Avant les élections dans l’UE, arrêt sur la notion de «démocratie»

A l’approche des élections européennes du 26 mai, les discours qui manieront la notion de « démocratie » risquent bien de fleurir ad nauseam sur les ondes. Or, à la suite de divers évènements ces dernières années, les citoyens de l’UE sont en droit de se demander ce que recouvre encore ce terme tant galvaudé à droite comme à gauche, qu’il en devient suspect.

A l’origine, le terme « démocratie » issu du grec demos (peuple) et kratos (pouvoir), signifie que le pouvoir est une émanation du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Cette « démocratie » athénienne n’est pas née du hasard : au fil d’âpres luttes, elle a émergé en opposition à une oligarchie qui prévalait à l’époque – déjà ! – où un petit groupe d’aristocrates menait les affaires en fonction de ses intérêts, faisant passer ceux de la population bien après les siens. Et il a fallu quelques siècles, avec tous les obstacles que l’on imagine, pour qu’elle prévale sur l’ancien mode de fonctionnement des institutions en place auxquelles s’accrochait la classe aisée.

Il en résulta que la population participait de manière directe aux décisions, et non plus de manière représentative, comme c’est à nouveau le cas dans notre système contemporain. Ainsi, lors de votes ou de décisions importantes concernant la cité, chaque citoyen, quel que soit son statut social et ses avoirs, pouvait faire valoir sa voix.

Les choses n’étant pas éternelles, quand au fil des guerres la Grèce perdit de son aura et que Rome commença à étendre la sienne, celle-ci instaura en lieu et place de la « démocratie », la « res publica », la République. Où le pouvoir revenait à quelques groupes de personnes plus fortunées que les autres. Quand on dit que l’histoire est un éternel recommencement…

[Pour une brève histoire des alternances et formes de pouvoirs, lire l’excellent résumé (ici) ]

Si l’étymologie du mot renvoie à la Grèce antique, de nos jours la « démocratie » ne semble en avoir hérité que quelques lointains souvenirs. Au cours des siècles, à travers les méandres de l’histoire, la notion de « démocratie », comme n’importe quel autre domaine, a sensiblement évolué. Et la « démocratie » actuelle semble avoir peu de choses en commun avec celle des origines.

Bien éloigné des discours officiels et des roulements de tambours nationalistes, prenons quelques exemples concrets récents, à partir des années 2000, pour vérifier ce qu’il en est :

  • la pitoyable mise en scène à l’ONU de l’un des plus hauts diplomates américains, le secrétaire d’Etat Colin Powell, agitant sa petite fiole censée contenir un peu de la substance présentée comme « arme de destruction massive » irakienne pour justifier l’intervention militaire que l’on sait, était-elle une décision des peuples ?
  • les guerres au Moyen-Orient – Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Yémen, Soudan, sans oublier celle coloniale contre la Palestine – menées principalement par l’Occident sont-elles des décisions des peuples ?
  • les prisons déshumanisées d’Abou Ghraïb et de Guantanamo où les forces américaines se sont livrées à de sordides tortures, violant allègrement les Droits élémentaires de l’intégrité humaine, et leurs relais dans certains pays européens sont-elles des décisions des peuples ?
  • l’adoption du Traité de Lisbonne en lieu et place du refus du Traité constitutionnel par plusieurs referendum populaires de certains pays européens, est-elle une décision des peuples ?
  • la poursuite des ventes d’armes à des dictatures qui les utilisent pour terroriser leur opposition et mener des guerres en-dehors de leurs frontières – et non pour se défendre d’éventuelles agressions – est-elle une décision des peuples ?
  • le pillage de pays principalement africains pour y voler les ressources naturelles indispensables à notre confort tout en y maintenant les populations locales dans une misère accablante est-il une décisions des peuples ?
  • l’aide de certains citoyens désormais punie sous l’appellation de « délit de solidarité » aux immigrés que nos gouvernements fabriquent directement en poursuivant le bombardement et les guerres contre des pays qui ne nous ont rien fait, jetant leurs habitants dans une précarité sans nom, est-elle une décision des peuples ?
  • les menaces belliqueuses constantes des USA et d’Israël, et par ricochet de l’UE soumise et asservie à l’Empire, sur tout pays qui ne se plie pas aux dictats américains – Venezuela, Russie, Cuba, Iran, Corée du Nord, Chine, Palestine, … – sont-elles des décisions des peuples ?
  • les stratégies et choix commerciaux invasifs et agressifs menés par les groupes industriels transnationaux à l’encontre de tout respect de l’environnement, menaçant la biodiversité et la vie même des espèces, y compris désormais l’espèce humaine, sont-ils des décisions des peuples ?
  • les lois de plus en plus liberticides pour les citoyens qui refusent de suivre leurs gouvernements dans leurs dérives autoritaires au nom du prétexte sécuritaire, comme on le voit en France, sont-elles des décisions des peuples ?
  • la mainmise des médias dominants par de grands groupes financiers liés aux pouvoirs en place et multipliant la désinformation sur tout sujet qui ne leur convient pas par l’intervention de chroniqueurs habituels et orientés plutôt à droite, est-elle une décision des peuples ?
  • à l’inverse, les rares journalistes d’investigation et lanceurs d’alerte tels J. Assange, E. Snowden et Ch. Manning contraints de vivre cachés, menacés parce qu’ils ont eu le courage de révéler les dessous des dérives et pratiques criminelles de nos gouvernements, et emprisonnés sont-ils la décision des peuples ?
  • la gabegie éhontée des technocrates européens qui multiplient les discours sur l’écologie, mais déménagent chaque mois à Strasbourg pour une session parlementaire dont le coût est estimé à 12 millions d’euros mensuels (!), est-elle une décision des peuples ?
  • l’usage de moyens létaux condamnés par plusieurs instances internationales, par le gouvernement français pour contenir la grogne populaire légitime des Gilets Jaunes face à une précarité grandissante est-elle une décision du peuple ?
  • la politique monétaire adoptée via l’Euro et imposée sur des critères d’austérité ayant entraîné une stagnation de la croissance européenne – d’après les statistiques, après la crise de 2008 et à partir de 2009 les États-Unis ont réalisé une croissance de +34%, l’Inde de +96%, la Chine de +139%, quand l’UE a décru à -2% – est-elle une décision des peuples ?
  • l’impunité flagrante des violations des Résolutions des Nations-Unies, vols territoriaux, crimes de guerre, et politique d’apartheid pratiqués par le régime colonial israélien est-elle une décision des peuples ?
  • l’impunité toute aussi flagrante d’élus politiques de tous bords pris la main dans le sac mais qui continuent leur petite carrière sans la moindre inquiétude est-elle une décision des peuples ?
  • le peu de moyens et de volonté politique mis en œuvre pour traquer les exilés qui planquent leurs fortunes dans des paradis fiscaux et ruinent véritablement les Etats par un manque à gagner se chiffrant en milliards d’euros est-il une décision des peuples ?

… faut-il poursuivre les exemples et aborder les questions de discrimination, de racisme, de justice à géométrie variable, d’iniquités diverses, pour illustrer combien la « démocratie » à laquelle se réfèrent les élus et leurs officines est abusée à travers des lois et des décisions prises en hauts lieux à l’encontre des peuples, au point de ne plus rien recouvrir comme réalité objective et n’en avoir plus que les oripeaux ?

L’une des rares feuille de vigne qui en reste – sauf que là aussi, l’on assiste à des dérives et des tricheries devenues régulières – est le bulletin de vote derrière lequel s’abrite ceux qui veulent perpétuer ce système inique et complètement dévoyé.

Si les citoyens voulaient voir un peu plus loin que le bout de leur nez et avaient une culture politique exercée, sans intégrer aussi docilement le matraquage politico-médiatique ambiant, ils en déduiraient aisément que ce terme « démocratie » est une imposture magistrale, phagocyté par une technocratie paralysante, n’ayant plus rien à voir avec sa signification d’origine, et réduit à un élément de ‘com’. Comme ironisait V. Poutine en parlant de l’UE dernièrement, comparant « Bruxelles au politburo de l’URSS de l’époque ».

Dès lors, participer de quelque manière que ce soit, au motif de n’importe quel mauvais prétexte y compris celui d’un barrage contre l’extrême-droite, à cette mascarade électorale européenne – qui ne sert à rien dans la mesure où ces (très chers) parlementaires n’ont quasiment aucun pouvoir, détenu par la Commission elle-même désignée par le Conseil européen, voyez l’arnaque ! – revient à maintenir un ordre dont il faudrait en réalité se débarrasser par un boycott de ces élections qui ne sont manifestement plus représentatives des populations, et ne servent via de puissants lobbies, qu’à perpétuer l’hégémonie de groupes financiers qui poursuivent la mise en quartiers de la planète à leur seul profit.

Le projet européen a pu un moment faire rêver les citoyens qui y ont adhéré de manière enthousiaste. A ce jour, pour une large majorité d’entre eux, ce projet est devenu un cauchemar dont ils veulent se débarrasser. La faute à qui, sinon à cette caste d’imposteurs qui n’y ont vu que leurs intérêts particuliers au détriment du plus grand nombre ?

Pour qu’un réel changement survienne, et qu’une vraie « démocratie » retrouve ses lettres de noblesse, il faut renvoyer dos-à-dos ceux qui se présentent comme « alternative », sachant qu’une fois élus, ils se feront récupérer par le système qui leur versera un salaire et des avantages tels, qu’ils se tairont, avant de se coucher. Les exemples sont innombrables, va-t-on enfin en tirer les leçons ou poursuivre ces pratiques obsolètes dont on se plaindra une fois de plus ensuite ?

Pour qu’une véritable « démocratie », digne de ce nom et à la hauteur des enjeux survienne, il faut des urnes vides ! Et prendre exemple sur ce qui se passe en Algérie, semaine après semaine, et dont bien peu d’informations filtrent dans nos médias officiels, par peur de contagion sans doute. La moitié (!) de la population algérienne est dans la rue et ne veut plus de la clique qui a usurpé le pouvoir et les avantages qu’il permet, pendant des décennies. Le slogan est simple : qu’ils dégagent tous !

La « démocratie » est gravement atteinte, dans ses fondements-mêmes. Et nous devons avoir la lucidité et le courage de le voir bien en face, pour le dénoncer, au risque de glisser plus encore vers cette peste brune qui a marqué l’histoire européenne au cours des dernières décennies, et dont l’émergence des partis d’extrême-droite marque le retour.

En réalité, la « démocratie » si souvent sollicitée dans les discours tant de droite que de gauche – ou de ce qu’il en reste – n’est plus qu’une illusion. Nous sommes déjà en « démocrature » ! Faut-il attendre qu’il soit trop tard et plonger plus bas encore pour comprendre ?

Pour conclure, ces mots plus que jamais d’actualité dans le contexte européen : « Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ce serait interdit ! » – Coluche

Daniel Vanhove 

15.05.19

Spread the love

4 réflexions au sujet de “Avant les élections dans l’UE, arrêt sur la notion de «démocratie»”

  1. Tout cela est vrai, mais il faut d’abord des gens instruits.
    Deux remarques : 1) Où seront nos brillants latino-hellénistes d’antan?
    2) l’Enseignement n’est pas l’apanage de l’État. Les parents sont le P.O de l’enseignement à domicile. Le problème, c’est qu’ils paient deux fois: une fois aux contributions pour l’enseignement très coûteux des autres, une deuxième fois en se saignant pour pouvoir donner à leurs enfants ce qu’on ne leur offre plus. Terrible discrimination dont on ne parle jamais !!!
    après on pourra voter correctement.
    Schola Nova

    Répondre

Laisser un commentaire