Tolérance zéro : une stupidité hors de prix

n.c. Page 15  Vendredi 14 septembre 2012

la carte blanche

Jean-Marie Dermagne Ancien bâtonnier, porte- parole du Syndicat des avocats pour la démocratie

Les mesures annoncées par le Premier ministre en matière de sécurité sont ruineuses, inefficaces et délétères.

Le gouvernement avec, bille en tête, son chef, Elio Di Rupo, est résolu à doper les dispositifs de recherche et de répression des infractions. On n’en est pas encore à l’état d’urgence avec l’armée dans les rues mais le premier ministre a annoncé, urbi et orbi, que la sécurité serait la priorité de ses priorités.

L’objectif n’a rien de blâmable, personne n’aimant se faire carjacker, ni risquer sa vie, mais vouloir toujours plus de policiers dans les rues et des sanctions plus systématiques et plus dures est une politique, certes électoralement porteuse, mais coûteuse, inefficace et délétère.

Coûteuse, et même hors de prix, car la Belgique a déjà une des polices des plus pléthoriques et des plus coûteuses du monde et n’a pas vraiment de quoi faire davantage. Inefficace, parce que, un peu comme pour la peine de mort, il n’a jamais été établi qu’une « tolérance zéro » à l’encontre des infractions, petites ou graves, entraînait une baisse de la criminalité (tout au plus observe-t-on un déplacement ou une mutation) et qu’aucun lien objectif n’existe entre la protection des personnes et des biens et le nombre de policiers et de magistrats. Délétère parce que, qu’on le veuille ou non, un dispositif hypertrophié et obèse de maintien de l’ordre et de répression, avec la prolifération des méthodes de surveillance, des contrôles, des gardes à vue, des emprisonnements (sans parler des « bavures »), qui l’accompagne, fait baisser le niveau des libertés.

Sans même parler des risques d’une police tout puissante comme on l’a vue à l’œuvre en Afrique du Sud, contre les mineurs en grève, deux illustrations de l’absence de rapport entre le renforcement du dispositif pénal et la sécurité publique : dans la lutte contre la drogue, l’accroissement constant des contrôles, des poursuites et des peines n’a fait baisser ni la production, ni le trafic ni la consommation. Et en matière de sécurité routière, l’alourdissement des amendes et des autres sanctions n’a réduit le nombre d’accidents, la diminution des morts sur les routes devant bien plus à la ceinture de sécurité et aux normes de fabrication des véhicules qu’à la peur du gendarme et du juge.

Devrait être gravé dans le marbre de tous les cénacles gouvernementaux ou parlementaires, ce jugement sans appel attribué tantôt à Benjamin Franklin, tantôt à Thomas Jefferson, tous deux pères fondateurs des Etats-Unis : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux ».

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