Condamner la philosophe queer pour avoir déclaré que le 7 octobre «était un acte de résistance armée» relève de la malhonnêteté intellectuelle. C’est taire sa condamnation des atrocités du Hamas, son engagement pour la paix et son soutien à la coexistence des Israéliens et Palestiniens, rappelle un collectif d’universitaires dans une tribune publiée le 14 mars dans Libération.
Depuis quelques jours, un faux procès est fait à Judith Butler, pour ses déclarations lors d’une réunion filmée à Pantin organisée par plusieurs collectifs solidaires du peuple palestinien. Un extrait de cette rencontre a tourné en boucle sur les réseaux sociaux, où la philosophe parle de l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas comme appartenant à une « résistance armée » contre l’état d’Israël. Cette expression, qui a choqué, a été entendue comme une exonération des atrocités commises à cette date, au point que son séminaire à l’ENS a été annulé et reprogrammé – avec son accord, afin de ne pas créer de confusion. Depuis, la philosophe s’est exprimée dans Mediapart, pour clarifier sa position.
Qu’on soit d’accord ou pas avec les positions de Judith Butler, il relève de la malhonnêteté intellectuelle de ne pas rappeler sa condamnation des événements du 7 octobre (voir son intervention dans la London Review of Books, reprise par AOC) et son engagement têtu et continu pour la paix, son soutien à la coexistence de deux peuples à égalité de droits, et son militantisme pour la non-violence, dont témoignent plusieurs de ses livres. Parler de « résistance armée » est un choix que Judith Butler estime « plus honnête et juste historiquement », en ce qu’il replace les événements du 7 octobre dans le temps long de l’histoire et de l’oppression subie par le peuple palestinien depuis des décennies. Il ne légitime en rien les méthodes du Hamas.
Pour qui veut bien prendre le temps (2 heures) de regarder l’intégralité de la rencontre de Pantin, il est remarquable de constater le souci scrupuleux que Judith Butler porte au problème de l’instrumentalisation sous toutes ses formes, le plus souvent à des fins racistes, que ce soit de l’attaque du 7 octobre, de la Shoah (dont sa famille a été victime), de l’auto-défense, de l’antisionisme et sa collusion avec l’antisémitisme depuis les années 1970 ou du féminisme dans le contexte israélo-palestinien. Ne laissons pas son discours se faire instrumentaliser en retour pour jeter un discrédit sur son engagement.
Comment imaginer l’au-delà de la violence et restructurer le monde afin de vivre dans l’égalité, la justice et la liberté ? La question que pose Judith Butler mérite une discussion rigoureuse et ouverte. Il est indigne de l’escamoter sous prétexte d’une polémique montée en épingle quand la réflexion et le débat sont plus que jamais nécessaires.
Premiers signataires : Annie Ernaux écrivaine, prix Nobel de littérature, Etienne Balibar philosophe, Laure Murat historienne et écrivaine, Jacques Rancière philosophe, Achille Mbembe philosophe, Michel Feher philosophe, Monique David Ménard philosophe et psychanalyste, Chantal Jaquet philosophe, Rony Brauman médecin, ex-président de Médecins Sans Frontières, Elsa Dorlin philosophe, Paul B. Preciado philosophe, Ivar Ekeland président honoraire de l’Université Paris-Dauphine, Patrice Maniglier philosophe, Sophie Mendelsohn psychanalyste, Michel Broué mathématicien, professeur émérite Université Paris-Cité, Nadia Yala Kisukidi philosophe, Elisabeth Lebovici critique d’art, Catherine Facerias anthropologue, Guillaume Le Blanc philosophe, Eric Alliez philosophe, John McCumber philosophe, Françoise Lionnet professeure et critique, Jean-Marc Lévy- Leblond physicien, professeur émérite, Viviane Baladi mathématicienne, Sandro Mezzadra professeur de théorie politique, Sonia Dayan-Herzbrun professeure émérite de sciences sociales, Ahmed Abbes mathématicien, Bertrand Binoche professeur de philosophie, Kim Sang Ong-Van-Cung philosophe, Catherine Perret philosophe et psychanalyste, Catherine Goldstein directrice de recherche, Matthieu Renault professeur de philosophie, Nicolas Boeglin professeur de droit international public, Assaf Kfoury professeur de sciences informatiques, Rada Ivekovic philosophe, Bernard Le Stum enseignant-chercheur, Michel Agier anthropologue, Nacira Guénif-Souilamas sociologue, anthropologue, Marc Lenormand maître de conférences en études anglophones, Christian Salmon écrivain, Alice d’Andigné éditrice, Philippe Büttgen philosophe, Guillaume Sibertin-Blanc professeur de philosophie, Yves Sintomer professeur de science politique, Aurélie Knüfer maîtresse de conférences en philosophie, Sylvain Cypel journaliste, Selma Tilikete doctorante en sciences politiques, Lena Silberzahn docteure en science politique, Yasmina Naji éditrice, Marta Segarra directrice de recherche, Nadia Marzouki politiste, Zeynep Gambetti professeure de théorie politique, Jonathan Rosenhead professeur émérite LSE, Robin Celikates professeur de philosophie, Anne Texier professeure de philosophie, Pascale Gillot maîtresse de conférence en philosophie, Teresa Pullano chercheuse en science politique…