Je reviens tout juste du procès de Moad
Je reviens tout juste du premier procès de policiers en Belgique.
Moad, 14 ans, 1m50, 45kgs[1], a été tabassé en janvier 2013 par quatre policiers mâles à coups de matraque pour avoir fui un contrôle d’identité.
J’arrive avec un t-shirt décoré aux couleurs de « Justice pour Moad ». Très vite, des camarades se font interpeller et on leur demande d’ôter le vêtement en question. Sans demander plus d’explications, elles obéissent, tandis que j’essaie de cacher le motif sous ma veste, afin qu’on ne m’oblige pas à me rendre nue au procès. En effet, je ne portais que ce t-shirt ce jour-là, zappé total le soutien-gorge.
Ces hommes blancs de deux mètres de haut finissent par remarquer les écritures, et me demandent d’ôter mon t-shirt comme tout le monde. Je leur explique calmement que je ne porte rien en-dessous et je me fais engueuler comme du poisson pourri. On me dit que si je continue on va me mettre dehors. L’un deux, le plus vieux déguisé en civil, le visage violacé de colère, me regarde par-derrière tandis que j’enfile un haut prêté par une amie. Il arrache mon t-shirt des mains avant que j’aie pu écrire mon nom dessus et le balance dans le tas de « Justice pour Moad ». Je dégaine mon stylo plume et tente d’écrire mon nom sur l’étiquette du t-shirt. Ils se mettent à trois pour me pousser en hurlant : il est interdit d’écrire son nom sur son t-shirt. La limace violacée menace de me mettre en arrestation administrative. « Pour quel motif ? » je lui demande. Il ne répond pas, il ne fait que pester dans sa barbe. Je lui demande si on vit dans un État totalitaire, ce à quoi il me répond « oui. »
Nous arrivons (militants, sympathisants, soutiens) devant la chambre où se déroulera le procès. La salle est vide, mais on ne nous laisse pas entrer. Il y a même deux membres de la famille à qui on interdit l’accès sans raison. Le violacé est encore là pour nous surveiller avec son oreillette. Le mec se croit dans Ocean’s Eleven, mais passons. Devant l’injustice du traitement, nous décidons d’attendre, sans échauffourées. Ils nous soupçonnent d’être des sauvages, des gens non-civilisés et indomptables. Ils ont peur de nous, de notre mélanine, de nos tignasses noires. L’une d’entre nous, blanche et blonde, réussit à entrer (portable confisqué bien sûr). Elle appelle à l’aide l’avocat de Moad. Il répond à l’appel et exige qu’on laisse rentrer les proches. Certains d’entre nous peuvent finalement passer, sous réserve d’un énième contrôle d’identité et d’une confiscation des téléphones.
Procès des 5 policiers : le pire que j’ai jamais vu depuis Mummia Abu Jammal et son juge qui voulait « fry that nigger » (faire frire à la chaise électrique ce nègre).
Inconnu des services de police jusqu’alors, Moad ne comprend guère pourquoi on veut le contrôler ce jour-là. Il prend peur et se met à courir. Et c’est bien là la seule chose qu’ils peuvent lui reprocher. D’avoir fui. Mais ils le rattrapent très vite en voiture. L’un le frappe avec sa matraque, l’autre le plaque contre un mur, et pendant qu’une policière lui passe les menottes, deux hommes lui tiennent les bras. Je vous laisse imaginer la scène, d’autant que ces cinq personnes sont plutôt bien bâties et font toutes le double de ce jeune fluet.
Le procès, qui s’est tenu le 30 novembre 2016, a été maintes fois reporté comme c’est souvent le cas lors de violences policières. On nous parle de « violence justifiée », « d’usage raisonné de la force », d’un « jeune qui ne se laisse pas maîtriser » (c’est vrai qu’à quatre gorilles contre un ouistiti, on comprend qu’ils aient eu du mal).
On apprend qu’ils l’ont encore frappé dans la voiture (ce qu’ils réfutent catégoriquement) et dans le commissariat. Mais ça, on ne peut pas le prouver, parce que douze minutes de la bande vidéo ont mystérieusement disparu. Fait qui reste, selon le procureur, « toujours inexpliqué ». Un autre fait toujours inexpliqué, c’est ce que faisait Moad à cette sortie de métro avec son ami déjà connu des services de police.
Depuis quand doit-on s’expliquer et se justifier d’être simplement dans la rue, me direz-vous ? Eh bien depuis que le juge a décidé de se faire directement avocat des policiers et de leur « prétendu » usage abusif de la violence.
Depuis qu’il se permet de demander à Moad s’il était en train de « traîner dans les quartiers ».
Depuis qu’il juge bon de préciser que Moad est un élève « médiocre, plusieurs fois expulsé de son établissement ».
Depuis qu’il l’humilie et le décrédibilise aux yeux de ses pairs.
Depuis qu’il fait un procès à Moad et pas aux policiers.
En somme, ce que je retiens de ce procès, ce sont les photos d’un enfant de 45kgs tabassé par des brutes. Sang, hématomes, et trace de chaussure dans la face, constatés plusieurs heures après les faits par les médecins-urgentistes.
Parce que oui, les parents de Moad, en voyant rentrer leur petit dans cet état, ont accouru aux urgences. Ce que le juge qualifie de « blessures superficielles », ce sont des cicatrices toujours visibles aujourd’hui.
Mais qu’importe, puisqu’à en écouter le juge, il l’avait bien mérité. Ce bougnole insolent avec ses sales notes, qu’il se fasse tabasser maintenant ou demain par les policiers, qu’est-ce que ça change ? De toute façon, on n’aime pas ça ici, les Arabes. On leur fait des procès en espérant qu’ils se cassent d’eux-mêmes ou qu’ils se tiennent à carreaux.
Je pensais assister au procès de cinq policiers. Je reviens tout juste du procès de Moad.
[1] Au moment des faits