Lamine Moïse Bangoura, 27 ans, a été tué lors d’une visite domiciliaire à Roulers, par 8 policiers, le 7 mai 2018.
Le 26 juin 2020, la chambre de conseil de Courtrai prononce un non-lieu à l’encontre des policiers, considérant qu’il n’y a aucune raison de les poursuivre. La famille de Lamine a fait appel de cette décision et le 10 novembre dernier, la chambre des mises en accusation de Gand a décidé qu’elle statuerait le 02 février prochain d’un éventuel renvoi des policiers devant un tribunal correctionnel.
Mehdi, 17 ans, a été tué par un véhicule de police qui l’a percuté le 20 août 2019.
Mehdi, 17 ans, a été enterré le 23 août 2019.
Le 8 octobre 2020, le parquet de Bruxelles dresse un réquisitoire de non-lieu pour absence de charges suffisantes à l’encontre du conducteur du véhicule de police banalisé roulant à une centaine de km/h, sans sirène, dans une « zone 30 » du centre-ville, quand il a percuté Mehdi.
Mawda, 2 ans, a été tuée le 17 mai 2018 d’une balle de revolver dans la tête tirée par un policier lors d’une course-poursuite se déroulant dans le cadre de la chasse aux migrants instituée par le gouvernement fédéral.
Le 24 novembre, le parquet de Mons demande un an de prison avec sursis pour le policier tireur/tueur.
Adil, 19 ans, a été tué par un véhicule de police qui l’a percuté le 10 avril 2020.
Le 26 novembre 2020, le parquet de Bruxelles annonce qu’à ses yeux, il n’y a pas lieu d’inculper les policiers.
On pourrait prolonger cette liste ad nauseam, mais en ne prenant en compte que ces dernières semaines, le racisme d’État a continué à se manifester de manière habituelle en Belgique.
Si vous voulez établir le racisme d’Etat sur son versant judiciaire il vous suffit de lire les réquisitoires des parquets dans ces cas de crimes policiers.
La même logique est à l’œuvre : dépénalisation de la violence policière par la criminalisation des victimes.
Si ces décisions nous choquent, nous répugnent et nous révoltent, elles ne nous surprennent par contre absolument pas. Une société raciste produit mécaniquement un appareil sécuritaire raciste, que ce soit dans son aspect policier ou dans son aspect judiciaire. Si la police tue régulièrement des Noirs, des Arabes ou des « migrants » depuis des décennies, c’est l’appareil judicaire qui blanchit quasi systématiquement les meurtriers.
Cette impunité policière se construit à travers la perpétuation d’une système racial : l’opposition entre certains corps marqués comme supérieurs, dignes d’intérêts, et d’autres, pas même inférieurs, mais indignes. C’est cette opposition que trace Frantz Fanon entre « zone de l’être » et « zone de non-être ».
Dans la zone de l’être, les sujets, racialisés en tant que sujets supérieurs, ne vivent pas l’oppression raciale mais vivent du privilège racial. Dans la zone de non-être, les sujets sont racialisés au mieux comme subalternes ; ils vivent au jour le jour l’oppression raciale et non le privilège racial.
Ces quelques tragiques exemples et les nombreuses autres affaires de violence policière qui ont été médiatisées ne sont que la pointe de l’iceberg du racisme et des violences institutionnelles que les Noirs, les Arabes et les « migrants » doivent subir dans ce pays.
Mais, nous dira-t-on, Josef Chovanec était blanc et lui aussi est mort dans les mains de la police belge ; ça peut donc arriver à tout le monde d’être victime de « dysfonctionnements ». C’est vrai qu’il était blanc et c’est vrai qu’il est malheureusement aussi mort dans les mains d’une police ; une police qui, au demeurant, semble avoir trouvé un renfort énergisant dans l’exécution du salut nazi.
Deux éléments doivent être relevé. Primo, du côté policier, ce cas ne permet pas d’oublier que les blancs sont beaucoup plus rarement victimes de violences policières puis de meurtres policiers que les Noirs, les Arabes ou les « migrants ». C’est indéniable. Secundo, des points de vue médiatique, puis politique et sans doute judiciaire, l’on ne peut que constater une grande différence dans les réactions que peut provoquer la révélation de la mort d’un blanc entre les mains de la police avec celles que peut provoquer la mort d’un non-blanc. C’est cette différence qui porte le nom d’impunité.
Dans le cas de Josef Chovanec, nous avons entendu les réactions de la Première Ministre, du Parlement. Des policiers ont été convoqués et entendus, des hauts gradés ont « fait un pas de côté », l’ancien ministre de la sécurité a été sommé de s’expliquer plusieurs fois, l’Ambassadeur de Slovaquie a été reçu, la veuve de M. Chovanec a pu s’exprimer dans les médias belges depuis la Slovaquie, etc.
Autour du meurtre de Mawda, malgré l’excellent et indispensable travail journalistique mené depuis plus de deux ans par Michel Bouffioux, nous avons une réaction journalistique d’une lenteur ahurissante, des policiers et des procureurs qui mentent, des parlementaires et ministres responsables de la mise en place de la chasse aux « migrants » absents des débats, si bien que seul l’auteur du tir se retrouve sur le banc des accusés d’un procès où, nous l’avons dit, le parquet requiert un an de prison avec sursis. A la place de ces responsables, un chauffeur et un dit « passeur », deux Irakiens sans titre de séjour, qui, bien que n’ayant pas tiré, bien qu’eux-mêmes pourchassés, se voient menacés de 7 et 10 ans de prison ferme.
On ne peut donc pas parler décemment de violences policières sans parler du racisme qui les structure et les blanchit. Nous le savons déjà depuis de trop nombreuses années, nous n’avons plus besoin d’objectiver qu’en amont des meurtres policiers, les hommes Arabes ou Noirs ont 20 fois plus de risques de se faire contrôler, tutoyer, insulter, brutaliser par la police que le reste de la population. Nous savons aussi déjà trop bien que les Noirs, Arabes, « migrants », sont surreprésentés dans la funeste liste des personnes mortes entre les mains de la police.
Le meurtre social généralisé et l’élimination physique régulière de Noirs, d’Arabes et de « migrants » doit cesser immédiatement !
Dans ce contexte mortifère, que des jeunes, comme à Anderlecht, osent manifester publiquement et protestent avec vigueur contre une décision judiciaire inique, est chose rassurante dans un Etat qui se prétend démocratique. Ces manifestations sont même l’un des rares signes d’espoir face à l’insulte permanente qui est faite aux victimes, à leurs familles, à leurs proches, à leurs voisins et à leurs communautés.
Au vu des violences policières et des décisions judiciaires qui s’ensuivent, l’on ne peut que constater que ce que scelle l’appareil sécuritaire, c’est l’établissement d’un ordre racial qui sévit dans ce pays. Il est donc sain que des gens s’expriment contre toute nouvelle décision visant à maintenir et renforcer cet ordre. Même si cela inquiète, au nom de l’ordre public, « nos » responsables politiques soi-disant férus de Droits de l’Homme, mais manifestement pas de justice raciale.
Nous exigeons de ceux et celles qui disent nous représenter, parlementaires votant les lois, qu’ils et elles travaillent à la mise en place de contre-politiques policières et judiciaires capables de garantir le respect des droits et de la dignité de toutes celles et ceux, êtres humains, qui vivent dans ce pays, en particulier de celles et ceux qui victimes de ce système racial entrent en interaction avec l’appareil sécuritaire et répressif.
Nous voulons en finir avec l’impunité des crimes policiers. Par tous les moyens nécessaires.
Nous voulons abolir les politiques racistes et meurtrières des frontières de l’UE. Par tous les moyens nécessaires.
Nous voulons l’éradication de cet ordre racial. Par tous les moyens nécessaires.
Nous exigeons Respect et Dignité pour les victimes de violences et de crimes policiers.
Nous exigeons le démantèlement des opérations Medusa et des « chasses à l’homme » comme mesure prioritaire pour instaurer des voies sûres de migration.
Nous exigeons une commission d’enquête parlementaire afin d’établir les responsabilités politiques dans la mort de Mawda.
Nous exigeons des procès publics pour Adil, Mehdi, Lamine et toutes les victimes de crimes policiers.
Nordine Saidi et Mouhad Reghif pour Bruxelles Panthères