Hezbollah, Hamas, PKK, vous avez dit terrorisme ?
jeudi 25 juillet 2013 – 08h:03
Alain Gresh
Le Monde diplomatique
Nous le savons, le terrorisme est une accusation facile qui permet aux Etats de criminaliser des groupes qui luttent contre une occupation étrangère ou contre un agresseur. Cette accusation est principalement proférée contre des organisations au Proche-Orient, notamment le Hezbollah et le Hamas, mais pas seulement.
Ainsi l’Union européenne a-t-elle décidé de placer « l’aile militaire du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes » (LeMonde.fr, 22 juillet).
« La décision — un accord politique qui doit être transcrit juridiquement pour entrer en application — a suscité de vifs débats. L’Irlande et Malte ont multiplié les réserves jusqu’au bout. D’autres, comme l’Autriche, craignaient les conséquences d’une telle sanction sur la sécurité des forces de l’ONU implantées au Liban, dans une zone sous contrôle du Hezbollah. Ces derniers jours, le gouvernement libanais a lui-même appelé officiellement à renoncer à une telle décision, en expliquant que l’organisation représentait une “composante essentielle de la société” libanaise.
« Pour convaincre leurs collègues les plus réticents, les ministres des Affaires étrangères ont convenu de “poursuivre le dialogue” avec tous les partis politiques libanais, y compris le Hezbollah. Ils entendent aussi maintenir leur aide humanitaire à l’ensemble du territoire libanais. L’implication croissante du Hezbollah dans le conflit syrien, aux côtés de l’armée du régime, n’est pas citée par l’Union européenne. » (1)
C’est pourtant bien l’implication du Hezbollah dans le conflit syrien qui avait, après l’attentat de Burgas en Bulgarie, conduit les américains et les israéliens à accentuer les pressions sur l’Union européenne.
Quoiqu’il en soit, la décision est marquée par une forme d’hypocrisie car elle ne précise pas ce qu’est l’aile militaire du Hezbollah, bien difficile à différencier de la politique.
Notons aussi, sur l’attentat de Burgas, que, malgré les allégations, aucune preuve sérieuse n’indique l’implication du Hezbollah dans cette action (2).
Mais, au-delà des difficultés à déterminer les responsables de telle ou telle action, on peut s’interroger sur cet usage du terme terrorisme qui permet de boycotter le Hamas tout en maintenant d’excellentes relations avec Israël, dont l’usage du terrorisme d’Etat est patent.
Nous le savons, le terrorisme est une accusation facile qui permet aux Etats de criminaliser des groupes qui luttent contre une occupation étrangère ou contre un agresseur. Cette accusation est principalement proférée contre des organisations au Proche-Orient, notamment le Hezbollah et le Hamas, mais pas seulement.
Il n’y a pas si longtemps, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le gouvernement blanc d’Afrique du Sud qualifiaient le Congrès national africain (ANC) de Nelson Mandela d’organisation terroriste. Et pourtant, Mandela est devenu aujourd’hui l’un des hommes les plus vénérés de la planète (au risque, souvent, de déformer l’histoire de sa vie (3).
François Hollande peut prétendre vouloir le détruire au Mali, mais, dans la plupart des cas, c’est la négociation qui permet de faire reculer la violence.
La Turquie constitue un exemple important de la manière dont on peut traiter du problème du terrorisme.
« Le chef rebelle kurde Abdullah Ocalan a appelé, jeudi 21 mars, les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à déposer les armes et à quitter la Turquie, affirmant que le temps était venu de “faire prévaloir la politique” », écrivait LeMonde.fr le 21 mars [4].
(Lire Wendy Kristianasen, Le gouvernement turc face au défi kurde , Le Monde diplomatique, novembre 2011)
Le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) poursuit : « “Nous sommes arrivés à une phase dans laquelle les armes doivent se taire (…) et les éléments armés doivent se retirer en dehors des frontières de la Turquie”, a indiqué M. Ocalan dans une lettre lue à Diyarbakir (sud-est) devant des centaines de milliers de personnes par un député du Parti pour la paix et la démocratie (BDP). “Je le dis devant les millions de personnes qui écoutent mon appel, une nouvelle ère se lève où la politique doit prévaloir, pas les armes” (…).
“La période de la résistance armée a ouvert une porte à un processus de politique démocratique. Les sacrifices n’ont pas été faits en vain, les Kurdes y ont gagné leur véritable identité”, a ajouté le chef kurde, actuellement emprisonné, en faisant référence aux quelques 45 000 morts causées depuis 1984 par le conflit kurde. “Ce n’est pas la fin, c’est un nouveau départ, ce n’est pas la fin du combat, c’est le début d’un nouveau combat”. »
Il est difficile de savoir si cette lettre lue devant des centaines de milliers de Kurdes à Diyarbakir ouvrira la voie à la paix. Interrogé par Hélène Sallon pour savoir si cet appel peut déboucher sur un processus de paix (5), Jean Marcou, professeur à l’Institut d’études politiques de Grenoble et spécialiste de la Turquie répond :
« Oui, car il n’y a pas qu’un cessez-le-feu, il y a également la demande aux combattants du PKK de quitter le territoire. C’est un engagement pour lancer un processus d’abandon de la lutte armée. Les autres cessez-le-feu avaient été déclarés hors de toutes négociations et contacts avec le gouvernement turc. Celui-ci intervient dans le cadre du processus dit d’Imrali, du nom de l’île où est emprisonné Abdullah Öcalan, lancé fin 2012. Ce processus a débuté par des contacts entre Öcalan et des membres des services de renseignement, mais s’est surtout traduit, entre janvier et mars, par la visite de députés du Parti pour la paix et la démocratie — BDP (kurde). Ils ont transmis des lettres du chef du PKK aux commandements kurdes, en Irak et en Europe, qui dressent une feuille de route qui tient lieu de cadre pour un accord de paix. »
S’il débouchait sur la paix, cet accord pourrait avoir des conséquences géopolitiques importantes. La Turquie, qui a renforcé ses relations avec le gouvernement du Kurdistan d’Irak pourrait acquérir un statut de protecteur des Kurdes, et renforcer son influence dans toute la région.
En conclusion, penser régler le problème d’organisations représentatives (hier le Front de libération nationale algérien ou l’ANC, aujourd’hui le Hezbollah, le PKK ou le Hamas) par ce type d’accusation est futile et contre-productif.
Encore une fois, l’Union européenne s’est alignée sur Washington et Tel-Aviv, se privant ainsi de tout rôle réel au Proche-Orient.
[1] Lire sur ce blog Syrie, l’entrée en guerre du Hezbollah, 23 mai 2013.
[2] Lire Gareth Porter, Inside the Hezbollah Bombing “Hypothesis” of an Israeli Tour Bus, Counterpunch, 18 février 2003.
[3] Lire L’évangile selon Mandela, Le Monde diplomatique, juillet 2010) et dans le numéro d’août 2013, à paraître, Nelson Mandela, les chemins inattendus.
[4] Le chef du PKK appelle à une trêve, la Turquie ouverte au dialogue, LeMonde.fr, 21 mars 2013.
[5] L’appel du PKK à la fin de la lutte armée n’est qu’une première étape, LeMonde.fr, 22 mars 2013.
Alain Gresh :
24 juillet 2013 – Blog du Monde diplomatique