De notre point de vue, qui est celui de militants antiracistes et décoloniaux, ce que nous inspire spontanément le mot dissolution c’est celui d’islam. Nous pensons, dans ce contexte de grande répression du mouvement social, qu’islam c’est le mot manquant, celui qui permettrait de reconstituer le puzzle que nous avons sous les yeux. Car c’est sur l’islam et plus exactement sur les musulmanes et les musulmans que l’État répressif a fait ses dents.
Au nom de la lutte contre l’islamisme et la radicalisation islamiste, au nom de la sûreté de l’État et de l’intérêt supérieur de la Nation, l’État français a construit pas à pas tout un dispositif administratif, judiciaire, policier mais aussi idéologique qui a installé et légitimé l’autoritarisme de l’État : nous disons que la loi contre le séparatisme, promulguée le 24 août 2021, a institutionnalisé l’islamophobie comme système de gouvernance.
Depuis, il est désormais possible de dissoudre n’importe quelle association musulmane jugée suspecte, de fermer des mosquées sur la base de rien, d’expulser des imams insoumis au ministère de l’intérieur, de mener des perquisitions dans des milliers de foyers musulmans, de ficher S et d’assigner à résidence des musulmans pour des raisons purement idéologiques et politiques.
Fin 2022, l’État s’est ainsi vanté d’avoir mené depuis 2018 pas moins de 26 614 opérations de contrôle, 836 fermetures d’établissements, d’avoir soutiré 55,9 millions d’euros redressés ou recouvrés, et d’avoir comptabilisé plus de 551 signalements.
Nous avons également en mémoire la dissolution en 2021, injustifiée et injustifiable du CCIF, le collectif contre l’islamophobie en France qui constituait l’une des plus importantes organisations autonomes de défense des droits fondamentaux musulmans dans un contexte d’islamophobie généralisée, de suspicions, de contrôle et d’intimidation des musulmans.
Nous pourrions également parler de la dissolution de l’association Baraka City, association humanitaire musulmane en 2020 et l’association Nawa des éditions Nawa dissoute la même année en Conseil des ministres.
C’est cette institutionnalisation de l’autoritarisme islamophobe, depuis l’instauration de la loi 2004 sur les signes religieux à l’école jusqu’à nos jours, qui s’est exercé avec la complicité active ou passive de la grande majorité de l’échiquier politique de ce pays, la gauche et l’extrême-gauche comprise, dans l’indifférence presque totale, et qui s’abat désormais sur les mouvements de contestation sociale.
Le rappel de cette généalogie de la violence d’État n’a pas pour objectif de jouer ici les redresseurs de torts. Il s’agit plutôt d’appeler à un travail critique de fond vis-à-vis d’un dispositif argumentatif progressiste, taillé par et pour les intérêts de l’État, dont l’un des axes stratégiques est précisément d’organiser la division entre les luttes sociales et les luttes de l’immigration et des quartiers.
Ce que cela signifie c’est qu’il faut donc en finir avec le pacte étatique racial,
en finir avec cette arnaque de lutte contre la radicalisation,
c’est-à-dire prendre le chemin inverse du Parti communiste qui vient à son dernier congrès de rejeter une fois encore le terme « islamophobie » sous prétexte que ce dernier « ouvrirait des problèmes » alors qu’il est le mot choisi par les luttes antiracistes pour désigner la mutation contemporaine du racisme anti-arabes.
Cad encore ne plus trembler devant l’épouvantail dit « indigéniste » agité par toutes les instances de l’État, non pas pour divertir des véritables enjeux comme il est ainsi courant de relativiser la question raciale, mais pour combattre ce que l’État a effectivement identifier comme une menace, non pas pour la société, mais pour l’ordre répressif dont il est le garant. Je parle ici du mouvement décolonial.
Il n’est jamais trop tard. De nouvelles lois racistes sont déjà en préparation comme la loi sur l’immigration à laquelle il conviendra de s’opposer en bloc, non par charité envers les musulmans mais par lucidité politique : aucune révolution ne se fera sans le concours des musulmans et des habitants des quartiers qui forment, rappelons-le, pour la majeure partie le bas du panier du prolétariat français.
Louisa Yousfi, membre du QG décolonial