« 50 ans d’indépendance africaine » : la fin des colonies ?

 

« 50 ans d’indépendance africaine » : la fin des colonies ?

«L’exploitation du Congo fut le plus grand crime contre l’humanité jamais commis dans l’histoire de l’humanité»
Sir Arhur Conan Doyle, Letters to The Press, 1909.

«Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd’hui son couronnement, il ne s’est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur.»
Discours du Roi des Belges, Baudouin Ier lors de la cérémonie de l’indépendance du Congo (30.06.60).

 «Léopold II est un héros avec de l’ambition pour un petit pays comme la Belgique».
Louis Michel, « P Magazine » – juin 2010

Le député européen et ancien ministre des Affaires étrangères Belge, Louis Michel (MR) se fait l’avocat de  l’action «civilisatrice» de Léopold II au Congo.

Rappelons que la Conférence de Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, jette les bases d’un «partage de l’Afrique» entre les puissances européennes. Entre 1895 et 1908, le Congo fut décrété propriété personnelle de Léopold II, avant de devenir une colonie belge.

Pendant une vingtaine d’années, les agents territoriaux, la force publique, et les milices armées des sociétés privées, allaient répandre la terreur. Esclavagisme, déportations, guerres, massacres, pillages, captures, viols, emprisonnements et tortures étaient les moyens et les méthodes utilisés pour forcer la population à récolter le caoutchouc et à le livrer aux autorités coloniales. Outre le fouet en peau d’hippopotame, la «chicotte» — innombrables sont les cas de flagellation à mort — la torture la plus répandue est la section de la main: le Congo devient le pays des mains coupées.

Selon certaines sources, des millions de Congolais allaient mourir à cause du régime mis en place par le roi Léopold II.
Les «Les Fantômes du roi Léopold», signé par le journaliste américain Adam Hochschild, prend à coup sûr place parmi les travaux de référence en ce domaine.
Pour Adam Hochschild, on estime à 10 millions le nombre de personnes exterminées au Congo entre 1880 et 1920; soit la moitié de la population totale du pays à cette époque. Les causes en furent multiples.
L’auteur y relie les causes de mortalité à des causes directes: meurtres de masse, assassinats, mais aussi à des causes indirectes liées au régime de terreur exercé par les vassaux de Léopold II: famines, maladies, chute du taux de natalité.
«Presque toujours les maladies tuent davantage, et plus vite, lorsqu’elles s’attaquent à des populations sous-alimentées et traumatisées: les nazis et les soviétiques n’avaient pas besoin de gaz  toxiques ou de pelotons d’exécution pour achever nombre de ceux qui sont morts dans leurs camps» (p. 271).

En 1929, le comité permanent du Congrès national de Belgique alerté par la diminution conséquente de la population et donc de la baisse du nombre de ‘travailleurs’ déclara: «Nous courrions le risque de voir un jour fondre et disparaître la population noire au point de nous trouver dans  une sorte de désert». (The Native Problem in Africa cité par Adam Hochschild, p. 273-274).

Les relations entre la Belgique et l’actuelle République Démocratique du Congo ne peuvent être dissociées des liens historiques qui unissent les deux pays.
Aujourd’hui personne à part ceux qui refusent de prendre en compte les souffrances subies par «les indigènes» à qui le roi a apporté la «civilisation» ne  peut dire que le bonheur de la Belgique de Léopold II était aussi celui des Congolais.

Douze Belges visés par une plainte en instance d’être lancée contre eux pour enlèvement, torture et assassinat de Lumumba !
Plusieurs avocats belges ont demandé à la justice d’engager des poursuites pour crimes de guerre contre des responsables belges, soupçonnés d’implication dans l’assassinat de Patrice Lumumba, premier chef du gouvernement du Congo indépendant.

Cette demande a été rendue publique lundi quelques jours avant la célébration le 30 juin, des 50 ans de l’indépendance de la République démocratique du Congo (RDC). L’événement doit se dérouler à Kinshasa, la capitale, en présence d’une délégation belge dirigée par le roi Albert II.
La plainte émane d’un groupe composé d’avocats, et de l’historien Luddo de Witte, dont les travaux sont à l’origine d’une enquête parlementaire en 2002 qui avait conclu que le gouvernement était «moralement responsable» de la mort de Patrice Lumumba, assassiné quelques mois après avoir été porté au pouvoir par un scrutin en 1960.

«Le fait historique établi est qu’il y avait un lien direct entre les ministres du gouvernement belge et les officiers belges servant dans la région séparatiste du Katanga au Congo», a souligné Luddo de Witte.

Des historiens ont établi que les Belges n’étaient pas les seuls à vouloir éliminer Patrice Lumumba. Déjà dans les années 1970, une commission du Sénat américain a révélé que la CIA avait estimé que le dirigeant congolais avait le potentiel de devenir un Fidel Castro africain et avait envisagé de le supprimer, notamment avec du dentifrice empoisonné.

L’Élu du peuple, Patrice Lumumba fut renversé et assassiné; les espoirs de l’indépendance si chèrement conquise s’évanouirent… pour longtemps.

Nostalgie coloniale ?
« C’est de la démagogie pure. Léopold II ne mérite pas de tels reproches. Les Belges ont construit le chemin de fer, des écoles et des hôpitaux et mis en marche la croissance économique. Un camp de travail? Certainement pas. En ces temps-là, c’était simplement la façon de faire », déclare Louis Michel.

Louis Michel reprend quasiment les propos du Roi Baudouin  lors de la cérémonie de l’indépendance du Congo (30 juin 1960) à Léopoldville (redevenue Kinshasa):
«Un service médical, dont la mise au point a demandé plusieurs dizaines années, a été patiemment organisé et vous a délivrés de maladies combien dévastatrices. Des hôpitaux nombreux et remarquablement outillés ont été construits. L’agriculture a été améliorée et modernisée. De grandes villes ont été édifiées et, à travers tout le pays, les conditions de l’habitation et de l’hygiène traduisent de remarquables progrès. Des entreprises industrielles ont mis en valeur les richesses naturelles du sol. L’expansion de l’activité économique a été considérable, augmentant ainsi le bien être de vos populations et dotant le pays de techniciens indispensables à son développement.
Grâce aux écoles des missions, comme à celles que créèrent les pouvoirs publics, l’éducation de base connaît une extension enviable : une élite intellectuelle a commencé à se constituer que vos universités vont rapidement accroître.
Un nombre de plus en plus considérable de travailleurs qualifiés appartenant à l’agriculture, à l’industrie, à l’artisanat, au commerce, à l’administration font pénétrer dans toutes les classes de la population l’émancipation individuelle qui constitue la véritable base de toute civilisation. Nous sommes heureux d’avoir ainsi donné au Congo malgré les plus grandes difficultés, les éléments indispensables à l’armature d’un pays en marche sur la voie du développement.»

Ce discours du roi Baudoin 1er (comme celui de Louis Michel) fut un discours de légitimation de la colonisation, une véritable apologie de l’œuvre «génocidaire» du roi Léopold II. Il sonnait aux oreilles des nationalistes congolais comme une insulte à la mémoire des millions de morts générés par la politique monstrueuse du roi Léopold II grand oncle du roi Baudouin.

Nul besoin de vous énumérer les richesses qui sont en Afrique, Monsieur Michel,  vous les connaissez dans les moindres détails. Vous savez parfaitement que l’Afrique est extrêmement bien dotée en richesses naturelles. Vous êtes tellement obnubilé par ses  richesses en matières premières que vous en avez oublié d’apprendre à connaître son et notre histoire.

A en croire Louis Michel, Léopold II puis l’administration belge dans son ensemble, n’ont eu d’autre but que de civiliser et d’instruire le peuple congolais, alors que des ouvrages tels que celui d’Adam Hochschild, (Les fantômes du roi Léopold), ou de Ludo De Witte, (L’assassinat de Lumumba) nous prouvent tout le contraire.

Les propos de Louis Michel nous rappellent surtout le racisme qui a caractérisé la période coloniale au Congo… et qui continue aujourd’hui.
Je lui réponds donc par les propos du 1er Ministre congolais Patrice Lumumba :
«Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions le chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.
Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un Noir on disait «tu», non certes comme à un ami, mais parce que le «vous» honorable était réservé aux seuls Blancs?
Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.
Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir: accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres.
Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même.
Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillotes croulantes pour les Noirs; qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du Blanc dans sa cabine de luxe.
Qui oubliera enfin les fusillades dont périrent tant de nos frères, les cachots dans lesquels furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation? Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert.»

Monsieur Louis Michel aurait mieux fait de tenir sa parole, lui qui promit que :
«Le gouvernement a décidé de financer une fondation Patrice Lumumba à hauteur
de 3 750 000 euros, plus une subvention annuelle de 500 000 euros. L’objectif de cette fondation est le développement de la démocratie au Congo, le renforcement de l’État de droit et l’aide à la jeunesse. La famille Lumumba sera associée à la gestion de ce fonds.»
… car, il semble que jusqu’à présent rien n’ait été fait pour concrétiser cette proposition.

Monsieur Louis Michel aurait été mieux inspiré de rappeler à l’opinion belge que loin du stéréotype colonial de l’Africain analphabète, les Congolais de Belgique forment la population la plus éduquée, celle qui compte de loin le plus d’universitaires, bien plus que les autres communautés immigrées ou que la population autochtone. Pourtant, ce haut niveau d’éducation n’empêche pas un haut niveau de pauvreté et de précarité, lié aux discriminations et à la persistance des stéréotypes racistes dans la société. (1)

Cinquante ans après l’indépendance, il est urgent de peser et de mesurer l’impact futur de cette situation en matière de cohésion sociale mais aussi d’image que l’on offre ainsi au monde.

Hommage aux combattants de la liberté nationale !
Vive l’indépendance et l’Unité Africaine !
Vive le Congo indépendant et souverain !

Nordine Saïdi
29.06.10

Repères:
30 juin 1960. La Belgique accorde l’indépendance à sa colonie. Le roi Baudouin prononce un discours rendant hommage au colonisateur, avec de forts accents paternalistes. Le jeune Premier ministre Lumumba vient troubler la cérémonie en prenant la parole de façon impromptue. Il prononce un discours incendiaire, dans lequel il raconte les souffrances infligées à son peuple par le colonisateur. Outré, le roi Baudouin précipite son départ pour Bruxelles.
4 juillet. Les soldats de la Force publique se mutinent à Léopoldville. Ils réclament une africanisation des cadres.
11 juillet. Moïse Tshombé proclame la sécession du Katanga. Opposé au gouvernement Lumumba, il bénéficie du plein soutien de la Belgique.
10 août. Albert Kalonji, lui aussi hostile à Lumumba, proclame la création de l’Etat autonome du Kasaï.
5 septembre. Le président Kasa-Vubu révoque son Premier ministre, Patrice Lumumba. Celui-ci réplique en annonçant qu’il révoque le chef de l’Etat. Mais sa tentative de reprendre le pouvoir échoue.
14 septembre. Le colonel Mobutu, chef de l’armée congolaise, prend le pouvoir et annonce qu’il neutralise la classe politique. Il propose la mise en place d’un collège de commissaires.
29 septembre. Les commissaires prêtent serment… devant le président Kasa-Vubu.
1er décembre. Lumumba est arrêté. Il est détenu, sur ordre de Mobutu, dans un camp militaire de Thysville. Mais même aux arrêts, l’homme politique reste populaire.
17 janvier 1961. L’ex-Premier ministre est emmené en avion, piloté par un équipage belge, au Katanga, dont les dirigeants proclament depuis longtemps que si Lumumba tombait entre leurs mains, il serait un homme mort. Quelques heures après avoir débarqué à Elisabethville, il est abattu.
• Lire le rapport de la Chambre des Représentants de Belgique sur l’assassinat de Patrice Lumumba –
http://www.lachambre.be/kvvcr/showpage.cfm?section=|comm|lmb&language=fr&story=lmb.xml&rightmenu=right_publications

(1) Voir notamment A. Martens, M. Van de Maele, S. Vertommen, H. Verhoeven, N. Ouali, Ph. Dryon, « Discriminations des personnes d’origine étrangère sur le marché du travail de la Région de Bruxelles-Capitale », KUL – ULB, 2010; Centre pour l’égalité des chances, « Belgique-Congo: 50 années de migration », Colloque du 1er juin 2010, pas encore d’actes malheureusement.

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