Le COMITÉ INTERGOUVERNEMENTAL DE SAUVEGARDE DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL (UNESCO) considère, d’après les éléments portés à son attention par le Bureau et le Secrétariat, que « le carnaval d’Alost » ne remplit plus les critères R.1 et R.2 d’inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, comme suit :
R.1 : Depuis son inscription, le carnaval d’Alost a, à plusieurs reprises, diffusé des messages, images et représentations qui peuvent être considérés, au sein de la communauté et en dehors, comme encourageant les stéréotypes, ridiculisant certains groupes et insultant les souvenirs d’expériences historiques douloureuses comme le génocide, l’esclavage et la ségrégation raciale. Ces comportements, intentionnels ou non, vont à l’encontre de l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus. Le carnaval d’Alost ne remplit plus le critère R.1.
R.2 : Des représentations blessantes ont été utilisées, à plusieurs reprises, pendant le carnaval d’Alost depuis son l’inscription sur la Liste représentative. L’inscription ne semble pas avoir encouragé le dialogue entre les communautés, suscitant au contraire une méfiance au sein des communautés et entre elles. Le carnaval d’Alost ne remplit plus le critère R.2.
7. Décide de retirer « le carnaval d’Alost » de la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Quatorzième session du Comité
Cette année, le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel se réunira à l’Agora Bogotá Centro de convenciones à Bogota en Colombie, du 9 au 14 décembre. Ce sera la première fois que le Comité se réunira dans la région Amérique latine et Caraïbes. Mme María Claudia Lopez Sorzano, Secrétaire à la Culture, aux Loisirs et aux Sports de la ville de Bogotá, présidera cette quatorzième session.
Pendant six jours, les vingt-quatre membres du Comité intergouvernemental feront le point sur l’évolution récente de la mise en œuvre de la Convention de 2003 et prendront d’importantes décisions concernant son application.
Par exemple, le Comité examinera des directives sur la meilleure façon de sauvegarder le patrimoine vivant dans les situations d’urgence et poursuivra sa réflexion sur les moyens d’améliorer la participation des organisations non gouvernementales à l’application de la Convention. Une mise à jour concernant la réforme du mécanisme de soumission de rapports périodiques qui doit être lancée en 2020 dans la région Amérique latine et Caraïbes est également inscrite à l’ordre du jour du Comité. En outre, les membres du Comité examineront le statut des éléments inscrits sur la Liste de sauvegarde urgente et l’utilisation de l’assistance internationale accordée aux Etats pour soutenir leurs efforts de sauvegarde du patrimoine vivant.
Comme chaque année, le Comité examinera les éléments à inscrire sur les listes de la Convention. Six éléments en vue de leur inscription sur la Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente et quarante-deux sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité seront examinés, ainsi que trois propositions de sélection sur le Registre des bonnes pratiques de sauvegarde. Trois demandes d’assistance internationale seront également soumises à l’examen du Comité.
CONVENTION POUR LA SAUVEGARDE
DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL
COMITÉ INTERGOUVERNEMENTAL DE SAUVEGARDE
DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL
Quatorzième session
Bogota, République de Colombie
9 – 14 décembre 2019
Point 12 de l’ordre du jour provisoire :
Suivi des éléments inscrits sur les Listes de la Convention
Résumé
Lors de sa réunion du 21 mars 2019, le Bureau du Comité a demandé au Secrétariat d’inscrire un point à l’ordre du jour provisoire de la présente session « visant à évoquer le cas du carnaval d’Alost dans le cadre du suivi des éléments inscrits sur les listes de la Convention, ce qui inclut la possibilité de retirer des éléments des listes de la Convention conformément au paragraphe 40 des Directives opérationnelles » (décision 14.COM 1.BUR 4). Le présent document examinera donc le cas spécifique du carnaval d’Alost. Décision requise : paragraphe 23 |
- Contexte
- Lors de sa treizième session, le Comité a pris « note du nombre croissant de cas portés à l’attention du Secrétariat concernant l’évolution de l’état d’éléments inscrits sur les listes de la Convention », a reconnu « la nécessité de réfléchir au suivi des éléments inscrits » et a décidé d’inclure cette réflexion dans le cadre d’une discussion plus générale sur le futur des mécanismes d’inscription de la Convention (décision 13.COM 9).
- Le présent document se concentre sur le cas du carnaval d’Alost (Belgique), inscrit en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (ci-après dénommée « Liste représentative »). Compte tenu de la gravité du problème soulevé dans un grand nombre de plaintes reçues (lettres et signatures sur la pétition), ainsi que du caractère récurrent de ce type de plaintes (2013, 2018, 2019), le Secrétariat a décidé de soumettre la question à l’attention du Bureau du Comité lors de sa réunion du 21 mars 2019. Le Bureau du Comité a demandé au Secrétariat d’inscrire un point à l’ordre du jour provisoire de la présente session « visant à évoquer le cas du carnaval d’Alost dans le cadre du suivi des éléments inscrits sur les listes de la Convention, ce qui inclut la possibilité de retirer des éléments des listes de la Convention conformément au paragraphe 40 des Directives opérationnelles » (décision 14.COM 1.BUR 4).
- Le cas du carnaval d’Alost
Contexte
- Sur la base d’un dossier de candidature soumis par la Belgique, « le carnaval d’Alost » a été inscrit sur la Liste représentative en 2010 (décision 5.COM 6.3). L’élément y est décrit comme suit :
« Le carnaval d’Alost, qui se déroule chaque année pendant trois jours à compter du dimanche qui précède le carême chrétien, est l’aboutissement d’une année de préparation par les habitants de cette ville située en Flandre orientale, dans le nord de la Belgique. […] Outre les participants officiels avec leurs chars dont la fabrication a été réalisée avec beaucoup de minutie, des groupes non officiels s’associent aux festivités en présentant, sur le mode de la dérision, leurs interprétations des événements locaux et internationaux de l’année écoulée. Ce rituel vieux de 600 ans, qui attire quelque 100 000 spectateurs, est l’expression d’un effort collectif de toutes les classes sociales, de même qu’un symbole de l’identité de la ville dans la région. En constante recréation par les nouvelles générations, l’atmosphère de rire collectif et d’humour légèrement subversif qui est caractéristique de ce carnaval séculaire est l’occasion de célébrer l’unité de la ville d’Alost. »
Problèmes soulevés par le public et les parties concernées
- Depuis l’inscription du carnaval d’Alost sur la Liste représentative, plus de vingt lettres et courriers électroniques, ainsi qu’une pétition en ligne recueillant plus de 19 000 signatures, ont été reçus par le Secrétariat en 2013, 2018 et 2019, comme détaillé ci-dessous :
- Édition 2013 du carnaval. En 2013, la Ligue anti-diffamation (Anti-Defamation League), une organisation basée aux États-Unis d’Amérique dont l’objectif est de « mettre fin à la diffamation du peuple juif et obtenir justice pour tous les peuples, sans distinction de religion, de couleur, d’origine nationale ou ethnique, de sexe ou d’orientation sexuelle », a envoyé une protestation écrite à l’UNESCO pour dénoncer l’utilisation « de représentations grotesques, notamment de portraits ouvertement stéréotypés des Juifs » qui évoquent la tragédie de la Shoah et parodient l’Holocauste.[1] Des figurants ont également défilé vêtus d’uniformes d’officiers nazis et portant des bonbonnes de Zyklon B sur un char rappelant les wagons nazis, dans une caricature des scènes de déportation du peuple juif. Dans un communiqué publié le 12 février 2013, la Directrice générale de l’UNESCO de l’époque a fermement condamné le « détournement du carnaval d’Alost, […] dont la liberté et l’esprit de satire ne sauraient être un prétexte aux stéréotypes antisémites ».
- Conformément aux orientations relatives au traitement de la correspondance du public ou d’autres parties concernées au sujet des candidatures (décision 7.COM 15), le Secrétariat a transmis la lettre de la Ligue anti-diffamation aux autorités belges compétentes. En réponse, le gouvernement flamand a déploré qu’un char de carnaval ait été perçu comme antisémite et a rappelé l’importance du contexte historique, social et culturel du carnaval d’Alost.[2]
- Édition 2018 du carnaval. En 2018, un individu a signalé à la municipalité d’Alost, en mettant en copie l’UNESCO et la représentation diplomatique d’Israël en Belgique, l’exhibition de symboles évoquant les régimes nazi et soviétique, y compris le drapeau utilisé par l’organisation paramilitaire nazie SS. Rappelant le précédent de 2013 mentionné ci-dessus, l’expéditeur de la lettre a regretté qu’un tel comportement se reproduise et a émis l’espoir que la mise en place d’un code de conduite pourrait prévenir les actes « irresponsables » à l’avenir. Sur son blog, le groupe qui a créé le char et utilisé ces symboles controversés a expliqué que son objectif était de tourner en dérision le parti flamand N-VA et le maire d’Alost.
- Édition 2019 du carnaval. Pendant l’édition 2019 du carnaval, qui s’est déroulée du 3 au 5 mars 2019, certains chars ont présenté des caricatures racistes et antisémites. Plus particulièrement, l’un des chars transportait deux marionnettes géantes à l’effigie de Juifs orthodoxes coiffés de chapeaux de fourrure et vêtus de costumes roses, avec papillotes et nez exagérément grands, assis sur des pièces d’or et des sacs remplis d’argent. L’un des personnages, portant un rat sur sa veste, a été représenté fumant un cigare, la main tendue vers le public. Il a été rapporté que la musique diffusée en fond sonore contenait des paroles utilisant des rimes de mots se référant à des stéréotypes juifs, tels que kluis (coffre), roze muis (souris rose) et joodse muis (souris juive). Le groupe de carnavaliers responsable de ce char a expliqué que son intention était de souligner la nécessité pour le groupe « d’économiser de l’argent » pendant ce que les carnavaliers considèrent comme « une année sabbatique ».[3] De plus, un autre groupe de carnavaliers s’est déguisé en membres du Ku Klux Klan, vêtu de robes et de capuches blanches. Ils ont été vus arborant un message faisant référence à la suprématie blanche et posant avec un politicien d’extrême droite local.[4]
- Le 6 mars 2019, l’UNESCO a publié un communiqué condamnant la nature raciste et antisémite de certaines des représentations du carnaval d’Alost en Belgique, qui vont à l’encontre des valeurs de respect et de dignité portées par l’UNESCO et sont contraires aux principes qui sous-tendent le patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Dans son dernier rapport publié le 23 octobre 2019, Unia, l’institution publique indépendante belge de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances, a confirmé que les représentations des communautés juives sont effectivement antisémites et que les autres représentations des communautés minoritaires sont également problématiques. Néanmoins, l’absence d’intention malveillante est le principal argument avancé par Unia pour expliquer pourquoi les représentations ne constituent pas, dans le cadre du carnaval, des actes criminels vis-à-vis du droit belge et européen.
- En parallèle, le Secrétariat a reçu une série de courriers au sujet du carnaval d’Alost (voir en annexe), parmi lesquels figurent huit lettres, respectivement envoyées par le Forum des organisations juives de Belgique, le Congrès juif mondial, le Grand Rabbin de Bruxelles, le Mouvement international pour la paix et la coexistence (International Movement for Peace and Coexistence – IMPAC), l’Ordre indépendant du B’nai B’rith, la Ligue belge contre l’antisémitisme, le Président du Sénat de Belgique et une membre du même parti politique que le maire d’Alost suite à sa démission d’un conseil de quartier dans la ville d’Anvers (Belgique), ainsi que treize courriers électroniques rédigés par des individus issus de différentes parties du monde. En outre, le Mouvement international pour la paix et la coexistence (IMPAC) a lancé une pétition en ligne exigeant le retrait du carnaval d’Alost des listes de la Convention. En septembre 2019, la pétition avait recueilli plus de 19 000 signatures. Ces lettres et courriers électroniques se sont tous déclarés très préoccupés par l’exhibition de symboles racistes et antisémites sur certains chars pendant l’édition 2019 du carnaval.
- Conformément aux orientations relatives au traitement des correspondances du public ou d’autres parties concernées au sujet des candidatures (décision 7.COM 15), ces lettres ont été transmises à la Délégation permanente, la Commission nationale pour l’UNESCO, les autorités dûment désignées et la personne de contact responsable de la candidature du « carnaval d’Alost ».
- La couverture médiatique de l’édition 2019 du carnaval a déclenché les réactions d’un certain nombre d’institutions internationales et régionales, telles que la Commission européenne, qui ont fait part de leur indignation quant au fait de voir de telles représentations défiler dans les rues d’Europe près de soixante-dix ans après l’Holocauste, et ont souligné qu’il revenait aux autorités belges de prendre les mesures nécessaires.[5]
- De plus, certaines des lettres reçues signalaient que des messages racistes avaient déjà été observés lors des éditions antérieures du carnaval d’Alost, avant même son inscription sur la Liste représentative :
- Édition 2005 du carnaval. Selon la lettre du Grand Rabbin de Bruxelles en date du 11 mars 2019, plusieurs participants se sont déguisés en terroristes islamistes lors de l’édition 2005 du carnaval d’Alost, ce qui à l’époque avait engendré de vives protestations de la part de la Ligue arabe.
- Édition 2009 du carnaval. La même lettre, ainsi qu’un autre courrier soumis par la Ligue belge contre l’antisémitisme, raconte que pendant l’édition 2009 du carnaval, certains participants grimés en Juifs orthodoxes sont apparus portant des nez postiches crochus et des étoiles jaunes, complétés de keffieh palestiniens ou de schtreimels (chapeaux de fourrure portés par certains Juifs orthodoxes) surmontés d’hélicoptères de combat miniatures.
Position des autorités et des communautés concernées
- Au moment de la rédaction de ce document, la Belgique n’a pas exprimé par écrit sa position en réponse à la correspondance qui lui a été transmise par le Secrétariat en 2019. Cependant, l’État partie a transmis une demande du Département flamand de la culture, de la jeunesse et des médias, visant à s’entretenir informellement avec le Secrétariat et l’Organe d’évaluation du cycle 2019, afin de permettre aux communautés d’exprimer leur point de vue. Cette réunion informelle s’est tenue le 17 septembre 2019 en présence des autorités belges, des autorités flamandes, du maire d’Alost et d’un Alderman d’Alost (en tant que représentants des communautés concernées), de trois membres de l’Organe d’évaluation du cycle 2019 et du Secrétariat. Lors de la réunion, le maire d’Alost, en tant que représentant des communautés concernées, a rappelé le contexte historique, social et culturel du carnaval et a clairement indiqué qu’il n’envisagerait pas d’imposer une quelconque forme de censure. Par ailleurs, l’UNESCO a été informée, le 21 octobre 2019, de la préparation de l’édition 2020 du carnaval d’Alost, par l’intermédiaire d’un média. Le comité organisateur aurait préparé un ensemble de rubans en tant qu’objets de collection, qui représentent une fois de plus plusieurs représentations stéréotypées de juifs ainsi que d’un musulman sous forme de caricatures. Le texte d’accompagnement se moque de l’UNESCO et réaffirme que le carnaval d’Alost doit se poursuivre dans le même esprit de satire et de moquerie. [6]
Considérations
- Les considérations fournies dans cette sous-section s’appuient sur les documents suivants :
- le dossier de candidature n° 00402 soumis par la Belgique en 2009 en vue d’inscrire « le carnaval d’Alost » sur la Liste représentative et la décision 5.COM 6.3 du Comité qui en a résulté en 2010,
- le rapport périodique sur la mise en œuvre de la Convention au niveau national soumis par la Belgique en 2012,
- les lettres du public et autres parties concernées reçues par le Secrétariat en 2013, 2018 et 2019 au sujet du carnaval d’Alost,
- les lettres des autorités belges pertinentes reçues par le Secrétariat en 2013 et en 2019, en réponse au transfert des correspondances reçues par le Secrétariat, conformément aux orientations concernant le traitement de la correspondances du public ou d’autres parties concernées au sujet des candidatures (2013) et pour demander une réunion informelle (2019),
- la réunion du Bureau du Comité qui s’est tenue le 21 mars 2019 au Siège de l’UNESCO,
- la réunion informelle entre les autorités belges, les autorités flamandes, les représentants des communautés concernées, des membres de l’Organe d’évaluation et le Secrétariat, qui s’est tenue le 17 septembre 2019 au Siège de l’UNESCO,
- le rapport d’Unia sur « Le carnaval et les limites à la liberté d’expression » publié en octobre 2019.
- Sur la base des documents pertinents ci-dessus, le cas du carnaval d’Alost se caractérise par les aspects suivants qui le distinguent des autres cas portés à l’attention du Secrétariat :
- Gravité du problème (voir paragraphes 18 à 22). Après examen d’un large éventail de sources, il a été établi que des représentations observées à plusieurs reprises pendant les différentes éditions du carnaval d’Alost, qu’elles soient ou non jugées comme étant de nature raciste et xénophobe, peuvent être considérées à tout le moins comme une remise en cause sérieuse de l’exigence du respect mutuel entre les communautés.
- Récurrence du problème (voir paragraphes 5 à 13). Le Secrétariat a été informé de représentations pouvant être considérées comme allant à l’encontre de l’exigence de respect mutuel entre les communautés, lors d’au moins trois éditions du carnaval (2013, 2018 et 2019) depuis son inscription sur la Liste représentative. De plus, la correspondance reçue indique que ces représentations ont également été observées lors d’au moins deux éditions du carnaval (2005 et 2009) avant son inscription. Enfin, les rubans parus en octobre 2019 pour l’édition 2020 du carnaval démontrent que de telles représentations sont susceptibles de se reproduire à l’avenir.
- Nombre et diversité de la correspondance reçue (voir paragraphes 5, 7 et 10, ainsi que l’annexe). Depuis 2013, le Secrétariat a reçu plus de vingt lettres et courriers électroniques, ainsi qu’une pétition en ligne, soumises par un grand nombre d’individus et d’institutions, publiques et privées, gouvernementales et non-gouvernementales, basées en Belgique et à l’étranger.
- Réaction des communautés concernées (voir paragraphe 14). Il semble que les communautés concernées n’aient mis en œuvre aucune mesure précise pour empêcher des comportements offensants de se reproduire à l’avenir. Bien que le dossier de candidature cite des mesures de sauvegarde spécifiques visant à suivre l’évolution des représentations exhibées pendant le carnaval[7] (et prévoit la création d’un comité spécial de sauvegarde à cette fin), les représentations problématiques se poursuivent sans qu’aucune solution adéquate ne soit identifiée et mise en œuvre. Par conséquent, il est à prévoir que de telles représentations seront à nouveau observées lors des futures éditions du carnaval, comme le démontre l’ensemble des rubans publiés en octobre 2019 pour l’édition 2020 du carnaval.
- Absence de réponse de l’État partie (voir paragraphe 14). Suite à la transmission de la correspondance reçue aux autorités belges pertinentes sous forme de trois lettres datées du 20 mars, du 6 juin et du 14 juin 2019, la Belgique n’a fait aucune déclaration écrite présentant sa position sur les problèmes soulevés à ce jour.
- Les considérations présentées dans le présent document et la décision du Comité qui s’ensuivra ne doivent pas être interprétées comme une tentative de déterminer ce qui constitue le patrimoine culturel immatériel pour les communautés d’Alost et ne visent pas à dicter si et comment ces communautés doivent pratiquer leur propre patrimoine vivant. Le Comité est ici invité à évaluer si le carnaval d’Alost est conforme aux valeurs de l’UNESCO, à la définition du patrimoine culturel immatériel (telle qu’établie dans l’article 2 de la Convention) et aux critères de la Liste représentative. Il s’agit notamment de déterminer si ce qui est présumé être compris ou perçu d’une certaine manière au niveau local peut avoir d’autres répercussions au niveau international. À cet égard, le Comité souhaitera peut-être rappeler que, si la Convention place le rôle des communautés au cœur de ses préoccupations, le Comité a rappelé à plusieurs reprises aux États parties que l’exigence de respect mutuel entre les communautés, groupes et individus est fondamentale pour la Convention et que toute inscription sur la Liste représentative doit encourager un dialogue respectueux de la diversité culturelle (par exemple, le paragraphe 10 de la décision 7.COM 11).
Évaluation
- Conformité de l’élément aux principes fondateurs de l’UNESCO. En préambule, le Secrétariat rappelle que la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel a été adoptée sous les auspices de l’UNESCO par sa Conférence générale. La conformité de la Convention avec les principes fondateurs de l’UNESCO constitue donc un aspect essentiel de son objet et de son but, et doit donc être prise en compte dans sa mise en œuvre. L’UNESCO a été créée en 1945 en réponse à une guerre mondiale marquée par des violences racistes et antisémites, y compris un génocide. Comme le proclame son préambule, la vision fondatrice de l’Organisation repose sur la conscience que « la suspicion et la méfiance entre nations […] ont trop souvent dégénéré en guerre » et que les guerres sont engendrées « par le reniement de l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect mutuel » et par la « volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’inégalité des races et des hommes ». En permettant à des représentations racistes, antisémites et xénophobes d’avoir lieu, le carnaval d’Alost va à l’encontre non seulement des dispositions de la Convention, telles que la définition du patrimoine culturel immatériel et l’objectif de la Liste représentative (voir paragraphes 19 à 21), mais également des principes fondateurs sur lesquels repose l’UNESCO, tels que stipulés dans son Acte constitutif. La présentation de représentations allant ouvertement à l’encontre de certaines des valeurs fondamentales qui sous-tendent l’existence de l’UNESCO nuit non seulement à la crédibilité de la Convention et du Comité, mais également à celle de l’Organisation dans son ensemble.
- Conformité de l’élément à la définition du patrimoine culturel immatériel (Article 2 de la Convention). Comme stipulé dans l’article 2 de la Convention, qui définit le patrimoine culturel immatériel aux fins de la Convention de 2003, « seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus […] » (soulignement ajouté). Cette définition est également reflétée dans le critère R.1, comme défini dans le paragraphe 2 des Directives opérationnelles. Compte tenu de la récurrence des actes décrits dans les paragraphes 5 à 12 du présent document, le Comité pourrait estimer que certains des membres de la communauté participant au carnaval d’Alost ont à plusieurs reprises diffusé des messages, images et représentations qui pourraient être considérés, au sein de la communauté et en dehors, comme encourageant les stéréotypes, ridiculisant certains groupes et insultant les souvenirs d’expériences historiques douloureuses comme le génocide, l’esclavage et la ségrégation raciale.[8] Ces comportements, intentionnels ou non, vont à l’encontre de « l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus ». À ce titre, l’élément est contraire à l’article 2 de la Convention, et par conséquent ne remplit plus le critère R.1.
- Compatibilité de l’élément avec l’objectif et les critères de la Liste représentative. Selon l’article 16.1 de la Convention, la Liste représentative a été établie « pour assurer une meilleure visibilité du patrimoine culturel immatériel, faire prendre davantage conscience de son importance et favoriser le dialogue dans le respect de la diversité culturelle ». L’objectif de la Liste représentative est également exprimé dans le critère R.2, tel que défini au paragraphe 2 des Directives opérationnelles de la Convention, qui stipule que « L’inscription de l’élément contribuera à assurer la visibilité, la prise de conscience de l’importance du patrimoine culturel immatériel et à favoriser le dialogue […] ». Le Comité pourrait considérer que depuis son inscription sur la Liste représentative en 2010, l’élément a soulevé de vives protestations de la part de plusieurs communautés qui se sont senties indûment ridiculisées et attaquées par certaines des représentations exhibées lors des éditions successives du carnaval.[9] Si le carnaval d’Alost a pu apporter une plus grande visibilité au patrimoine culturel immatériel, il est évident que la Convention et le patrimoine culturel immatériel en général n’ont pas bénéficié positivement d’une visibilité résultant d’évènements controversés.
- Dans la mesure où des représentations choquantes ont été utilisées à plusieurs reprises, y compris avant et après l’inscription de l’élément sur la Liste représentative, le Comité peut considérer que son inscription n’a jusqu’à présent pas favorisé le dialogue entre les communautés, suscitant au contraire une méfiance au sein des communautés et entre elles. À ce titre, l’élément est contraire à l’article 16.1 de la Convention, et par conséquent ne remplit plus le critère R.2.
- À la lumière des considérations et de l’évaluation présentées par le Secrétariat, le Comité pourrait considérer qu’il a reçu des informations suffisantes pour envisager le retrait du carnaval d’Alost de la Liste représentative conformément au paragraphe 40 des Directives opérationnelles qui prévoit qu’« un élément est retiré de la [Liste représentative] par le Comité lorsqu’il estime qu’il ne remplit plus un ou plusieurs des critères d’inscription sur cette liste. » Comme démontré aux paragraphes 18 à 21, l’élément ne remplit plus les critères R.1 et R.2 et le Comité pourrait donc décider de retirer « le carnaval d’Alost » de la Liste représentative.
- Le Comité souhaitera peut-être adopter la décision suivante :
PROJET DE DÉCISION 14.COM 12
Le Comité,
- Ayant examiné le document LHE/19/14.COM/12,
- Rappelant les décisions COM 11, 7.COM 15 et 14.COM 1.BUR 4, ainsi que le paragraphe 40 des Directives opérationnelles,
- Rappelant en outre que le carnaval d’Alost a été inscrit en 2010 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité sur la base de la candidature soumise par la Belgique (décision 5.COM 6.3),
- Rappelant également les principes fondateurs de l’UNESCO que sont la dignité, l’égalité et le respect mutuel entre les peuples, tels que reflétés dans le préambule de l’Acte constitutif de l’Organisation, ainsi que l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, telle que stipulée dans l’article de 2 de la Convention, et reconnaissant les communiqués publiés par l’UNESCO les 6 et 22 mars 2019,
- Condamne toutes les formes de racisme, d’antisémitisme, d’islamophobie et de xénophobie ;
- Considère, d’après les éléments portés à son attention par le Bureau et le Secrétariat, que « le carnaval d’Alost » ne remplit plus les critères R.1 et R.2 d’inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, comme suit :
R.1 : Depuis son inscription, le carnaval d’Alost a, à plusieurs reprises, diffusé des messages, images et représentations qui peuvent être considérés, au sein de la communauté et en dehors, comme encourageant les stéréotypes, ridiculisant certains groupes et insultant les souvenirs d’expériences historiques douloureuses comme le génocide, l’esclavage et la ségrégation raciale. Ces comportements, intentionnels ou non, vont à l’encontre de l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus. Le carnaval d’Alost ne remplit plus le critère R.1.
R.2 : Des représentations blessantes ont été utilisées, à plusieurs reprises, pendant le carnaval d’Alost depuis son l’inscription sur la Liste représentative. L’inscription ne semble pas avoir encouragé le dialogue entre les communautés, suscitant au contraire une méfiance au sein des communautés et entre elles. Le carnaval d’Alost ne remplit plus le critère R.2.
- Décide de retirer « le carnaval d’Alost » de la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
ANNEXE
Correspondance reçue concernant le carnaval d’Alost
(de janvier 2013 à septembre 2019)
Entité/individu ayant envoyé la correspondance | Type de correspondance | Date | |
Correspondance reçue en 2013 | |||
1 | Ligue anti-diffamation | Lettre à l’UNESCO | 11 février 2013 |
2 | Gouvernement flamand | Lettre de réponse à l’UNESCO | 15 février 2013 |
Correspondance reçue en 2018 | |||
3 | Marcin L. | Courrier électronique aux autorités municipales d’Alost (UNESCO en copie) | 14 février 2018 |
Correspondance envoyée par les institutions reçue en 2019 | |||
4 | Forum des organisations Juives de Belgique (FJO) | Lettre à l’UNESCO | 5 mars 2019 |
5 | Congrès juif mondial | Lettre à l’UNESCO | 6 mars 2019 |
6 | Grand Rabbin de Bruxelles | Lettre à l’UNESCO | 11 mars 2019 |
7 | Ligue Belge contre l’Antisémitisme | Courrier électronique à l’UNESCO | 14 mars 2019 |
8 | International Movement for Peace and Coexistence (IMPAC) | Lettre à l’UNESCO | 15 mars 2019 |
9 | Ordre indépendant du B’nai B’rith | Lettre à l’UNESCO | 26 mars 2019 |
10 | Président du Sénat de Belgique | Lettre à l’UNESCO | 15 mai 2019 |
Correspondance envoyée par des individus reçue en 2019 | |||
11 | Mia T. | Courrier électronique à l’UNESCO | 4 mars 2019 |
12 | Amos S. | Courrier électronique à l’UNESCO | 4 mars 2019 |
13 | Sara S. | Courrier électronique à l’UNESCO | 4 mars 2019 |
14 | Sandra K. | Courrier électronique à l’UNESCO | 5 mars 2019 |
15 | Judith C. | Courrier électronique à l’UNESCO | 5 mars 2019 |
16 | Susan S. | Courrier électronique à l’UNESCO | 5 mars 2019 |
17 | Karen M. | Courrier électronique à l’UNESCO | 6 mars 2019 |
18 | Daniel P. | Courrier électronique à l’UNESCO | 6 mars 2019 |
19 | Anonyme | Courrier électronique à l’UNESCO | 7 mars 2019 |
20 | Mark K. | Courrier électronique à l’UNESCO | 7 mars 2019 |
21 | Hanne A. | Courrier électronique à l’UNESCO | 8 mars 2019 |
22 | Antonia T. | Courrier électronique à l’UNESCO | 8 mars 2019 |
23 | Terry S. | Courrier électronique à l’UNESCO | 9 mars 2019 |
24 | Isabelle Z. | Lettre à l’UNESCO | 19 septembre 2019 |
[1]. Ligue anti-diffamation, Lettre à la Directrice générale de l’UNESCO, 11 février 2013.
[2]. Gouvernement flamand, Lettre au Secrétaire de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 15 février 2013.
[3]. Le carnaval et les limites à la liberté d’expression, Unia, octobre 2019, p. 46.
[4]. « Jewish Caricatures at Belgian Carnival Set Off Charges of Anti-Semitism », The New York Times, 8 mars 2019.
[5]. « Antisemitic carnival float had puppets of smiling Jews, sacks of money and a rat », The Independent, 6 mars 2019.
[6]. « Aalst Carnival makes fun of Jews again, despite anti-Semitism accusations over previous edition », The Brussels Times, 23 octobre 2019.
[7]. Voir la section 3.b du dossier de candidature.
[8]. Les évènements signalés au Secrétariat entrent également en contradiction avec le contenu du dossier de candidature soumis en 2010, dans lequel il est indiqué que les représentations utilisées pendant le carnaval d’Alost ridiculisent en effet des groupes « de manière amicale, humoristique et respectueuse » et que ces représentations transmettent seulement des « message[s] légèrement subversif[s] » (sections 1 et 2 du dossier de candidature).
[9]. À cet égard, il convient de rappeler que, dans le contexte des candidatures impliquant des expressions de violence entre êtres humains et/ou impliquant des animaux, le Comité a expressément demandé « aux États parties de veiller à ce que le dossier de candidature soit élaboré avec la plus grande attention afin d’éviter de provoquer tout malentendu entre les communautés, dans le but d’encourager le dialogue et le respect mutuel entre les communautés, groupes et individus » (paragraphe 13 de la décision 9.COM 10).
SOURCE :
Le présent document examinera donc le cas spécifique du carnaval d’Alost.
Décision requise : paragraphe 23