Deux poids, deux mesures : une vérité flagrante
par Houria Bouteldja, membre du PIR
Tout observateur honnête ne peut que constater un flagrant deux poids, deux mesures concernant le traitement respectif de l’islamophobie et de l’antisémitisme. Il est navrant de devoir le prouver mais puisqu’il s’agit aussi d’une lutte idéologique, j’accepte de me prêter au jeu.
1/ Premier principe : se resituer dans le contexte. Nous me sommes plus dans les années trente. A cette époque, les Juifs étaient la cible privilégiée du racisme. Aujourd’hui, ce sont les Noirs et les Musulmans.
2/ Deuxième principe : identifier la source du racisme en question. Au début du 20e siècle (et encore avant) jusqu’à la fin de le seconde guerre dite « mondiale », les Juifs étaient persécutés par l’État : allemand, français… L’antisémitisme était un racisme d’État. Les peuples français et allemands étaient peut-être complices mais leur antisémitisme était adossé au racisme institutionnel qui faisait système et auquel aucun Juif ne pouvait échapper. Seul l’État a les moyens d’affréter des trains pour Auschwitz. Aujourd’hui, il serait parfaitement malhonnête de parler d’un antisémitisme d’État. Les Juifs français ne sont pas discriminés, les institutions, les médias, les intellectuels ont un goût prononcé pour le philosémitisme dont par ailleurs il faut se méfier car il peut aussi être l’expression d’un antisémitisme de la bonne conscience. Quoi qu’il en soit, il ne se manifeste pas sous la forme d’une violence physique ou morale mais plutôt sous celle d’un paternalisme bon teint. On aime à théâtraliser son indignation devant des actes antisémites comme on aime a s’épancher sur la Shoah.
On ne peut pas en dire autant des racismes anti Noirs, anti Arabes (ou anti Musulmans) ou anti Roms. Ces trois populations font l’objet d’un harcèlement policier maintes fois dénoncés (et notamment par Amnesty International). Les dites émeutes d’Amiens ont été déclenchées par les violences policières, ce qui est le cas pour la quasi-totalité des émeutes urbaines. Souvenons-nous que les révoltes de novembre 2005 ont été précédées par la mort de Zied et Bouna imputées à une course poursuite avec des policiers. Le sort de ces populations est également lié par les discriminations massives à l’emploi, au logement, à l’éducation et aux loisirs. La relégation sociale et spatiale est une politique de l’État.
3/ Troisième principe : Ne pas se laisser manipuler par la rhétorique du droit à la critique des religions. Pour deux bonnes raisons. La première est qu’on ne peut pas intellectuellement « critiquer l’islam » sans préciser le contexte de l’islam dont on parle. S’agit-il de l’islam de l’époque de la révélation, du 17e, 19e siècle ou d’aujourd’hui ? L’islam d’Arabie Saoudite, d’Indonésie, Ouigour, malien ou tunisien ? De la ville ou des campagnes ? Des riches ou des pauvres ? En situation majoritaire comme en Algérie ou en situation minoritaire comme en France ou en Angleterre ? Celui du militant radical Malcolm X ou du rappeur intégrationniste Abd Al Malik ? L’islam comme dogme ou comme phénomène socio-politique ? Vous comprenez bien que si la pléthore de « spécialistes » de l’islam prenait la peine de définir l’objet du discours, nous « islamo gauchistes », serions moins tatillons quant au sacro-saint droit à la critique des religions. Malheureusement, vous seriez bien en peine de me citer cinq noms d’intellectuels médiatiques qui prennent toutes ces précautions.
Nous sommes confrontés à des amalgames honteux qui empêchent l’exercice même, si tant est qu’il était nécessaire d’une réelle critique des religions. Dans la bouche des grands bavards qui squattent le petit écran, l’islam est une essence et échappe à toute complexité. Les musulmans et assimilés sont ainsi enferrés dans une définition figée à l’intérieur de laquelle ils se débattent. Ils sont ainsi tenus pour responsables d’actes commis par d’autres musulmans de l’autre côté de la planète ou même sur le territoire français ; ce qui m’a fait dire, lors d’une conférence en mars dernier, « Mohamed Merah, c’est moi ! ».
La seconde raison tient à l’empathie vis-à-vis de la victime. Imaginons : je suis une journaliste de renommée à la veille de la Nuit de Cristal. Et il me prend l’envie furieuse de critiquer le judaïsme. Dans l’absolu, c’est ma liberté. Mais vous conviendrez qu’il est quelque peu irresponsable de le faire. On pourrait légitimement s’interroger sur les objectifs d’une telle pulsion. Quelle est l’urgence quand mes compatriotes juifs subissent un antisémitisme déchaîné ? Eh, bien, c’est pareil avec l’islamophobie, n’en déplaise à Sainte Caroline qui en a fait son fonds de commerce ; ce qui au passage l’a propulsée dans le cercle très étroit des éditocrates français. Cette fulgurante ascension a dû rendre Alain Duhamel vert de jalousie !
Comment peut-on expliquer ce besoin frénétique de critiquer l’islam quand l’administration américaine, première puissance du monde, décrète sa guerre contre l’axe du mal, quand les plus grands réactionnaires des États-Unis, de France, d’Espagne, d’Angleterre appellent en cœur à la guerre en Afghanistan, en Iran, en Irak ?
Et que les populations désormais vues comme musulmanes (avant elles étaient « issues de ») sont les cibles privilégiées des politiques répressives d’États (loi contre le voile à l’école, contre la burqa, contre les assistantes maternelles voilées, contrôles policiers…) ?
4/ Quatrième principe : Le remède à l’antisémitisme et à l’islamophobie n’est pas le « dialogue des religions ». Lorsque le racisme vient de l’État, c’est l’État qu’il faut réformer et ses pratiques discriminatoires. Lorsque l’intolérance vient d’en bas (entre les communautés juives et musulmanes par exemple), il faut d’une part s’attaquer aux pratiques inavouées de l’État, de ses institutions, des intellectuels, des médias qui privilégient la communauté juive par rapport aux autres mais également au traitement du conflit colonial en Palestine et de ses répercussions en France.
Le dialogue des cultures n’est en rien une solution car les cultures et les religions ne sont en rien à la source de cette guerre puisqu’il s’agit d’un confit colonial entre un occupant surpuissant et soutenu et un occupé misérablement faible et isolé. Dans tous ces cas de figure, la lutte n’est pas morale. Elle est politique.
Houria Bouteldja, membre du PIR