Source : La rébellion zapatiste : un autre monde ? – Centre tricontinental
* Ci-dessous, le diaporama (téléchargeable) sur lequel s’appuie l’exposé.
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ZAPATISME : LA RÉBELLION QUI DURE
A la fois « identitaire, révolutionnaire et démocrate », la rébellion des indigènes zapatistes du Chiapas lutte « pour la dignité » et « contre le capitalisme ». Vingt ans après l’insurrection du 1er janvier 1994, elle est toujours là, opiniâtre et évolutive dans son profil et son rapport au politique. Pourtant le contexte ne lui sourit guère. Et l’« autonomie de fait » qu’elle construit sur le terrain étonne autant par son zèle que par sa précarité.
Qui l’eût cru ? Qui aurait pu prévoir au lendemain même du soulèvement indigène maya du 1er janvier 1994 que deux décennies plus loin, la rébellion zapatiste du Chiapas allait encore être en mesure d’afficher sa détermination, de mobiliser ses bases, d’exposer son originalité et d’alimenter son écho international ? Peu, très peu d’observateurs en réalité, mais par contre, d’emblée, plusieurs proches des insurgés. Des proches – des personnalités et organisations sociales locales – qui dès le début en effet insistèrent sur le processus de très long terme dans lequel s’inscrivaient en conscience les rebelles. Incrédules, les observateurs pressés – dont l’auteur de ces lignes – avaient pour eux les fondamentaux de la sociologie des mouvements sociaux et, en particulier, l’inéluctable phase de démobilisation, de désengagement, de reflux sur laquelle aboutit, à court ou moyen terme, toute action collective conflictuelle, que celle-ci ait été couronnée de succès ou réprimée, institutionnalisée ou harcelée, neutralisée ou récupérée, tolérée ou sapée par ses adversaires.
Foin de prédictions déterministes, les zapatistes sont toujours là, opiniâtres. Et ajoutent, par là même, une nouvelle dimension au caractère atypique de leur rébellion : la durabilité, la persévérance… sans compromission aucune qui serait venue éroder, comme dans nombre de mouvements clandestins ou révolutionnaires de longue haleine, leur légitimité ou leur intégrité. Sans doute les rangs de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) ne sont-ils plus aussi fournis qu’en 1994, mais l’impressionnante démonstration de force du « jour de la fin du monde » – le solstice d’hiver 2012 choisi par plus de 40 000 zapatistes encagoulés pour occuper pacifiquement et silencieusement cinq villes du Chiapas [1] – et surtout l’« autonomie de fait » que les rebelles exercent au quotidien depuis plus de dix ans sur d’importants fragments d’un territoire de la taille de la Belgique, attestent l’endurance du mouvement.
L’effervescence des derniers mois (fin 2013, début 2014) a redonné de la visibilité à l’ensemble. Du côté des autorités gouvernementales, en dépit de la prégnance dans l’agenda national de la désastreuse « guerre aux drogues » (Cetri, 2013), de la privatisation pétrolière et de la corruption du parti au pouvoir, tant le nouveau président mexicain que le nouveau gouverneur de l’État chiapanèque ont soudainement annoncé des « gestes de bonne volonté » et une « initiative de grande importance », en faveur d’une « solution pacifique aux conflits » du Chiapas, par « respect du zapatisme » (sic) et pour la « réactivation des Accords de San Andrés sur les droits indigènes », accords signés par l’EZLN et le gouvernement en 1996 mais jamais traduits en une réforme constitutionnelle à la hauteur de l’engagement pris (Sipaz, février 2014).
Du côté des zapatistes, on n’est pas en reste. L’année 2013 a été marquée par le lancement d’une ixième nouvelle dynamique ouverte aux « zapatisants [2] » du monde entier, intitulée l’« Escuelita zapatista » (petite école zapatiste), qui à ce jour a déjà permis à plus de 5000 « élèves » venus du reste du Mexique ou de l’étranger, de s’immerger une petite semaine dans les réalités quotidiennes des familles rebelles et d’apprendre donc de l’intérieur les réussites et les échecs de leur « autogouvernement » pleinement participatif et farouchement indépendant. Parallèlement, l’EZLN a aussi offert en 2013 un espace de relance au « Congrès national indigène (CNI) », en vue de fédérer les peuples indiens du Mexique en lutte contre l’accaparement agro-industriel, minier, énergétique ou encore touristique de leurs territoires. Enfin, les derniers mois auront été scandés par les célébrations en cascade du triple anniversaire de la rébellion : les dix ans de l’autonomie de fait, les vingt ans du soulèvement armé, les trente ans de la fondation de l’EZLN [3].
TRIPLE ANNIVERSAIRE
C’est en novembre 1983 en effet qu’une poignée de guérilleros issus des Forces de libération nationale (FLN) [4], rejoints l’année suivante par l’universitaire citadin qui deviendra le « sous-commandant Marcos », créent au fin fond de l’État du Chiapas l’« Armée zapatiste de libération nationale », avec la ferme intention, à la mode de Che Guevara, d’y « allumer » la révolution. Marcos et ses camarades ne seront toutefois pas les seuls à « travailler » aux côtés des Mayas tzotziles, tzeltales, tojolabales, choles de la région. Les animateurs sociaux du très concerné diocèse catholique de San Cristóbal de Las Casas, dont les frontières coïncident précisément avec la zone d’influence actuelle des zapatistes, sont aussi à l’œuvre dans les villages indigènes, depuis de nombreuses années.
Dix ans plus tard, forts de ces influences multiples mais contrecarrés dans leurs projets d’émancipation par l’autoritarisme d’une élite locale raciste et par les effets de la libéralisation de l’économie mexicaine, la chute du prix du café et la réforme constitutionnelle de 1992 qui casse tout espoir de réforme agraire, d’importants secteurs de la population indigène du Chiapas vont se soulever en armes (avec les moyens du bord, souvent de vieilles pétoires) dans les principales villes de la région. « Démocratie, liberté, justice ! ». Et ce, le jour même de l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) qui ouvre les richesses du Mexique aux États-Unis et au Canada. Mais le coup d’éclat zapatiste de la nuit du 31 décembre 1993 au 1er janvier 1994 fera long feu. Lourdement réprimés, les Indiens insurgés vont rapidement se replier et réintégrer leurs villages. Débutera alors un long processus de militarisation de la région par les autorités, de négociations ambitieuses puis suspendues, et de mobilisations pacifiques de l’EZLN au retentissement mondial.
Dix ans plus tard, en août 2003, déçus, voire trahis par la non-application des Accords de San Andrés [5], les zapatistes rendent publique la création de leurs propres organes d’autogouvernement, radicalement étanches aux instances et interventions de l’État, au « mal gobierno » (mauvais gouvernement). C’est l’« autonomie de fait », celle que la Constitution ne veut pas leur reconnaître. Le « mandar obedeciendo » (commander en obéissant), ici et maintenant. La pratique politique expérimentée alors dans les villages zapatistes rejette toute forme de confiscation du pouvoir, d’abandon de souveraineté dans des structures en surplomb. Elle s’organise dans la rotation incessante et la révocabilité immédiate de tous les mandats, de toutes les « charges » qu’à tour de rôle les délégués indigènes – hommes et femmes – assument bénévolement au sein des cinq « Conseils de bon gouvernement – Caracoles », où l’on administre l’autonomie éducative, sanitaire, juridique et, autant que faire se peut, productive et commerciale des communautés rebelles. Le bilan qu’en dressent aujourd’hui les zapatistes eux-mêmes est plutôt positif : en dépit de bien des difficultés, non éludées, la « vida feliz » (vie heureuse) et la dignité recouvrée aideraient à composer avec « la lenteur de l’amélioration des conditions matérielles » [6].
TRIPLE ORIGINALITÉ
Toute l’originalité, la force et la faiblesse de la rébellion zapatiste résident dans l’évolution et les réalités auxquelles renvoie ce triple anniversaire. Une avant-garde révolutionnaire léniniste classique fait place à une révolte indienne massive, déterminée, presque suicidaire, qui elle-même, au gré des circonstances, des rapports de force, de rencontres « intergalactiques [7] » avec des bus entiers de « citoyens du monde », va s’affirmer en un mouvement à la fois ouvert et autonome, radicalement démocratique et profondément identitaire, nationaliste mexicain autant qu’ethnique et altermondialiste ! L’originalité de la rébellion est bien là : dans une dynamique faite de ruptures et de continuités, dans une guérilla qui n’en est plus une et qui va assumer ses filiations passées sans s’y réduire. Dit autrement, le profil atypique – et plutôt séduisant – du mouvement zapatiste se situe précisément dans cette tentative d’articulation d’éléments jusque-là opposés, voire absents dans l’histoire des luttes. Et ce, sur les trois principales dimensions constitutives d’un mouvement social : son aspiration, son identité, son répertoire d’action.
L’aspiration zapatiste renouvèle et combine en effet, à la différence des mouvements révolutionnaires centro-américains antérieurs, l’agenda de la redistribution et celui de la reconnaissance. Articuler justice sociale et respect des identités culturelles, l’idéal, désormais universel, est à la fois éthique et politique. « Nous sommes égaux parce que différents ». Les premières revendications des zapatistes, immédiatement matérielles – « une terre, un toit, des aliments, du travail, la santé, des écoles… » – montent d’emblée en généralité, pour viser « la dignité », sociale et culturelle. Si la nouvelle perspective émancipatrice à l’œuvre conjugue donc bien à l’affirmation de la diversité identitaire, l’historique quête socialiste et tiers-mondiste d’égalité entre les groupes sociaux et entre les peuples, elle puise aussi dans l’ancien registre républicain de la démocratie politique, de la citoyenneté et de la liberté, et y ajoute enfin d’autres accents plus inattendus : le souci du sujet, du statut de l’individu dans le collectif et de son émancipation ; la revendication d’égalité entre les hommes et les femmes ; la conscience écologique des limites du progrès…
Dans le même ordre d’idée, la rébellion zapatiste est également structurée sur des références identitaires multiples, jadis confrontées ou ignorées. Des références tantôt sociales ou « classistes », tantôt culturelles ou ethniques, mais aussi territoriales, géographiques, politiques ou de genre. Paysans exploités ou exclus, indigènes discriminés, Mayas instrumentalisés, Chiapanèques oubliés, Mexicains de seconde zone, citoyens du monde marginalisés, femmes dominées…, les zapatistes multiplient les ancrages – local, national et international – sans les opposer. Suffisamment identitaires et attachés pour ne pas se diluer, suffisamment ouverts et universels pour ne pas se replier. L’enracinement des communautés indiennes tempère le cosmopolitisme de la plume du sous-commandant Marcos. Autonomie sans séparation, intégration sans assimilation. L’étendard de la lutte (l’étoile rouge sur fond noir) et le drapeau national (le tricolore mexicain) sont juxtaposés et omniprésents dans les actes publics des Mayas encagoulés du Chiapas.
Enfin, le répertoire d’action de la rébellion zapatiste puise lui aussi dans des modes et formes d’organisation en tension. La culture démocratique, participative, horizontale expérimentée dans les villages rebelles n’a pas supplanté tout réflexe autoritaire, centralisateur ou verticaliste, en particulier dans l’Armée zapatiste comme telle. Le discours même prend des accents plus normatifs versus désinvoltes, selon les circonstances. Si la nouveauté des moyens d’action et des modes d’expression et de mobilisation – réticulaires, symboliques, créatifs, médiatiques… – est donc bien palpable dans les façons zapatistes, les postures plus classiques, massives, physiques et hiérarchiques restent prégnantes dans le mouvement, sans toutefois se confondre avec le dogmatisme, le militarisme et l’« avant-gardisme » des guérillas d’hier dont il entend se distinguer. Le rapport au politique de l’EZLN a, lui également, puisé ces deux dernières décennies dans des traditions plutôt antagoniques, tantôt plus jacobine, tantôt plus autogestionnaire. Nous y reviendrons.
C’est donc sur cette base triplement originale que la rébellion zapatiste a pu être présentée, à raison, comme un mouvement à la fois « identitaire, révolutionnaire et démocrate » ! Dans les mobilisations protestataires de par le monde, cet alliage ne court pas les rues. Et confère au zapatisme son profil hors normes, évolutif, peut-être inédit. Il explique aussi, sans doute, une grande part de sa résonance mondiale, ainsi que son rôle, fin des années 1990, de pionnier d’une nouvelle internationale plurielle, appelée par la suite « altermondialiste ». Imprégné d’une culture chrétienne émancipatrice, d’un esprit libertaire, de clés de lecture marxiste, d’idéaux d’égalité de genre, de préoccupations environnementales et de références mayas, le « cocktail zapatiste » a toujours l’heur de plaire à un large éventail d’activistes d’obédiences diverses. Indignés, anarchistes, catholiques progressistes, indianistes, autonomes, socialistes, culturalistes, féministes, communistes, écologistes… chacun y reconnaît sa « saveur » favorite, quitte à faire la fine bouche sur ce qui déplaît ou à taire ce qui ne fait pas sens dans sa propre chapelle [8].
TRIPLE DÉBAT
Bien des aspects de la rébellion zapatiste mériteraient d’être analysés de près. Si, en deux décennies, de multiples travaux de qualité ont été consacrés aux causes et aux conditions d’émergence du mouvement, tout comme au discours, à la signification et à la portée du zapatisme [9], des dimensions importantes de la dynamique rebelle sont restées relativement peu interrogées à ce jour. Parfois pour d’évidentes raisons de faisabilité, souvent au risque de laisser prospérer les vérités toutes faites des détracteurs – médiatiques et politiques – de l’EZLN. Il en va ainsi tant du fonctionnement interne de la rébellion (ses façons d’opérer la cohésion, l’unification, l’inclusion et l’exclusion, de légitimer et de délimiter le leadership au quotidien, d’organiser le travail social, politique et symbolique d’identification et de (re)définition…), que des rapports de l’EZLN et de ses « bases d’appui » avec l’extérieur, immédiat ou moins proche, indigène et non indigène, du soulèvement à aujourd’hui.
Par défaut ou presque [10] , nous nous limiterons ici à évoquer trois questions clés du débat sur le zapatisme, trois questions sources de controverses et dont l’enjeu renvoie précisément au sens et au destin de la rébellion. La première, présente dès le 1er janvier 1994 et régulièrement actualisée depuis lors par les contempteurs du mouvement, porte sur son hétéronomie supposée, sur la prétendue instrumentalisation des indigènes par une impulsion et un commandement externes. La deuxième concerne le rapport au politique de l’EZLN, sa conception de l’État et les voies privilégiées du changement social. La dernière enfin touche à la fécondité et à la viabilité – sociale, politique, économique… – des expériences d’autogouvernement zapatiste en cours dans les zones d’influence de la rébellion.
Démagogues irresponsables et enfants dévoyés
L’idée d’une révolte indienne manipulée par un groupuscule en perdition de révolutionnaires professionnels non indigènes est une vieille lune. Dès le lendemain de l’insurrection de 1994 jusqu’à aujourd’hui, du côté du pouvoir, comme dans une certaine presse et dans le chef d’intellectuels plus ou moins avertis, la sentence est prononcée, reformulée et déclinée à l’envi : abusé par des forces exogènes, le mouvement indien y perdrait sa légitimité. L’allochtonie soupçonnée de sa direction suffirait à en saper la crédibilité. En 1994, ce sont tant l’évêque « christo-marxiste » local, Samuel Ruiz, que le sous-commandant Marcos et ses camarades « internationalistes d’extrême-gauche » qui sont visés. « Les communautés indigènes ont été trompées par un groupe d’irresponsables démagogues. (…) Ni indiens, ni paysans », écrira dès le 7 janvier dans El Pais le prix Nobel de littérature mexicain, Octavio Paz. Réduits au statut d’enfants dévoyés, les Mayas ne peuvent être tenus pour coupables (ni capables !) de pareille rébellion.
En février 1995, le président Ernesto Zedillo reprendra lui aussi le refrain pour justifier la tentative (avortée) d’arrestation du sous-commandant Marcos. « Les objectifs de l’EZLN ne sont ni populaires, ni indiens et n’ont pas de racines au Chiapas. » Dans la foulée, plusieurs livres sortiront, tendant à accréditer la thèse d’une population indigène sous influences – celles, confondues ou rivales, d’activistes guévaristes et d’animateurs diocésains – et plus loin, d’un divorce entre réalités internes de la rébellion et discours externe. C’est aussi, pour l’essentiel, la théorie de la « géniale imposture » (Rico et de la Grange, 1998) ou de « l’art de la ventriloquie » (Pitarch, 2004) du sous-commandant Marcos, selon laquelle le leader au charisme soigné et au marxisme accommodé manipulerait la marionnette indigène à sa guise, d’ajustements tactiques en stratégies adaptatives. Aujourd’hui en 2014, la sociologue Legorreta, entre autres, ré-enfonce le clou et insiste sur la fracture entre le projet « politique » anticapitaliste imposé par la direction de l’EZLN et l’agenda « social » indien qui en ferait les frais (Proceso, 2014).
Certes, il serait illusoire de prétendre à une impossible gestation en vase clos de la rébellion zapatiste. Bien sûr, le recours aux armes du 1er janvier 1994 n’était pas inéluctable et ne peut être considéré comme le simple effet mécanique de situations d’exploitation et de discrimination. Il ne figurait pas dans la perspective du mouvement d’émancipation à l’œuvre alors dans le monde indigène. L’appel à l’insurrection, même en période de crise et de répression, n’aurait pas eu un tel écho s’il n’avait touché des groupes sociaux déjà mobilisés, ce qui n’a été possible qu’au travers de médiations sociales et religieuses et d’interventions politisées. Bien sûr encore, le rôle du chef militaire et « porte-parole » Marcos aura été, ces deux dernières décennies, central et déterminant, tant en interne que dans la redéfinition, voire l’« indéfinition » externe du zapatisme, dans le quasi-monopole de la parole rebelle [11] et comme point principal de focalisation des regards. Lui-même le reconnaît – et dit le déplorer – dans plusieurs entretiens (notamment in Castellanos, 2008).
Pour autant, y réduire la réalité et la signification de cette rébellion inscrite dans la durée, enlever toute légitimité ou responsabilité à cette dynamique indigène massive – de contestation, d’affirmation et de proposition –, en ne la considérant que comme le jouet consentant, aliéné ou victime d’une poignée de « démagogues irresponsables » parachutés, c’est se fourvoyer par myopie sociologique, racisme ou culturalisme, voire intérêt politique… pour justifier de mauvaises réponses à de vraies demandes sociales de justice, de liberté et de démocratie. C’est, dans le même élan, faire peu de cas de la capacité d’action sur leur propre histoire, de paysans indiens en rupture, à mille lieues de la figure figée de l’indigène maya « authentique » de carte postale. C’est enfin ignorer ou pour le moins se méprendre sur leur faculté à instrumentaliser à leur tour, à adopter ou adapter, selon leurs propres besoins, agendas et priorités, les influences, les apports, les emprises et les dépendances dont ils sont l’objet (ou plutôt le « sujet »).
Manipulés, les indigènes zapatistes ?
(par Claude Duterme, 1997)
Contre, avec ou sans ?
Le rapport au politique de l’EZLN et les voies du changement social privilégiées par la rébellion ont, eux aussi, significativement évolué ces vingt dernières années. Essentiellement au gré des aléas, des avancées et déconvenues du rapport de force avec le pouvoir mexicain, mais aussi en fonction du répondant (ou non-répondant) des gauches sociales et politiques nationales [12], du dialogue avec l’intelligentsia progressiste, marxiste ou indianiste, et de l’écho international des différentes formes de la lutte zapatiste. D’évidence, l’EZLN est ainsi passée, en deux décennies, de la prédominance d’une tendance plus « étatiste » à la prédominance d’une tendance plus « autonomiste ».
La première, centralisatrice et d’inspiration marxiste-léniniste dans le cas qui nous occupe, établit un rapport hiérarchique entre partis politiques (haut) et mouvements sociaux (bas), et vise, si pas le renversement ou la conquête du pouvoir d’État, au moins l’expression partisane des luttes, condition de l’efficacité politique, « par le haut », des mobilisations sociales. La seconde, plus horizontale et d’inspiration anarchosyndicale et libertaire, refuse l’idée de délégation – séparation, dessaisissement, concentration – du pouvoir et donc toute forme de médiation ou de représentation instituée. Elle privilégie la « territorialisation » et le développement de pratiques autogestionnaires, « par le bas », hic et nunc. L’une procède au nom d’une certaine fétichisation de la « suprématie de l’État », l’autre de la « pureté du social ».
Dans un effort constant – et vital ! – de reformulation de l’agenda politique de la rébellion en fonction des « fenêtres d’opportunité » qui s’ouvrent et se ferment, l’EZLN est aussi passée, parallèlement à ce glissement étatiste-autonomiste, de l’idéal révolutionnaire initial « pour le socialisme » au Mexique, à l’appel de janvier 1995 à la création d’un « Mouvement pour la libération nationale », puis à l’affirmation et la défense de la « dignité indigène », ou encore, dans les années 2000, au réseautage de résistances « anticapitalistes », « en bas à gauche », sur le territoire national et au-delà [13]. Le « rejet » de la conquête, militaire ou électorale, du pouvoir d’Etat et le virage autonomiste de l’EZLN sont donc à considérer plus comme le résultat d’un cheminement tactique ou comme un aboutissement circonstanciel, voire accidentel, que comme un « en-soi » idéologique du zapatisme. A rebours de toute perspective essentialiste, Daniel Bensaïd avait vu juste : « les zapatistes disent ne pas vouloir ce que, de toute façon, ils ne peuvent atteindre. C’est faire de nécessité vertu » (2003).
Amaury Ghijselings, activiste altermondialiste belge qui a participé à l’Escuelita zapatista dans le Chiapas en janvier 2014, résume l’évolution de la stratégie de transformation sociale de l’EZLN en trois mots : « contre, avec, sans » (Ghijselings, 2014). A la folle déclaration de guerre de 1994 « contre » l’armée et le pouvoir mexicains, ont en effet succédé d’abord une période mouvementée de dialogue « avec » le politique, gouvernemental et partisan, puis dans la foulée, face aux échecs et impasses de ces deux voies, le temps du repli et de la construction de l’« autonomie de fait » dans les communautés indigènes, « sans » plus aucun contact avec l’establishment, ni aides ou interventions officielles d’aucune sorte.
La défiance zapatiste à l’égard du politique et du pouvoir comme instruments déterminants de la révolution sociale n’est donc au final que relative : d’une part, parce qu’elle s’accompagne, dans le chef de la rébellion, d’un attachement réaffirmé aux concepts de souveraineté et d’indépendance nationale face aux intérêts capitalistes et impérialistes supranationaux ; d’autre part, parce que sur le terrain, « l’expérience des ‘Conseils de bon gouvernement’ est la confirmation éclatante du souci de construire d’autres modalités d’organisation politique », à savoir « des formes d’autogouvernement dans lesquelles la séparation entre gouvernants et gouvernés se réduit autant qu’il est possible » mais n’évacue pas cependant toute « verticalité » ou relation de pouvoir entre autorités et administrés et, moins encore, entre l’EZLN en tant que structure politico-militaire et les « bases d’appui » zapatistes (Baschet, 2014).
Viabilité de l’autogouvernement zapatiste
Par la force des choses, l’exercice d’une « autonomie de fait », non reconnue légalement, dans les zones d’influence de la rébellion constitue donc depuis plus d’une dizaine d’années le cœur de la lutte zapatiste. A entendre les professeurs indigènes de l’Escuelita de janvier 2014, l’autogouvernement rebelle renvoie autant à la méthode qu’à la finalité de leur lutte. Il est à la fois le lieu d’expérimentation pratique et « par le bas » de leur projet de transformation sociale et le laboratoire de leur émancipation politique et culturelle. Dans le glossaire zapatiste, « autonomie » signifie désormais « liberté ». « Il n’est pas d’émancipation véritable qui ne soit auto-émancipation. (…) L’expérience invite à redécouvrir (…) ce principe aussi élémentaire que décisif : nous sommes capables de nous gouverner nous-mêmes » (Baschet, 2014).
Pour autant, l’ensemble est-il viable ? Dans un contexte économique, politique et militaire toujours hostile, la dynamique zapatiste est-elle à même de gagner du terrain ou, plus modestement, de se reproduire, de durer encore… pour le bien-être de ses premiers protagonistes au quotidien, les pieds dans la boue, la tête et les mains à l’ouvrage ? Deux questions, plus précises, ont circulé au Chiapas dans le cadre des célébrations du 10e anniversaire des « Conseils de bon gouvernement » et du 20e du soulèvement armé : « les zapatistes sont-ils plus ou moins nombreux qu’en 1994 » et « vivent-ils mieux ? ». Jugées « trop cartésiennes » ou « typiquement occidentales » par d’aucuns, ces deux interrogations ont néanmoins reçu des éléments de réponse divers, parfois contradictoires, au sein même des rangs zapatistes et parmi les observateurs « zapatisants ».
Le sous-commandant Marcos d’abord y a répondu, par anticipation, dès décembre 2012 [14]. En gros : « oui, nous sommes plus forts qu’avant et oui, nous vivons mieux ». Comme lui, les professeurs et les familles de l’Escuelita zapatista de janvier 2014 ont souligné la vigueur, la détermination et la résistance de la dynamique, ses avancées en « dignité » et ses réalisations concrètes en partage du pouvoir, en éducation, en santé, en justice, en égalité hommes-femmes, en activités productives et commerciales. Ils ont aussi reconnu et expliqué, tout comme Marcos, « pas mal d’erreurs et beaucoup de difficultés ». Ils n’ont pas caché non plus que c’était « dur, exigeant… », qu’il fallait « être patient pour que viennent à s’améliorer les conditions matérielles », même si ce n’était « pas le plus important », qu’il y avait eu « des désistements… des dissidents, des mécontents… des jeunes qui n’ont pas résisté aux tentations du village voisin… aux cadeaux du gouvernement… à l’émigration aux Etats-Unis… », mais qu’il y avait aussi « des nouveaux qui nous ont rejoints ».
Pas ou peu de chiffres toutefois sur le nombre réel de zapatistes qui vivent « en autonomie » aujourd’hui. La journaliste Laura Castellanos, qui s’appuie sur « une source fiable proche de l’organisation », en annonce « plus de 250 000 » qui peuplent les vingt-sept « Municipalités autonomes rebelles – MAREZ » que l’on compte encore dans les cinq Caracoles zapatistes [15], c’est-à-dire quelque 22% de la population indigène du Chiapas (El Universal, 2 janvier 2014). D’autres observateurs, pas moins sensibles à la cause, parlent de 150 000, voire de 100 000 rebelles au maximum (même dans les points d’ancrage forts de la rébellion, aucune municipalité ne peut se targuer d’être à 100% zapatiste). La plupart admettent en tout cas que le mouvement a enregistré des défections significatives, individuelles ou collectives, notamment dans les communautés « entrées dans le zapatisme peu avant ou immédiatement après 1994, mues par la crainte d’être coincées entre deux feux ou par l’espoir d’une victoire rapide » et qui « ont quitté le zapatisme d’autant plus facilement qu’elles n’avaient pas vécu tout le processus de politisation » (Aquino Moreschi, 2014).
Peu analysée comme telle et d’ailleurs à peine évoquée par les zapatistes eux-mêmes dans les quatre « manuels » de l’Escuelita zapatista consacrés au « gouvernement autonome », la viabilité économique des Caracoles et de leur caractère « anticapitaliste » pose d’évidence problème : autosubsistance agricole très faiblement diversifiée, manque de terre dans une partie non négligeable des municipalités rebelles, carences criantes en équipements et infrastructures, indépendance vis-à-vis de l’État mais dépendance à l’égard d’une solidarité internationale flottante et de filières commerciales alternatives fragiles, insertion ambivalente dans les marchés locaux et régionaux… Le tout, ajouté à l’injection massive de capitaux « assistancialistes » par les autorités gouvernementales dans les villages non zapatistes, au climat délétère de harcèlement militaire ou paramilitaire qui continue à prévaloir à géométrie variable, ainsi qu’aux tensions et conflits intercommunautaires (notamment, suite aux occupations de terres zapatistes par d’autres organisations sociales indigènes, plus ou moins aiguillées par le pouvoir), hypothèque l’avenir même de l’autogouvernement rebelle.
RÉBELLION À MOITIÉ PERDUE OU À MOITIÉ GAGNÉE ?
A l’isolement politique relatif du zapatisme et à son poids militaire insignifiant mais symbolique, il convient donc d’adjoindre la vulnérabilité sociale et économique de la rébellion dans le contexte actuel du Chiapas. Contexte caractérisé, plus que jamais peut-être, par l’« extraversion » du modèle de développement dominant, à la barre duquel le grand investissement privé, national et transnational (minier, autoroutier, touristique, agro-industriel, gazier, forestier…), a de toute évidence supplanté l’État local en tant qu’adversaire principal des intérêts vitaux et territoriaux des diverses organisations sociales indigènes chiapanèques, zapatistes y compris. Le rapport de forces n’est, en cela, pas moins inégal qu’il l’était il y a un peu plus de deux décennies, le 1er janvier 1994.
Alors, rébellion à moitié perdue ou à moitié gagnée ? Insurgés pour « la démocratie, la liberté et la justice », les encagoulés du Chiapas ne sont certes pas parvenus à refonder la Constitution, à décoloniser les institutions, à démocratiser véritablement le pays, ni même à prendre pied sur la scène politique mexicaine, mais, tant sur le plan local, que national et international, ils auront doté les luttes paysannes et indigènes pour la redistribution et l’autonomie d’une visibilité et d’une portée inédites (Duterme, 2004 et 2009). Et ils entendent continuer à peser sur les rapports de forces et les choix de société, dans un Mexique bloqué politiquement et grand ouvert aux vents dévastateurs de l’économie globalisée. Le zapatisme participe ainsi pleinement de ces mouvements indiens qui, en Amérique latine, de la base au sommet, font la preuve – fragile – que la mobilisation pour le respect des diversités n’implique pas nécessairement crispation identitaire et qu’elle peut aller de pair avec la lutte pour la justice sociale et l’Etat de droit. La reconnaissance mondiale, même évanescente, de leurs mérites alimente et se nourrit de leur dignité retrouvée.
BIBLIOGRAPHIE
Aquino Moreschi A. (2014), Des luttes indiennes au rêve américain. Migrations de jeunes zapatistes aux États-Unis, Presses universitaires de Rennes.
Baronnet B., Mora M. et Stahler-Sholk R. (2011), Luchas “muy otras” : zapatismo y autonomía en las comunidades indígenas de Chiapas, México, CIESAS-UAM.
Baschet J. (2005), La Rébellion zapatiste – Insurrection indienne et résistance planétaire, Paris, Flammarion.
Baschet J. (2014), Adieux au capitalisme – Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, Paris, La Découverte.
Bensaïd D. (2003), La Révolution sans prendre le pouvoir ?, Contretemps, n°6.
Castellanos L. (2008), Corte de caja – Entrevista al subcomandante Marcos, México, Editorial Endira.
Cetri (2013), Narcotrafic – La « guerre aux drogues » en question, Paris – Louvain-la-Neuve, Syllepse/Cetri.
Duterme B. (1997), Indiens et zapatistes, Bruxelles, Luc Pire.
Duterme B. (2004), « México. Diez años de orgullo sin rostro », Proceso, Edición especial, n°13, janvier.
Duterme B. (2009), « Passés de mode, les zapatistes ? », Le Monde diplomatique, octobre.
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Sipaz (2014), « Chiapas : A 20 años del levantamiento zapatista », Informe Vol. 19, n°1, février.
NOTES
[1] Pour rappel, les mois qui ont précédé le 21 décembre 2012, date qui correspond historiquement à la fin d’un cycle du calendrier maya, ont donné lieu dans le monde à un certain nombre de surinterprétations apocalyptiques et de prophéties catastrophistes… commercialisées, sur lesquelles ont aussi ironisé les rebelles zapatistes.
[2] Mot-valise désignant les sympathisants des zapatistes.
[3] Voir « Chronologie sommaire de vingt ans de rébellion zapatiste » dans cet Alternatives Sud.
[4] Groupe marxiste-léniniste clandestin fondé en 1969 à Monterrey (Nord du Mexique), durement frappé par les autorités en 1974.
[5] Les Accords de San Andrés, signés par le gouvernement mexicain et les commandants rebelles le 16 février 1996, portent donc sur « les droits et la culture indigènes ». Les autres thèmes prévus par les négociations n’ont jamais pu aboutir. Ils étaient censés porter sur les dimensions plus politiques (démocratisation) et socioéconomiques (redistribution) des revendications zapatistes.
[6] Propos tenus en plénière par un professeur zapatiste durant la session de l’Escuelita zapatista de janvier 2014.
[7] Du nom donné par Marcos à la « Première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme » convoquée par l’EZLN en 1996 dans le Chiapas, qui sera suivie de multiples initiatives similaires.
[8] Cet aspect a été développé notamment dans Indiens et zapatistes (Duterme, 1997), et, pour ce qui concerne les approches plus analytiques du zapatisme, dans l’ouvrage collectif EL EZLN y sus intérpretes. Resonancias del zapatismo en la academia (Duterme, 2011). Les principales lectures sociologiques de l’EZLN (d’inspiration marxiste ou tourainienne), plutôt que d’analyser cette articulation fragile et évolutive de nouvelles et d’anciennes formes d’action, ont eu tendance à surestimer l’un ou l’autre pôle, voire à y conditionner leur intérêt pour le zapatisme : d’un côté, en ne le considérant que comme l’expression obligée de rapports de classes et en focalisant sur les formes d’exploitation socioéconomique ; de l’autre, en absolutisant son caractère novateur, en rupture avec l’héritage guévariste, et en focalisant sur les formes de discrimination culturelle. Comme si la rébellion n’acquerrait de sens que ramenée aux formats théorico-politiques de référence.
[9] Citons notamment, par ordre chronologique, Monod (1994), Gonzalez Casanova (1995), Le Bot (1997), Harvey (1998), Montemayor (2001), Baschet (2005), Matamoros et al. (2012).
[10] Voir notamment les très intéressants ouvrages (relativement récents) d’Aquino Moreschi A. (2014) et de Baronnet B., Mora M. et Stahler-Sholk R. (2011), basés de fait sur un travail de recherche dans les communautés indigènes zapatistes elles-mêmes et d’analyse du quotidien du régime rebelle d’« autonomie de fait ».
[11] Parole tantôt solennelle, allusive, poétique, martiale, littéraire, ironique, politique, grave, narcissique, ouverte, intransigeante ou philosophique, selon les circonstances et l’humeur, mais parole impossible à confondre avec les communiqués des leaders indigènes de l’EZLN ou des autorités rebelles des « Conseils de bon gouvernement » (lire les innombrables textes du sous-commandant Marcos – et les autres – en éditions papier ou sur internet, notamment sur www.enlacezapatista.ezln.org.mx ou, en français, sur www.cspcl.ouvaton.org).
[12] Sur cet aspect, sur l’échec des diverses tentatives d’atterrissage du zapatisme sur la scène politique nationale et sur les causes de l’isolement politique relatif de l’EZLN au sein des gauches mexicaines, lire notamment Castellanos (2008), Duterme (2009), Houtart (2013).
[13] Lire l’intéressante controverse entre Pedro Pitarch et Jérôme Baschet sur « la succession des positionnements politiques » de l’EZLN versus « l’association de dimensions multiples selon des équilibres variables » (Problèmes d’Amérique latine, 2006).
[14] « Ces [dernières] années, nous nous sommes consolidés, et nous avons significativement amélioré nos conditions de vie. Notre niveau de vie est supérieur à celui des communautés indigènes affiliées au gouvernement en place, qui reçoivent l’aumône qu’elles gaspillent en alcool et en articles inutiles. Nos maisons s’améliorent sans abimer la nature (…). Dans nos villages, la terre qui servait auparavant à engraisser le bétail des grands propriétaires (…) produit aujourd’hui le maïs, les haricots et les légumes qui illuminent nos tables. Notre travail reçoit la double satisfaction de nous fournir le nécessaire pour vivre honnêtement et de contribuer à la croissance collective de nos communautés. Nos enfants vont à une école qui leur enseigne leur propre histoire, celle de la patrie et celle du monde, tout comme les sciences et les techniques nécessaires pour grandir sans cesser pour autant d’être indigène. Les femmes indigènes zapatistes ne sont pas vendues comme des marchandises. Les indigènes PRIistes [du Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir] fréquentent nos hôpitaux, cliniques et laboratoires, parce que dans ceux du gouvernement, il n’y a ni médicaments, ni appareils, ni docteurs et personnel qualifié. Notre culture fleurit, non pas isolée mais enrichie par le contact avec les cultures d’autres peuples du Mexique et du monde. (…) Tout cela nous l’avons acquis non seulement sans le gouvernement, la classe politique et leurs moyens, mais aussi en résistant à leurs attaques de tout type. » (www.enlacezapatista.ezln.org.mx, communiqué du 30 décembre 2012).
[15] Les cinq Caracoles, sièges des cinq « Conseils de bon gouvernement » (Juntas de Buen Gobierno) qui administrent les vingt-sept municipalités autonomes rebelles (MAREZ) et donc les centaines de communautés locales zapatistes, sont La Realidad, Morelia, La Garrucha, Roberto Barrios et Oventik.