Le privilège blanc du « Loup Solitaire »
La nuit dernière, les États-Unis ont vécu la fusillade la plus meurtrière de l’histoire moderne Américaine. Au moins 50 personnes sont mortes et plus de 500 ont été blessées. Non, ce n’est pas une faute de frappe : plus de 500 personnes ont été touchées lors d’un même événement.
Pendant que des dizaines de milliers d’individus profitaient d’un festival de musique dans les rues de Las Vegas, Stephen Paddock, âgé de 64 ans et originaire de Mesquite, Nevada, était perché 32 étages au dessus d’eux, dans sa chambre de l’hôtel Mandalay Bay. Paddock possédait 19 fusils et des kilos de munitions – le genre de matériel que l’on trouve à profusion dans un pays qui compte plus d’armes que d’habitants. Quelques minutes après 22h, Paddock a ouvert le feu sur une foule innocente. Des cibles faciles.
Aucun mur a plusieurs milliards de dollars, le long de la frontière Mexicaine, n’aurait pu empêcher cela. Aucun « Muslim Ban » stoppant l’arrivée aux frontières Américaines de migrants ou réfugiés – issus de pays définis arbitrairement – n’aurait pu l’empêcher.
Paddock, comme la majorité des tireurs de masse de ce pays, était un Américain Blanc. Et ce simple fait change absolument tout dans la façon dont cet évènement horrible est présenté dans les médias et dans le discours national : la blanchité protège, en quelque sorte, les hommes d’être labellisés « terroristes ».
Le privilège ici réside dans la conclusion finale concernant les tueries commises par des personnes issues de groupes non-blancs ; l’explication de leurs actes résiderait dans des déterminants liés à la nature même, corrosive, ou destructrice, de leur groupe d’appartenance. Quand un individu se réclamant musulman commet un acte horrible, nombreux nous diront que c’est l’Islam le problème.
Depuis des siècles, quand un acte de violence est commis par un Africain-Américain, des propos racistes s’ensuivent – et éventuellement, la criminalisation et la déshumanisation du groupe ethnique entier.
Le privilège s’observe par contraste, par la façon dont les autres sont traités, et c’est le cas aussi dans cette affaire : les hommes blancs qui ont recours à la violence de masse sont premièrement considérés comme des « loups solitaires », isolés, en aucun cas relié aux autres. L’aspect le plus problématique de la blanchité aux États-Unis est donc que cela donne un « passe-droits », que n’ont pas les autres.
Ainsi, la blanchité de Stephen Paddock lui vaut de scandaleuses protections de la part des médias.
Alors que le sang coagulait encore dans les rues de Las Vegas, « USA Today » déclarait en gros titre que Paddock était un « Loup Solitaire ». A l’heure actuelle, l’enquête sur ses motivations et sur son passé démarre seulement. La police commençait tout juste à rechercher ses logements et ses ordinateurs. Son historique de voyage n’avait pas encore été examiné. Personne encore n’avait analysé de manière approfondie sa famille, ses amis, et ses interactions sur les réseaux sociaux.
Paddock a été déclaré « Loup Solitaire » avant même que les enquêteurs ne démarrent leur travail, non pas qu’une enquête exhaustive n’ait amené à cette conclusion donc, mais parce que c’est bien la seule conclusion possible pour un homme blanc Américain qui commet une tuerie de masse.
« Loup Solitaire » ; c’est ainsi que les Américains désignent de nombreux suspects de tueries de masse. James Holmes a été appelé « Loup Solitaire » lorsqu’il a tiré et fait 12 victimes dans le théâtre d’Aurora, dans le Colorado. Et Dylan Roof, ce suprématiste blanc qui était entré dans une église de Charleston, en Caroline du Sud, et avait tiré et tué le pasteur et huit paroissiens, a aussi été rapidement déclaré « Loup Solitaire ».
Pour les gens de couleur, et particulièrement pour les Musulmans, le traitement est bien souvent différent. Les Musulmans sont régulièrement labellisés « terroristes » avant même que toutes les données n’aient été révélées.
Regardez le président Donald Trump. Ce matin, Trump a tweeté « mes condoléances les plus chaleureuses et toute ma sympathie aux victimes de la terrible tuerie de Las Vegas, ainsi qu’à leurs familles. Dieu vous bénisse ! ». Bien, mais Trump ne semble même pas en colère. Il est bien singulier qu’il n’ait pas appelé le tueur un « fils de pute » comme il l’a fait pour ces joueurs de baseball qui ont posé un genou à terre pendant l’hymne national. Il n’a créé aucun surnom insultant pour Paddock, ni fait pression pour une réponse politique immédiate.
Comparez donc cela à la façon dont Trump gère les événements lorsqu’il pense que les assaillants sont musulmans. Après qu’une bombe ait explosé dans le métro Londonien, Trump a tweeté que les attaquants étaient des « losers de terroristes » – avant même que les autorités Britanniques n’ait désigné un suspect. Il a immédiatement utilisé cette attaque pour promouvoir son « Muslim Ban ».
Nous devons nous poser la question : pourquoi est-ce que certains actes de violence révoltent tant Trump et sa clique, tandis que d’autres récoltent de chaleureuses pensées et des prières ? Il s’agit de la tuerie de masse la plus meurtrière de l’histoire Américaine ! Où est l’indignation ? Où sont les propositions politiques ?
Ce que nous constatons, c’est le privilège blanc, flagrant, qui protège même Stephen Paddock -un assassin de masse- d’être désigné comme terroriste d’une part, et d’autre part, le protège de la colère, de la rage, de la damnation et de la furie qui se seraient certainement abattues sur lui s’il était autre chose qu’un homme blanc. Sa peau le préserve. Elle préserve aussi notre nation d’une conversation honnête avec elle-même, afin de comprendre pourquoi tant d’hommes blancs font ce qu’il a fait, et sur pourquoi cette nation semble absolument déterminée a ne rien faire ou presque à ce sujet.
J’ai échangé avec 2 personnes ce matin, une noire et l’autre Musulmane. Les 2 m’ont dit que lorsqu’elles ont appris pour cette horrible tuerie de masse à Las Vegas, elles ont immédiatement espéré que le tireur ne soit pas noir, ni Musulman. Pourquoi ? Elles savaient que l’impact en retour sur l’ensemble sur tous les Africains-Américains ou Musulmans serait féroce si le tireur appartenait à l’une de ces communautés.
Que des individus se sentent en quelque sorte soulagés parce que le tireur est blanc, car elles savent qu’elles n’en souffriront pas en retour, est le signe d’un profond malaise. En revanche, les blancs n’ont pas eu de ressenti similaire ce matin, 400 ans d’histoire Américaine leur garantissent que de telles conséquences ne sont pas a craindre pour eux suite aux meurtres commis par Paddock.
Il s’agit la d’une illustration du privilège blanc, ce n’est pas seulement obtenir des bénéfices dans notre société, c’est aussi la liberté de ne pas subir certaines conséquences d’actions individuelles ou de groupes.
SHAUN KING
Traduction Caro Moop pour Bruxelles Panthères