MUMIA … 2020 l’année de sa libération ?

Du 3 au 10 décembre 2019, une délégation française s’est rendue à New York puis à Philadelphie. Elle était composée de Claude Guillaumaud-Pujol et Jacky Hortaut, co-animateurs du Collectif Libérons Mumia, et de Christine Tournadre, réalisatrice de documentaires venue en repérage accompagnée de sa collaboratrice Marianne Rossi. Ces dernières ont le projet de faire un film sur Mumia Abu-Jamal et la mobilisation qui le soutient bien au-delà des frontières américaines depuis plus de trois décennies.

De nombreux rendez-vous ont eu lieu avec les avocats de Mumia, ses soutiens américains, des personnalités et des journalistes. Un événement dédié à Mumia était organisé le 7 décembre à Philadelphie, avec de nombreux participants à l’occasion du 38ème anniversaire de son arrestation et pour célébrer la publication de son dernier livre, Murder Incorporated … Voir les photos illustrant ce séjour en cliquant sur ce lien : https://bit.ly/2Md7Hlg

Tous les témoignages recueillis auprès des avocats et autres personnalités durant ce séjour sont unanimes : leur soutien actif à Mumia a commencé dès leur première rencontre avec lui. Tous disent à quel point ils ont été impressionnés par son charisme, son empathie avec les autres prisonniers et ses visiteurs, sa réticence à parler de lui-même, hormis pour les questions juridiques, et son extrême rage de vivre malgré toutes ces années d’emprisonnement, la maladie et le refus de la justice de lui faire droit à la défendre son innocence.

Durant les deux heures de visite que nous lui avons rendue à la prison de Frackville, c’est un homme toujours aussi déterminé que nous avons rencontré. Sa santé va mieux nous a-t-il dit, notamment après l’opération de la cataracte mais il attend toujours d’être opéré du deuxième œil. Il peut désormais lire et écrire mais on le sent fatigué. Il parle de sa possible libération, de sa famille qu’il veut rejoindre au plus vite, du formidable travail de son équipe de défense et de ses soutiens sans lesquels aucun avenir n’aurait été envisageable.

Sa situation juridique reste extrêmement complexe et soumise aux aléas de la politique locale voire nationale puisque le responsable du syndicat FOP (Fraternal Order of Police) de Philadelphie a récemment sollicité l’intervention de Trump. La guerre sans merci entre la police locale et le procureur progressiste Krasner illustre cette tension de tous les jours. L’objectif du FOP est d’obtenir que le procureur de Philadelphie soit dessaisi du dossier au profit du procureur de l’Etat de Pennsylvanie, conservateur élu avec le soutien de la police. Ce dernier a d’ores et déjà recruté les policiers de Philadelphie destitués pour corruption par Krasner en les intégrant à  son cabinet. A retenir  toutefois, que les procédures judiciaires de ces derniers mois engagées par le FOP pour contester la décision de Krasner de ne pas s’opposer au droit d’appel de Mumia ont toutes été rejetées.

Lors de notre séjour, nous avons aussi rencontré un journaliste témoin de la découverte des boîtes d’archives contenant des éléments du procès non communiqués à la défense. Nous avons eu confirmation que le juge Tucker, actuellement en charge du dossier de Mumia, est un juge expérimenté et intègre dont Mumia salue le courage. Néanmoins aucun de nos interlocuteurs ne se risque à faire de pronostic quant à l’avancée du dossier, et ce malgré le droit d’appel obtenu par Mumia en décembre 2018. Peut-être une négociation entre les deux parties pour que ne soit pas révélée, lors d’un procès, l’étendue de la corruption policière et la complicité de la justice, négociation qui pourrait conduire à la libération de Mumia, comme ce fut le cas encore récemment pour d’autres cas ? Ou des nouveaux appels sans fin entre la défense et l’accusation, et des années de procédure ? Tout est possible, mais rien n’est certain.

En fin de séjour, nous avons rencontré tous les membres de Move libérés après 40 ans d’incarcération : Debbie et son mari Mike, Janine, Janet et Eddie. Tous si reconnaissants de notre fidèle soutien qui fut décisif pour leur libération. Restent encore en prison Delbert et Chuck tous les deux atteints d’un cancer à un stade avancé. Seule Debbie, la première libérée en juin 2018, est assujettie à des mesures restrictives : outre un boîtier électronique fixé à la cheville durant une période de six mois après sa libération, tout contact lui est encore interdit avec ses compagnes de prison (Janine et Janet), interdiction également de quitter sa résidence sans permission du juge. Elle a appris récemment que c’est parce qu’elle a scrupuleusement respecté toutes les clauses imposées que les autres membres de Move ont ensuite étaient libérés. Quelle responsabilité pour Debbie, et ce à son insu ! Quelle perversité de la part du juge de l’application des peines ! On ne croyait plus à la libération des Move, même si on ne l’écrivait pas. C’est arrivé ! Et quel bonheur de les voir enfin vivre en famille. Pour en savoir plus sur leur histoire : http://www.move-thestory.com/accueil.html

Au terme de toutes ces rencontres, nous pensons que la libération de Mumia est incontournable. Comment et quand ? On ne saurait dire, alors que le mémoire de ses avocats (voir la pièce jointe) déposé conformément au droit d’appel que lui a donné le juge Tucker relève des montagnes de preuves et d’irrégularités mettant en cause les magistrats de Pennsylvanie. La libération de Mumia est un enjeu crucial pour lui et sa famille d’abord mais aussi pour la mise en place d’une justice plus équitable dans une ville où le syndicat FOP mène une bataille impitoyable contre Krasner, le premier procureur à combattre courageusement une police corrompue et raciste.

Le soutien de chacun et chacune reste indispensable à la victoire de la justice et à la libération de Mumia Abu-Jamal, tout comme l’aide financière que nous devons lui apporter pour se défendre (bulletin de souscription en pièce jointe).

Pour se défendre, Mumia a toujours besoin de votre soutien financier

Depuis 38 ans, les actions judiciaires en défense ont coûté plus d’un million de dollars, intégralement financées par des dons. Si le combat pour sa libération ne doit pas connaître de répit, il en va de même pour sa défense judiciaire sans laquelle l’espoir de sortir de l’enfer carcéral et de rejoindre sa famille serait vain … Nous renouvellons donc notre appel à dons :

> soit par chèque à l’ordre de « MRAP solidarité MUMIA » à faire parvenir à : MRAP solidarité MUMIA – 43 Bd de Magenta / 75010 Paris

> soit par carte bancaire via le site internet sécurisé en cliquant sur ce lien : https://www.helloasso.com/associations/mrap/formulaires/3/widget

Vous n’avez ni l’obligation d’ouvrir un compte, ni d’abonder votre don pour couvrir les frais de gestion du collecteur. Vous devez cependant remplir le questionnaire en toute confiance pour vous identifier et nous vous délivrerons en retour une attestation vous permettant de bénéficier d’une réduction fiscale.

MERCI à ceux d’entre vous qui ont déjà répondu à cet appel.

 

Mémoire déposé le 3 septembre 2019 (*)
par la défense de Mumia Abu-Jamal
devant la justice de Pennsylvanie

Vous trouverez ci-après une synthèse de l’Appel rétroactif accordé comme réponse aux demandes de réexamen de la condamnation prononcée par le Tribunal de première instance du Comté de Philadelphie.
Un grand merci à Gérard COUCHOUD, fidèle soutien à Mumia, qui a réalisé ce document à partir du mémoire original en anglais comportant plus de 200 pages.

Cette synthèse se présente comme une somme énumérative et cumulative de tous les arguments pouvant être mobilisés pour démontrer à quel point Mumia Abu-Jamal a été, concernant six points essentiels sur lesquels ses auteur.e.s et défenseur.e.s ont choisi de se concentrer, non seulement privé d’un procès équitable par l’État de Pennsylvanie suite au meurtre du policier Faulkner dont il fut accusé, mais s’est de surcroît vu systématiquement refuser tout réexamen de celui-ci au fil des trente dernières années, en dépit de l’accumulation de preuves de dissimulation de faits ou documents essentiels, de révélations successives de manquements graves aux règles de la justice et de l’état de droit pourtant garanties à tout.e citoyen.ne américain.e et du non-respect de la jurisprudence établie de plus ou moins longue date tant au plan de l’État de Pennsylvanie que de l’État fédéral, et notamment de sa Cour Suprême.

Tout en rappelant que la focalisation sur ces six points ne saurait faire oublier l’existence et la réalité de tous les autres, les auteur.e.s s’attachent à ce qu’il y a de plus patent pour démontrer quasiment ad nauseam l’étendue de l’injustice ayant prévalu tout au long du procès de Mumia et l’invraisemblable degré de violation de ses droits pendant et depuis ce dernier. La lecture de cet appel réserve, même aux personnes ayant une connaissance avertie du dossier et de l’ «Affaire» Mumia en général, une prise de conscience toujours plus précise et imparable des turpitudes de la justice américaine, tant l’argumentation est exhaustive et propre à convaincre.

A – Le document commence par rappeler qu’en date du 27.12.2018, le juge Tucker a en partie accédé aux demandes de la cinquième demande de révision de Mumia au motif du préjudice légal subi et, de ce fait, restauré ses droits d’appel à titre rétroactif pour ses quatre précédentes demandes. D’où la notification d’appel déposée dans le délai réglementaire de trente jours le 25.01.2019 par Mumia ayant conduit à l’élaboration du présent document en vue de l’examen à venir de cet appel par la justice de Pennsylvanie. Y sont donc reprises les demandes portées par Mumia dans ses première et troisième demandes de révision rejetées respectivement en date du 15.09.1995 et du 27.05.2005 par les décisions des juges Sabo et Dembe jointes en annexe B et C. (La décision du juge Tucker réintégrant Mumia dans ses droits le 27.12.2018 figurant, elle, en annexe A).

Il va donc s’agir de démontrer que, sur six points, les droits de Mumia ont été incontestablement bafoués et que la justice de Pennsylvanie a donc eu tort de nier à Mumia la validité de ses précédentes demandes de révision, aujourd’hui ré-ouvertes à examen par la décision du juge Tucker.

À savoir :

(*) Maître Judith RITTER, avocate de Mumia, nous a autorisés à diffuser sans restriction ce mémoire.

1/ Que l’avocat général chargé du bon déroulement du procès de 1982 a failli à sa responsabilité de garantir le droit de Mumia de procéder à un contre interrogatoire du témoin-clé de l’accusation eu égard au fait que ce dernier était judiciairement à l’épreuve suite à de graves accusations à son encontre, situation qui ne pouvait que le conduire à aller dans le sens de ce que l’accusation attendait de lui.

2/ Que l’accusation a, au mépris du droit constitutionnel, fait disparaître les éléments de preuve qui attestaient qu’une entente existait entre elle-même et ce témoin-clé pour aider ce dernier à recouvrer le permis de conduire qui lui avait été retiré.

3/ Que la chambre basse de la Cour d’appel de Pennsylvanie avait commis une faute en rejetant l’appel et la demande d’audience formulé.e.s par Mumia suite à la découverte récente (en 1995) qu’une personne avérée être témoin oculaire du meurtre de Faulkner avait été contrainte par la police de produire un faux-témoignage au procès de 1982.

4/ Que l’avocat général n’avait pas apporté l’aide qu’il était censé offrir en ne recherchant pas l’avis d’experts en ballistique ou en médecine légale et en n’en produisant aucun à la barre, rendant de facto impossible d’obtenir du tribunal en 1982 qu’il accorde les financements requis pour faire les expertises qui s’imposaient en ces domaines.

5/ Que Mumia n’est pas parvenu à faire reconnaître la situation de discrimination de prime abord qui résultait des rejets systématiques des juré.e.s pressenti.e.s par le procureur, alors que tout dans la façon de procéder de ce dernier dans ce domaine, dans une de ses remarques à ce sujet au cours du procès, dans la dimension éminemment raciale inhérente à l’affaire et dans les pratiques de discrimination dans la sélection des juré.e.s ayant de longue date caractérisé l’administration de la justice en Pennsylvanie, tout permettait de conclure à une telle situation de discrimination.

6/ Que le Tribunal de première instance de Philadelphie a commis une erreur en bloquant le témoignage d’un des jurés quant à des vices de comportement et de procédure au sein du jury avant les délibérations de ce dernier.

B – Un rappel historique est ensuite opéré relatif à la procédure de l’affaire. Lors de son procès en juin 1982, Mumia fut reconnu coupable de meurtre du premier degré et condamné à mort. Son appel direct à la Cour Suprême de Pennsylvanie fut rejeté en 1990. Une première requête en révision fut déposée le 05.06.1995 et transmise au juge Sabo qui la rejeta le 15.09.1995. Mumia fit appel de la décision auprès de la Cour Suprême de Pennsylvanie et demanda parallèlement que le juge Castille, qui y siégeait alors, se récuse pour cause de l’évident conflit d’intérêt résultant du fait qu’il était l’adjoint du procureur du comté de Philadelphie lors du procès de 1982, puis lui-même procureur élu lorsque l’appel de Mumia fut examiné avant d’être rejeté à la fin des années 80. Cette demande fut
évacuée en 1998 par Castille au motif que le cas de Mumia n’était «que l’un des centaines de milliers» de cas comparables qu’il avait eu à traiter lors de sa mandature. Le même jour, la Cour Suprême de Pennsylvanie rejetait sa première requête en révision.

Une seconde requête fut rejetée le 11.12.2001. Mumia en interjeta appel auprès de la Cour Suprême de l’État, demandant une nouvelle fois à Castille de se désister. Ce que ce dernier refusa le 08.10.2003, l’appel de Mumia étant rejeté en 2004. En 2008, une troisième requête en révision fut rejetée par la Cour avant que la quatrième le soit également en 2012. Dans l’intervalle, une Cour d’appel fédérale avait en partie accédé à la demande d’habeas corpus de Mumia et, le 18.12.2001, déclaré contraire à la Constitution sa condamnation à mort, eu égard à la jurisprudence découlant de l’arrêt Mills v. Maryland datant de 1988. Mais elle refusait de revenir sur sa reconnaissance de culpabilité dans le meurtre de Faulkner. Après une longue bataille judiciaire d’appels et contre-appels entre les diverses cours de justice et l’État de Pennsylvanie, le procureur du comté de Philadelphie annula la condamnation à mort de Mumia le 07.12.2011 et le Tribunal de première instance commua sa sentence in absentia en emprisonnement à vie le 14.08.2012. Mumia contesta la procédure le 23.08.2012, estimant qu’il aurait dû être présent à l’audience ayant prononcé cette nouvelle condamnation, mais son appel fut rejeté le 1 er octobre de la même année.

Le 27.12.2018, le juge Tucker reconnut donc le bien-fondé de sa cinquième demande de révision et la validité de ses droits d’appel relativement aux quatre précédentes eu égard au parti-pris lié à la présence du juge Castille lorsque ces derniers furent rejetés. Le juge Tucker se fonde notamment sur une lettre – dont l’existence fut récemment découverte – adressée au Gouverneur de Pennsylvanie lorsque ce dernier était procureur à Philadelphie et démontrant que Castille faisait preuve de positions tellement arrêtées lorsqu’il avait affaire à un procès où la peine de mort était requise contre le meurtrier d’un policier qu’il se trouvait de facto disqualifié. L’État de Pennsylvanie contesta la décision du juge Tucker en déposant appel, mais ce dernier réaffirma sa position en date du 26.03.2019 avec de nouvelles preuves à l’appui, demandant ensuite aux deux parties si elles avaient des objections à ce que les cinq appels de Mumia soient transmis à la Cour Suprême de Pennsylvanie. Mumia répondit bien évidemment par la négative, tandis que l’État de Pennsylvanie décidait finalement de retirer son appel initial et de laisser justice suivre son cours. En conséquence de quoi, en date du 23.04.2019, le Tribunal arrêta que la décision du transfert des appels de Mumia à la Cour Suprême de Pennsylvanie serait prise en dernier recours par une commission juridique qui aurait à entendre le présent appel rédigé par l’actuelle défense de Mumia.

C – Celle-ci procède alors à un récapitulatif des faits pertinents de l’ «Affaire» Mumia par rapport aux six angles d’attaque, mentionnés plus haut, qu’elle a retenus pour le contenu de ce nouvel appel. Pour le procès de Mumia qui commença le 1 er juin 1982, le procureur avait exercé 15 fois son droit à réfuter les juré.e.s sélectionné.e.s, dont 10 fois pour récuser des juré.e.s noir.e.s. Sur les 24 retenu.e.s in fine, seul.e.s 4 étaient noir.e.s. et 3 furent installé.e.s car l’une d’entre elles avait refusé de respecter les règles d’astreinte imposées par la loi. Dans un échange avec la Cour à propos de cette jurée, le procureur avait affirmé qu’il l’avait acceptée car «elle ne pouvait pas sentir Jamal»… et peu après d’affirmer «je souhaitais avoir dans le jury autant de Noir.e.s que possible dont je puisse avoir l’impression qu’ils ou elles fussent objectif.ve.s». En appel, les procès-verbaux ne firent aucunement état de la race des juré.e.s rejeté.e.s par le procureur et la Cour Suprême de Pennsylvanie considéra que Mumia n’avait pas fait la preuve de discrimination de prime abord au sens de l’arrêt Batson v. Kentucky. Position maintenue lors de l’examen de la première requête en révision de Mumia en 1995, en dépit des nouvelles preuves fournies par sa défense.

Lors du procès de 1982, l’accusation présenta deux témoins oculaires avéré.e.s du meurtre de Faulkner, Robert Chobert et Cynthia White, qui soutenaient avoir vu Mumia tirer sur Faulkner. Le profil de C. White dans ce rôle était néanmoins handicapé par ses 35 condamnations antérieures par la justice, ses 4 à 5 affaires en attente de jugement au moment du procès et ses témoignages contradictoires tout au long de l’enquête. En outre, un témoin présent sur les lieux du crime, Mark Scanlan, avait certifié ne pas l’y avoir vue. Le procureur avait même dû admettre que C. White «n’était pas toujours très claire dans ses explications». En revanche, le procureur avait présenté R. Chobert comme un témoin de la plus grande crédibilité. Mais ce que le jury ignorait, c’est R. Chobert était alors mis à l’épreuve par l’État de Pennsylvanie après avoir été déclaré coupable d’un crime consistant à avoir jeté un engin explosif contre une école… Lorsque l’avocat de Mumia procéda au contre-interrogatoire de R. Chobert sur ce point, il argua de manière incorrecte du fait que son témoignage était entaché de faux, mais ne saisit pas l’occasion d’argumenter sur le fait que son statut de mis à l’épreuve par la justice était de nature à susciter de sa part un parti-pris potentiel au sens où la Cour Suprême l’avait statué dans son arrêt de 1974, Davis v. Alaska.

Lors d’une audience tenue en 1995 dans le cadre de l’examen de la première requête en révision de Mumia, R. Chobert témoigna qu’il avait en 1982 sollicité l’aide du procureur principal Joseph McGill pour récupérer son permis de conduire qui avait été suspendu et que McGill lui avait répondu qu’il allait se pencher sur la question. Puis d’ajouter que la récupération de ce permis était très importante pour lui, puisqu’il gagnait sa vie en tant que chauffeur de bus et
de taxi. Les échanges autour de ce permis ne furent jamais révélés par l’accusation.

Il n’y eut aucune preuve d’apportée au procès de 1982 reliant le fragment de balle retrouvé dans le corps de Faulkner au pistolet de Mumia de calibre 35mm, pour lequel il possédait le port d’arme requis et qui fut retrouvé sur la scène du crime. Le médecin-légiste qui récupéra le fragment dans le corps du policier avait indiqué qu’il s’agissait d’un calibre 44mm. L’avocat général ne souleva pas cette contradiction lors du procès. Des tests auraient pu être diligentés par la police scientifique pour déterminer si le pistolet de Mumia avait été utilisé, mais aucune trace de tels tests ne figurait où que ce soit. L’avocat de Mumia n’évoqua pas cette omission ni ne convoqua d’expert en ballistique pour témoigner sur ce point.

Mumia fut retrouvé gravement blessé par balle près du policier Faulkner sur la scène du meurtre.
L’accusation a soutenu que la balle retrouvée dans le corps de Mumia venait forcément du pistolet de service du policier Faulkner. Lors du procès, le médecin urgentiste qui avait soigné Mumia a témoigné que cette balle avait suivi une trajectoire allant de haut en bas, mais que cela pouvait avoir été le résultat d’un effet de ricochet ou de torsion au sein du corps de Mumia. À l’audience de 1995, un spécialiste de médecine légale affirma que de telles explications ne tenaient pas la route et que la seule manière de rendre compte d’une trajectoire allant de haut en bas était que la balle ait été tirée par un assaillant positionné au-dessus de Mumia. Ce qui rendait totalement infondée l’argumentation de l’accusation qui prétendait que cette balle avait été tirée par Faulkner dans sa chute.

La demande de révision déposée par Mumia en 2003 faisait, entre autres, valoir que C. White, décédée en 1992, avait confessé à une co-détenue, Yvette Williams, avant le procès de 1982, qu’elle allait faire de faux témoignages contre Mumia eu égard à la pression et aux menaces dont elle faisait l’objet de la part de la police de Philadelphie. La déclaration sous serment d’Y. Williams était jointe à la requête en révision de Mumia, mais il n’en fut pas tenu compte.

Dans sa requête de 1995, Mumia fit valoir que l’un.e des membres du jury avait informé son avocat que trois autres jurés, incluant celui qui avait été choisi comme rapporteur de ce jury, se réunissaient la nuit dans la chambre d’hôtel de ce dernier pour débattre des témoignages présentés dans la journée et que si l’un d’entre eux ne partageait pas l’appréciation des deux autres, il devait se soumettre et se rallier à l’avis des deux autres. Le tribunal refusa de donner suite aux demandes de Mumia que ce juré, ainsi que le rapporteur du jury, soient cités à comparaître pour s’en expliquer.

D – La défense de Mumia annonce alors les grandes lignes qui vont être développées dans la suite, à savoir le cœur de cet appel. Pour que Mumia soit reconnu coupable de meurtre au premier degré, l’accusation dut convaincre le jury au-delà de tout doute raisonnable qu’il avait commis un meurtre de son plein gré, c’est-à-dire un crime intentionnel, délibéré et prémédité. Elle produisit pour ce faire deux témoins oculaires avéré.e.s, R. Chobert et C. White.
Le jury savait bien que cette dernière, avec ses 35 condamnations antérieures, les accusations en cours dont elle avait à répondre, ses multiples témoignages contradictoires sur ce qu’elle avait vu le soir de l’assassinat du policier Faulkner et son incapacité à répondre de façon cohérente aux questions posées par la défense de Mumia sur ses escroqueries antérieures, n’était pas crédible. L’ensemble des arguments de l’accusation reposaient donc sur le témoignage de R.
Chobert, mais le jury ne disposa d’aucun recul critique pour valider sa crédibilité. L’avocat général aurait dû faire valoir qu’au moment de sa déposition R. Chobert était judiciairement à l’épreuve pour avoir jeté un explosif contre une école.
Comme la Cour Suprême des États-Unis l’avait reconnu dans Davis v. Alaska, un tel statut de mise à l’épreuve était de nature à fortement remettre en cause l’objectivité du témoin et à le faire pencher en faveur de l’accusation et un procès est fondamentalement injuste si le jury est maintenu dans l’ignorance de tels faits à propos d’un témoin-clé. R.
Chobert avait une deuxième raison objective de vouloir satisfaire aux attentes de l’accusation, à savoir le fait que le procureur principal s’était engagé à l’aider à recouvrer son permis de conduire suspendu.

La chambre basse rejeta indûment la demande d’audience formulée par Mumia en 2003 et sa requête en révision qui contenait les nouvelles preuves de la confession de C. White à Y. Williams où la première reconnaissait explicitement qu’elle n’avait pas vu Mumia tirer sur Faulkner, mais qu’elle avait témoigné de la sorte à cause des pressions et menaces exercées sur elle par la police. L’État de Pennsylvanie ne fit jamais état de ces dernières. Par crainte de la police, Y. Williams, elle aussi autrefois incarcérée, ne s’était pas manifestée plus tôt qu’elle ne le fit et Mumia ne pouvait aucunement être en possession de ces informations avant de les produire comme il le fit dans sa demande de révision de 2003. Des preuves aussi incontestables d’intimidation et subornation de témoin n’auraient pas dû être écartées sans une nouvelle audience en bonne et due forme.

L’avocat général fut par ailleurs défaillant au regard de l’arrêt Strickland v. Washington de la Cour Suprême des États-Unis en ce qu’il ne prit pas la peine de contester les éléments ballistiques et médico-légaux avancés par les témoins. En dépit du fait qu’il n’y avait aucun élément prouvant que Mumia s’était servi de son pistolet de calibre 35mm ce soir-là, son avocat ne mentionna même pas que le médecin des urgences qui avait retiré le fragment de balle du
corps de Faulkner avait constaté et consigné qu’il s’agissait d’un calibre 44mm. Faute d’avoir demandé et donc obtenu l’assistance d’un expert en ballistique, il ne put faire acter que les tests de base visant à déterminer si le pistolet de Mumia avait été utilisé n’avaient pas été effectués. La non consultation par cet avocat d’un médecin légiste se traduisit par son incapacité à démontrer que les témoignages relatifs à la trajectoire de la balle qui blessa Mumia étaient en totale incohérence avec la théorie mise en avant par l’accusation et retenue par l’État de Pennsylvanie. Il est hautement probable que de telles déficiences aient en elles-mêmes et par accumulation affecté l’issue du procès.

Lors de la sélection du jury, le procureur a usé de l’essentiel de sa liberté de choix pour exclure des juré.e.s noir.e.s, largement plus qu’il ne le fit vis-à-vis des autres catégories ethniques. La manière dont il procéda pour une affaire à la dimension si éminemment raciale (suspect noir meurtrier d’un policier blanc), sa déclaration selon laquelle il partait du principe que des juré.e.s noir.e.s feraient preuve de partialité en faveur de Mumia, les comparaisons au cas par cas entre les juré.e.s noir.e.s potentiel.le.s qu’il récusa et ceux et celles non noir.e.s qu’il accepta, ainsi que la tradition prévalant de longue date chez les procureurs de Philadelphie d’exclure des jurys la plupart des personnes de couleur, tous ces éléments militent clairement pour conclure à la discrimination. Aussi, Mumia était bel et bien parvenu à prouver l’existence d’une situation de discrimination de prime abord au sens de Batson v. Kentucky et la chambre basse eut donc tort de ne pas retenir cette conclusion.

Enfin, le Tribunal eut également tort d’empêcher Mumia de faire citer à la barre un certain nombre de juré.e.s pour étayer les affirmations selon lesquelles trois jurés blancs avaient fait bande à part et se réunissaient chaque soir pour discuter des témoignages de la journée écoulée. La loi américaine prévoit certes que le contenu des délibérations des jurys ne puisse être rendu public ultérieurement, mais n’interdit aucunement aux juré.e.s de s’exprimer à tout moment sur ce qui s’est passé ou échangé avant ces délibérations.

E – Le document procède ensuite pour chacun des six points soulevés à une argumentation sur le fond qui n’apporte souvent rien de plus au plan factuel que ce qui a déjà été évoqué en A et en B de cette synthèse ou pré-ciblé et annoncé en C et en D, mais qui relie chaque aspect à des pratiques juridiques et jurisprudentielles appliquées dans d’autres affaires ayant mis en évidence des situations similaires ou apparentées et creuse les évidents manquements de la justice de Pennsylvanie dans l’affaire Mumia à l’aune des arrêts rendus par la Cour Suprême de cet état ou d’autres états américains et, bien évidemment et surtout, par la Cour Suprême fédérale chaque fois que ces dernières ont été, préalablement ou depuis, amenées à statuer sur des cas voisins et des problématiques comparables. Chaque détail donne lieu à des analyses minutieuses et à des mises en relation multiples qui dressent un portrait accablant du traitement résolument à charge, voire franchement hostile, qui fut réservé à Mumia et des incohérences répétées, parfois même de l’inanité, des (non) réponses mises en avant pour justifier le rejet de ses recours successifs.

E 1 – Sur le premier point (cf. supra), Judith Ritter et Samuel Spital, la présente avocate et le présent avocat de Mumia, démontrent que le fait de ne pas avoir utilisé l’arrêt Davis v. Alaska de 1974 pour dénoncer la non-fiabilité du témoin-clé R. Chobert, compte tenu que sa situation personnelle ne pouvait que conduire à douter de l’impartialité de ses dires, a amené le jury à ne jamais relativiser la présentation de témoin solide, sans la moindre raison de ne pas énoncer la vérité, qui fut faite de lui par le juge Sabo et répétée à l’envi par le procureur McGill et en concluent que la situation de Mumia qui en a résulté peut être assimilée à une carence majeure d’assistance juridique.

Elle et il décortiquent le contenu de Davis v. Alaska pour montrer que son utilisation dans le cas de Mumia était bien pertinente. Dans cet arrêt, la Cour Suprême va même jusqu’à affirmer que c’est le Sixième Amendement de la Constitution américaine (et sa clause dite de ‘confrontation’) qui donnent aux accusé.e.s le droit de questionner les témoins à charge autant que de besoin sur leur mise à l’épreuve éventuelle, ses causes et l’impact qu’elle est susceptible d’avoir sur leur fiabilité, y compris si, comme dans Davis v. Alaska, le témoin est un.e mineur.e, voire un.e suspect.e potentiel.le dans le cadre de l’enquête qui a précédé la mise en accusation. Un arrêt de la Cour Suprême de Pennsylvanie de 1991, Commonwealth v. Murphy, existe aussi, qui reprend des dispositions similaires.

Elle et il démontrent avec aisance que c’est bien par ignorance, et non par stratégie (ce qui eût invalidé le recours à Davis v. Alaska), que cet arrêt n’a pas été évoqué ni utilisé par le défenseur commis d’office à Mumia en 1982. Lors des audiences tenues à propos de l’examen de la première requête de Mumia en 1995, le dénommé Mr Jackson, convoqué pour témoigner à cet effet, reconnut par deux fois («avec beaucoup de candeur», note le procès-
verbal !) qu’il ignorait tout de ce fameux arrêt…

Enfin, elle et il expliquent en quoi il est probable que tout ceci ait sérieusement affecté le verdict de culpabilité prononcé à l’encontre de Mumia. Elle/Il reviennent sur la situation de C. White, multiplient les exemples d’incohérences à son sujet (les trois versions successives de sa déposition initiale recueillies sur trois jours consécutifs se contredisent sur des points majeurs: nombre de coups de feu tirés, taille des intéressés, altercation ou non entre Faulkner et le frère de Mumia, etc…), rappellent qu’elle reconnut au procès utiliser plusieurs identités et avoir donné une fausse adresse aux enquêteurs alors qu’elle savait qu’elle serait convoquée au tribunal, sans parler de ses incessantes réponses par «Je ne me souviens pas» lorsqu’elle était interrogée… Face à une telle caricature, le procureur érigea R. Chobert en parangon de vertu et de fiabilité: «… le nec plus ultra de la crédibilité… la confiance que l’on peut avoir dans une personne quand elle parle comme il le fait… je n’émettrai pas la moindre critique envers lui… Il sait ce qu’il a vu et, peu importe ce que vous dites ou ce que quiconque dira, s’il le dit c’est donc ce qu’il a vu… Pensez-vous que d’aucuns pourraient lui faire dire autre chose que la vérité ?»… L’hommage n’était-il pas un peu trop appuyé pour être sincère ?…

Du reste, J. Ritter et S. Spital ne manquent pas d’épingler le fait que, pour justifier leur rejet de la requête de Mumia en 1995, mais comme pour chercher aussi à dégonfler le rôle embarrassant donné par l’accusation à R. Chobert, le Tribunal nota que les dépositions de ce dernier relatives aux échanges de coups de feu entre Faulkner et Mumia étaient corroborées par deux autres témoins. Faux ! Les deux autres témoins affirmant avoir vu ou entendu la fusillade décrivirent tout autre chose, laissant imaginer un tout autre scénario que celui monté par l’accusation, avec un autre tireur que Mumia. Mais problème: le premier, Michael Scanlan, n’identifia pas les participants et le second, Albert McGilton, entendit plus qu’il ne vit. En revanche, ce qu’ils disent avoir vu, ou avoir trop brièvement aperçu, ou entendu, est en totale contradiction avec les versions mises en avant par R. Chobert et C. White. De tout ceci, il ressort très clairement que R. Chobert était bien le seul et unique témoin pouvant être présenté comme crédible lorsqu’il affirmait avoir vu Mumia tirer sur Faulkner. Ses affirmations s’en seraient donc trouvées d’autant plus fragilisées si Mr Jackson avait eu connaissance de Davis v. Alaska ou si d’aucuns l’en avaient informé.

J. Ritter et S. Spital évoquent un autre arrêt de la Cour Suprême de 1995, Kyles v. Whitley, qui renforce encore leur approche puisqu’il aboutit à invalider un verdict en raison de la destitution de deux témoins oculaires pour omission de preuves les concernant, alors même que deux autres témoins, non destitués, avaient eux témoigné dans le même sens. Dans le cas de Mumia, il n’y en avait qu’un autre… et c’était C. White ! Elle et il en concluent donc que même en prenant en compte les témoignages restant, une fois les dépositions de R. Chobert décrédibilisées par le recours à Davis v. Alaska et son statut d’observateur impartial démystifié, le jury aurait sans doute acquitté Mumia, ou – tout au plus – n’aurait retenu qu’un meurtre du troisième degré ou l’homicide volontaire.

Une analyse approfondie de Commonwealth v. Murphy (cf. supra) s’ensuit et montre à quel point la Cour Suprême même de Pennsylvanie avait tranché dans le même sens une situation extrêmement similaire à celle de Mumia et annulé la condamnation pour meurtre d’un accusé. Là, déjà, l’incompétence d’un avocat l’avait aussi amené à arguer de manière incorrecte du fait que les dires d’un témoin de l’accusation étaient entachés de faux au lieu de saisir l’occasion d’argumenter sur le fait que son statut de mis à l’épreuve par la justice était de nature à susciter de sa part un parti-pris potentiel. Pourquoi la même jurisprudence ne s’est-t-elle pas appliquée à Mumia ?

E 2 – Sur le second point (cf. supra), J. Ritter et S. Spital démontrent que Mumia n’a été rien moins que privé de son droit constitutionnel à un procès équitable. Les arrêts de la Cour Suprême sont dénués de toute ambiguïté en la matière, plusieurs sont évoqués et analysés (Brady v. Maryland, Giglio v. United States, United States v. Bagley, Napue v. Illinois). C’est en témoignant en août 1995 lors de l’examen de la première requête de Mumia que R. Chobert révéla pour la première fois l’engagement pris par le procureur McGill, avant ou pendant le procès initial, de l’aider à récupérer son permis suspendu. Que ce dernier ne l’ait jamais mentionné à l’accusé et au jury au procès de 1982 constitue une faute gravissime ne pouvant être jugée inintentionnelle. Et d’autant plus de nature à biaiser les témoignages de l’intéressé, et donc le verdict du jury à l’encontre de Mumia, que la récupération du précieux sésame était essentielle pour lui puisqu’il expliqua en 1995 qu’après s’être vu retirer son permis avant le procès de Mumia, il avait dû abandonner son emploi de chauffeur de bus scolaire et s’était reconverti en chauffeur de taxi… conduisant donc et transportant des passagers sans permis, dans la plus grande illégalité ! Il ajouta certes dans son audition que la récupération de son permis n’était pas la raison pour laquelle il avait témoigné au procès de Mumia mais, comme le font remarquer J. Ritter et S. Spital, ce n’était pas à lui, mais au jury d’en décider. Même en l’absence d’engagement formel de la part de McGill d’honorer sa promesse, les seuls faits que R. Chobert ait formulé semblable demande et que McGill lui dise qu’il l’examinerait constituent une base solide qui aurait induit tout jury à penser que Chobert avait intérêt à aller dans le sens de l’accusation.

Cette synthèse résume les principaux arguments de défense eu égard notamment à la jurisprudence des arrêts de la Cour Suprême des Etats-Unis qui sont pertinents dans le cas de Mumia et qui auraient dû être appliqués à son procès ou lors de l’examen de ses requêtes en révision. Tout démontre le fondement et l’ urgence juridique à lui octroyer un nouveau procès.

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