression sur d’autres.

La Belgique donne parfois l’impression de promouvoir une ségrégation raciale.

Ce pays arrête, emprisonne, contrôle, frappe des étrangers. Plus de cinquante pour cent des jeunes issus de l’immigration se retrouvent au chômage, ou en prison. L’on prétend construire de nouvelles prisons. Quantité d’articles de journaux sont consacrés à des faits qui concernent des étrangers ou des immigrés. Dans de nombreuses écoles, les élèves semblent perdre leur temps, passer plus de temps à la rue qu’en classe. En fait, il est presque impossible de faire classe. L’on parle d’écoles poubelles. Bien sûr, les responsables de cette situation seraient les élèves, en d’autres termes la communauté immigrée. C’est absurde. Il n’y a tout simplement plus assez de places, de postes de travail. L’économie est en récession, même si l’on réussit à faire valoir l’inverse.

Existe-t-il la volonté de livrer à elle-même une partie de la population scolaire, de la priver de références, de repères, de cadre moral pour la priver ensuite de ressources et l’exploiter en même temps.

N’est-il pas possible que la religion remplisse justement le vide créé intentionnellement par le pouvoir qui lui se reconnaît aussi à certaines croyances, ou par un groupe social majoritaire qui, par une forme de ségrégation, cherche à s’octroyer un avantage dans la chasse à l’emploi, alors que ce dernier se fait rare. Pourquoi n’est-il pas possible de le dire, de l’exprimer ?

Étrange situation, d’un côté, des regards, des questions, des refus plus ou moins péremptoires, des gens qui se demandent, qui s’étonnent souvent à cause de ces différences, de ces attitudes, de certains faits, qui se justifient aussi de ne pas aimer, qui disent que, des gens qui se sentent mal à l’aise en somme. De l’autre, une parole qui étouffe, une sorte de fermeture, colère, souffrance, de plus en plus…

Il est évident que nul n’a cherché à saisir les tenants et aboutissants de cette situation.

Il est difficile pour un musulman d’invoquer la liberté. La liberté ne fait pas partie des grands thèmes fondateurs de l’Islam. Dans l’Islam, la liberté ne s’obtient que moyennant l’observance de la loi. Mais, évidemment, ce grand texte familier aux Musulmans qu’est le Coran ne fait pas le distinguo entre la loi civile et la loi coranique, religieuse. Parler de la liberté dans d’autres termes que le Coran fait perdre au Musulman l’écoute dont il prétend jouir. Un tel discours le noie dans la masse, et l’isole surtout de son milieu. Pour des motifs de crédibilité, il ne peut qu’invoquer ce qui lui est propre : sa religion.

De toute façon, personne n’écoute ceux qui parlent au nom de la liberté. Ou c’est extrêmement rare. Le pouvoir n’en a cure. Les gens non plus. L’ordre social est bien davantage basé sur des règles inégalitaires que sur des règles égalitaires. Il y aurait moyen d’interpréter le Coran dans un autre sens. La porte de l’Ijtihad n’a pas été fermée au Xe siècle. Le droit d’interpréter les textes et la loi islamiques appartient aux savants, aux oulémas, à ceux qui sont formés pour y parvenir. Il leur serait facile d’étendre aux institutions civiles la loi qu’est censé respecter le Musulman.

Mais les commentateurs de la religion se perdent en général dans les explications qui ont été données à son sujet. Y compris les savants. Pas un seul d’entre eux ne fait référence aux mêmes règles, au même point de vue. L’un prétend que l’on ne serait même pas en droit de réfléchir, d’interpréter les textes d’une autre manière que dix, voir quatorze siècles auparavant. La plupart des autres expliquent les choses d’une autre façon.

Et puis, la loi civile se justifie-t-elle dans tous les cas ? Fait-elle bien d’interdire le port de tout signe religieux dans des lieux publics ? À cette question, personne ne semble en mesure de donner une réponse définitive. À la tendance à l’état moderne à discriminer, certains répondent par l’adoption de signes et de rites d’une religion qui remet directement en cause sa légitimité à faire les lois ou à prévaloir sur sa loi à elle. Tout cela sur le fond d’un affrontement apparent entre la laïcité de l’état et une autre religion toute aussi éternelle, immuable. Seule la religion dite protestante semble admettre la légitimité de la société civile organisée à faire les lois y compris celles qui régissent l’état. Cela dit, la religion réformée elle-même prétend souvent modifier ces lois, ou faire adopter d’autres lois par la société civile. Ainsi, comme d’autres religions, prétend-t-elle réprouver l’avortement, la contraception, parfois même le divorce, et toutes sortes de pratiques sociales.

A-t-on à faire à une offensive d’une religion contre la légalité civile, ou à une offensive de la légalité civile contre une religion ?

Quel sens a cette interdiction dans une période où la société est confrontée à de dramatiques défis qu’elle ne semble pas en mesure de relever ?

Elle a été édictée alors que, sur un plan intérieur, de nombreuses critiques sont émises en Europe en général aux dépens d’une communauté immigrée musulmane d’une importance croissante, après la mise en place d’une législation antiterroriste qui semble surtout s’en prendre à cette dernière et alors que des guerres particulièrement violentes sont menées contre des pays arabes ou musulmans dans le but d’en renverser les régimes et d’y installer des démocraties clientes des États-Unis, mais aussi de contrôler leurs ressources naturelles.

Quoique le but de cette législation soit de lutter contre un prétendu terrorisme fondamentaliste, les interventions militaires et diplomatiques occidentales successives dans des pays arabes ou musulmans ont contribué à la mise en place et au maintien de régimes théocratiques ou de partis islamiques.

Au nom de cet antiterrorisme, une intense activité diplomatique prétend unir les démocraties occidentales et propager la démocratie. Une chasse aux sorcières est menée contre des musulmans fondamentalistes, mais de nombreux innocents ou activistes en sont également victimes. La torture a été rétablie dans certains pays démocratiques et est utilisée à leur encontre. Sous-traitance de la torture, violations de droits de l’homme, extraditions illégales, et enlèvements sont devenus monnaie courante.

Dans les pays occidentaux, un courant politique assez clairsemé, exposé au communautarisme, comme aux critiques idéologiques de l’antiterrorisme islamophobe, traité parfois d’islamo-gauchisme, lutte contre le repli identitaire, la xénophobie et en faveur du respect des droits de l’homme, y compris par la justice antiterroriste et militaire.

À cette lutte est souvent associée la lutte en faveur de la Palestine.

Ces diverses luttes politiques sont pratiquement frappées d’interdiction également. Leur activisme peut à peine s’exprimer. La liberté de circulation de nombreux militants propalestiniens, cherchant à entrer en communication avec des Palestiniens et à dénoncer les agressions militaires particulièrement violentes dont ils sont victimes de la part d’Israël, a été bafouée, niée à plusieurs reprises sans que la communauté internationale ne réagisse.

À l’échelon parlementaire ou politique, il semble tout autant hors de question de critiquer un tel laisser-faire, que l’escalade antiterroriste, xénophobe, voire raciste de la société et du pouvoir. Tout l’antiracisme sur lequel, depuis la dernière guerre mondiale, s’est construit la société politique est en train de partir en fumée. Victimes des luttes et des contradictions intestines qui résultent de cette situation, le mouvement antiraciste a éclaté en plusieurs parties presque antagonistes, l’une se spécialisant dans la lutte contre le fascisme et l’extrême-droite et l’autre dans la lutte contre l’islamophobie et les dérives antiterroristes et militaristes nationalistes, se revendiquant de l’indigénisme, comme dans certains pays du tiers-monde.

Voir en ligne : Les Écolos, nouveaux bigots

Notes

[1] À ne pas confondre avec l’interdiction de la burqa qui est générale.

Le Plumitif, août 2012

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