Ces villes transportées par la gratuité
Le mois dernier, l’hebdomadaire Marianne réalisait une enquête sur les villes françaises ayant opté pour la gratuité des transports en commun. Loin des idées reçues, le passage à la gratuité montre de nombreux avantages.
Une vingtaine de villes en France ont mis en place la gratuité des transports en commun, certaines depuis plus de 20 ans. Maintenant, on commence à avoir un retour sur expérience.
Ceux qui disaient que les impôts augmenteraient, qu’avec « les transports gratuits » viendraient les « transports pourris » et qu’on ne pourrait plus financer d’investissements, que la délinquance et les dégradations augmenteraient, en ont pour leurs frais!
La mesure est financée par le « versement transport » des entreprises, et ce versement peut même être supérieur au financement de la gratuité auquel cas il convient de mettre des guillemets au « coût » de la gratuité. La fréquentation des transports en commun augmente, les investissements ont continué, on observe même un mieux-être des chauffeurs. Et l’idée dépasse les clivages politiques, les équipes municipales ayant mis en place cette solution étant plus que diverses.
( L’article de Marianne est accessible plus bas )
L’enquête de Marianne fait un détour par Aubagne, qui a mis en place la gratuité en 2009. La communauté d’agglomération d’Aubagne rassemble plus de 100.000 habitants, et aujourd’hui tout le monde semble satisfait de la gratuité, mis à part peut-être le MEDEF local, car la gratuité est financée par le Versement Transport payé par les entreprises (1,08 % de la masse salariale à Aubagne).
Ce qui semble incroyable, c’est que le Versement Transport rapporte 2,2 millions d’euros par an à la communauté d’Agglomération alors que le « coût » de la gratuité est estimé à 1,6 million par an seulement!
Dans le même temps, Aubagne va lancer son tramway puis un tram-train alors que beaucoup d’opposants à la gratuité affirmaient que les investissements dans le réseau allaient s’effondrer…
Mais surtout, un avantage décisif de la gratuité, peu abordé jusqu’à présent, réside dans la baisse drastique de la délinquance. Là encore, les opposants à la gratuité affirmaient que les gens ne respecteraient pas ce qui est gratuit et vandaliseraient les transports en commun. Erreur sur toute la ligne!
Le principal avantage de la gratuité, c’est la baisse drastique de la délinquance dans les transports de l’agglomération, et l’absence quasi totale des grèves de conducteurs, cauchemar des élus ».
Un chauffeur de bus ne cache pas sa satisfaction : « Pas de monnaie à rendre, pas de caisse à surveiller, pas de confrontation avec les resquilleurs. On conduit les gens, et on a le temps de leur parler… »
Ni flic, ni encaisseur : voilà le bonheur du chauffeur. Avec la fraude, la délinquance, les incivilités, les agressions de toute sorte ont régressé, sinon disparu. « Les jeunes sont toujours bruyants, dit un ancien Aubagnais, mais ça, on n’y pourra jamais rien. Mais on a gagné en respect… »
Lire l’article complet:
NUMERO SPECIAL MARIANNE N° 825 du 9 au 15 février 2013
QUESTIONS D’ETHIQUE L’ARGENT FOU
/ IV. Comment le redistribuer ?
« Inspirée par les villes pionnières de Gap et de Châteauroux, Aubagne a franchi le pas. Pari gagné : trois ans le lancement des lignes de bus en accès libre, la ville attend un tram pour 2014. Gratuit, bien sûr ! » PAR HERVE NATHAN
« Ces villes transportées par la gratuité »
« Il y a des endroits en France où monter dans le bus, c’est simple comme bonjor. Pas de ticket à acheter [même en première mondiale], pas de forfait hebdomadaire, mensuel,, annuel, quotidien, de tourisme ou de résidence, de senior, ou de scolaire, encore moins de carte à présenter devant un lecteur de puce plus ou moins réveillé. On monte à bord, on va où nos affaires nous appellent, on descend. Merci. Au revoir.
A Aubagne, et dans sa communauté d’agglomération de l’Etoile, la gratuité n’est pas discrète. Les bus blancs sont barrés d’un énorme slogan : « Liberté, égalité, gratuité ! » Daniel Fontaine, maire communiste de la ville, a été rélu sur cette promesse en 2008 avec une majorité plurielle, de l’extrême gauche au MoDem. L’idée lui était venue en allant étudier l’accès libre aux transports en commun à Gap et Châteauroux, villes pionnières (elles sont maintenant une vingtaine dans l’Hexagone), et pourtant gouvernées à droite ou au centre !. « Les jeunes me disaient : « M’sieur le Maire, ça se fera jamais ». On l’a fait en 2009, ils ont été époustouflés, ils me remercient encore aujourd’hui dans la rue… »
Boom des passagers
Le gratuit « refait société », selon le maire : « Il n’y a plus de Rmistes réputés « pistonnés », plus de jeunes dits « fraudeurs », de vieux « chouchoutés ». Les transports sont un outil à disposition de toute la population. » Le bus égaliserait les conditions, comme on aurait dit aux Etats généraux de Versailles. A Aubagne, la démonstration qu’ »un autre monde est possible » – au moins en matière de transports urbains – donne toute sa dimension. La communauté d’agglomération rassemble plus de 100 000 habitants, sur une zone étendue et fragmentée par les collines, proche de la puissante Marseille.
En trois ans de gratuité, le nombre de passagers transportés a augmenté de 178 % (4,8 millions de personnes par an). Et c’est le « versement transport » (1,08 % de la masse salariale à Aubagne) des entreprises, nombreuses sur le territoire, qui la finance grâce aux 2,2 millions d’euros récoltés. La somme dépasse même le « coût » de la gratuité, estimé à 1,6 million. Le Medef râle bien un peu. Mais à Marseille, où les passagers participent au prix du ticket, la taxe patronale est encore plus élevée, et les entreprises font la queue pour s’installer sur les zones industrielles de la communauté d’Aubagne. « La municipalité dominée par les communistes a su jouer de l’impéritie des Marseillais » , s’amuse un banquier du cru.
Le maire voit plus loin. Bientôt, une ligne de tramway devrait traverser l’agglomération, puis une autre de tram-train. Plus étonnant encore, les édiles d’Aubagne ont organisé cette gratuité avec un groupe privé, Véolia, qui avait auparavant la délégation de gestion du réseau (payant). Le géant des transports qui règne en maître sur les Bouches-du-Rhône n’a pas trop hésité à tenter l’expérience.Daniel Fontaine en conclut avec optimisme qu’« une multinationale peut travailler avec une collectivité locale pour une gestion progressiste… »
Bonheur des chauffeurs
L’édile charmeur pratique les fausses confidences (« Je devrais pas vous le dire… »). Mais il le dit quand même : le principal avantage de la gratuité, c’est la baisse drastique de la délinquance dans les transports de l’agglomération, et l’absence quasi totale des grèves de conducteurs, cauchemar des élus. On n’aurait constaté en trois ans que trois caillassages de bus. A comparer avec les « massacres » marseillais. On aime dire, à Aubagne, que des chauffeurs de la Régie des transports marseillais (RTM) posent leur candidature pour pouvoir travailler ici dans des conditions plus sereines.Yvette, qui conduit un TaxiBus, rencontrée près du « lieu d’échange » où l’on passe du train au bus et vice-versa, ne cache pas sa satisfaction : « Pas de monnaie à rendre, pas de caisse à surveiller, pas de confrontation avec les resquilleurs. On conduit les gens, et on a le temps de leur parler… »
Ni flic, ni encaisseur : voilà le bonheur du chauffeur. Avec la fraude, la délinquance, les incivilités, les agressions de toute sorte ont régressé, sinon disparu.« Les jeunes sont toujours bruyants, dit un ancien Aubagnais, mais ça, on n’y pourra jamais rien. Mais on a gagné en respect… » Reste qu’Aubagne est une île entourée d’une mer payante.Il suffit de se rendre à la gare routière.Il y a les bus blancs, qui pour rien vous conduiront à La Bouilladisse, à 14 km au nord, et les bleus, ceux du conseil général. Ils vous emmènent à Marseille, à la même distance, vers l’ouest. Mais il vous en coûte 2 Euros. Deux heures de route, vers le nord, à Gap, inspirateur de l’expérience d’Aubagne. Ici l’hiver a la rigueur de la montagne. Lorsqu’il neige à 750 m d’altitude, ce n’est pas à moitié. Et, pour le gel, c’est pareil. Dans bien des villes françaises, quand tout vire au blanc, les bus restent sagement au garage.
Pas dans le chef-lieu des Hautes-Alpes. Ici, les autobus roulent presque par tous les temps. « Il faut au moins 15 cm de poudreuse pour qu’ils ne desservent pas les lignes » reconnait un Gapençais de rencontre sous l’Abribus. La « linea », comme on appelle ici le service public, est fidèle et gratuite. En 2005, la vieille maxime de Marx, « à chacun selon ses besoins », souvent regardée comme une ligne d’horizon très lointaine, s’est matérialisée dans ce coin de France au bord de la Durance, lorsque 40 000 Gapençais ont pu sillonner « à l’oeil » leur territoire aussi étendu que celui de Paris.
Les artisans de cette utopie concrète n’ont pourtant rien de révolutionnaires. M. le Maire, Roger Didier, est un affable radical de gauche, viré de son parti pour avoir conclu une alliance avec la droite dans une liste dite « d’intérêt général » ! L’adjoint aux transports, Dominique Meyer, appartient, lui à l’UMP. A les entendre, la gratuité ce serait d’abord une bonne affaire.« Cela ne coûte pas si cher que cela, affirme Roger Didier. « La recette de la billetterie ne nous rapportait que 80 000 euros par an, une misère. Parce que 80 % des usagers – les scolaires, les personnes âgées, les RMIstes – étaient dispensés de payer. On a économisé presque autant en évitant les frais de billetterie, l’investissement dans la monétique, les contrôles… » Ce n’est pas cher et cela peut rapporter gros. L’argent qui finance les 35 bus gapençais provient là aussi des entreprises. La loi permet à cette ville de moins de 50 000 habitants de percevoir jusqu’à 0,5 % de la masse salariale de toutes les sociétés de plus de neuf salariés, administrations comprises. A cette manne – 1,7 million d’euros – s’ajoute une subvention de la commune de 800 000 €. C’est cher ? Pas selon les élus, pour qui la gratuité, au contraire, a permis à la ville de rénover entièrement le parc de bus, afin d’éviter l’effet « c’est gratuit, c’est pourri ». La mort des tarifs s’est donc accompagnée d’un renouvellement des matériels. Sans lésiner. « On a acheté des bus neufs, alors que, au temps du payant, on les prenait d’occasion » explique Dominique Meyer.
En sept ans la distance parcourue par les bus a bondi de près de 40 %, mais la billetterie ayant disparu, on ne connait pas l’évolution exacte du nombre de passagers transportés. D’autant plus que de nouvelles dessertes ont été créées, permettant à plus de salariés de rejoindre leur lieu de travail.
« La gratuité fait naître des revendications de la part des habitants qui se jugent mal desservis… » observe l’édile. Il a donc fallu mettre des limites et instituer un ticket modérateur : pour réserver un TaxiBus vingt-quatre heures à l’avance dans un lieu excentré, il vous en coûtera le « prix symbolique » de 1 Euro. Dernière trace de ce qui s’appelait la tarification. »
Hervé Nathan – Paru dans Marianne N°825 du 9 au 15 février 2013