Un dialogue critique sur la colonisation est-il possible avec la nouvelle génération d’historiens belges ?

Un dialogue critique sur la colonisation est-il possible avec la nouvelle génération d’historiens belges ?

Martin Vander Elst·Samedi 9 mars 2019

“The great force of history comes from the fact that we carry it within us, are unconsciously controlled by it in many ways, and history is literally present in all that we do… And it is with great pain and terror that one begins to assess the history that has placed one where one is, and formed one’s point of view”

– James Baldwin Collectif

La carte blanche publiée dans Le Soir ( lire ci dessous )  par Amandine Lauro (chercheuse qualifiée FRS-FNRS à l’ULB) et Benoît Henriet (professeur assistant à la VUB) permet d’instruire un certain nombre de controverses qui jusque-là étaient demeurées figées sans autres réponses que la continuation de la propagande coloniale. Cette carte blanche aura le mérite de présenter à l’opinion publique une nouvelle génération d’historiens plus engagés dans leurs pratiques et plus conscients des enjeux contemporains. Une position qui aura au moins le mérite de ne pas clore le débat, de permettre que s’élaborent des controverses qui fassent droit à une complexité vécue et pas à une pseudo-complexité agitée pour faire taire les souffrances et les continuités. Je me propose ici d’essayer l’exercice d’un dialogue critique.

@Manu Scordia

C’est une bonne chose qu’une nouvelle génération d’historiens commence à se faire entendre, j’y vois un des signes d’un rapport de force décolonial dans le champ de l’histoire. La rupture épistémologique nécessaire avec l’histoire coloniale (dont l’ombre des travaux de Jean Stengers pèse cependant encore de tout son poids dans le débat) est l’appréhension du colonialisme comme un système. L’étude de son historicité vise à « mettre en lumière les structures et les mécanismes de la domination coloniale ». C’est un acquis indéniable et une avancée théorique décisive. Il est cependant politiquement regrettable que la généalogie de cette rupture soit occultée, qu’elle se trouve en quelque sorte blanchie. C’est dommage que cette nouvelle génération d’historiens engagés dans leurs pratiques de recherche ne reconnaisse pas le legs important du Discours sur le colonialisme de Césaire par exemple. De fait, il est impossible sur base de la bibliothèque coloniale (selon l’expression de Valentin Mudimbe) et des travaux des historiens belges d’effectuer une telle rupture épistémologique. Pour effectuer cette rupture, il faut justement changer de généalogie, changer de bibliographie, il faut commencer par lire des auteurs non blancs comme Césaire et Fanon. Des auteurs qui ont été volontairement retirés des enseignements universitaires dans les années 1980. La différence significative entre la pratique de l’histoire de cette nouvelle génération d’historiens et celle des penseurs décoloniaux passe justement dans le fait d’assumer cet héritage théorique, de ne pas se poser comme les rentiers ingrats de l’immense apport théorique de la pensée anticoloniale. Une anecdote historique peut ici être rappelée, en 1927 se tient à Bruxelles le Congrès fondateur de la Ligue contre l’Impérialisme et l’Oppression Coloniale : « Bruxelles a été choisie parce qu’elle était et est toujours au centre de l’impérialisme (… ) » (Cf. Entretien avec Luc Vervaet dans BEM n°297). Émile Vandervelde, dirigeant socialiste et ministre des Affaires étrangères avait donné son accord pour que cette conférence puisse avoir lieu au palais d’Egmont, mais à l’unique condition qu’aucune critique ne soit formulée à l’encontre de la politique belge au Congo. Toute l’ambiguïté de la relation de la gauche belge à l’antiimpérialisme se tient dans cette attitude de Vandervelde. Ce qu’apport la pensée décoloniale pour appréhender notre présent politique c’est justement la violence coloniale comme dimension intrinsèque de la modernité. Pour saisir correctement des phénomènes comme le racisme post-colonial, comme la négrophobie systémique, comme le refoulement des migrants au-delà de la Méditerranée, comme le plan Canal, comme la criminalisation des jeunes descendants d’immigrés postcoloniaux, les contrôles au faciès, etc., il faut postuler un continuum colonial, ou du moins la continuité de la logique coloniale par-delà les indépendances. C’est l’apport fondamental d’une notion comme celle de « colonialité du pouvoir » que de rendre perceptible les continuités structurales d’un rapport de force Nord/Sud de type colonial dans le présent post-colonial.

Cependant Amandine Lauro et Benoît Henriet ont raison d’en appeler à mettre fin à la structure du débat du type « pour ou contre ». Cela fait longtemps que les associations et collectifs militants afro-descendants demandent à ce que leurs paroles et expertises puissent être entendues dans toute sa positivité, dans toute sa complexité, sans devoir sans cesse se confronter aux pires paroles racistes et révisionnistes des anciens colons, tout le monde n’a pas la force inébranlable d’une Mireille-Tsheusi Robert ou d’un Kalvin Soiresse. C’est d’ailleurs sur ce point que le rapport intermédiaire remis par les rapporteurs de l’ONU innove le plus sur le plan méthodologique. En effet, le rapport donne crédit et épaisseur à l’expertise et à la parole des victimes de la négrophobie. On ne s’étonnera donc pas que ce soit également sur ce point que les défenseurs du suprématisme blanc dans ce pays aient le plus frappé : l’absence des supposés « spécialistes » et « experts », supposément neutres. C’est également ce qu’on dit les signataires de la carte blanche « La Belgique est à la traine sur la restitution des trésors coloniaux », le débat n’est plus pour ou contre la restitution, mais celui du processus de restitution lui-même, sur ses conditions, sur la question de la restauration de la relation et des réparations des blessures et des torts subis par la colonisation.

Le geste qui consiste à élever la pratique historienne au-dessus des controverses pose cependant problèmes et présage d’une difficulté persistante des historiens à s’engager dans une recherche transdisciplinaire, recherche pourtant indispensable pour appréhender un phénomène aussi complexe que la colonisation dont les formes d’expressions et de rémanences sont à la fois psychiques, juridiques, économiques, politiques, anthropologiques, ontologiques, cosmologiques, etc. Ce qu’apporte la méthode généalogique que Foucault conceptualise à partir de Nietzsche c’est une pratique de l’histoire qui ne fait pas du présent un donné déjà constitué, le généalogiste part d’un présent comme issue incertaine, comme champ de force, comme devenir et retrouve un passé lui-même en tension, bourré de conflits. Si le passé colonial fait sens au présent en terme de colonialité ce n’est certes pas de façon utilitaire, mais bien parce que le passé n’est pas une trame narrative résolue et linéaire. Et quoi de plus incertain, de plus tendu que la question de la restitution. Précisément la question de la restitution permet une approche généalogique qui vient défaire les certitudes du présent et qui permet de retrouver, de reconstruire un passé qui n’est pas encore advenu.

Les historiens se plaignent du peu de diffusion de l’état des connaissances sur la colonisation vers le grand public, mais plutôt que d’en accuser un peu complaisamment les médias et la classe politique, ne faudrait-il pas d’abord commencer par interroger sa propre responsabilité. En effet, lorsque les collectifs afro-descendants ont commencé à poser dans l’espace public belge la question de la décolonisation de l’espace public, de l’enseignement de l’histoire coloniale et de la négrophobie, les journaux mainstream leur ont systématiquement opposé des contradicteurs qui se sont présentés comme des « historiens » pour défendre des thèses suprématistes. On n’a pas beaucoup entendu les nouveaux historiens dans ces débats. On attend toujours un compte rendu critique de la nouvelle exposition de référence de Tervuren du point de vue de cette nouvelle histoire. Je suis convaincu qu’une pratique plus située de l’histoire ne pourra que faire progresser la diffusion des connaissances produites par les historiens. Ce que je comprends de cette carte blanche, c’est que le temps de nouvelles alliances, comme auraient dit Isabelle Stengers et Prigogine, est peut-être advenu.

Il est très heureux que des historiens travaillent à en finir avec cette stratégie du dédouanement et du révisionnisme. Encore dans la nouvelle exposition de référence à Tervuren On présente l’impérialisme belge dans le cadre plus vaste des traites, en ce compris la traite arabe, ce qui a comme conséquence de favoriser une vision comparatiste anhistorique et profondément déresponsabilisante. Par exemple, étudier le régime d’apartheid belge, le travail forcé ou la politique de la race au Congo permet de sortir de ce trop long sommeil post-colonial. Pour le cas précis de Lusinga, d’un point de vue historique, on ne dispose que des archives de Storms, le croisement critique de ces archives coloniales avec la mémoire des populations tabwa laissées n’a jamais été effectué pour la simple raison que la question de la restitution se trouve au centre de l’écriture de cette histoire. La persistance de la propagande coloniale sur « Lusinga esclavagiste » ne dépend donc pas du peu de diffusion des connaissances historiques, mais du blocage produit par une politique entretenue de la non-restitution et du statu quo qui en découle.

Il est très important que les historiens puissent défaire ce second mythe coloniale de la reprise du Congo par la Belgique et de la « coloniale modèle ». En effet, la focalisation sur le personnage de Léopold II empêche de penser comment la colonisation fait système. De fait, il faut pouvoir revenir sur la conjoncture de la Conférence de Berlin et notamment sur le rôle que joue l’EIC dans l’établissement des « sociétés à chartes » au Congo comme ce qui deviendra l’Union Minière du Haut Katanga. Le régime d’apartheid ne disparait pas avec la « reprise » du Congo par la Belgique, au contraire de nouvelles formes de racialisation en rapport avec de nouveaux enjeux économiques voient le jour, notamment pour tenter de contenir l’émergence d’un « prolétariat noire » au Congo. Il faudrait davantage travailler autour de cette notion de « travail forcé ». Le récent documentaire diffusé sur les ondes de la VRT « Enfants de la colonisation » montre des témoignages directs de personnes ayant vécu ce régime spécifique d’exploitation qui est une continuité des modes de gouvernementalité esclavagistes. Si le travail forcé se met en place au Congo à partir de 1880 et sera progressivement légalisé au cours des deux décennies suivantes, sous la forme du « travail d’utilité publique », mais aussi sous la forme du « travail forcé organisé par les compagnies concessionnaires », contrairement à ce que prétendent Amandine Lauro et Benoît Henriet, des historiens, comme Elikia M’Bokolo, montrent qu’avec la « reprise du Congo par la Belgique », le travail forcé ne disparait pas, au contraire de nouvelles formes de travail forcé sont mises en place et demeurent généralisées jusqu’au moins après la Seconde Guerre mondiale et ont subsisté au Congo jusqu’après l’indépendance et dans certaines circonstances jusqu’à aujourd’hui. En terme de comparatisme, il serait intéressant de montrer comment le système du « travail forcé » mis en place par l’EIC va servir de modèle dans la mise en place du système concessionnaire français, mais aussi pour l’action coloniale allemande en Afrique de l’Est et du Sud-Ouest ainsi qu’anglaise en Rhodésie.

Le faux débat sur le génocide ne devrait pas cacher celui sur les crimes contre l’humanité, car c’est bien de cela qu’il s’agit, de la qualification du colonialisme comme crime contre l’humanité : avec le caractère massif des violences d’Etat, le travail forcé, l’extraction contrainte de ressources, des brutalités en tous genres, des viols, mais aussi des massacres et des répressions militaires. Le crime contre l’humanité peut être défini comme « la privation du droit « naturel » à la liberté et la propriété de soi qui constitue le crime contre l’humanité de l’individu asservi » (Vergès, La Mémoire enchaînée. 2006, p. 144). L’histoire de la colonisation belge du Congo et ses crimes et violences extrêmes devraient nous contraindre à ne plus considérer l’histoire des violences de masses à travers le seul prisme du génocide. Sortir de l’impasse sur le nombre de morts pour les historiens pourrait commencer par instruire cette notion de crimes contre l’humanité.

On retrouve ce même geste de retrait « ni … ni … » quand commence à se poser la nécessaire question des responsabilités. Or l’écriture de l’histoire ne se sépare pas à si bon compte de la question de la justice, on peut même dire qu’elle lui est consubstantielle. En effet, on pense évidemment à la Commission Vérité et Réconciliation ou aux différentes cessions du Tribunal Russel ou encore aux enjeux de réparation qui ont été traités devant les tribunaux anglais, mais aussi évidemment à la commission Lumumba. L’exemple le plus frappant est peut-être celui du procès intenté par des combattants Mau Mau pour obtenir réparation des crimes commis par le gouvernement britannique sous le contexte de l’Opération Legacy. En effet, ce procès a permis de déclassifier un certain nombre de documents importants concernant cette période et poser la question de l’accès et du traitement des archives dans une politique de réparation. L’histoire est un champ de bataille. Tant que les historiens penseront pouvoir continuer à travailler sans prise en compte des rapports de force contemporains et historiques qui font la politique de l’histoire, ils demeureront extrêmement vulnérables à l’instrumentalisation des leurs appels à la nuance et à la complexité par les révisionnistes de tous poils. C’est un problème qui leur appartient de traiter en historien, mais la politique du « ni … ni … » et la séparation caricaturale des questions d’historicité et de justice ne fera que renforcer l’usage utilitariste de leurs positions publiques par les révisionnistes et les défenseurs du suprématisme blanc.

Amandine Lauro et Benoît Henriet entérinent une étrange manipulation en confondant la relation coloniale entre oppresseurs et opprimés et la puissance d’agir des colonisés. Restituer les résistances à la colonisation et au travail forcé (que ce soit sur le modèle de la fuite, du marronnage, d’insurrections ininterrompues, de guérillas larvées, etc.) ce n’est pas confondre et dilué les rapports de domination historiques. Donner à voir la capacité à négocier, à contester, à renverser les alliances permet de rendre compte d’une historicité profondedes colonisés, mais ne signifie pas produire un régime d’indistinction des rapports de domination qui visera au final à renverser le rapport des responsabilités.

Le désamorçage de la rhétorique apologétique des bons et des mauvais côtés de la colonisation est vraiment pertinent : « Les infrastructures servaient à transporter du minera plutôt que des passages ». Le rappel est important, le centre de l’analyse doit être « la nature intrinsèquement raciste et exploitative de la situation coloniale ». Et de fait les travaux historiques devraient s’attacher aux « intersections des rapports sociaux de race et de classe (et de genre), rapports qui s’articulent (de la colonie à la métropole) bien plus qu’ils ne s’opposent ». On est dès lors en droit d’attendre un travail plus spécifique sur les liens entre constitution de la race et « défense sociale », sur les liens historiques entre colonisation et racisme d’État.

Sur la question de ladite indépendance, je regrette qu’il ne soit pas fait mention de travaux spécifiques qui travaillent cette question épineuse du contentieux belgo-congolais, sur la table ronde économique, sur l’inventaire du patrimoine, sur la charte coloniale, mais aussi sur la présence et l’interventionnisme néo-colonial de la Belgique et des Etats-Unis au Congo. À part le travail d’un historien militant comme Ludo De Witte qui travaille sérieusement cette question ?

Il est nécessaire et bienvenu que Amandine Lauro et Benoît Henriet finissent par se positionner : « Nous pouvons certes contribuer au débat par nos travaux, en rappelant que l’histoire coloniale est, en son cœur, l’histoire d’une violence raciste. Et en faisant le constat objectif de ses héritages, complexes et fragmentés, et des discriminations dont les Afrodescendants sont victimes en Europe ».

Les controverses sont à peine commencées !

Source

Carte blanche: «Dix idées reçues sur la colonisation belge»

Carte blanche: «Dix idées reçues sur la colonisation belge»

 

En Belgique comme ailleurs en Europe, le refoulé de la mémoire coloniale opère un retour fracassant sur la place publique. Restitutions, excuses, sort à réserver aux monuments coloniaux… sont autant de sujets âprement débattus et politiquement instrumentalisés. Militant.e.s décoloniaux et nostalgiques « du Congo de papa » sont projetés dans des arènes médiatiques, où leurs visions opposées du passé sont placées au même niveau.

Dans ces forums brefs et superficiels, il n’y a que peu de place pour l’analyse longue des historien.ne.s, qui tentent de mettre en lumière les structures et les mécanismes de la domination coloniale. Il est certes fondamental que cette histoire soit mieux connue du grand public.

En tant qu’historien.ne.s, nous devons aussi reconnaître nos échecs en la matière. Mais c’est aussi parce qu’elle est essentielle que cette histoire mérite mieux que les quelques slogans ou formules à l’emporte-pièce auxquels médias et politiques la réduisent souvent. L’histoire reste un processus de vérité : si elle peut faire l’objet d’interprétations divergentes, et si elle a depuis longtemps renoncé à ses fantasmes de neutralité absolue, la voir s’incarner dans des joutes politiques en forme de « pour ou contre » pose question.

Depuis notre position d’historien.ne.s, et sans oublier que les appels « à la démarche scientifique » peuvent aussi être instrumentalisés pour (dé)légitimer certaines revendications politiques ayant au final peu à voir avec l’histoire, nous aimerions déplacer la discussion en donnant à voir un passé complexe, dont l’épaisseur ne peut s’appréhender ni en slogans, ni en procès, ni en visions utilitaristes d’une histoire qui n’aurait de sens qu’à l’aune de ses effets dans le présent. C’est pourquoi nous proposons de faire le point sur dix idées reçues qui structurent les conversations sur le passé colonial de la Belgique.

1. « L’histoire de la colonisation belge, ce sujet méconnu sur lequel il faudrait faire la lumière »

Il y a ici malentendu. Le problème est moins dans l’état des connaissances sur le sujet que dans leur faible diffusion vers le grand public. Contrairement à l’idée d’un « grand tabou », la recherche sur l’histoire de la colonisation belge est riche et dynamique. Les historien.ne.s de tous bords et de toutes nationalités n’ont certainement pas attendu les polémiques récentes pour travailler sur ce passé.

Il est interpellant pour nous de voir la classe politique appeler au débat et au « dévoilement » sur des épisodes de cette histoire qui font depuis longtemps consensus parmi une majorité d’historien.ne.s. A bien des égards, la recherche n’en est plus là ; les grandes manœuvres de Léopold II ou les grandes orientations de la politique coloniale belge sont bien connues. L’essentiel des recherches s’intéressent aujourd’hui à la fois à l’exercice de la domination coloniale dans toutes ses dimensions (pas seulement politique et économique mais aussi culturelle, sociale et environnementale) autant qu’aux expériences africaines de cette période (de contestations, de réappropriations, d’accommodements). On fait aussi mine de croire, dans certains milieux politiques, qu’il existerait un « camp » d’historien.ne.s belges et un « camp » d’historien.ne.s congolais qui porteraient différents points de vue qu’il s’agirait donc d’arbitrer.

On ne sait ce qui est pire, dans cette vision des choses. La méconnaissance des dynamiques profondément internationales de la recherche scientifique d’aujourd’hui ? Ou la vision essentialisante dont cette idée témoigne ? Cette histoire ne s’écrit pas dans le face-à-face, mais bien dans une polyphonie de voix, issues d’universités africaines, américaines et européennes.

C’est aussi faire insulte au travail de nombreux collègues congolais.e.s que de penser qu’ils attendent qu’on ne sait quelle commission politique belge, quelque « décoloniale » soit-elle, vienne légitimer leur parole. Nous nous réjouissons de voir nos représentant.e.s politiques s’intéresser à cette histoire, après des années d’indifférence et dans un contexte de sous-financement chronique de la recherche ; mais ne serait-il pas intéressant de pousser l’intérêt jusqu’à prendre connaissance des travaux récents sur le sujet avant d’en débattre ?

2. « Oui mais les autres pays critiquaient la Belgique parce qu’ils voulaient le Congo pour eux et d’ailleurs la colonisation belge n’était pas pire que les autres »

Cet argument du « complot britannique » est fondé sur un double constat : les dénonciations internationales du régime de l’Etat Indépendant du Congo de Léopold II (1885-1908) venaient en grande partie d’acteurs britanniques, et elles ont parfois été instrumentalisées par les puissances rivales de la Belgique (qui n’auraient pas dédaigné de voir le Congo tomber dans leur escarcelle). Il ne s’agit pas de nier cet état de fait. Il s’agit de souligner qu’il ne suffit en aucun cas à délégitimer la pertinence des critiques formulées, comme de nombreux travaux l’ont démontré. Il faut ici rappeler que cet argument a été utilisé par la diplomatie belge dès la « reprise » du Congo en 1908 (alors que le Congo devient une colonie « nationale »), au service d’une stratégie officielle de la dénégation de ce qu’on cherchait désormais à présenter comme quelques « abus » marginaux grossis par des calomniateurs intéressés. Qu’un siècle plus tard, cette rhétorique coloniale du dédouanement, pourtant démontée dans de nombreux travaux, soit toujours mobilisée est sidérant.

Dans le même ordre d’esprit, le recours à la comparaison (« les autres pays colonisateurs ont aussi commis des violences ») comme stratégie de disculpation témoigne d’une vision a minima du raisonnement historique. Si la réflexion sur l’articulation des caractéristiques communes du fait colonial et des spécificités de chaque situation particulière ont été au cœur du renouvellement des études sur la colonisation, il ne s’agit pas de raisonner dans la perspective d’un classement au « palmarès du pire » des différents empires coloniaux. Pour les historien.ne.s, une telle démarche représente une impasse intellectuelle qui n’éclaire en rien la compréhension des violences coloniales. Quoi qu’on pense du récent rapport des experts de l’ONU, il est d’ailleurs à souligner qu’il n’épingle pas la Belgique comme un colonisateur « pire » que les autres. Il l’épingle pour l’ampleur de son refoulement face à ce passé et de son incapacité à le regarder en face.

3. « Il ne faut pas confondre le Congo de Léopold II et le Congo belge. De plus, le roi n’est pas directement responsable des abus commis à l’époque de l’Etat Indépendant »

Continuités et responsabilités restent bien souvent au cœur des débats sur le passé colonial. Beaucoup d’attention est portée à la question des responsabilités individuelles, particulièrement à la figure de Léopold II, au détriment de réflexions sur la manière dont la colonisation fait système. « Roi-bâtisseur » ou « dictateur sanguinaire » : quel que soit le « camp » du débat, l’ombre royale domine encore les mémoires.

Le régime d’exploitation mis en place par Léopold II à la fin du 19e siècle fut certes particulièrement violent. Cette violence était inscrite dans la conception même de ce régime. Que le Roi ait ou n’ait pas été au courant de tel ou tel massacre dans tel ou tel village n’atténue en rien sa responsabilité. Léopold n’était cependant qu’un acteur dans un processus global, celui de l’expansion de nations européennes sur d’autres continents. Une expansion justifiée par l’arrogante certitude en la supériorité des « Blancs », exercée par la force et soutenue par l’exploitation des ressources locales.

Ces dynamiques traversent les différents acteurs et les différents temps de la colonisation. Dans ce cadre, évaluer le caractère plus ou moins « légitime » du Congo belge en rapport au Congo léopoldien est peu pertinent. En se focalisant sur les « mains coupées » comme exemple d’un colonialisme du « pire », on atténue en comparaison la violence structurelle du colonialisme « en soi ». Enfin, il faut rappeler que tout ne change pas du jour au lendemain lors de la « reprise » (en 1908) du Congo par la Belgique. Un nouveau cadre légal voit le jour, mais ne modifie pas radicalement l’exercice du pouvoir. Par exemple, si le travail forcé est officiellement aboli au Congo belge, hommes, femmes et enfants sont encore enrôlés de force au service d’entreprises européennes. Ce type d’écart entre les principes et les pratiques est aussi un objet d’étude pour les historien.ne.s du temps colonial.

4. « Génocide ou pas génocide ? Et les 10 millions de morts du colonialisme belge ? »

Le terme de génocide renvoie à la fois à un concept juridique établi par le droit international et à une notion morale. Juridiquement, cette notion ne peut pas s’appliquer au cas du Congo colonial, notamment parce que la volonté d’extermination d’une population dont les colonisateurs avaient besoin en tant que main-d’œuvre n’est pas démontrée.

Pour autant, ce constat n’épuise pas la portée morale de cette question, pas plus qu’il n’implique de minimiser le caractère massif des violences de l’Etat Indépendant du Congo. Travail forcé, extraction contrainte de ressources, brutalités en tous genres, viols mais aussi massacres et répressions militaires ont émaillé les premières années de colonisation au Congo, dans un contexte de racisme et d’impunité institutionnalisés. Ceci ne fait plus débat pour une majorité d’historien.ne.s. Le déclin démographique important qui s’en est suivi non plus. L’estimation du nombre exact de victimes demeure certes incertaine en l’absence de chiffres précis sur la démographie de l’Afrique centrale à la fin du 19e siècle. Plusieurs hypothèses existent (allant jusqu’aux fameux « 10 millions de morts de Léopold II »), mais il reste difficile de se prononcer.

On voit comment les historien.ne.s sont ici « mal pris ». Si les querelles de chiffres comme les enjeux de qualification posent des questions importantes, ils ne nous aident pas à comprendre la complexité de cette histoire. Si nous savons que nous n’avons pas besoin d’y répondre pour affirmer le caractère incontestable et massif des atrocités commises sous le régime de Léopold II, les médias et les affrontements mémoriels utilisent eux abondamment ces questions pour cliver et/ou disqualifier les positions des un.e.s et des autres. Pour les historien.ne.s, c’est alors l’impasse : vous êtes un.e « négationniste » si vous dites ne pas avoir de certitude quant aux 10 millions de morts, un.e « repentant.e » si vous affirmez qu’il n’est pas nécessaire d’élucider ces mêmes querelles de chiffres pour reconnaître la violence du régime d’exploitation mis en place par Léopold II. En tant que scientifiques, notre rôle est peut-être de rappeler qu’il ne peut y avoir de bonne réponse à des questions mal posées.

5. « Oui mais il faut contextualiser »

La mise en contexte et la distanciation sont au cœur du travail des historien.ne.s. En histoire, il ne s’agit pas de distribuer les bons et les mauvais points ni de juger les acteurs du passé à l’aune des valeurs morales du présent. C’est en ce sens que les historien.ne.s ne peuvent pas se reconnaître dans des appels à instruire les « crimes coloniaux » dans un simulacre de tribunal. C’est aussi en ce sens que l’instrumentalisation de nos appels à la nuance et à la complexité (au « contexte ») par des interlocuteurs cherchant à diluer les responsabilités des autorités coloniales est particulièrement difficile à contrecarrer.

Ici encore, nous sommes « mal pris ». Expliquer n’est pas excuser, en histoire comme en sciences sociales. On doit reconnaître que la colonisation fut un processus d’appropriation, par la force, d’un territoire et de ses habitants, fondé sur un racisme systémique. Penser les interactions entre colonisateurs et colonisés au prisme unique de la polarité « bourreau vs. victime » ou « résistance vs. collaboration » est cependant réducteur et, paradoxalement, très… colonial. Les Africain.e.s furent aussi autre chose que des victimes passives et sans défense. Donner à voir leur capacité à négocier, contester, s’approprier, contourner et utiliser les injonctions coloniales est aussi rompre avec une grille de lecture « coloniale » de l’histoire qui a longtemps réduit les colonisé.e.s à des objets d’histoire plutôt qu’à des sujets agissants. Tous les travaux récents montrent qu’en dépit de son pouvoir de coercition, le pouvoir colonial ne fut pas omnipotent partout et tout le temps. Réduire les intermédiaires africains à des figures de coupables collaborateurs en les opposant à celles d’héroïques résistants est également simplificateur.

Rendre aux sociétés africaines leur complexité et leur autonomie historique passe aussi par une rupture avec les visions, certes bien intentionnées mais primitivistes, d’une Afrique précoloniale paisible, vivant dans l’harmonie politique et sociale. Les acteurs africains ont aussi composé avec la nouvelle donne coloniale au regard de leurs propres rivalités et ambitions, dans des marges de manœuvre variables et souvent limitées. Leurs agendas politiques et sociaux ne se conçoivent pas uniquement par rapport au pouvoir colonial, mais aussi par rapport aux dynamiques, riches et complexes, des sociétés africaines.

On voit à nouveau comment ces constats peuvent être instrumentalisés. Ce risque ne devrait toutefois pas nous faire renoncer au récit de la complexité de cette histoire. Le fait que certaines régions du Congo étaient au 19e siècle traversées par des conflits militaires liés à des affrontements politiques complexes et à des circuits de traite esclavagiste en expansion ne rend pas « moins pires » les violences de l’Etat Indépendant du Congo par exemple. Au contraire, l’articulation de ces récits permet de démontrer que non seulement l’Etat Indépendant de Léopold II est venu amplifier cette violence à une échelle inédite, mais aussi qu’il s’approprie et détourne à son propre profit les pratiques violentes des « esclavagistes » et autres autorités traditionnelles contre lesquels il prétend lutter. Quelle meilleure démonstration du fait que la « lutte contre l’esclavage » ne fut qu’un alibi ?

6. « Bien sûr, la colonisation avait des aspects négatifs. Mais il y a eu aussi de bonnes choses pour les Congolais.es : les soins de santé, l’éducation, les infrastructures par exemple. En plus, tous les Européens n’étaient pas racistes »

L’ordre colonial repose sur la proclamation d’une supposée « hiérarchie raciale ». Les « Blancs » étaient considérés comme étant biologiquement et culturellement appelés à dominer les « non-Blancs ». Dans ce cadre, dresser un bilan comptable de la colonisation est une fois encore un exercice dangereux. Combien de routes et d’écoles faudrait-il construire dans une colonie pour en « compenser » la violence raciste ? Aucune échelle de valeur ne peut être utilisée pour mettre en balance « exploitation » et « développement », a fortiori lorsque ce dernier pôle était intrinsèquement lié à l’exploitation des ressources et de la main-d’œuvre de la colonie.

Les infrastructures servaient à transporter du minerai plutôt que des passagers. La limitation des opportunités de formation offertes aux Africain.e.s était un évitement conscient de l’émergence d’une élite potentiellement contestataire. Bien sûr, la colonie était aussi le fait des Européen.ne.s qui y ont vécu et travaillé. Comme partout et toujours, il existait au sein de ces communautés un large éventail d’attitudes et de comportements ; des amitiés, de l’affection sincère ont pu émerger entre les un.e.s et les « autres ». Cependant, ces affects ne compensent pas pour autant la nature intrinsèquement raciste et exploitative de la situation coloniale. Ces deux dynamiques se situent sur un plan différent. Des rapports individuels de toutes formes ont émergé au sein d’une société fondée sur une différentiation raciste, sans en atténuer la violence structurelle.

7. « Oui mais le sort des Congolais.es n’était pas différent de celui des ouvriers belges »

Au 19e siècle, la démocratie belge n’est nulle part fidèle à elle-même. Sur le sol européen, les classes laborieuses restent dans leur majorité exclues du droit de vote et les conditions de travail du monde ouvrier demeurent épouvantables (journées de 14h, travail des enfants, maigres salaires, etc.). La question des continuités entre le paternalisme bourgeois (de « classe ») de la métropole et celui (de « race ») de la colonie est d’ailleurs un sujet très travaillé par les historien.ne.s.

Bien que pertinente, la comparaison a néanmoins ses limites. D’une part parce que la manière dont la « race » segmente la société coloniale demeure spécifique, notamment en ce qu’elle est entérinée dans un régime légal qui conditionne de manière absolue les droits politiques des uns et des autres, le régime de contrainte disciplinaire auquel ils sont soumis (en matière de « travail obligatoire » ou de ségrégation raciale par exemple) et un traitement judiciaire différencié (établissant notamment des délits et peines spécifiques aux « indigènes »). Et d’autre part parce que cette comparaison ne tient plus à mesure qu’on avance dans le 20e siècle, alors que le décalage entre l’extension des droits démocratiques en Europe et leur négation persistante dans les colonies se fait de plus en plus criant.

Enfin, ce recours opportuniste à l’analogie nous prive de penser les intersections des rapports sociaux de race et de classe, rapports qui s’articulent bien plus qu’ils ne s’opposent (et ne sont donc ni concurrents, ni mutuellement exclusifs).

8. « Quand on regarde l’histoire du Congo après l’indépendance, la colonisation ce n’était finalement pas si mal »

La période post-coloniale est exploitée comme un contre-exemple censé mettre en lumière les « bienfaits » de la colonisation : soins de santé, écoles, réseaux de transports, seraient autant de marqueurs d’un paternalisme bienveillant dont les colonisé.e.s auraient été avant tout bénéficiaires. L’Etat post-colonial serait, quant à lui, marqué par violence, corruption et dictature. Cependant, l’étude des archives met en lumière les continuités entre une colonisation qui se voulait « modèle » et une indépendance jugée « défaillante ».

Les régimes postcoloniaux ont réprimé des mouvements de contestation dans le sang, mais l’Etat colonial s’est lui aussi montré brutal plus qu’à son tour. Quand des Congolais.e.s se rebellent en 1931 au Kwango, se mettent en grève au Katanga en 1941 ou manifestent à Léopoldville en 1959, l’Etat recourt à toute sa force répressive.

La corruption « endémique » des régimes postcoloniaux est souvent épinglée. A la période coloniale aussi, de grandes entreprises ont payé des dessous-de-table à des fonctionnaires belges pour qu’ils taisent les abus perpétrés sur leurs travailleurs, voire qu’ils y participent activement. La démocratie congolaise est imparfaite et vacillante, mais la colonie n’était pas un modèle de bonne gouvernance. « Sujets » de la Belgique et non citoyens, les Congolais.es ont été exclus de participation politique jusqu’aux derniers jours de la colonie.

Il ne s’agit pas de faire porter tous les « maux » de l’indépendance à la seule colonisation, ce qui reviendrait en un sens à reproduire le discours stéréotypé d’une Afrique « victime » incapable d’agir pour elle-même. Il s’agit de constater qu’à des niveaux fondamentaux, colonisation et indépendance partagent de nombreux caractères communs, le second étant bien plus une continuité du premier que l’on ne peut le penser.

9. « Les Congolais eux-mêmes disent qu’ils regrettent les Belges »

La « nostalgie coloniale » est un argument souvent entendu dans les débats mémoriels. Il existerait un « regret » de la colonisation chez les Africains, regret explicable entre autres par une chute brutale et constante du niveau de vie dès l’indépendance. Certains opposent donc cette « nostalgie » à l’anticolonialisme d’Européens bien-pensants, dont la repentance serait en décalage avec les « vraies » aspirations des Africains.

Cet argument repose souvent sur des citations éparses, tirées de leur contexte, utilisées sans distance critique. Recourir à des opinions personnelles et en faire le reflet d’un constat largement partagé « en Afrique » est intellectuellement paresseux, et relève de l’essentialisme : « si un Noir le pense, tous les Noirs doivent donc penser la même chose ». De plus, la nostalgie est souvent une critique adressée au présent plutôt qu’un reflet fidèle du passé. Mettre en lumière ce que l’on « n’a plus » est essentiellement critiquer la société contemporaine, comparée à un souvenir idéalisé. La colonisation est un phénomène déjà lointain, dont peu de Congolais.es ont encore une expérience directe, ce qui peut renforcer l’idéalisation d’un Congo belge imaginé plutôt que vécu. Parler de « regret » de la colonie est donc inapproprié. C’est généraliser des propos individuels qui parlent moins d’un passé vécu que d’un présent imparfait.

10. « Déboulonner ou ne pas déboulonner les statues de Léopold II ? »

Pour un.e historien.ne, l’enjeu n’est pas dans le déboulonnage-ou-pas-déboulonnage de ces monuments. Il est dans la compréhension de la cristallisation des tensions mémorielles autour de ces vestiges patrimoniaux. Il est donc essentiel de rappeler que la plupart des monuments érigés à la gloire de Léopold II ne l’ont pas été pour célébrer Léopold-II-le-roi-bâtisseur, mais bien pour célébrer Léopold-II-le-roi-colonisateur. Ils ont donc été investis dès leur création d’une charge symbolique étroitement associée à la colonisation. Comment s’étonner dès lors que ces mêmes statues cristallisent aujourd’hui les polémiques par rapport au passé colonial, et que la figure de Léopold II, mythifiée par la propagande coloniale, soit érigée en symbole de la violence coloniale ?

Cette charge symbolique, qu’on la déplore ou pas, existe dans le passé comme dans le présent ; elle ne peut pas être disqualifiée comme le produit d’une quelconque hystérie émotionnelle. Rappelons également que la plupart des militant.e.s décoloniaux ne revendiquent pas un déboulonnage pur et simple, comme certains font mine de le croire. Ils appellent à une réflexion plus large sur la place de ces vestiges coloniaux dans l’espace public (projets de contextualisation, interventions artistiques, etc.).

Contre les instrumentalisations de l’histoire, en défense des savoirs longs et compliqués

Alors, excuses ou pas excuses ? Réparations ou pas réparations ? En tant qu’historien.ne.s, il ne nous revient pas de nous prononcer sur des choix politiques. A ce niveau, Il n’y a pas de « vérité » à défendre, comme le rappelait récemment une consœur. Ce sont aussi les limites de notre expertise. Nous pouvons certes contribuer au débat par nos travaux, en rappelant que l’histoire coloniale est, en son cœur, l’histoire d’une violence raciste. Et en faisant le constat objectif de ses héritages, complexes et fragmentés, et des discriminations dont les Afrodescendants sont victimes en Europe.

L’histoire peut donc beaucoup. Mais elle ne peut pas tout. Croire qu’un récit plus juste de ce que fut l’histoire coloniale suffira à balayer ces discriminations est illusoire. On enseigne beaucoup et bien l’histoire de la Shoah, et il n’empêche que l’antisémitisme est aujourd’hui plus fort qu’il ne l’a été en des décennies. Le rapport du groupe d’experts de l’ONU n’évoque que marginalement la question du passé ; c’est pourtant ce sur quoi le débat politique a choisi de se focaliser. Espérons donc que l’histoire ne serve pas cette fois à faire diversion…

L’histoire de la colonisation est chargée d’émotions, ses acteurs ont parfois été nos proches. L’envie de maintenir leur honneur ou de souligner leurs souffrances est compréhensible, mais l’historien.ne ne peut être ni le juge du passé, ni l’arbitre des mémoires en conflit. S’agirait-il dès lors de se replier sur la tour d’ivoire et sur le passé ? Bien au contraire. C’est parce que nous sommes convaincus que la transmission de cette histoire est essentielle, qu’elle a été trop longtemps négligée, et qu’elle permet aussi de penser au présent, que nous trouvons qu’elle doit être racontée dans toute son épaisseur et sa complexité. Face aux instrumentalisations du passé, aux injonctions à faire simple, aux appels à une histoire édifiante, aux interprétations d’une « demande sociale » où l’expertise historique ne serait utile que pour désigner les « responsables », réaffirmons l’importance de l’histoire comme discipline critique et d’une complexité parfois dérangeante.

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