Du côté des mouvements sociaux

1. Propos outrageants d’Herman De Croo et Etienne Davignon sur la colonisation et la diaspora africaine

« La diaspora n’est pas celle qu’on voudrait » H. De Croo

« Il y a vraiment des connards » E. Davignon

Le lundi 15 février 2021, lors de la table ronde publique en ligne organisée par le centre belge de référence pour l’expertise sur l’Afrique centrale (CREAC), des propos inacceptables soutenant la colonisation, et méprisant la diaspora africaine ont été tenus par Herman De Croo, président du CREAC, Ministre d’Etat et Etienne Davignon, président de l’Institution culturelle Bozar et administrateurs de nombreuses multinationales.

E. Davignon était invité à la table ronde par H. De Croo pour parler du partenariat entre l’Afrique et l’Union européenne. E. Davignon avait lui-même intitulé son intervention “L’indispensable partenariat Afrique-Union Européenne, nouveaux défis, nouvelle méthodologie ». Dès le début de sa présentation, bien que le sujet ne portait pas sur le passé, E. Davignon a encore une fois fait l’éloge de la colonisation, celle-ci ayant eu « des bons éléments, des éléments utiles ». Ni le modérateur de la table ronde, ni Herman de Croo, le président du CREAC ne sont intervenus pour relever ses propos. Or, on le voit, comme à son habitude quand il parle de l’Afrique, E. Davignon en fait une sorte d’obsession, un besoin maladif d’exprimer que la colonisation a eu des bons côtés. Lors de l’émission de la RTBF de décembre 2017 (1), il parlait même « d’œuvre inachevée ».

Davignon est-il hanté par ses fantômes du passé, par son rôle dans la mort de Lumumba ? E. Davignon fait en effet l’objet d’une plainte depuis près de 10 ans maintenant dans le cadre de l’assassinat de Lumumba et les faits historiques montrent que son rôle a été de s’opposer à ceux qui voulaient la véritable indépendance du Congo. Autrement dit, E. Davignon était l’homme du cabinet des affaires étrangères belges qui a servi pour que la Belgique garde une mainmise sur le Congo après son indépendance du 30 juin 1960.

Après la découverte dans les archives à Londres du télex et de lettres échangées entre James Murray, l’ambassadeur anglais à Bujumbura, et le Foreign Office, on réalise que la Belgique, y compris E. Davignon, ont probablement joué un rôle qui reste encore à clarifier dans l’assassinat du Prince Louis Rwagasore du Burundi (considéré par le colonisateur comme « le Lumumba burundais »).

Herman De Croo, actuellement Ministre d’Etat, use de subtilités quand il s’agit de la colonisation. Comme on le voit durant cette table ronde, il ouvre la porte à E. Davignon, le soutient dans ses propos et défend aussi devant un certain public ce système d’exploitation criminelle (2). Ainsi, lors d’une conférence organisée en octobre 2017, par Mémoire du Congo, une association de défense de la colonisation belge, H. De Croo dira « J’aurai affaire à des dames et des messieurs qui ont consacré beaucoup de temps, beaucoup d’énergie à faire une œuvre de bienfaisance, d’humanité ».

A l’image des Think Tank qui dans le passé ont soutenu l’entreprise coloniale belge, le CREAC produit de l’expertise sur la région de l’Afrique centrale de façon à orienter la politique étrangère de la Belgique envers ses anciennes colonies. Dans le contexte de la commission parlementaire sur le passé colonial, il serait pertinent d’interroger le type de continuité néocoloniale auquel le CREAC participe.

Outre le soutien à la colonisation durant cette table ronde, des propos troublants et terriblement choquants ont été prononcés par les deux hommes. Alors qu’E. Davignon avait été interpellé à propos de la plainte déposée à son égard dans le cadre de l’assassinat de Lumumba, H. De Croo et lui échangent les mots suivants à l’issue de la présentation (propos tenus entre les deux hommes sans que ceux-ci ne prêtent attention aux micros restés ouverts).

H. De Croo à E. Davignon : « Je te remercie, tu es un homme rationnel, avec ta clarté et le maintien des choses essentielles. La diaspora n’est pas celle qu’on voudrait ».

E. Davignon à H. De Croo : « Il y a vraiment des connards ».

Relevons bien ces propos outrageants :

« La diaspora n’est pas celle qu’on voudrait » suivi de « il y a vraiment des connards ».

On sent dans ces paroles une habitude quasi naturelle de ces hommes à mépriser librement la diaspora, à défendre la colonisation sans aucune inquiétude. Des rires ont même eu lieu entre les deux hommes.

La discussion se poursuivant, H. De Croo remerciant encore E. Davignon et lui disant « Tu es un homme d’influence. J’ai une réunion avec le président de la banque KBC, où sont logés les comptes de la fondation Virunga, je te tiens au courant Stevie » (Stevie étant le surnom de Davignon).

Pour la petite histoire, le parc Virunga, à l’est du Congo, est assis sur du pétrole. Depuis la découverte de ce pétrole, les gardes font d’ailleurs face à des attaques et certains ont même été tués. La fondation Virunga dit œuvrer à la protection de la nature et de la flore du parc. Mais quand on sait que le président du CA de la fondation Virunga, Jan Bonde Nielsen(3), est un richissime homme d’affaires danois, magnat du pétrole, on a de quoi en douter.

Au vu de cet événement révélateur du mépris et du manque de respect pour la personne humaine, nous réitérons que :

Nous ne pouvons accepter que la colonisation continue à être défendue sans aucune sanction, sans devoir réparer des propos et des actes la glorifiant. La colonisation est un système criminel ayant causé des millions de morts.

Nous ne pouvons également accepter des insultes à l’égard de la diaspora africaine de Belgique en toute impunité. C’est une honte que de tels propos soient tenus, qui plus est, par des hommes qui discutent auprès d’un public composé en partie de la diaspora africaine, du partenariat actuel entre l’Afrique et l’Europe.

Nous estimons que des rendez-vous occultes comme celui avec le président de la KBC au sujet de la fondation Virunga, par des hommes politiques et d’affaires comme H. De Croo et E. Davignon, constituent de graves manquements à une politique qui se doit d’être la plus transparente possible.

Par conséquent, nous demandons que des excuses soient présentées publiquement par Herman De Croo et E. Davignon. Comme le revendique la campagne Decolonize Bozar (4), nous demandons la démission d’E. Davignon à la tête du Conseil d’administration de Bozar ainsi que des excuses pour sa nomination. Nous demandons également le retrait du titre honorifique de Ministre d’Etat d’Herman De Croo.

Nous nous réservons le droit d’autres démarches auprès des institutions traitant de la discrimination raciale.


2. Sous la pression, le Centre belge de référence pour l’expertise sur l’Afrique centrale (CREAC) prend ses distances avec les propos tenus par Herman De Croo et Etienne Davignon !

C’est une avancée qui n’est pas des moindres. Le CREAC déclare prendre ses distances avec les propos tenus, lors de sa table ronde du 15 février 2021, par Herman De Croo et Etienne Davignon faisant l’apologie de la colonisation et méprisant la diaspora africaine (1). Grâce à la lettre ouverte, soutenue par de nombreux signataires, dénonçant les propos des deux hommes (2), le CREAC mis sous pression est ainsi obligé de réagir.

Comment le CREAC a réagi ?

La lettre a fait beaucoup de bruits au sein du centre de référence. Sa réputation est bien atteinte publiquement. Par un communiqué publié sur la première page de son site et adressé à l’ensemble des membres de son Conseil d’administration, le CREAC dit « Ces déclarations ne peuvent pas lui être attribuées et ne reflètent pas l’opinion de son Président. Le CREAC tient à prendre distance par rapport à de telles déclarations ». En outre, il précise qu’« il a pris des mesures concrètes au cours des cinq dernières années pour décoloniser la production de connaissances sur l’Afrique centrale ».

Soulignons que le communiqué ne cite pas les noms des auteurs des déclarations tout en précisant qu’elles ne reflètent pas l’opinion de son Président. Très étonnement, cela voudrait dire que les déclarations émises par son Président ne reflèteraient pas l’opinion de ce même Président. En l’absence d’excuses de la part des deux personnes ayant tenus les propos ciblés, nous ne voyons pas très bien ce qui permet au CREAC de parvenir à un tel raccourci ?!

Au CREAC, qui déclare se désolidariser du discours faisant l’apologie de la colonisation et des propos outrageants qui ont été tenus à l’égard de la diaspora africaine, nous demandons quelles sont les conclusions que le CREAC en tire s’agissant des deux protagonistes ?

Pour notre part, nous estimons que le Centre ne peut prendre ses distances avec des propos tenus par son Président tout en le maintenant à son poste. « Décoloniser » le CREAC doit aussi passer par des prises de position cohérentes et une réorganisation de la structure pour que celle-ci cesse d’être représentée par les chantres de la colonisation. On le voit avec cette table ronde : un Président qui défend la colonisation conduit à des invités comme Etienne Davignon et des échanges comme ceux-ci. Nous estimons que le Gouvernement belge doit lui aussi prendre une mesure forte de décolonisation en se désolidarisant d’Etienne Davignon par le retrait de son titre honorifique de Ministre d’Etat.

C’est pourquoi, nous demandons :

– le retrait du mandat de Président du Conseil d’administration du CREAC d’Herman De Croo ;

– le retrait du titre honorifique de Ministre d Etat d’Etienne Davignon ;

Nous maintenons également nos demandes reprises dans la lettre ouverte sur les propos outrageants des deux hommes.

[Cet article a été publié dans la Revue Antipodes ITECO]
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