“Jim Crow” se porte bien, il règne en maître en Israël
Stanley L Cohen
Pendant des années, Israël nous a vendu – et nous, aux États-Unis nous étions de bons clients – son slogan à bon marché prétendant être “la seule démocratie” au Moyen-Orient. Il est entouré de paroles qui sonnent agréablement et qui, quelle que puisse être en pratique la signification de ces refrains , sont propres à rassurer, comme “opportunité” ou “paix”.
Mais, tout comme la beauté réside surtout dans l’œil du spectateur, tôt ou tard la réalité finit par apparaître à la surface, si soigné qu’ait été l’emballage dans laquelle la fiction était présentée.
Nous, aux États-Unis, nous sommes vraiment forts pour faire notre propre packaging, et notre comédie de l’égalité et de la justice n’a pas son pareil sur terre. Nous avons bien vendu ce truc, en quantités industrielles. Et, à la manière d’un beau-fils plein de bonne volonté, Israël a bien retenu la leçon que nous donnons, à savoir que si vous répétez quelque choses assez longuement et avec assez de vigueur, de pouvoir et d’argent pour l’appuyer, cela commence à acquérir une vie propre, surréelle, sans aucune considération pour la quantité de vérité qui sert de support à la broderie du mensonge.
En effet, nous somme très compétents quand il s’agit de brouiller les cartes. Nous connaissons ça sur le bout des doigts. Nous nous sommes dissimulés à l’abri du brouillard pendant si longtemps que même aujourd’hui ceux qui nous rappellent qu’en fait la terre n’est pas plate demeurent des hérétiques qu’il faut mépriser. Avons-nous finalement trouvé les armes de destruction massive ?
Longtemps avant qu’Israël ait mis en place des communautés séparées, divisées par la volonté de la loi afin d’opérer une ségrégation entre les citoyens Juifs et leurs près de 2 millions de voisins arabes, les États-Unis avaient porté l’art de diviser artificiellement à la perfection.
Grâce à l’efficacité de l’illusion, de la côte est à la côte ouest, on pouvait entendre le refrain selon lequel la ségrégation raciale était légal pour autant que les moyens mis à la dispositions de chacune des races soient égaux.
Pendant des décennies, la fiction légale du “séparés mais égaux” a été le mantra que l’État et les gouvernements locaux, partout aux États-Unis, ont répété pour justifier la ségrégation artificielle, quoiqu’en effet légale, entre des dizaines de millions d’Américains, sur base de la race et de rien d’autre.
Que ce soit dans les services, les infrastructures, les logements publics, les transports, les soins médicaux, l’emploi, les bureaux de vote ou dans les écoles, noirs et blancs ont été séparés sous le pauvre alibi que l’isolement artificiel des races assurait l’égalité, tant que les conditions de leur séparation étaient légales.
Ces lois finirent par être connues sous le simple nom de “Jim Crow”.
Entrez chez Jim Crow
En effet, l’idée que la séparation sur base raciale ou religieuse n’est pas seulement préférable, mais qu’elle aide chacun à développer ses capacités à suivre sa propre voie, séparément mais dans l’égalité, est devenue un exercice intellectuel pervers qui fondamentalement n’a servi qu’à une chose, à savoir exalter la suprématie d’une race au détriment d’une autre.
Laissons de côté, pour le moment, la réalité que les infrastructures et les services mis à la disposition des Afro-Américains étaient presque toujours de qualité inférieure à celle dont jouissaient les Américains blancs, mais finalement la Cour Suprême des États-Unis en a eu assez. Elle a décidé que « séparés » ne pouvait jamais vouloir dire “égaux”, et cela même s’il y avait équivalence entre les opportunités et les infrastructures.
Ainsi qu’elle l’a écrit dans sa décision fondamentale de 1954, l’affaire “Brown contre Board of Education”, qui mettait en cause la notion de ségrégation égalitaire, l’inégalité est inhérente à tous les systèmes d’éducation séparés. Dans une formulation qui a finalement pris toute son l’importance dans l’éducation, puis ailleurs dans tout les États-Unis, la Cour a estimé à l’unanimité que :
«Aujourd’hui, l’éducation est peut-être la plus importante des fonctions des États et des gouvernements locaux. L’enseignement obligatoire, et l’importance des budgets consacrés à l’éducation démontrent la reconnaissance de l’importance de l’éducation dans notre société démocratique. … Elle constitue la base même du civisme. … Une telle opportunité, où l’État s’est engagé à la fournir, est un droit qui doit être mis à la disposition de tous sur un pied d’égalité.
La ségrégation des enfants blancs et “colorés” dans les écoles publiques a un effet préjudiciable pour les enfants “colorés”. L’impact est plus grand quand il a la sanction de la loi; car la politique de séparation des races est habituellement interprétée comme le signe d’une infériorité du groupe nègre. Un sentiment d’infériorité affecte la motivation des enfants pour apprendre. La ségrégation avec la sanction de la loi, pour cette raison, a une tendance à retarder le développement éducatif et mental des enfants nègres et à les priver des avantages dont ils bénéficieraient dans un système scolaire d’intégration raciale.»
Ces lignes ont été écrites à peine six ans après que l’État d’Israël ait obtenu sa reconnaissance par l’ONU. Néanmoins, 62 ans plus tard, le jugement Brown demeure un élément pivot de tout idéal démocratique, et pourtant Israël s’enorgueillit d’appliquer des âneries suprématistes rejetées depuis longtemps.
Des écoles séparées
En Israël, les écoliers palestiniens – environ 480.000 enfants – représentent 25% du total de la population scolaire de l’État. Les étudiants palestiniens et Juifs, de l’école élémentaire aux écoles supérieures, étudient dans des institutions séparées.
Ainsi que l’a dit [la Cour Suprême dans son arrêt] Brown v. Board of Education, les discriminations institutionnalisées dans le système d’éducation entravent la capacité des étudiants à développer les compétences et le savoir qui leur permettraient de participer sur un pied d’égalité, en tant qu’individus, à une société libre.
En Israël, cela n’a rien d’un accident. C’est au contraire le résultat d’un effort délibéré pour assurer un avantage éducationnel, social et politique des Juifs sur leurs homologues palestiniens.
En 1969, l’État a passé une loi qui a accordé une reconnaissance statutaire aux institutions culturelles et éducatives et a défini leurs objectifs comme étant le développement et l’accomplissement des objectifs sionistes afin de promouvoir la culture et l’éducation juives.
A la lumière de cela, en Israël, les enfants palestiniens reçoivent une éducation inférieure à pratiquement tous égards si on la compare à celle des enfants juifs.
Les écoles palestiniennes reçoivent beaucoup moins de moyens financiers que les écoles juives – trois fois moins, si on se réfère aux données officielles de l’État depuis 2004. A Jérusalem, c’est la moitié du financement.
Ce sous-financement se retrouve dans de nombreux domaines, y compris des classes relativement surpeuplées et des infrastructures et équipements médiocres. Beaucoup de communautés ne disposent pas d’un jardin d’enfants pour les bambins de trois ou quatre ans. Certaines écoles n’ont pas de bibliothèque, de conseillers ou d’installations récréatives. Leurs élèves bénéficient de moins de programmes d’enrichissement ou de remédiation, et de services éducatifs spécialisés, que les enfants juifs.
Les étudiants palestiniens sont également sous-représentés dans les universités israéliennes et les écoles supérieures. Des études récentes montrent que seulement 10% des citoyens palestiniens ont suivi les programmes d’enseignements universitaire de premier cycle, et que seuls 7,3% ont été jusqu’à un master, 4% ayant obtenu un doctorat. Dans les universités israéliennes, 1,2% seulement des titulaires de postes d’enseignement sont des universitaires palestiniens [1].
Comme toute une panoplie de politiques budgétaires qui privilégient la majorité juive, les bourses d’État pour les droits d’inscription des étudiants, les aides au logement et les possibilité d’obtenir un emploi sont réservées à ceux qui ont effectué un service militaire dans l’armée israélienne, ce qui en pratique exclut les Palestiniens.
L’impossibilité, pour les citoyens palestiniens d’Israël, de choisir librement l’endroit où il vivent et travaillent n’est pas moins pernicieuse.
Ségrégation communautaire
En 1952, l’État d’Israël a autorisé l’Organisation Sioniste Mondiale et l’Agence Juive à agir comme des organismes quasi-étatiques afin de faire progresser les objectifs du sionisme, au détriment des minorités, y compris celles qui disposent de la citoyenneté israélienne.
En vertu de la “Loi sur l’acquisition de la terre” de 1953, le territoire de 349 villes et villages palestiniens, soit approximativement 1.212 kilomètres carrés, a été transféré à l’État afin d’être utilisé prioritairement au bénéfice de la majorité juive.
En 1953, la Knesset a délégué l’autorité gouvernementale d’acquérir des terres pour l’usage exclusif des Juifs au Fonds National Juif. L’État a accordé des avantages financiers, y compris des réductions d’impôts, afin de faciliter de telles acquisitions. Aujourd’hui, 12,5% du territoire israélien sont la propriété du Fonds, qui en interdit la vente ou la location à des non-Juifs, en raison d’un supposé “danger” que représenterait la possession de la terre d’Israël par des non-juifs.
En 1960, l’État a adopté une loi qui dispose que la propriété de “terres israéliennes”, à savoir les 93% du territoire que contrôlent l’État et le Fonds, ne peuvent être transférés de quelque manière que ce soit.
En pratique, cela signifie que les personnes qui désirent s’installer dans quelque 700 localités et communautés agricoles réparties sur tout le territoire d’Israël doivent soumettre leur candidature à un jury composé exclusivement de Juifs, qui dispose du droit de décider, sans appel, d’accepter ou de refuser cette demande. Ces jurys, dans lequels on trouve des représentants de l’Organisation Sioniste Mondiale, prennent en considération une série de critères, tels que “la compatibilité avec la vie sociale communautaire” et “le tissu social et culturel de la ville”.
Le processus d’admission garantit que la quasi-totalité des villes et villages israéliens demeureront des enclaves juives, et ne seront qu’un mirage pour les citoyens palestiniens qui désirent vivre dans l’égalité au sein de communautés pleinement intégrées. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner dès lors que, dans l’Israël de Jim Crow, peu de citoyens palestiniens ont été jugés dignes d’être autorisés à s’installer dans ces communautés.
En vertu du contrôle de l’État sur la composition raciale des municipalités dans tout Israël, la plupart des citoyens palestiniens sont contraints de résider et de travailler dans les villes et villages palestiniens, notoirement surpeuplés.
En fait, depuis 1948, l’État d’Israël a créé des centaines de nouvelles localités juives, sans permettre la construction de la moindre nouvelle municipalité palestinienne. Sur l’ensemble du territoire israélien, seules 2,5% des municipalités sont dirigées par des Palestiniens [1]. Parmi les 40 villes israéliennes où le taux de chômage est le plus élevé, 36 sont des villes palestiniennes, et le taux moyen d’emploi des citoyens palestiniens n’est que de 58,6% de celui des Juifs Israéliens. Environ 53% des familles d’Israël en situation de pauvreté sont palestiniennes [1].
L’inégalité au parlement israélien
Depuis des années, la Knesset s’est abrités sous les apparences de la démocratie, tout en agissant arbitrairement afin de s’assurer que le contrôle politique et démographique reste exclusivement dans les mains des citoyens et des parlementaires juifs de l’État.
Par exemple, dans le but de maintenir une majorité démographique juive, la “Loi sur l’unification des familles” de 2003 interdit aux citoyens palestiniens d’Israël de bénéficier d’un regroupement familial avec leurs épouses qui vivent en Cisjordanie ou dans la Bande Gaza. Le résultat est que plus de 150.000 enfants nés de ces unions dites “mixtes” se voient refuser les droits et privilèges les plus élémentaires qui sont attachés à la citoyenneté israélienne.
Dans une série d’autres lois, la Knesset n’a pas seulement imposé aux citoyens palestiniens une vaste série de limitations aux libertés de mouvement, d’expression et d’accès aux fonctions politiques, mais a aussi imposé des limites idéologiques aux plate-formes des partis politiques auxquels ils peuvent appartenir.
Par nature, de telles lois contrecarrent la capacité des Palestiniens à influer sur un processus politique qui, chaque jour, contrôle chaque aspect de leur vie, et les rend essentiellement impuissants d’apporter quelque changement fondamental que ce soit au système lui-même. Ces restrictions ont pour objet de refuser aux citoyens palestiniens [d’Israël] une égalité des chances de jouer un rôle dans la vie politique israélienne, par rapport à leurs homologues juifs.
La dernière initiative en date de la Knesset afin d’étouffer la minorité palestinienne consiste à proposer une loi qui permettrait de suspendre ses représentants élus non pas en raison d’agissements criminels dont ils se rendraient coupables, ou même d’une quelconque violation des usages parlementaires, mais simplement parce que leurs objectifs politiques sont répréhensibles aux yeux de la majorité juive.
D’autres lois permettent aux députés [juifs] de la Knesset de priver les députés palestiniens de leur siège au parlement s’ils expriment leur opposition à Israël en tant que “État juif et démocratique”. Récemment, la députée Haneen Zoabi a été exclue des débats parlementaires pour six mois parce qu’elle avait qualifié, devant la Knesset, les soldats israélien de “meurtriers” pour leurs agissements lors de l’abordage du Mavi Marmara, qui avait coûté la vie à neuf militants pro-palestiniens [en 2010].
En d’autres occasions, la Knesset a imposé des restrictions drastiques à la liberté de députés élus de la minorité palestinienne, tant à l’intérieur qu’à l’étranger.
Il existe actuellement une loi qui interdit l’existence de tout parti qui remettrait en question l’existence d’Israël en que “État juif” ou qui plaiderait en faveur de droits égaux pour tous les citoyens quelque soit leur appartenance ethnique. Une autre loi donne au Ministre de l’Intérieur le pouvoir de déchoir de la nationalité israélienne les personnes qui “violent” leur “allégeance” à l’État.
Une insaisissable poursuite de la justice
Il n’est pas contestable qu’Israël est devenu un pays où des lois sont promulguées dans le but de faire obstruction au libre exercice des droits politiques fondamentaux de ses citoyens palestiniens.
Dans toute société véritablement “démocratique”, les citoyens doivent pouvoir en fin de compte chercher à obtenir réparation pour les préjudices qu’ils subissent, qu’ils soient institutionnels ou privés, en faisant appel à un système judiciair indépendant, accordant la même protection et la même justice à tous ceux qui se placent sous sa protection, sans distinction de race, de croyances ou de religion. Il est difficile d’imaginer un arbitre plus fondamental ou essentiel des droits de tous qu’un système judiciaire qui n’obéit à aucune autre obligation que de faire en sorte que justice soit faite, sans tenir compte de l’appartenance ethnique de ceux qui se présentent devant lui.
Pourtant, en Israël, de manière structurelle, le recours à la Justice par les citoyens palestiniens est illusoire, tant il est conçu pour perpétuer leur condition de citoyens de seconde classe, de façon très similaire à ce qui se passait pour les citoyens afro-américains aux États-Unis, qui ont longtemps subi les pratiques obscures de la théorie “séparés mais égaux”.
Par exemple, plus de 200 jugements importants prononcés par la Cour Suprême d’Israël ont été traduits en anglais et publiés sur le site web de la Cour, ainsi que l’original en hébreu. Et, alors que la majorité de ces jugements concernent des citoyens palestiniens d’Israël, aucun n’a jamais été traduit en arabe [2].
Dans l’histoire de la Cour Suprême israélienne, il n’y a eu que deux juges appartenant à la minorité palestinienne, et parmi eux aucun n’était une femme. Actuellement, tous les 15 membres de la Cour Suprême, à l’exception d’un seul, sont Juifs. Au niveau des juridictions ordinaires, les Palestiniens d’Israël représentent moins de 5% de ceux qui occupent une fonction judiciaire, et la proportion est plus faible encore parmi ceux qui président un tribunal du travail.
Historiquement, la Cour Suprême a adopté les valeurs majoritaires, dans ce qui ne peut être décrit que comme une abdication globale de sa responsabilité de faire en sorte que la Justice soit rendue de manière égale pour Palestiniens et Juifs. Ainsi, la Cour Suprême a soutenu les restrictions inscrites dans la “Loi du retour” de 1950, qui permet à tout Juif d’émigrer en Israël et d’en obtenir la citoyenneté, mais qui refuse la même protection aux Palestiniens, même ceux qui sont nés dans le territoire qui constitue aujourd’hui l’État d’Israël.
De même, la Cour a soutenu la légalité de la loi de janvier 2003 sur l’unification des familles, qui empêche un citoyen [israélo-]palestinien de construire une famille en Israël avec une épouse palestinienne des territoires occupés. Cette loi controversée a été introduite comme un amendement de la “Loi sur la citoyenneté” de 1952, qui réglemente l’octroi de la citoyenneté aux non-juifs.
En 2014, la Cour Suprême a rejeté une pétition introduite par Adalah, le centre de défense juridique de la minorité arabe en Israël, qui contestait la judaisation permanente de terres appartenant à des Palestiniens, initialement confisquées à des réfugiés palestiniens à l’intérieur d’Israël. Selon Adalah, la décision de la Cour consolide la ségrégation raciale, et – comme l’écrit Annie Robbins sur le site Mondoweis – “aboutira à la poursuite de la concentration et au confinement de la population palestinienne en Israël”.
Il ne s’agit là que de quelques unes des nombreuses décisions de la Cour Suprême qui ont défavorablement affecté les citoyens palestiniens d’Israël essentiellement sur base de leur statut de citoyen de seconde classe.
La définition de l’État d’Israël comme “État juif” fait des inégalités et des discriminations contre les Palestiniens un objectif politique. Le mariage des termes “Juif” et “démocratique” garantit la la discrimination contre les citoyens qui ne sont pas juifs, et entrave nécessairement la réalisation d’une égalité complète entre tous les citoyens d’Israël.
Israël a amélioré son art de vendre subtilement une version «nuancée» d’un récit imaginaire de ce dont nous, aux États-Unis, nous avons toujours osé rêver.
Ce à quoi, cependant, l’“État juif” n’a pas encore été confronté, c’est que, finalement, les mythes concernant l’égalité des chances et la justice pour environ 20% de sa population sont spécieux et qu’en fin de compte de telles sornettes ne résistent pas au temps, que ce soit par la force de la loi ou, tragiquement, par la violence.
Stanley L. Cohen
Source: Al Jazeera News – Traduction : Luc Delval
Stanley L. Cohen est un avocat et un militant des droits humains basé aux États-Unis, qui a beaucoup étudié le Moyen-Orient et l’Afrique. Il a travaillé dans de nombreux dossiers juridiques internationaux, y compris celui qui concernait le leader du Hamas Mousa Abu Marzook. Il a travaillé comme consultant pour des gouvernements et des organisations du Moyen-Orient, dont le Hamas et le Hezbollah, et des ONG et fondations en Palestine, en Égypte, en Syrie, au Liban, en Arabie Saoudite et en Turquie.
[1] pour mémoire, 20% de la population d’Israël sont des Palestiniens – NDLR
[2] l’arabe est officiellement la seconde langue officielle de l’État d’Israël – NDLR
Jim Crow, de sinistre mémoire
Jim Crow était le nom donné au système de castes raciales qui a été en vigueur principalement, mais non exclusivement, dans les états du sud des États-Unis et dans les états frontaliers, entre 1877 et le milieu des années 1960. Jim Crow était plus qu’une série de rigides lois anti-nègres. C’était une manière de vivre.
En théorie, l’adoption des 13e, 14e et 15e amendements de la Constitution a accordé aux Noirs les mêmes protections légales qu’aux Blancs. Mais après 1877 et l’élection du Républicain Rutherford B. Hayes, les états du sud et les états frontaliers ont commencé à restreindre les libertés des Noirs, avec l’aide de la Cour Suprême, dont les arrêts ont légitimé Jim Crow. Par exemple, certaines lois n’autorisaient à voter que ceux dont les ancêtres avaient voté avant la “guerre de sécession” (tous blancs, bien entendu), ou encore imposaient des “tests d’alphabétisation” avec des questions choisies pour éliminer pratiquement tous les noirs.
Sous Jim Crow, les Afro-américains étaient relégués dans un statut de citoyens de deuxième catégorie. Jim Crow représentait la légitimation du racisme anti-noirs. Beaucoup de membres du clergé chrétien et de théologiens soutenaient que les Blancs étaient “le peuple élu”, que les Noirs étaient destinés à être leurs serviteurs, et que Dieu était en faveur de la ségrégation raciale.
Toutes sortes de “scientifiques” – se passionnant les uns pour l’étude des formes comparées des crânes, les autres pour l’eugénisme, les troisièmes pour la phrénologie, et autres adeptes du “darwinisme social” – rivalisaient d’imagination pour donner un prétendu fondement scientifique à l’idée que les Noirs étaient, par nature, intellectuellement et culturellement inférieurs aux Blancs.
Les politiciens pro-ségrégation se répandaient en discours sur les grands dangers de l’intégration : l’abâtardissement de la “race blanche”. Dans les journaux et les magazines, les Noirs étaient couramment désignés comme les “nègres” ou sous les termes insultants de “coon” ou de “darkies”, et les articles qui renforçaient les stéréotypes raciaux anti-noirs étaient d’une grande banalité. Mêmes jeux d’enfants (blancs) représentaient les Noirs comme des êtres inférieurs, et toutes les institutions sociales reflétaient et soutenaient l’oppression des Noirs.
Le système Jim Crow reposait sur une série de croyances et de rationalisations des préjugés raciaux : les Blancs étaient supérieurs aux Noirs pour tout ce qui était important, à savoir (liste non limitative) l’intelligence, la moralité, le comportement civilisé,… et les relations sexuelles entre Blancs et Noirs ne pouvaient que produire qu’une race de bâtards qui détruirait l’Amérique. Traiter les Noirs en égaux encouragerait ces relations sexuelles, de même d’ailleurs que toute forme d’activité sociale de nature à suggérer une égalité raciale. Si nécessaire, la violence devait être utilisée pour garder les Noirs au niveau inférieur de la hiérarchie des races.
Évidemment, des lois “anti-métissage”, interdisant les mariages “mixtes” et les relations sexuelles entre “blancs“ et “colorés” furent édictées dans de nombreux états. Indépendamment des sanctions prévues par la loi, les Noirs accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec une “blanche” (étant entendu que cela était forcément qualifié de viol) l’ont très souvent payé de leur vie dans des conditions atroces.
Sous Jim Crow :
- Un homme noir ne pouvait tendre la main à un homme blanc pour le saluer, car cela aurait impliqué qu’il lui soit socialement égal. Évidemment, un homme noir ne pouvait tendre la main, ou quelque partie que ce soit de son corps, à une femme blanche sans être susceptible d’être accusé de viol.
- Blancs et Noirs n’étaient pas supposés manger ensemble. Si cela se produisait, les Blancs devaient être servis en premier lieu, et il devait y avoir une séparation quelconque entre eux.
- En aucune circonstance, un homme noir n’était autorisé à offrir du feu à une femme blanche pour allumer une cigarette, car cela aurait suggéré une forme d’intimité.
- Les Noirs n’étaient pas autorisés à manifester de l’affection les uns envers les autres en public, spécialement s’il s’agissait de s’embrasser, car cela aurait choqué les Blancs.
- Les “bonnes manières” imposaient que les Noirs soient présentés aux Blancs, jamais l’inverse. Par exemple, «M. Peters (le Blanc), voici Charlie (le Noir), dont je vous ai parlé».
- Les Blancs n’utilisaient pas de formules de courtoisie pour désigner les Noirs. Par exemple “Monsieur”, “Madame”, “Mademoiselle”,… Au lieu de cela, ils étaient simplement désignés pas leur prénom. En revanche, les Noirs étaient supposés faire référence aux Blancs sans omettre aucune marque de respect, et il était hors de question qu’ils les appellent par leur prénom.
- Si un Noir voyageait dans une automobile conduite par un Blanc, il était supposé s’asseoir sur le siège à l’arrière, ou s’il s’agissait d’un camion dans le compartiment des marchandises.
- Les conducteurs blancs avaient toujours la priorité aux carrefours.
Les règles de l’étiquette complétaient les lois de Jim Crow : la plupart des gens pensent d’abord aux lois comme par exemple celles qui excluaient les afro-américains des transports publics, du droit de siéger dans les jurys dans les tribunaux, d’occuper certains emplois ou d’habiter dans certains quartiers. Il y avait des hôpitaux séparés pour blancs et noirs, et même les prisons étaient séparées. Le cas échéant, une loi prévoyait des plages séparées pour blancs et noirs… mais en pratique les plages réservées aux noirs n’existaient pas.
source : Jim Crow Museum of racist memorabilia
Les nazis ont jugé “Jim Crow” trop extrémiste
pour le transposer dans leurs lois contre les Juifs
Un livre récent [2017] jette une une lumière crue sur Jim Crow. Il s’agit de “Hitler’s American Model« , par James Q. Whitman, historien et juriste, enseignant dans les Universités de Yale et de Columbia, lauréat de la Bourse Guggenheim des sciences sociales, qui a étudié le processus selon lequel après l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne, leurs juristes ont préparé ce qu’on appelle couramment les “lois de Nuremberg”, qui ont jeté les bases juridiques des persécutions raciales antisémites dans l’Allemagne nazie.
A cette époque, les nazis n’avaient pas encore l’intention d’exterminer les Juifs, qu’ils voulaient “seulement” exiler, rappelle-t-il. Il note : «Il est particulièrement remarquable que les auteurs nazis du début des années 1930 voyaient un clair parallèle entre le “problème nègre” des Américains et leur propre “problème juif”; il est tout simplement faux d’affirmer, comme certains érudits l’ont fait, que l’Amérique n’était d’aucun intérêt pour l’Allemagne nazie parce que les Juifs n’y étaient pas persécutés. Par exemple, [un auteur nazi] estimait que le seul espoir restant à l’Amérique était une déportation en masse des noirs – exactement comme le seul espoir des Allemands résidant dans le mouvement sioniste».
Les juristes nazis ont cherché, dans les législations étrangères, des textes dont ils pourraient utilement s’inspirer, et les États-Unis (ainsi que d’autres pays anglo-saxons) les leur en ont fournis en abondance. Il y avait à cette époque des législations raciales dans au moins 30 des états américains.
L’auteur, analysant les minutes de réunions de dignitaires nazis de haut niveau chargés de préparer les textes en question, établit que parmi eux les plus enthousiastes vis-à-vis des lois étatsuniennes de l’époque, et de “Jim Crow” en général, étaient les plus violemment racistes, les plus désireux de doter l’Allemagne de la législation la plus ouvertement raciste et la plus radicalement antisémite possible.
Qui plus est, les nazis qui étudiaient la législation raciale en vigueur aux États-Unis – même les plus radicaux d’entre eux – avaient estimé, selon James Q. Whitman, qu’à certains égards elle “allait trop loin”, notamment en ce qui concerne les textes visant à prohiber les métissages. Ceux-ci leur ont paru “trop durs” pour être transposés tels quels dans la législation du IIIème Reich, particulièrement en ce qui concerne le classement abrupt, binaire, opéré entre “blancs” et “non-blancs”.
Aux États-Unis, on a longtemps considéré comme noire toute personne ayant non pas un ou deux grands-parents afro-américains, mais simplement un ancêtre noir. Cette règle a été institutionnalisée dans nombre d’États du sud et servait de base au régime de ségrégation. Elle est entrée dans l’histoire comme la « règle de l’unique goutte de sang » : une seule goutte de sang noir vous rangeait dans la catégorie honnie des “personnes de couleur”. Les nazis ont eu soin de se montrer plus nuancés que les législateurs étatsuniens quand il s’est agi pour eux de décider qui devait être juridiquement considéré comme Juif.
Aux États-Unis, dans certains états du sud, la « règle de l’unique goutte de sang » visant notamment à décourager les mariages inter-raciaux est restée en vigueur jusqu’en 1967 !
L.D.