« PRISON BREAK… »

 

« PRISON BREAK… » par Jean FLINKER, membre du Comité pour la Liberté d’Expression et d’Association (CLEA) www.leclea.be

La Revue Contradictions vous présente « L’affaire Luk Vervaet » Sur l’interdiction professionnelle de l’enseignant en milieu carcéral, Luk Vervaet Numéro spécial n° 133 – 136 pages – 10 euros CONTACT POUR TOUTE COMMANDE : f.thirionet@wol.be

Il donnait cours à des détenus depuis près de six ans quand, de manière péremptoire, Luk Vervaet est mis devant le fait accompli : il lui est désormais interdit d’exercer ses activités d’enseignant en prison. Raison officiellement invoquée : «Sécurité publique». A ce jour, et malgré trois recours en extrême urgence devant le Conseil d’Etat, M. Vervaet n’a jamais pu dénouer cette mesure d’éloignement totalement arbitraire. «Arbitraire» parce qu’elle n’est explicitée par aucun élément concret avérant la commission d’une quelconque faute professionnelle.

Est-ce à dire que Luk Vervaet aurait déployé un activisme extra-professionnel mal vu et mal considéré, au point de justifier pareille décision d’écartement? Si tel était le cas, ce diktat devrait être totalement récusé, déjugé et disqualifié. Car rien –dans les convictions, les empathies ou les engagements politiques professés par le précité–, rien ne corrobore l’expression d’actes dissidents, opposés à l’usage normal des libertés reconnues constitutionnellement à tout citoyen.

Jusqu’à preuve du contraire: penser la société telle qu’elle est, se dépenser pour ce qu’elle devrait être… ne constitue ni un crime ni un délit.

En juin 2004, Luk Vervaet (52 ans) est engagé par l’Atelier d’éducation permanente pour personnes incarcérées(l’ADEPPI), afin de donner cours à des prisonniers. Pour exercer cette fonction, il lui est bien entendu indispensable d’obtenir une habilitation l’autorisant à pénétrer dans les établissements pénitentiaires.

N’ayant pas de casier judiciaire, ne souffrant d’aucun défaut d’empêchement lié à l’ordre ou à la sûreté publics, une autorisation d’entrer en contact avec les détenus (des prisons de Forest, Berkendael, Saint-Gilles, Tournai, Mons, Namur, Andenne, Ittre et Nivelles) lui est officiellement délivrée.

Août 2009. Alors que l’intéressé dispose toujours d’un casier judiciaire vierge, qu’il n’a commis aucun fait répréhensible [1] et qu’aucun événement porté à sa connaissance ne justifie modification de sa situation, l’ADEPPI reçoit pourtant un appel téléphonique du Service public fédéral «Justice»: L. Vervaet n’est plus autorisé à entrer à la prison de Saint-Gilles ni dans aucune autre prison du pays. Le 17 août 2009, par un courrier émanant de la Direction générale des Etablissements pénitentiaires, l’asbl se voit d’ailleurs lapidairement préciser: «Monsieur Luk Vervaet ne sera plus autorisé d’accès (…) pour des raisons de sécurité». C’est la consternation. Choqué mais pas abasourdi, Luk Vervaet écrit aussitôt à l’autorité pénitentiaire en vue d’obtenir des informations explicites, probantes, vérifiables; son employeur, l’ADEPPI, agit de même («Les raisons de sécurité que vous invoquez nous interpellent […]. Dès lors, nous souhaiterions connaître avec précision les reproches faits à Monsieur Vervaet qui, dans l’état actuel des choses, reste sous contrat avec nous, ce qui est pour le moins problématique»). Par lettre du 24 août 2009, l’avocat qu’a pris M. Vervaet demande également des explications ainsi que l’autorisation de consulter son dossier administratif. N’obtenant pas de réponse, L. Vervaet lance une citation à comparaître devant le Tribunal de première instance siégeant en référé, le 3 septembre 2009.

«DÉFENSE NATIONALE».

17 septembre 2009 : l’avocat de Luk reçoit la permission de prendre connaissance du dossier administratif de son client. Enfin, pas exactement : cette farde des plus malingres pourra être consultée mais sous réserve de deux pièces «sous embargo» (les pages 1 à 3 du dossier)… Une restriction qui se dit justifiée par l’application de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’Administration –ladite Administration considérant que «l’intérêt de la publicité ne l’emporte pas sur l’intérêt à préserver l’ordre public, la sûreté ou la défense nationale» (sic). Au fait, que contient la partie «accessible» du dossier administratif «accusant» Vervaet ? Deux documents, rien d’autre. D’une part, une demande d’autorisation de visite à Nizar Trabelsi (à laquelle est joint un certificat de bonne vie et mœurs du solliciteur). D’autre part, un texte de réflexion signé par Vervaet lui-même, relatif à la situation indigne et «hors-la-loi» réservée aux personnes incarcérées («Les détenus sont payés de 0,62 à 1,09 euro de l’heure pour un travail de service général [cuisine, nettoyage…] et à peine plus pour ceux qui travaillent à la pièce»)… C’est tout ? C’est tout. Mais c’est assez pour vous rendre atterré : la page d’opinion est destinée à être publiée ultérieurement dans la grande presse, au titre de Carte blanche ; or elle figure étrangement dans ce dossier administratif comme pièce «à charge» –alors qu’elle n’a même pas encore été l’objet d’une diffusion publique (elle ne le sera que le 8 octobre 2009 dans la Libre Belgique [2])… Dans pareilles circonstances, la mainmise sur un texte inédit –par une autorité qui n’en était pas le destinataire– pose indubitablement question: cet accaparement n’indique-t-il pas que Vervaet est victime d’une surveillance policière particulièrement poussée afin, notamment, de pister et de tracer ses courriers-mail… ?

Pour autant, ces deux seules pièces ne permettent pas, mais pas du tout, de comprendre pourquoi une autorisation d’entrer en prison, pour y enseigner, lui est tout à coup retirée. En effet, le projet de Carte blanche est certes un écrit critique mais il relève de la seule liberté de pensée, d’opinion et d’expression. Quant à Trabelsi, rien ici de répréhensible ne peut être reproché à M. Vervaet : pourvu que cela se passe en dehors de ses activités professionnelles, l’Administration des Etablissements pénitentiaires lui avait accordé sans difficulté le droit de rencontrer l’hypermédiatique détenu et la discussion entre les deux hommes s’était déroulée sans incident aucun.

Bref, fin septembre, Vervaet demeure toujours dans l’ignorance des motifs qui ont réellement présidé à son évincement des prisons. Or, la suite des événements forcera le trait jusqu’à la caricature: l’ex-enseignant va se trouver entraîné dans une véritable guérilla judiciaire, l’obligeant à contourner des jugements dilatoires et des énoncés arbitraires, disposés sur son chemin comme autant de chicanes entravant ses droits. Ainsi le 16 octobre 2009, le Tribunal de première instance siégeant en référé se déclare «incompétent» pour ordonner des mesures provisoires en vue de protéger ses droits subjectifs. Conséquence ? Immédiate : l’ADEPPI se voit dans l’obligation de signifier à L. Vervaet, son préavis.

Et la guérilla ? Le 30 octobre 2009, la Commission d’accès et de réutilisation des documents administratifs estime la demande de L. Vervaet recevable et fondée: un courrier est donc adressé au SPF «Justice» afin qu’un accès complet au dossier administratif soit accordé ou, à tout le moins, qu’une explication adéquate soit apportée quant au refus d’accès. Qu’à cela ne tienne : le 13 novembre 2009, la Direction générale des Etablissements pénitentiaires maintient son refus d’accès aux pages 1 à 3 du dossier administratif en invoquant, cette fois, l’Article 26 de la loi du 11 décembre 1998 (relative à la classification et aux habilitations de sécurité) et l’Article 6 de la loi du 11 avril 1994 (relative à la publicité de l’Administration)…

Le 3 décembre 2009, Luk V. dépose une requête d’Appel à l’encontre du jugement rendu le 16 octobre 2009 par le Tribunal de première instance en référé. Trois semaines plus tard, il frappe encore plus haut : il introduit un recours en suspension et en annulation devant le Conseil d’Etat à l’encontre de la décision de retrait de son autorisation d’entrer en prison. Mais l’Auditorat du Conseil conclut instantanément à l’irrecevabilité (l’intérêt du plaignant ne persistant plus, «dès lors que l’autorisation d’entrée en prison expirait le 31 décembre 2009»…).

27 janvier 2010, coup de théâtre. La 21ème Chambre de la Cour d’Appel de Bruxelles rend un Arrêt quasi «historique». Même si elle déclare, elle aussi, que l’intéressé n’a plus intérêt à recourir (dans la mesure où l’autorisation d’entrer en prison prend fin en décembre), la Cour indique cependant clairement qu’à son sens, «[le ministre de la Justice] aurait dû, avant de retirer l’autorisation litigieuse, entendre préalablement l’appelant sur la décision qu’il projetait d’adopter». En effet, aucune opportunité n’a jamais été donnée à L. Vervaet de comprendre les raisons de son éviction et d’être entendu quant aux –éventuels– griefs qui existeraient contre lui. Qui plus est, par son jugement, la Cour d’Appel de Bruxelles souligne que l’Etat de droit ne s’arrête pas aux portes des prisons. Le ministre de la Justice, dans le cadre de sa politique pénitentiaire, est tenu d’y respecter le droit des travailleurs : le droit d’obtenir le respect de l’obligation légale de motivation formelle de tout acte administratif, le droit de ne pas être privé injustement des conditions indispensables à l’exercice de son travail et l’obligation pour le SPF «Justice» de respecter le principe général de bonne administration. Disons-le autrement : la Cour d’Appel de Bruxelles consacre en fait, pour la première fois dans l’histoire judiciaire belge, le droit à ne pas être privé injustement de son travail pour «raison d’Etat»… Conclusions : l’association qui emploie l’intéressé devrait, selon l’Arrêt, réintroduire une demande d’accès aux prisons (afin que le contrat de travail puisse être exécuté normalement). Cette demande est réintroduite dès le 5 février 2010.

ABUS DE POUVOIR.

Refusant cette fois de se soumettre à une injonction de justice, la partie adverse persévère dans son déni, par un courrier daté du 24 février 2010: «Conformément à l’Article 4 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, cette autorisation est refusée pour des raisons de sécurité». En conséquence de quoi, le 8 mars 2010, la partie déboutée introduit une demande de suspension d’extrême urgence, devant le Conseil d’Etat, à l’encontre de la décision de refus d’autorisation d’entrer en prison. Le 16 mars 2010, la plus haute juridiction administrative du pays donne expressément raison à Luk Vervaet car «le dossier administratif ne contient aucun élément permettant au requérant –ni au Conseil d’Etat– de comprendre les motifs pour lesquels la demande d’autorisation d’entrée en prison lui a été refusée». Suite à cet Arrêt décapant, les avocats prolongent la procédure devant la même juridiction supérieure, en lui demandant cette fois d’annuler la décision d’interdiction [3]. Parallèlement, l’ADEPPI sollicite en faveur de son employé une nouvelle autorisation d’entrer en prison auprès de la Direction générale des Etablissements pénitentiaires. Pas de réponse. Le 26 mars, les conseils du concluant introduisent la même demande par télécopie. Pas de réponse. Le 8 avril 2010, n’ayant toujours reçu aucune nouvelle de l’Administration, les avocats la mettent en demeure de prendre attitude. Ce qu’elle fait finalement, mais de manière dilatoire : dans un courrier adressé à l’ADEPPI, l’Administration pénitentiaire expose qu’elle ne peut donner suite immédiate car «la suspension par le Conseil d’Etat de la décision de refus d’accès –qui fait par ailleurs l’objet d’une demande d’annulation– a pour effet que la précédente demande que vous m’avez adressée doit encore être traitée à la lumière de la procédure en cours. Je ne suis dès lors pas actuellement en mesure de répondre à votre nouvelle demande». Par cette nouvelle dérobade, l’Administration entend donc confirmer qu’elle n’est tenue par aucun acte de Justice tant qu’un Arrêt d’annulation définitif par le Conseil d’Etat n’a pas été prononcé. Une façon outrancière et coupable de faire traîner les choses autant que possible, car Luk Vervaet (cela s’est dit dans les échanges de courriers) est en train de prester son préavis –lequel arrive à terme le 28 mai 2010. Pas besoin de faire un dessin : l’attitude scandaleusement passive, dont fait preuve la Direction générale des Prisons, vise à tirer l’affaire en longueur afin de dépasser la date fatidique du 28 mai (ce qui périmerait la notion de référé et d’urgence), un positionnement absolument contraire au principe d’autorité qui s’attache à l’Arrêt du Conseil d’Etat rendu le 16 mars 2010.

MANIGANCES.

Lundi 19 avril 2010. Retour devant le Tribunal de première instance siégeant en référé. Les deux avocats mobilisés par Luk Vervaet (Dounia Alamat et Christophe Marchand) sont décidés à contester l’inertie volontaire dont usent le ministre Stefaan De Clerck et l’institution dont il a la charge: faisant fi de l’Arrêt du Conseil d’Etat les obligeant à motiver l’interdiction de visite, ils persévèrent à reprendre telles quelles leurs «allégations» initiales, sans autres formes de commentaires. Une attitude abusive et illégale, entraînant indéniablement dommage alors que le préjudice du concluant n’est toujours pas entièrement consommé. Comme Luk Vervaet preste son préavis jusqu’au 28 mai 2010 mais est entravé –arbitrairement– dans sa volonté d’enseigner à ses élèves, il y a donc plus que jamais urgence à rétablir l’intimé dans ses droits, donc à statuer au plus vite.

«Au plus vite» ? Pour continuer à gagner du temps et jouer la montre, l’Etat belge (représenté, depuis le début, par le même avocat manœuvrier et retors, Bernard Renson), l’Etat belge va tout simplement demander à la juge Carine Van Damme de reporter l’audience. De quinze jours au moins, afin de permettre à la partie «défenderesse» de rédiger et de déposer ses Conclusions. Demande accordée (alors que les arguments de plaidoirie à consigner par B. Renson ont déjà été largement employés par lui devant les autres juridictions précédemment sollicitées…). Accordé : l’affaire repassera le 3 mai.

En l’occurrence, le lundi 3 mai, l’avocat Renson plaide comme d’habitude, avec la même infinie mauvaise foi : il n’y a pas urgence à statuer ; rien n’oblige l’Administration pénitentiaire à motiver sa décision puisqu’une procédure en «annulation» est toujours en cours devant le Conseil d’Etat. Une façon «autiste» de répondre aux deux demandes avancées par M. Vervaet, sous le bénéfice de l’urgence. A titre principal ? Ordonner à la partie défenderesse de délivrer une autorisation d’entrer en prison provisoire (dans l’attente de l’Arrêt en annulation à intervenir au Conseil d’Etat et de la nouvelle décision que devra adopter l’Administration) et ce, sous peine d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard… Et, à titre subsidiaire, ordonner à la partie défenderesse d’entendre le concluant et d’ensuite adopter une décision (qui respecte les motifs de l’Arrêt de suspension d’extrême urgence du Conseil d’Etat du 16 mars 2010) relative à sa demande d’autorisation d’entrer en prison –«entendre» et «adopter» avant la date du 20 mai 2010, sous peine d’une astreinte de 1.000 euros par jour retardataire.

Verdict du tribunal ? Différé de deux semaines supplémentaires : le 19 mai, c’est par une fin de non-recevoir pure et simple (à travers une ordonnance émaciée et cassante) que la juge Van Damme fait connaître sa volonté de se défausser absolument –déniant à son tribunal tout privilège de juridiction et de compétence pour évoquer et, à fortiori, pour répondre aux sollicitations du plaignant. En conséquence de quoi, L. Vervaet se voit débouté par une «indécision» prise à ses dépens («Rejetant toutes conclusions, autres, plus amples ou contraires ; vu l’urgence alléguée, Nous déclarons sans juridiction…» [4]), mais qui décide (c’est le comble) de le condamner aux dépens («Condamnons la partie demanderesse à liquider 1.200 euros [indemnité de procédure] pour la partie défenderesse» [en l’occurrence, le Ministre de la Justice])…

Récapitulons. «L’affaire Vervaet» repose, depuis ses débuts, sur une confusion visant à délibérément cacher les mobiles ayant justifié un interdit professionnel contre sa personne. Or en principe, tout acte administratif doit reposer sur des motifs de droit et de fait «exacts, pertinents et admissibles», en vue d’éviter que les pouvoirs de l’Administration ne soient exercés de manière arbitraire. Car il faut entendre par «motivation adéquate» une justification qui permet au destinataire de l’acte d’en comprendre les raisons, de fait et de droit, afin qu’il puisse «apprécier sa légalité, sa pertinence et donc l’opportunité de le contester en justice».

D’autant que la partie défenderesse avait connaissance de l’Arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 27 janvier 2010. On s’en souvient : cette juridiction avait stigmatisé le comportement de l’Administration et indiqué qu’«il n’est pas douteux (…) que l’Etat belge aurait dû, avant de retirer l’autorisation litigieuse, entendre préalablement l’appelant sur la décision qu’il projetait d’adopter, pour lui permettre d’exposer pourquoi la mesure envisagée ne pouvait se justifier du point de vue de l’intérêt du service, dès lors que, manifestement, la décision était fondée, à tout le moins en partie, sur le comportement personnel de l’appelant et qu’elle risquait de priver l’appelant de son travail». De même, le Conseil d’Etat avait identiquement fait droit à cette argumentation, dans son Arrêt du 16 mars 2010, en précisant : «Le rejet de la demande d’entrée en prison est une mesure grave, incontestablement prise en raison du comportement personnel du requérant; l’Administration, avant de prendre une telle décision, aurait dû entendre ce dernier».

INFORMATIONS «CLASSIFIÉES».

Or le 30 avril 2010 –soit dans le cours de l’action en référé, introduite devant Carine Van Damme–, l’Administrateur général de la Sûreté de l’Etat (Alain Winants) va adresser une Note circonstanciée à Hans Meurisse, le Directeur des Prisons. Son objet : «Permettre à votre Direction générale d’assurer sa défense dans le cadre de la requête en annulation introduite par Luk Vervaet et d’éclairer le Conseil d’Etat sur la nature, à la fois confidentielle et sérieuse, des informations qui justifient le refus d’accès aux prisons»

En l’espèce, cette Note confidentielle est proprement «révélatrice», car elle déglingue complètement ce qui apparaît désormais comme une machination. D’abord, on y apprend que si la demande d’une nouvelle autorisation d’entrer en prison a été refusée le 24 février à Vervaet, «cette décision du Directeur général des Etablissements pénitentiaires a été prise au regard d’informations communiquées par la Sûreté –des informations classifiées et donc, à ce titre, soustraites à publicité»… Le patron de la Sûreté prend néanmoins la peine de les reformuler, dans le présent document, sous le titre «Synthèse des données, expurgées des données classifiées, transmises à votre DG avant sa décision du 24 février 2010…».

«Informations confidentielles, classifiées, soustraites à publicité» : à ce stade, on ne peut cependant résister à en faire ici explicitement étalage, car seule cette exposition est à même d’administrer la preuve qu’il y a bien eu forfait et forfaiture d’Etat. Voici donc, in extenso [5], ce qu’écrit A. Winants à propos de «la nature sérieuse des informations qui justifient le refus d’accès aux prisons»…

«A coté de ses activités de professeur de néerlandais pour l’association ADEPPI, Luc Vervaet est connu de notre service en tant que membre du CLEA (le Comité pour la Liberté d’Expression et d’Association). A ce titre, il a ainsi participé à de nombreuses actions de soutien aux membres du DHKP-C, ou contre l’occupation israélienne de la Palestine. En janvier 2009, il prend encore part à une manifestation contre l’extradition de Nizar Trabelsi, à qui il reconnaît avoir rendu visite en prison. Considéré comme organisateur et porte-parole de l’événement, son rôle exact n’est pas bien défini. Si la présence de Salafistes avait été constatée lors de cette manifestation, rien cependant ne prouvait un lien plus profond avec ces milieux. Ce lien apparaît peut-être plus clairement lorsque l’on souligne que Luk Vervaet compte également parmi les fondateurs d’Egalité sans Guillemets (ESG), dont certains membres ont des affinités avec l’islamisme d’obédience salafiste. Parti créé à l’occasion des élections régionales de 2009, ESG a également dans ses rangs des proches du PTB. Au centre de cette formation se trouve Nordine Saïdi, tête de liste aux dernières élections, cofondateur du Mouvement Citoyen Palestine et militant pour l’autodétermination du Sahara occidental. Saïdi tient par ailleurs un discours assez ambigu sur certains attentats terroristes, qu’il refuse de condamner clairement. C’est vraisemblablement le cas des attentats suicide du 11 septembre 2001.

Une autre personnalité proche du mouvement est Diab Abou Jahjah, dont la Ligue Arabe Européenne (AEL) soutenait ESG à Bruxelles. Abou Jahjah est également Président de l’Union Internationale des Parlementaires pour la Palestine, dont la section belge est présidée par Luk Vervaet. L’objet social de cette association consiste à « promouvoir la réalisation des objectifs de l’ONG The International Union of Parliamentarians for Palestine mise sur pied lors de la conférence internationale de soutien à l’Intifada palestinienne en 2001″, c’est-à-dire « la défense des droits du peuple palestinien, le droit de retour de tous les réfugiés palestiniens dans leur pays, l’établissement d’un seul Etat avec Jérusalem comme capitale ainsi que l’opposition au sionisme et aux guerres américaines ». Parmi les diverses actions menées par cette association, on remarque une pétition pour le retrait du Hamas de la liste européenne des organisations terroristes».

Paragraphe conclusif destiné à tirer les enseignements civiques de ce curriculum vitae et militant? «En dernière analyse, écrit l’Administrateur général de la Sûreté, il semble que les activités de Luk Vervaet se limitent à des questions de droit de la défense et à une opposition –active mais non violente– aux lois antiterroristes. Dans ce cadre, la défense des supposées victimes de ces lois ont pu le conduire à franchir la frontière entre la défense légitime d’une justice équitable et le soutien à des idéologies justifiant de manière indirecte le terrorisme». On a bien lu : «Il semble que les activités de Luk Vervaet se limitent à des questions de droit de la défense et à une opposition non violente aux lois antiterroristes». Autrement dit : ce Rapport décrété «ultra confidentiel» ne relève aucune action, aucun activisme qui dérogeraient aux libertés fondamentales garanties par la Constitution. Ce qui rend d’autant plus incompréhensible, injustifié et injustifiable l’interdit professionnel qui prétend devoir absolument les sanctionner.

De surcroît : tout –dans l’inventaire des militances raccrochées à Vervaet– exige rectifications et mises au point. Car, malgré son tête-à-queue final, le descriptif de la Sûreté (pratiquant l’amalgame et empruntant les raccourcis) laisse insidieusement filtrer de la méfiance à l’égard de causes suspectées de connivences terroristes voire d’accointances salafistes : «Son rôle exact n’est « pas bien défini« » ; «Ce lien [avec les salafistes] apparaît « peut-être » (…)» ; «certains membres [d’Egalité] ont des « affinités » (…)»; «C’est « vraisemblablement » le cas (…)»; «La défense des supposées victimes de ces lois « a pu » le conduire à franchir la frontière (…)»… Une série de dévoiements que rien, dans l’engagement politique concret de L. Vervaet, n’accrédite. Il suffit d’ailleurs de remettre ses engagements en perspective pour s’en convaincre.

RESIST

Avril 2004. Avec d’autres cadres dirigeants, Luk Vervaet quitte le PTB –un mouvement pour lequel il a donné le meilleur de lui-même trente années durant. Le Parti vient, en effet, de résilier une longue crise interne. Avivées par la dernière campagne électorale, une série de divergences sont devenues insurmontables et ont contraint plusieurs hauts responsables –mis en minorité– à acter leurs désaccords en abandonnant l’organisation.

Retour en arrière. Pour les élections législatives de mai 2003, le Parti du Travail de Belgique avait formé cartel –dans le Nord du pays– avec la Ligue Arabe Européenne sous le nom de Resist. A la tête de cette alliance inédite ? Dyab Abou Jahjah, que des prétentions optimistes rêvent de faire élire à Anvers (avec les 54.000 voix nécessaires). En fait, les résultats de Resist seront désastreux. La liste n’obtient que 10.000 suffrages à la Chambre. Dans les cantons de Kapellen, Brecht, Zandhoven, le PTB encaisse moitié moins de voix qu’en 1999, où il se présentait seul. Ses électeurs traditionnels –qui, dans ces arrondissements, sont principalement des travailleurs des grandes entreprises du port d’Anvers– ont manifestement décroché. Les chiffres sont là, qui parlent d’eux-mêmes. Il faut dire qu’a contrario le contexte passionnel, lié à la période, semblait donner crédit à la nécessité de construire une initiative électorale des plus audacieuses. On s’en souvient : tout l’automne et l’hiver 2002 avaient été comme suspendus au déclenchement d’une nouvelle guerre américaine contre l’Irak –générant des mois d’opposition, d’indignation et de protestation contre la barbarie déjà en cours et le blocus enduré par le peuple irakien. Qui plus est : depuis les attentats du 11 septembre 2001, un climat d’islamophobie et de racisme anti-arabe n’avait cessé de monter, notamment à Anvers aux prises depuis de nombreuses années avec les appels obsessionnels à la haine et les manifestations provocatrices du Vlaams Blok. Premier parti de la métropole flamande, ayant capitalisé 33 % de l’électorat, le VB persévérait dans sa propagande pestilentielle: vilipender la population marocaine dont elle avait fait le principal bouc émissaire de son hostilité vis-à-vis de «l’occupation» d’Anvers par les étrangers. D’où des «incidents» racistes à répétition, trop souvent imputables à des policiers anversois sous influence.

Dénonciation de la guerre à venir ? Révolte contre les exactions xénophobes? C’est justement sur ces terrains névralgiques que la Ligue Arabe Européenne (AEL) apparaît pour la première fois publiquement. Le 1er avril 2002, elle lance un appel à manifester à Anvers en faveur du peuple palestinien. Le cortège, qui draine des centaines de jeunes, se déroule à proximité du quartier juif. L’Union des mosquées d’Anvers condamne «la provocation» mais les journaux flamands découvrent un président de l’AEL disert et convainquant, dont le look BCBG ne correspond en rien à l’image classique de l’islamiste rebutant.

Médiatiquement, l’AEL et Dyab Abou Jahjah sont nés. Sept mois plus tard à Borgerhout : un jeune professeur de religion islamique travaillant dans l’enseignement officiel, Mohammed Achrak (27 ans), est abattu devant sa porte par un voisin âgé, Constant Van Linden. Des émeutes éclatent. Prévenu par le frère de la victime, Abou Jahjah quitte précipitamment Bruxelles, arrive sur place deux heures après les premiers incidents et est aspergé de gaz lacrymogène par la police –alors qu’il tente de calmer les esprits. Le lendemain des événements, par une violation flagrante de la séparation des pouvoirs, Guy Verhofstadt (le Premier ministre de l’époque) annonce depuis le perchoir du Parlement l’arrestation d’Abou Jahjah. Le soir même, ce dernier est en effet arrêté sur accusation de «rébellion en groupe avec préméditation et exhibition d’armes, entrave volontaire du trafic, destruction en bande de véhicules et coups volontaires sur la personne d’un agent, avec saignement consécutif» [6]…

C’est dans ce climat de surenchère et d’intoxication caractérisées que le PTB proposera à l’AEL une union électorale apte à liguer un maximum de progressistes autour d’un programme «pour la paix, l’égalité des droits et l’emploi». En décembre 2003, un Congrès du Parti ratifie ce choix –alors que, dans le même temps, plusieurs membres (et non des moindres) continuent à mettre en garde et à pointer les risques liés à pareille aventure. En tous cas, les partis installés et les médias étalés, eux, ne se laissent pas dépasser : ils sont déjà en train de monter une campagne hystérisée de dénigrement et de stigmatisation, afin de diaboliser une ambition authentiquement démocratique… Le 20 novembre, Filip Dewinter, le dirigeant du VB déclare ainsi : «L’alliance remarquable entre Kris Merckx du PTB et l’AEL d’Abou Jahjah montre bien de quoi il retourne : de la destruction, du Grand soir, de l’annihilation totale de ce pour quoi l’Europe existe depuis des siècles».

De son côté, la presse «bien informée» organise systématiquement la désinformation civile, publiant chaque semaine de nouveaux scoops assassins. La série commence d’ailleurs de manière «désarmante», avec la découverte inopinée de plusieurs armes au domicile de Dyab Abou Jahjah. Le lendemain, il s’avère qu’il s’agit d’une invention du quotidien Het Laatste Nieuws. Puis, la police prétend qu’elle a bel et bien trouvé des images pornographiques sur l’ordinateur de Dyab (des scènes de pornographie enfantine, même) : en fait, il s’agit d’une nouvelle intox montée par Het Laatste Nieuws. Pas démonté, le journal récidive: Resist aurait recours à des méthodes dignes de la mafia –pour obliger les commerçants à placer en vitrine les affiches de la liste. Nouveau bobard (en réalité, c’était la police d’Anvers qui met les commerçants sous pression afin qu’ils ne placardent pas les affiches de Resist). Quelques jours plus tard, une candidate du SP.a dénonce Resist, dont elle aurait reçu des mails menaçants. Il ne faut même pas quarante-huit heures pour que soit renversé «le pot aux roses»: en réalité, c’est un membre du SP.a qui les lui a envoyés. Etc, etc…

N’empêche : cette avalanche désinformative aura un impact dévastateur : «Au lieu de parler de notre programme, on a dû passer toute la campagne à expliquer: « Non, Dyab n’est pas un criminel ou un fondamentaliste. Non, Resist n’est pas un front uniquement de Marocains »»…

Bref : au soir du 18 mai 2003, la défaite électorale va accélérer –au sein du PTB– la nécessité d’un profond questionnement et le dépôt d’un bilan sans fioriture (même si rien ne laisse encore entrevoir, au sein de la direction, l’expression de divergences antagonistes devant aboutir à un clash interne et à un véritable dépôt de bilan). En préambule, tout le monde semble même d’accord sur le constat liminaire (la base ouvrière traditionnelle du PTB n’a pas suivi, Resist ne lui a pas vraiment plu) : «La population a reçu de Resist l’image d’un cartel qui se battait uniquement contre les discriminations». «Quand la campagne électorale a vraiment débuté, les Américains venaient de conquérir l’Irak. Alors que le Parti continuait à en dénoncer l’occupation, la discussion parmi les gens portait sur bien autre chose : le chômage, la sécurité sociale, les pensions. Nous avons donné le sentiment d’être éloignés des préoccupations des électeurs, de décrocher au lieu de les accrocher». « »Avoir raison et obtenir raison » sont deux choses différentes…». En réalité, à travers 250 rapports et contributions internes, deux interprétations divergentes vont assez rapidement émerger –jusqu’à composer, dans les organes directionnels, deux tendances irréductiblement opposées.

Début 2004, tout est finalement acté: la nouvelle direction du PTB entérine formellement un adieu –la non reconduction des convergences politiques affichées avec Abou Jahjah.

Luk Vervaet, lui, n’était pas d’accord avec ce renoncement.

JAHJAH.

Né au Liban en 1971 d’un père chiite et d’une mère maronite, Abou Jahjah vit en Belgique depuis 91. À son arrivée chez nous, il déclarait au Commissariat belge des réfugiés avoir activement pris part, pendant trois années, aux opérations du Hezbollah, jusqu’à ce qu’une dispute avec le leader du mouvement de résistance, Sayyed Hassan Nasrallah, ne le contraigne à l’exil. Licencié en sciences politiques de l’ULB et de l’UCL, Jahjah s’installe à Anvers puisque, d’après lui, «cette métropole est le bastion du sionisme, et doit devenir la Mecque de l’action pro-palestinienne». Sur le site Internet de l’AEL, on peut lire par exemple qu’Anvers est «une ville où les gangs de fanatiques pro-Sharon dictent la loi», et que l’Etat d’Israël est «un régime (…) bâti sur le génocide et le nettoyage ethnique».

Anvers. Dès les années 80, une série d’évolutions sociales et sociologiques (quasi structurantes) font clairement apparaître qu’une situation explosive s’y prépare. Non seulement le Vlaams Blok est devenu le premier parti politique de la ville, mais ces années marquent la fin du «plein» emploi industriel. De plus, la pyramide des âges de la population immigrée s’est déséquilibrée, avec une surreprésentation massive des jeunes. C’est cette génération de moins de 30 ans qui échoue dans ses études, qui se heurte à un marché de l’emploi fermé [7], qui est confrontée à la discrimination (lors de ses sorties, dans la recherche d’un logement ou simplement en rue), et qui est exclue de toute mobilité sociale. Il fallait donc s’attendre à ce que cette génération énervée préfère l’action directe à la négociation. C’est, dans cet univers déprécié, que Dyab Abou Jahjah déboule. La presse flamande ne retient de lui que deux choses : il entend faire de l’arabe une langue nationale officielle et ne veut pas de l’assimilation culturelle. Selon la caricature, il plaide, comme le Blok, pour la mise à l’écart des minorités ethniques –une vision éminemment simpliste mais qui a l’avantage d’être… simple. En réalité, Abou Jahjah est un jeune type courageux et lucide, dont la pensée est forgée par le nationalisme (pan)arabe et par une alliance non évidente (et plutôt récente) avec l’islam. Il a lu les classiques sur l’identité et la formation des nations, et joue sur la différence entre nationalité et citoyenneté. Il voit dans la langue, la religion et la culture les éléments primordiaux d’une nation. Il dit faire partie de la civilisation arabo-musulmane et s’inscrit dans la lutte des Palestiniens. Ses grands modèles politiques sont Gamal Abdel Nasser et Malcolm X. Et il se prévaut du combat contre les dictatures arabes, le racisme, le colonialisme –bref toutes les injustices et les oppressions, tous les obscurantismes [8]. Dyab Abou Jahjah ? Son discours est essentiellement démocratique, mais politiquement il n’est pas sans danger. Le fait de défendre par priorité les plus discriminés de la société, de sembler ainsi se replier dans le communautarisme, les rend en effet –lui et son mouvement– instrumentalisables tant par l’extrême droite que par les partis traditionnels acharnés à ne pas laisser le VB seul «tirer parti» d’une sorte d’effroi largement alimenté par la presse à sensation: car Dyab fait peur à l’establishment, prêt à tout pour contrarier l’indéniable ascendant qu’il a sur des milliers de jeunes en mal-être social caractérisé. D’où une campagne de révulsion à l’encontre de Jahjah étalée sur cinq ans, durant lesquels à peu près tout ce qu’on peut inventer pour «descendre» quelqu’un l’a été: trafic de diamants, consultation de sites pornographiques, incitation à l’émeute, constitution de milice privée… Avec, en point d’orgue, sa prétendue participation aux émeutes des 26 et 27 novembre 2002 à Borgherout et un dossier judiciaire de 3.000 pages, censé l’en accuser définitivement. Dont coût : en 2007, Dyab Abou Jahjah est condamné à un an de prison ferme et à une amende de plus de 5.000 euros –alors que l’ancien commissaire en chef de la police, Luc Lamine, a déclaré dans Humo : «Durant les émeutes, Abou Jahjah a véritablement tenté de calmer les esprits».

2002-2007 : pendant cinq ans, Luk Vervaet n’a pas ménagé ses efforts pour dénoncer le dossier soi-disant à charge de Jahjah et alerter l’opinion progressiste sur une affaire fomentée de toute pièce. Dans un de ses textes à vocation publique, Vervaet écrit : «(…) Si les incidents de Borgerhout n’ont pas connu l’ampleur de ceux de Paris (à Villiers-le-Bel, après la mort de Mouhsin [15 ans] et de Larami [16 ans]) ou d’Amsterdam (une semaine d’incendies nocturnes après la mort de Bilal [22 ans] dans un bureau de police), c’est précisément grâce à l’intervention publique des activistes de l’AEL. Ce qui caractérise les révoltes de Paris ou d’Amsterdam, c’est précisément l’absence de toute direction organisationnelle ou de vision politique sur l’émancipation des communautés issues de l’immigration. Ce sont précisément ces éléments que la Ligue tentait d’apporter en canalisant, sur le moment même, la colère des jeunes et en leur proposant pour le plus long terme une vision globale d’émancipation. Seuls les leaders de la Ligue Arabe Européenne en étaient capables à ce moment précis, et c’est pour cela qu’ils sont frappés aujourd’hui d’un an d’emprisonnement… Ce n’est ni plus ni moins qu’un encouragement donné à la jeunesse pour qu’elle réagisse, la prochaine fois, selon les méthodes de guérilla empruntées aux modèles parisien ou néerlandais.

Enfin, il y a aujourd’hui fort à faire avec l’épouvantail des « fondamentalistes islamiques ». Dyab Abou Jahjah n’est ni un extrémiste religieux, ni un partisan d’Al Qaida. Loin de là. La condamnation de Dyab est la condamnation d’un homme qui a soutenu les jeunes des quartiers populaires dans leur quête de dignité, de self-respect et de prise de conscience. Il a braqué leur attention sur la défense de leurs droits et de ceux des peuples arabes. Et quiconque travaille aujourd’hui dans une prison sait à quel point ces questions sont fondamentales dans la lutte contre la petite criminalité, une violence parfois aveugle et une identité vacillante. La condamnation de Dyab est un coup dur pour tous ceux qui travaillent dans cette perspective. Elle risque de laisser libre jeu à d’autres forces, pourvues d’une toute autre logique, une logique de destruction. Au moment où la Belgique vient de se doter d’un gouvernement provisoire, après six mois de combats communautaires entre Flamands et Wallons, un message positif de réconciliation et de paix à l’égard de la communauté belgo-arabe et de ses jeunes eût été le bienvenu. En lieu et place, c’est un cocktail molotov que la justice leur envoie».

Heureusement, devant la Cour d’Appel d’Anvers cette fois, Luc Lamine pourra témoigner en faveur d’Abou Jahjah, en dépréciant totalement le témoignage d’un agent de police prétendument sur place au moment des violences. Ce dernier aurait entendu Jahjah crier: «Ne vous laissez pas faire par la police, il n’y a qu’un seul Dieu, Allah. Restez ensemble, ensemble nous sommes forts face aux policiers. Ils sont la cause de la mort de notre frère, battez-vous !». Le fin fond de l’histoire ? Le policier accusateur ne s’était jamais trouvé à proximité d’Abou Jahjah mais avait été l’objet d’intimidation de sa hiérarchie pour qu’il fasse une fausse déclaration des plus accablantes… En conséquence de quoi le 20 octobre 2008, la Cour d’appel d’Anvers acquitte –sur toute la ligne– le dirigeant de la Ligue Arabe Européenne, estimant qu’il n’y pas de preuves pour éclairer ses prétendues responsabilités dans les heurts qui se sont déroulés après le meurtre de Mohamed Achrak.

HEZBOLLAH

15 décembre 2008, «grande première à Bruxelles» : le député du Hezbollah Hussein Al Hadj Hassan et Abdullah Kassir (le directeur général de la chaîne Al-Manar) donnent une conférence à «la Maison des Parlementaires». L’initiative en revient au député Ecolo Fouad Lahssaini et à Dyab Abou Jahjah, directeur international de l’Union Internationale des Parlementaires pour la Palestine.

Le SOIR, dans son édition du 16, en fait le résumé suivant : «Inviter des représentants du Hezbollah libanais à s’exprimer dans l’enceinte du Parlement belge ? Cette gageure, un député Ecolo, Fouad Lahssaini, l’a réussie ce lundi, au grand dam de certains partis et de plusieurs organisations.

Le décor ? La salle de conférence de la Maison des parlementaires. L’occasion ? Une conférence sur le thème des prisonniers palestiniens détenus par Israël (dont 41 députés). La participation, donc ? Outre Gretta Berlin, une Américaine cheville ouvrière des opérations « Un bateau pour Gaza », et le vice-président du Conseil législatif palestinien, Hassan Khraishe…, deux authentiques membres du Hezbollah : Hussein Al Hadj Hassan, député libanais, et Abdullah Kassir, ex-député et directeur de la télévision du mouvement chiite, Al-Manar. Les propos tenus par ces derniers ne surprendront pas ceux qui connaissent, apprécient ou dénigrent le militantisme très radical du Hezbollah.

Déjà, l’introduction de Luk Vervaet, Président de la branche belge de l’Union internationale des parlementaires pour la Palestine qui organisait l’événement, évoquait « l’Etat sioniste, le dernier Etat pratiquant l’apartheid ». Hussein Al Hadj Hassan et Abdullah Kassir n’allaient pas être en reste devant un parterre fourni, surtout composé de sympathisants parmi lesquels les députés belges brillaient par leur absence à de très rares exceptions près.

« Génocide », « racisme », etc… Condamnant « les crimes d’Israël » (on notera l’usage du nom « Israël », qui ne semble plus tabou), Hussein Al Hadj Hassan ira moins loin que son confrère Abdullah Kassir, carrément auteur du mot « génocide » pour qualifier le sort des Palestiniens.

Il ne fallait d’ailleurs pas cet excès de langage pour susciter de la part de Joël Rubinfeld, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique, des questions sur la nature « antisémite » qu’il décèle chez le Hezbollah. Insistant sur le caractère selon lui « raciste » du sionisme, le député libanais répondit que son mouvement ne confondait pas judaïsme, « religion qui procède de Dieu », avec sionisme.

Quant à Abdullah Kassir, il convint que la diffusion par sa chaîne de télévision d’un feuilleton syrien aux relents antisémites il y a quelques années avait constitué « une faute » en raison de certaines scènes qui auraient dû être supprimées.

Cette conférence avait bien failli être annulée en raison des pressions de certains partis et de quelques organisations (comme le Forum juif anversois ou l’Esisc, centre géré par Claude Moniquet). Mais la conférence des présidents de parti, qui avait avalisé la tenue de l’événement sans émettre de commentaires, pouvait difficilement manger sa parole. Rappelons que le Hezbollah, qui fait partie du gouvernement libanais reconnu par la communauté internationale, ne figure pas sur la liste européenne des organisations considérées comme terroristes, au contraire du Hamas»

«Au contraire du Hamas»… Deux mois après la venue à Bruxelles des deux représentants de la mouvance chiite, Luk Vervaet va s’associer à un pétitionnement international exigeant cette fois le retrait des mouvements islamiques –comme le Hamas– de la liste européenne des organisations décrétées «terroristes» [9]. Etant entendu qu’Israël est bel et bien «le dernier régime d’apartheid dans le monde» [10], il faut –selon Vervaet– «soutenir la résistance palestinienne et arabe sans exclusion, sans exclusive»

Notez: cet Appel sans ambages, accrédités par des signataires de renom [11], rendait possible un double niveau de lecture. D’abord, énoncer un principe souverainiste (le droit du peuple palestinien «à avoir son propre Etat avec Jérusalem comme capitale»). Et, dans le même temps, dénoncer l’illégalité d’une liste noire initiée, composée, certifiée par les Etats-Unis –un acte d’autorité destiné à répudier des mouvements de libération nationale discrétionnairement qualifiés de «terroristes». Or cet ostracisme de pure convenance, Dick Marty (le rapporteur du Conseil de l’Europe sur les activités illicites de la CIA) l’avait lui aussi contesté dès novembre 2007. «Les listes noires de terroristes présumés établies par l’ONU et l’Union européenne bafouent les droits de l’Homme. La pratique actuelle des listes noires dénie les droits fondamentaux et décrédibilise la lutte internationale contre le terrorisme», avait même tenu à souligner le sénateur suisse, dénonçant «l’absence de droits de la défense pour les personnes et organisations ainsi listées».

Il est vrai qu’après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis avaient prévenu : le monde ne pourra plus jamais être le même. Cette sentence, si souvent répétée, aura évidemment servi –entre autres bouleversements– à justifier une longue série de législations liberticides et à normaliser, au plan pénal, un véritable état d’exception. La Décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002, relative à la lutte contre le terrorisme, s’inscrira dans cette logique de représailles, jusqu’à constituer une étape décisive dans l’évolution de la justice internationale. Car dans la législation antiterroriste telle qu’elle prévaut dorénavant, la finalité permet de définir le délit. De ce fait, tous les opposants prétendant contester l’ordre établi, tous ceux qui veulent «porter gravement atteinte ou (…) détruire les structures politiques, économiques ou sociales d’un pays» seront (moyennant certains actes dont la définition demeure imprécise) qualifiables de «terroristes». L’incrimination de terrorisme à l’échelle de l’Union européenne a du coup entraîné, dès qu’elle a été intégrée dans la législation nationale, une panoplie de conséquences néfastes pour la démocratie. En Belgique depuis 2004, plusieurs procès «antiterroristes» ont été menés à terme, après avoir connu des procédures d’appel. Que ce soit le procès intenté contre «le Groupe islamique combattant marocain [GICM]», ou ce que les médias ont dénommé le procès des «Filières kamikazes en Irak», sans parler de «l’affaire DHKP-C»…, chacun de ces dossiers a été percuté par des atteintes répétées à l’instruction «objective», à la présomption d’innocence, aux droits de la défense et au traitement équitable de la cause. De surcroît, toutes les craintes –qu’avaient soulevées de nombreuses organisations démocratiques avant l’adoption de la loi «antiterroriste»– se sont avérées fondées. Car les libertés fondamentales sont remises en cause par des procédures dérogatoires qui tendent à se substituer à la norme. En bonne logique policière, l’élément fondamental de l’incrimination dans les délits de terrorisme n’est plus l’acte mais l’intention, c’est-à-dire le sujet chaque fois qu’il sera qualifié de «dangereux pour la société». Par ailleurs, des dérogations ont lieu à chaque stade du processus pénal : de l’instruction au jugement. On se réfère notamment ici aux techniques spéciales d’enquête, mais aussi aux mesures de détention «dégradantes, non conformes à la dignité humaine». Des remises en question de l’Etat de droit qui peuvent être résumées sous un seul et même intitulé: la primauté des procédures d’exception, en ce compris la délégitimation du formalisme pénal.

Expression paroxystique de cette nouvelle normalité juridique : l’usage «en sous-traitance» de la torture. Ainsi en avril 2006, les autorités politiques et judiciaires belges n’avaient pas hésité à faire livrer, via les Pays-Bas, Bahar Kimyongür à la Turquie –où il aurait assurément été la victime des pires violences [12]. Ainsi dans l’affaire dite du GICM, la Cour d’Appel de Bruxelles avait condamné (en septembre 2006) cinq membres de ce mouvement –en s’appuyant essentiellement sur les aveux (rétractés par la suite) d’autres membres du réseau, atrocement torturés lors de leurs interrogatoires au Maroc (comme l’obligation pour les suspects de se tenir pendant 12 jours… au garde-à-vous). Ainsi le silence opaque de nos responsables étatiques sur le sort judiciaire réservé par Rabat au belgo-marocain Belliraj (un informateur de la Sûreté belge, accusé d’être un agent d’Al Qaida) alors que, pour lui arracher des informations, la police marocaine l’avait torturé «deux mois sans arrêt» au centre secret de la police politique de Temara [13]…

C’est dans ce contexte effrayé et effrayant que L. Vervaet choisira de déployer une partie de son énergie extra-professionnelle. En 2008, il a été contacté par une jeune femme habitant Molenbeek, Farida Aarrass. Le frère de celle-ci se trouve pris dans une nasse, il n’y a pas d’autres mots. Possédant la double nationalité belge et marocaine, Ali Aarrass a en effet été arrêté à Melilla (ville espagnole enclavée dans le Nord du Maroc) en avril 2008 et est, depuis, sous la menace d’une procédure d’extradition, dans le cadre d’un mandat d’arrêt international lancé par Rabat, pour appartenance à un réseau terroriste. Une situation accablante: en 2006, la justice espagnole avait certes ouvert une enquête judiciaire contre Aarrass pour «association avec le terrorisme» mais le tribunal avait prononcé la fermeture provisoire de l’enquête par manque de preuves. Malgré ce non-lieu, Ali Aarrass reste en prison : il fait partie de ces 1.500 personnes recherchées par le Maroc après les attentats de Casablanca de 2003. Selon Amnesty International «des centaines d’entre elles, une fois appréhendées, ont été sévèrement torturées en détention…». Le président de Melilla, Juan José Imbroda, et son gouvernement local (conduit par le très conservateur Parti Populaire), la Coalition pour Melilla (principal parti de l’opposition), la Commission Islamique et Amnesty International-Espagne, toutes ces structures et organisations se sont pourtant unies pour exiger la non-extradition d’Ali Aarrass. Quant à Eva Suárez-Llanos, la présidente espagnole d’Amnesty International, elle persévère à déclarer: «Les autorités espagnoles ne peuvent pas extrader des détenus vers un pays où ceux-ci risquent d’être torturés» [14]. Sauver la vie du ressortissant belge Ali Aarrass ? A ce jour en Belgique, aucun membre du gouvernement, aucun parlementaire n’a pris la moindre initiative ou fait mine de s’inquiéter de quoi que ce soit.

Question minimaliste ? Dans ce silence épouvantablement inerte, que faire d’un tant soit peu efficace ? Vervaet agit avec les moyens du bord : il lance une «Lettre ouverte» sur son blog, un appel à signatures [15]. Avec toujours cette même priorité: alerter. Au point qu’on peut se demander si, y compris dans sa vie citoyenne, il ne garde pas l’âme d’un enseignant (étant entendu qu’«enseigner» vient du latin insignire qui signifie «signaler»)…

Il faut dire que, dans le courant de l’année 2008, Vervaet avait aussi pris une formidable décision : rendre visite à Nizar Trabelsi pour dialoguer avec ce prisonnier-vedette, détenu «dans des conditions exceptionnelles» à la prison de Lantin. Une manière de tenter de comprendre, de vive voix, le cheminement d’un sportif de première classe, rabaissé du top niveau aux cachots de caniveau. De cette série d’entretiens (dont il n’est pas vraiment sorti indemne), Vervaet ramènera en tout cas un témoignage époustouflant. S’y ajoute désormais une sorte d’urgence : le 24 juillet 2010, la Chambre des mises en accusation a convenu que l’extradition de Trabelsi demandée par les Etats-Unis était «légitime s’il n’y risque pas la peine de mort»… Au fait, que risque Trabelsi aux USA ? Dans une lettre datée du 11 novembre 2009, le ministre américain de la Justice l’avait précisé sans détours : «Deux fois la perpétuité, sans possibilité de remise de peine» («Two times life, without parole»).

PUBLIC ENEMY.

Dans plusieurs articles consacrés au célèbre prisonnier convoité par les Américains, la grande presse a parfois tenu un certain discours de vérité à propos de Trabelsi : «C’est un type qui a eu une enfance malheureuse, qui n’a pas connu son père, dont la mère avait du mal à nouer les deux bouts, en Tunisie. Lui, il s’en est sorti grâce au foot, en devenant joueur professionnel». Entre 1988 et 1990, Nizar a en effet brillé comme attaquant au Fortuna Düsseldorf, équipe de première division en Allemagne. La gloire, l’argent, la grande vie et tous les abus qui vont avec. La déchéance, la drogue, l’alcool. Le footballeur va jusqu’à s’abandonner à divers trafics et vols. Avant de prendre foi. Les déclarations de Trabelsi évoquent sans détour son adhésion à l’islam radical. «En 1996, j’ai été attiré vers l’islam. J’ai rencontré à la mosquée un prêcheur qui m’a fasciné par son éloquence. Cette personne m’a aidé à mieux comprendre les préceptes de la religion. Car, jusque-là, je n’étais pas croyant». C’est sur les conseils de ce personnage, au verbe dévastateur, que Trabelsi partira d’abord en Arabie Saoudite étudier l’islam. Puis, convaincu qu’il faut «aider les pauvres sur place», rejoindra Jalalabad en Afghanistan. Il y aide les nécessiteux mais est également pris en charge par des radicaux islamistes (on entre là dans l’engrenage qui va lui valoir une condamnation à dix ans de prison, en Belgique).

«Avec son argent, écrira Vervaet, Trabelsi a aidé à construire en Afghanistan des mosquées et des puits d’eau. Il aboutira dans un camp d’entraînement. Selon ses propres dires, il est revenu en Belgique avec l’intention de commettre un attentat contre la base militaire de Kleine Brogel (dans le Limbourg), qui abrite des armes nucléaires et des militaires américains. Ce retour en Belgique s’est effectué en juillet 2001. Le 11 septembre 2001, des avions se sont écrasés contre les tours de New York. Le monde s’est arrêté pendant un instant. Immédiatement, l’ensemble des pays occidentaux a préparé la riposte. A peine un jour après « Nine eleven », la police belge a arrêté Nizar Trabelsi à Bruxelles. Elle n’a dû ni le dépister ni le chercher. Il a suffi de sonner à la porte de son appartement et de lui passer les menottes. Tous ses faits et gestes, depuis son départ et son séjour en Afghanistan jusqu’à son retour en Belgique, étaient parfaitement connus des services de sécurité. Plutôt qu’une intervention judiciaire et policière impérieuse, cette arrestation-éclair devait servir de signal politique. Elle transmettait le message qu’un scénario WTC américain avait été empêché en Belgique : un émissaire d’Oussama Ben Laden avait été arrêté dans la capitale de l’Europe, alors qu’il préparait un attentat. Que Trabelsi ne dispose ni du professionnalisme, ni des réseaux de contacts, ni des planques, ni de l’argent, ni des armes dont avaient bénéficié les auteurs de l’attaque contre les tours de New York, n’y fit rien (…), chez Trabelsi on a trouvé ce qu’il fallait ».

Rapidement, la représentante du FBI à Bruxelles cherche à s’emparer du dossier. La Belgique résiste, garde ses prérogatives. Et cela crée des remous, diplomatiques et politiques. Les services américains déploient alors les grands moyens en Belgique et mettent sur écoute l’entourage de Trabelsi et ses avocats. Ceux-ci sont convoqués à l’hôtel Conrad, à Bruxelles, et se voient offrir de l’argent (1.000 dollars par mois) pour tuyauter le FBI sur Trabelsi. Du jamais vu.

Nizar Trabelsi est jugé et condamné en Belgique, en juin 2004, à dix ans de prison, pour ses activités terroristes. Mais les Américains demandent son extradition pour le juger à leur tour. Pour quels faits ? Y a-t-il d’autres faits mis à sa charge ? Le Grand Jury du tribunal d’instance des Etats-Unis (district de Columbia) est fort vague à ce sujet. Le document officiel de l’extradition vise une association de malfaiteurs –en vue d’assassiner des citoyens américains hors des Etats-Unis, une tentative d’usage d’armes de destruction massive, une fourniture de soutien et de ressources matérielles à une organisation terroriste.

Mais les seuls faits explicitement cités sont ceux de la préparation d’un attentat à Kleine-Brogel. Des faits déjà jugés en Belgique… Quoi d’autre, alors ? Le réquisitoire du Parquet fédéral, lors du débat sur l’extradition de Trabelsi, en dit davantage mais c’est vague, pas du tout étayé –et il faut avoir vraiment envie de se fier aux prétendues allégations et aux soupçons des USA..

Trabelsi n’est pas Belge, il peut dès lors être extradé vers un pays qui demande de le juger. Les avocats de Nizar Trabelsi plaident –avec une crainte étayée– le risque de mauvais traitements. Une fois transféré dans les geôles américaines, tout est possible, même le pire. A cette juste appréhension, il y a d’ailleurs une raison manifeste : Trabelsi a été interrogé, à de nombreuses reprises, par des enquêteurs américains venus spécialement chez nous pour lui soutirer un maximum d’informations. Trabelsi n’a pas répondu à leurs attentes. Pourtant, ils ont tout essayé, le chantage affectif, le paiement, les écoutes… Nizar Trabelsi évoque toutes les pressions exercées sur lui et sa famille pour qu’il «balance». Ce qu’il n’a pas fait : « Quand j’imagine ce qu’ils vont faire de moi chez eux, c’est le cauchemar total. La mort est mieux que ça». Il dit même avoir reconnu, dans des reportages télévisés sur des tortures à Guantánamo, un des enquêteurs qui sont venus l’interroger en Belgique…

En mai de cette année, Luk Vervaet a déposé sur son blog la série d’interviews retranscrites en français de ces différents entretiens avec l’ex-star internationale de foot. Un long texte titré «A quand un geste de conciliation ?»… Extraits choisis.

«En juillet 2010, Nizar Trabelsi, ancienne vedette internationale de football (qui a joué jadis pour la Tunisie, la Belgique et l’Allemagne), aura 40 ans. A ce moment, il aura passé près d’un quart de sa vie en prison. Trabelsi ? Il a été soumis au régime d’incarcération le plus sévèrement envisageable en Belgique. D’abord, il a été transféré sans cesse d’une prison à une autre : de Lantin, à Arlon, à Ittre, à Nivelles, à Bruges et retour. Ensuite, il a été enfermé régulièrement, non par mesure disciplinaire, mais pour des raisons « administratives », dans une cellule spéciale de haute sécurité (« Maximum Security Unit »), sorte de prison à l’intérieur de la prison, dans le Bloc U à Lantin ou la section AIBV (section de mesures de sécurité individuelles particulières) à Bruges. Ce régime d’isolement total a été instauré sur ordre des plus hautes autorités pénitentiaires, contre tout avis médical, contre l’avis de certains directeurs de prison, malgré les recours répétés introduits par ses avocats et malgré ses grèves de la faim. Enfin, conséquence de sa condamnation pour terrorisme, Trabelsi s’est vu refuser, pendant ces neuf années, toute possibilité de réduction de peine prévue par la loi ou toute possibilité de réintégration. A partir de 2004, Trabelsi pouvait éventuellement prétendre à un congé pénitentiaire. On ne lui a jamais accordé un seul jour. A partir de 2005, il pouvait solliciter une libération conditionnelle. Cela lui a été refusé. De même, sa demande d’asile politique en Belgique, la même année. Refusé.

Trabelsi s’est avéré être le punching ball rêvé des spécialistes de l’antiterrorisme. Grâce à lui, ceux-ci ont pu décréter une alerte terroriste pendant des mois et arrêter des islamistes suspects. Alors que dans le monde entier le passage au nouvel an 2007 se fêtait sous les feux d’artifice, Bruxelles a été la seule ville européenne à interdire ces festivités pour cause de « menace imminente ». Il s’agissait prétendument de plans d’évasion qu’aurait exécutés Trabelsi pendant son transfert d’Arlon à Lantin. Les questions au Parlement à propos du sérieux de cette opération antiterroriste sont restées sans réponse et Trabelsi n’a jamais été interrogé ni inculpé à propos de cette affaire. En novembre 2008, il a été transféré de la prison de Nivelles à celle de Ittre, après que des rumeurs aient évoqué son intention de s’échapper. En décembre 2008, il a été transféré de Ittre à Bruges (…). Lorsque Ashraf Sekkaki s’évade de la prison de Bruges en juillet 2009 à l’aide d’un hélicoptère, Trabelsi, qui se trouvait à ce moment dans le Bloc U à Lantin, a été lié à cette affaire (…). Son transfert à Bruges a suivi immédiatement et son isolement a encore été renforcé : hormis les membres de sa famille, personne ne peut plus le visiter depuis août 2009».

«Lorsque les Etats-Unis ont demandé son extradition en 2008, j’ai décidé de rendre visite à Trabelsi dans la prison de Lantin. Ces visites se sont déroulées dans les règles, avec la demande officielle requise, « screening », autorisation, fouille, gardien à la porte lors de chaque visite. Dans des articles du journaliste Claude Demelenne, du sénateur MR Destexhe et de Nadia Geerts, le trio qui organise en Belgique francophone la chasse médiatique contre les « islamo-gauchistes », il a été suggéré que j’entretenais des « liens douteux » avec « le terroriste Nizar Trabelsi », et, selon eux, mon licenciement comme enseignant en milieu carcéral en août 2009 pour des raisons de sécurité (gardées secrètes) était dès lors « justifié et normal ». Ainsi, l’affaire Trabelsi a également offert l’occasion en Belgique d’instaurer une interdiction professionnelle pour ceux qui lui rendent visite. A propos de mes « rapports douteux » avec Trabelsi, je souhaite apporter les quelques observations suivantes.

Face à l’imagerie ambiante sur le genre de « monstres et de barbares » que nous combattons en Afghanistan, cette précision n’est, dès l’abord, pas inutile : l’homme menotté, portant une barbe religieuse –dont vous voyez de temps en temps la photo dans votre journal– est un « Homme », comme vous et moi. Avec son physique athlétique imposant, c’est une personne particulièrement gentille et douce. Assez de psychiatres, de gardiens de prison et de personnels au sein de l’appareil judiciaire le confirmeront. Et il a évidemment aussi acquis une renommée parmi les détenus. Du « prosélytisme », dira-t-on. Une des rares fois où il ne se trouvait pas dans une unité spéciale de sécurité, un Belge condamné à perpétuité occupait la cellule voisine de la sienne. C’est un avocat qui m’en a fait le récit et non Trabelsi lui-même. Ce détenu était dépressif, ne sortait plus de la cellule, ne faisait que fumer, ne se lavait presque jamais et mangeait à peine. C’est Trabelsi qui lui a remonté le moral. L’homme a confié à son avocat : « Si jamais on m’accorde le droit à un congé pénitentiaire, c’est Trabelsi que j’irai visiter en premier ».

Le prisonnier que j’ai rencontré durant mes visites à Lantin, était, après presque neuf années de détention, physiquement mais surtout psychiquement, un homme blessé. Trabelsi est une personne très émotive. Il m’a beaucoup parlé de la mort, mais surtout des enfants. Lorsque je lui ai rendu visite, il a sorti son cahier de coupures de journaux qu’il a confectionné au fil des ans. La plupart des articles et des photos concernent des enfants assassinés dans les guerres en Irak, en Afghanistan et en Palestine. « Palestine, Palestine » : davantage que le nom de l’Afghanistan ou de l’Irak, c’est celui de la Palestine qui revient toujours. Il m’a montré une photo d’un enfant palestinien, la tête seulement, sans corps. « Si jamais j’écris un livre, cette photo doit figurer à la première page », insistait-il, lorsque j’essayais de protester en lui faisant observer que ce ne serait probablement pas le meilleur argument de vente. Trabelsi a perdu un enfant lui aussi, perte dont il ne s’est manifestement toujours pas remis et dont il a du mal à parler (…).

Mes « liens douteux » avec Trabelsi ? Ils ont simplement consisté à l’encourager à écrire l’histoire de sa vie. Ce à quoi il s’est consacré pendant des semaines dans sa cellule d’isolement. Mais nous n’avons pas pu achever le travail parce que, depuis son transfert de Lantin à Bruges (en août 2009), j’ai d’abord été rayé de sa liste de visiteurs puis interdit d’accès à toutes les prisons de Belgique».

LE PASSAGE DU TÉMOIN

Mutineries, évasions à répétition, incarcérations à perpétuité, décès suspects, suicides avérés, extraditions problématiques, exactions sanitaires, trafics certifiés, violences vérifiées, surpopulation chronique…: année après année, on ne compte plus les rapports (militants ou officiels) qui dénoncent la situation d’incurie régnant derrière les barreaux.

Chez nous, la politique carcérale n’est pas dans une impasse : c’est un système sans issue. En mars 2010, plus de 10.000 détenus s’entassaient dans les 33 prisons belges, conçues normalement pour en abriter 8.400. Depuis 1980, la population pénitentiaire a littéralement explosé : 76 % de plus. De surcroît : la majorité des établissements (20 sur 33) datent du 19ème siècle. Certains sont dans un état de vétusté crasse. Dégueulasse. Il n’y a pas d’autre mot.

Evidemment, les autorités ont sous la main un «Masterplan pour les Prisons». Ce plan de maître prévoit la construction de 2.552 nouvelles places dans sept nouveaux édifices d’ici 2012. Une méga-prison sera construite à Bruxelles sur l’ancien site de l’OTAN. A 150.000 euros la cellule, le partenariat sera concrétisé selon la formule franglaise du «DBFM» (Design, Build, Finance, Maintain) : le privé réalise les plans, construit, et finance. Reste à l’Etat : la location des bâtiments, l’entretien et «la fourniture» du personnel. Et des prisonniers.

Que faire… en attendant ?

En mars 2007, Laurette Onkelinx avait signé un protocole autorisant le transfert des prisonniers marocains (sans leur consentement, évidemment)… vers le Maroc. Si l’on sait que la surpopulation de certaines prisons marocaines atteint 600%, on voit qu’il s’agit là d’une véritable escroquerie qui viendra une nouvelle fois frappé un pays tiers-mondisé. L’année suivante, on a avancé une autre «solution» : le ballet des bateaux-prisons sur l’Escaut, possibilité jugée ensuite «trop chère, pas assez sûre et d’infrastructure trop faible».

Aujourd’hui, les Pays-Bas et la Belgique ont négocié le transfert de 400 détenus vers des prisons vides d’outre-Moerdijck.

On a dit : «La prison, c’est l’ultime recours». Il n’en est évidemment rien : l’enfermement est devenu la norme. Et correspond à une idéologie sécuritaire prégnante.

C’est quoi, une prison ? Avant tout un lieu de souffrance. À Anvers, des cellules prévues pour 4 personnes sont occupées par 11 détenus. A la prison d’Anvers, cent détenus sont privés de lits. Dans plusieurs ailes de la prison de Forest, on entasse 3 à 4 détenus dans des cellules de 9 m², enfermés 23 heures sur 24, matelas par terre (700 détenus doivent ainsi se partager les 400 places disponibles). Les prisons bruxelloises n’ont d’ailleurs jamais été aussi pleines, à 119 % de leurs capacités d’accueil. A Jamioulx, c’est pire : 181,8%.

Pour trois quarts des détenus, le père est chômeur, ouvrier, manœuvre ou inconnu. 45 % des enfermés n’ont qu’un diplôme d’études primaires. 30 % n’en ont aucun.

ALARME.

Il y a dix ans, l’écologiste Vincent Decroly et le démocrate-chrétien Georges Dallemagne (PSC) avaient déjà tiré la sonnette d’alarme (après avoir enquêté à Saint-Gilles et Lantin). Témoignant de sa visite à Forest, Dallemagne précisait : «Nous avons pu visiter un cachot occupé par un homme à moitié nu. Ce cachot est un simple cube de béton de 2,5 mètres aveugle avec pour tout mobilier un morceau de mousse sale jeté par terre, un orifice dans un coin comme toilette, et une cruche d’eau. C’est inhumain et dégradant».

Il y a deux ans, Réginald de Beco de la Ligue des droits de l’Homme dénonçait, sur le même ton désemparé : «La prison de Forest, un hôtel trois étoiles ? Plutôt un logement insalubre… Forest est une maison d’arrêt, ce qui signifie que trois-quarts des détenus y sont en détention préventive. Paradoxalement, les conditions de vie y sont beaucoup plus dures que dans les maisons de peine où séjournent les condamnés. La prison de Forest est divisée en quatre ailes, chacune de trois étages. Deux de ces ailes datent de plus d’un siècle. Les cellules n’y ont pas de sanitaires. Si les détenus ont accès à un local de douche en piteux état, ils ne disposent en cellule que d’une cruche pour leur hygiène élémentaire. Ils sont contraints de satisfaire leurs besoins naturels dans un seau vidé seulement une fois par jour, après la nuit. Les cellules des deux ailes rénovées ont certes chacune une toilette, mais à peine isolée par un paravent ne dépassant pas un mètre. Dans cet espace de 9 m², survivent deux, voire trois personnes. Il y a parfois de 50 à 60 cellules en trio, ce qui représente de 150 à 180 détenus. Ils y restent confinés 23 heures sur 24. La troisième personne dort à même le sol sur un matelas qui est remisé contre le mur pendant la journée. Les détenus y prennent tous leurs repas, souvent assis sur leur lit, l’assiette sur les genoux, à défaut de chaise pour chacun. La qualité nutritionnelle de ces repas est tributaire du budget, soit trois euros par jour et par détenu, calculés sur la capacité carcérale et non sur la population réelle. Il est donc urgent de sortir du Moyen Âge. Avant d’envisager de construire de nouvelles prisons, il importe de commencer par rénover celles qui existent mais se délabrent de plus en plus dans l’indifférence générale».

Confronté à cette misère carcérale chronique, l’enseignant en informatique et professeur de néerlandais Luk Vervaet ne pouvait pas non plus rester coi et passif.

En 2006, dans une interview accordée au Journal du Mardi, il indiquait : «Si on continue à durcir les conditions de détention, on va former de véritables bombes humaines qui, une fois dehors, feront plus de dégâts encore». Puis, dans la Libre Belgique du 13 mai 2009: «Nos ministres semblent avoir tout sous contrôle. Ils ne réalisent pas combien est proche le « prison break » total. Nos prisons sont des bombes à retardement. En décembre 2008, le ministre de la justice Van Deurzen s’était vanté des expériences encourageantes de la nouvelle section spéciale à Bruges. Quatre mois plus tard, une émeute a éclaté et les détenus l’ont entièrement détruite. Un vrai débat de société est urgentissime, incluant tous les acteurs : les ex-détenus, les représentants des détenus et leurs familles, les éducateurs, enseignants, médecins, criminologues, psychologues et travailleurs sociaux, le monde syndical, policier, judiciaire et pénitentiaire. Il doit porter sur les vraies solutions et sur leur application rapide».

Octobre 2009. «Selon une enquête réalisée en 2001, 75% de la population pénitentiaire en Belgique est issue de familles où le père est chômeur, ouvrier, manœuvre ou… inconnu. Depuis, la situation n’a fait que se dégrader : nos prisons enferment quasi uniquement des personnes issues des classes populaires. Quarante-cinq pourcent de cette population carcérale ne dispose que d’un diplôme d’études primaires. 30% n’a pas de diplôme du tout. Je pourrais continuer à citer des chiffres accablants. Mais tout le monde les connaît. La seule question qui se pose est : pourquoi n’y a-t-il pas de volonté politique pour y remédier ? Où est « le plan Marshall » pour les quartiers populaires? Où est « l’intervention de crise » comme pour les banques ? Pourquoi n’y a-t-il pas un plan pour transformer les prisons en écoles ?

Voyons de plus près l’état de la formation dans les prisons, censée préparer la réinsertion des détenus…

D’abord, l’importance accordée à l’éducation en milieu carcéral est tributaire de la mission dévolue à la prison par la société. Cette mission est quasi exclusivement sécuritaire. Vous avez certainement entendu parler de l’installation de nouveaux câbles au-dessus des préaux pour empêcher toute évasion, mais pas d’installation de nouveaux locaux pour la formation des détenus. La formation n’a pas vraiment sa place en prison. Elle dérange la sécurité. Elle reste une source de travail supplémentaire pour le personnel pénitentiaire. Elle constitue un facteur de risque, de trouble, d’incident potentiel.

Ensuite, le secteur de l’éducation en prison, tel qu’on le connaît aujourd’hui en Belgique, remonte aux années soixante et septante. Quarante ans plus tard, il faut constater que l’éducation et la formation en prison, à l’exception des formations professionnelles dispensées par la promotion sociale, ne relèvent toujours pas de la responsabilité de l’État mais des « associations » qui travaillent comme sous-traitants et prennent la plus grande part du travail sur elles. Toutes les associations d’éducation et de formation, même celles qui ont des décennies de travail derrière elles, doivent justifier chaque année leur droit d’existence aux nombreuses instances belges et européennes qui les subsidient. Elles doivent se disputer ces subsides et les places disponibles; leurs travailleurs n’ont aucune garantie d’emploi à long terme. Dans ces conditions, comment une politique d’éducation à long terme serait-elle possible ?

Enfin, le secteur de l’éducation en prison dépend et continue à dépendre de la bonne volonté des directions et des syndicats; il varie d’établissement à établissement. Dans tous les conflits, dans les multiples grèves du personnel des prisons de ces dernières années, avez-vous entendu la voix et les revendications des éducateurs et des enseignants ? Non, parce qu’ils n’ont pas droit à la parole : quand il y a grève dans les prisons, le secteur éducatif est tout simplement mis au chômage technique, c’est tout.

Le droit à la formation en prison, formellement reconnu par la loi, est contourné dans la pratique. Ce droit peut être uniquement réservé à certaines ailes de la prison. Si, en tant que détenu, vous ne vous trouvez pas dans la bonne aile, vous n’y avez pas droit. Les demandes de formation émanant des prisonniers, même dans les ailes concernées, sont beaucoup plus nombreuses que les réponses qu’on peut y apporter. Si vous avez un travail comme détenu, il se peut que vous n’ayez plus droit à la formation. Si vous choisissez de ne pas travailler et de suivre des formations, dans beaucoup de cas, vous ne toucherez rien, même pas les misérables 60 cents par heure qu’on gagne en travaillant. Si en tant que détenu vous êtes puni pour un mauvais comportement, qui n’a rien à voir avec un comportement pendant la formation, votre droit à la formation est retiré, comme faisant partie de la punition.

Il faut une intervention de l’État qui nationalise et reprenne tout le secteur associatif et qui accorde à tous ses travailleurs un statut égal et un travail stable. Le secteur de l’éducation, de la formation, du suivi des détenus pendant et après leur détention… deviendrait ainsi une composante à part entière du monde carcéral. Non pour que le secteur de la formation devienne un prolongement de la Justice ou de l’autorité carcérale, mais pour que son statut et sa vocation indépendante soient pleinement affirmés.

Pour que le droit à la formation en prison devienne réalité, des centaines de forces supplémentaires sont nécessaires. Il faut, en premier lieu, engager des gens de terrain comme professeurs. Plein de gens compétents pourraient apporter une contribution décisive dans les prisons. Parmi les forces disponibles, citons des ex-détenus qui se sont formés professionnellement comme éducateurs, des membres des familles de détenus et de victimes, des acteurs du monde du travail qui ont une expérience de la vie de l’immigration et celle du monde du travail et syndical, des travailleurs au chômage, des prépensionnés ou pensionnés qui ont une connaissance des métiers et de la technique.

Si on veut vraiment que le droit à la formation en prison devienne réalité, on a besoin de construction d’espaces de formation. De vrais espaces de formation, pas des espaces confinés de la taille d’une ou deux cellules. La formation est et reste marginale. Elle est parfois repoussée dans des coins insalubres, dans les parloirs, dans des classes sans décoration, sans matériel ou moyens d’éducation modernes et performants. Les enseignants et les éducateurs ont tout simplement besoin d’un espace matériel, physique, visible. Ils ont besoin de dizaines de mètres carrés en plus. Si nécessaire, il faut diminuer le nombre de cellules, sans remplacement. Cela obligera à trouver des solutions alternatives pour les détenus concernés –parmi lesquels les malades, les handicapés, les patients psychiatriques….

Enfin, la formation doit s’adapter à la population carcérale. Si la population noire est surreprésentée dans les prisons aux Etats-Unis, le même phénomène se produit depuis dix ans en Europe. Ici, c’est l’immigration récente (Europe de l’Est) et les personnes de la deuxième et troisième génération d’origine maghrébine qui sont surreprésentées dans nos prisons. 44% de toute la population carcérale en Belgique n’a pas la nationalité belge. Des prisonniers non belges, qui ne comprennent ni le néerlandais ni le français, sont souvent regroupés dans des étages spéciaux –souvent sans droit à la formation, parce qu’on n’investit pas en eux: on les expulse».

«A quelques rares exceptions près, toutes les voix qui s’élèvent réclament la construction de nouvelles prisons et l’élargissement des capacités carcérales. Or cette « solution » présente un inconvénient majeur : elle liquide tout débat de société sur la prévention de la criminalité et le rôle de la prison. Rappelons tout d’abord que la surpopulation n’est nullement un problème belge mais bien européen. Prenons les Pays-Bas connus, entre 1950 et 1975, pour leur taux particulièrement faible d’emprisonnement : la population en prison y a quadruplé. En France, le chiffre record de 64.000 prisonniers a été atteint en 2008, pour 50.000 places disponibles. En Grèce, 12.000 prisonniers se disputent 7.500 places. Tous ces chiffres montrent que les capacités pénitentiaires sur le Vieux continent n’étaient nullement préparées à l’application du modèle américain d’enfermement sur large échelle et de longue durée, reproduit en Europe depuis une vingtaine d’années. L’extension ici des capacités carcérales pour les adultes, des prisons pour jeunes et des centres fermés pour les demandeurs d’asile, signifie la poursuite de cette voie américaine, ou plutôt de cette impasse américaine.

Car les prisons fonctionnent comme les parkings : à peine ouvertes, elles sont déjà pleines. Et la crise profonde qui s’annonce ne fera certes pas baisser la délinquance. Il est illusoire de penser, d’autre part, que la modernisation des prisons ira de pair avec leur humanisation. Il n’en est rien. Il suffit de regarder quelques reportages sur les prisons les plus modernes aux USA. Ce sont aussi les plus dures. Pas de surpopulation, certes, mais une cellule par personne, presque médicalement « clean ». Dans ces institutions hypermodernes, les détenus deviennent presque fous de solitude, du fait de la surveillance électronique permanente, des doubles portes en acier, de la promenade dans l’isolement le plus total.

La surpopulation nous offre cependant une opportunité : celle de changer de voie.

Première solution, la plus évidente : vider les prisons de tous ceux qui ne devraient pas s’y trouver –les handicapés, les malades mentaux, les personnes âgées, les femmes, toutes personnes qui ne présentent pas un danger pour la société. On pourrait fermer les annexes psychiatriques et replacer les malades dans des hôpitaux où ils recevraient les traitements appropriés dans des conditions plus humaines. On pourrait placer les détenus, dont la peine est liée à l’usage de la drogue, dans des centres où du personnel compétent pourrait les accompagner dans leur désintoxication.

La seconde option consisterait à placer l’argent prévu pour la rénovation et la construction de nouvelles prisons dans des investissements sociaux en matière d’enseignement, de formation, de logement, de travail, de soins médicaux et de prévention de la délinquance.

Enfin, une troisième optique viserait à limiter drastiquement l’usage de la prison, en ne l’utilisant que pour la minorité de criminels dangereux. Pour tous les autres délinquants, il faudrait investir des forces humaines pour développer l’application des peines alternatives.

Des projets et des gens qualifiés existent en suffisance : seul manque le financement. Ces mesures simples, humaines et raisonnables éviteraient à la Belgique de se voir à nouveau condamnée par l’Europe pour le traitement inhumain de ses prisonniers. Mais elles constitueraient aussi les premiers pas indispensables pour briser la spirale de la délinquance. Car la surpopulation carcérale est la meilleure manière de reproduire la délinquance et d’en aggraver les formes».

QU’EST-CE QUE PUNIR ?

Les suicides, qui se multiplient dans les prisons, sont autant de symptômes d’un système pénal et carcéral pernicieux, délétère, socialement mortifère. Cette accélération des suicides n’est pas seulement due au surpeuplement des lieux de détention : elle constitue une mise en question de notre société devant l’absurdité de son système punitif. Au 21ème siècle, enfermer quelqu’un dans une prison, ce n’est pas le punir : c’est agir par paresse et par prolongement d’un système archaïque, dépassé et inadapté.

Michel Foucault a montré que la fin des supplices en public consacrait l’avènement de l’Etat moderne qui manifestait son pouvoir dans le secret et à l’abri des regards. La dissimulation des chiffres réels des suicides dans les prisons n’est rien d’autre que la poursuite de ce processus.

Qu’est-ce que punir ? Il y a dans la punition deux dimensions : celle de la sanction et celle de la réparation. Il faut que le puni comprenne sa faute. La sanction –faut-il rappeler que le mot a la même racine que le «sacré»– doit conduire le fautif à reconnaître que ce qu’il a fait n’aurait pas dû l’être. Elle suppose un dispositif symbolique que notre justice expéditive et encombrée ne risque pas de mettre en oeuvre. Il faut ensuite que le puni répare sa faute : c’est là encore un travail que l’appareil judiciaire devrait accomplir avec le puni. Qui peut dire que le tribunal et la prison sont des lieux de prise de conscience et de prise en charge du puni vers la compréhension de sa faute et de sa sanction ? Or, il n’y a pas de punition sans volonté de correction, c’est-à-dire sans projet de relever celui qui est «tombé».

Il faut quand même ici le rappeler. L’emprisonnement, tel qu’il existe à notre époque, est une pratique qui n’a pas plus de deux siècles. Auparavant la seule fonction de l’incarcération était de garder à disposition les personnes en instance de jugement. Les châtiments de la Justice des princes étant physiques (supplice, mutilation, galères, voire la mort), les condamnés ne purgeaient pas de peines de prison… C’est le nouveau régime, issu de la Révolution française, qui (arguant de la lutte pour le respect de l’intégrité humaine) remplaça les peines corporelles par la peine d’emprisonnement et développa l’usage des prisons.

Simultanément, toutes les sociétés dites «évoluées» ont été gagnées par la propagation des pénitenciers. Symboliquement peut-être, la première prison (au sens actuel du terme) s’est ouverte à Philadelphie. Puis, portées par la colonisation, les prisons ont envahi le reste du monde…

Quand le régime dit de «démocratie libérale» a instauré les prisons, l’objectif poursuivi était double : empêcher l’individu fautif de poursuivre ses méfaits, mais surtout le remettre sur le droit chemin, en faire un citoyen. Deux siècles plus tard, après bien des études, le discours est toujours le même. Il n’est sans doute guère de domaines où l’hypocrisie a été, et reste, aussi profonde. Toutes les déclarations placent la réhabilitation avant la protection de la société, mais toutes les mesures concrètes privilégient la protection.

En réalité, la Justice est violente de plusieurs manières : elle ne peut exercer son autorité qu’adossée à un pouvoir de contrainte dont elle a le monopole de l’usage légitime. Son autorité n’a de sens que si elle peut faire appliquer la sanction pénale, qui est une façon ou une autre de faire mal, de rétribuer le mal commis par un mal subi. Or cette application de la peine ne va pas sans produire du mal supplémentaire, une sorte d’humeur mauvaise, de mal rajouté par l’excès et qui déborde en gestes illégitimes voire illégaux.

Pourquoi, après deux cents ans d’existence, l’échec de la prison apparaît-il comme inhérent à l’institution ? Pourquoi le discours sur la prison, toujours contredit par la réalité carcérale, se poursuit-il imperturbablement ?

La prison incarne, dit-on, le rappel et le rapport à la loi. On y enferme des humains. Des individus qui, un jour où l’autre, finissent par sortir. Dans quel état veut-on qu’ils sortent ? Comme des fauves, comme des furieux, prêts à rendre au centuple le mal qu’on leur a fait ? Comme des épaves, qui iront grossir la masse des clochards et des assistés ? Tout le problème est là. Ne pas le voir, c’est (après avoir condamné) se condamner un beau jour à des révélations sauvages, à des apocalypses –tant les prisons sont pleines, mais vides de sens.

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NOTES

[1] : Pour tout enseignant, l’autorisation d’exercer en prison couvre une année et doit être renouvelée.

Le dernier Rapport d’évaluation, rédigé par l’employeur de Luk Vervaet en juillet 2009, est d’ailleurs des plus élogieux –soulignant son implication, ses interventions pertinentes, ses qualités de pédagogue et son respect des horaires et du travail d’équipe.

[2] : «Le travail en prison : hors-la-loi ?», Carte blanche parue dans La Libre, le 8 octobre 2009, et cosignée par 80 syndicalistes, enseignants et travailleurs du milieu carcéral, dont Luk Vervaet (enseignant), Juan Gonzales (délégué syndical CCAS) et Pierre Reynaert (criminologue).

http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/534264/le-travail-en-prison-hors-la-loi.html

[3] : Cette procédure, introduite le 17 mars 2010, est toujours en cours…

[4] : Ordonnance rendue à l’audience publique des référés, par le Tribunal de première instance de Bruxelles, le 19 mai 2010, page 9.

[5] : On peut découvrir le document original, scanné, sur le site du Comité pour la Liberté d’Expression et d’Association

http://www.leclea.be/criminalisation_action_militante/pdf/l-vervaet_rapport_surete.pdf

[6] : Abou Jahjah sera relâché le 3 décembre mais, durant trois mois, il lui sera interdit de faire publiquement de la politique.

[7] : 48% des jeunes de 20 à 25 ans, issus de l’immigration, y sont aujourd’hui sans emploi.

[8] : Dans toutes ses interventions publiques, Abou Jahjah se définit comme un nationaliste arabe et un socialiste anti-impérialiste. Il suffit de lire quelques-uns de ses articles [sur http://www.aboujahjah.com] pour connaître sa vision de la résistance à créer et de la société à conquérir.

«La lutte pour l’émancipation nationale et pour la justice sociale, contre le néo-colonialisme et les valets locaux de la classe dirigeante, est le dénominateur commun qui peut être le début d’une dynamique de mobilisation politique réelle, par les gens du peuple à la base et des segments révolutionnaires de la classe moyenne, indispensables pour construire un projet de société basé sur le socialisme et la démocratie populaire et préservant la fierté nationale et culturelle. C’est l’essence du nassérisme, c’est aussi l’essence de ce que Chavez et Morales prouvent aujourd’hui en Amérique Latine. « Le nationalisme et le socialisme dans un esprit de solidarité internationale » : ceci est la réponse à l’exploitation et à la terreur globalisée» (From Nasser to Chavez and Morales).

«Les démocrates nationaux sont pour un monde arabe qui doit renaître, libéré du néo-colonialisme américain et occidental et du racisme (et pour cela aussi du sionisme). Les démocrates nationaux veulent la défaite des Etats-Unis en Irak, du sionisme en Palestine et des régimes arabes partout, mais ils veulent aussi la défaite du salafisme dans sa forme extrémiste (Al Qaida) ou dans sa forme modérée et potentiellement oppressive…

Seul un nouveau parti national arabe peut mobiliser la majorité silencieuse et lui donner un meilleur choix que celui à faire entre les faux prophètes des Frères musulmans et les pharaons tyranniques. Cette option combine la démocratie, les droits humains et le développement avec la loyauté à notre civilisation et ses valeurs arabo-islamiques. Elle soutient en même temps la résistance dans toutes ses formes, contre l’oppression interne et externe» (The Arab People between Fake Prophets and Tyrannical Pharaohs).

[9] : «Terrorisme» ? Il est sans doute utile de rappeler que, dans les années 30, lors de la lutte pour l’instauration d’un Etat juif en Palestine, l’Irgoun (plus exactement l’Irgoun Zvaï Leoum, «l’Organisation militaire nationale») avait décidé de cibler criminellement la population palestinienne –(«Il faut créer une situation où la vie d’un Arabe ne vaudra pas plus que celle d’un rat. Comme ça, tout le monde comprendra que les Arabes sont de la merde, que nous sommes, nous et non eux, les véritables maîtres du pays» [déclaration d’un responsable du parti révisionniste mentionnée dans Histoire de la droite israélienne de Marius Schatner, Éditions Complexe 1991, page 173]). Un choix politique qui se concrétisera par d’innombrables attentats meurtriers contre des civils arabes palestiniens (pas moins de 250 morts entre 1937 et 1939).

Après 1944, l’Irgoun reprendra, en parallèle, son combat contre les forces d’occupation britanniques, faisant notamment sauter en 1946 l’hôtel King David qui abritait le Secrétariat du Gouvernement britannique de Palestine (91 victimes). En 1948, c’est encore cette organisation (dont l’un des dirigeants, Menahem Begin, deviendra plus tard Premier ministre) qui organisera le raid meurtrier contre le village arabe de Deir Yassin, massacrant au moins 240 de ses habitants.

Quant au groupe Stern (dont faisait partie Yitzhak Shamir, autre futur Premier ministre israélien), il commettra de nombreux attentats contre les Britanniques au nom de «l’anti-impérialisme» (dont l’assassinat, en 1944, du ministre d’État pour le Moyen Orient, Lord Moyne ou, le 29 février 1948, l’explosion du train Haïfa-Le Caire près de Rehovot, causant la mort de vingt-huit soldats britanniques, en représailles à un attentat arabe rue Ben-Yéouda [Jérusalem] qui avait tué 52 civils juifs). Toujours en 1948, le groupe «terroriste» assassinera le représentant des Nations unies pour le Moyen-Orient, le comte Folke Bernadotte.

[10] : Qui plus est, Israël n’a pas ménagé son aide à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, demeurant jusqu’au bout l’allié indéfectible du régime raciste de Prétoria.

En fait, c’est après la guerre du Kippour que Jérusalem développera une «coopération» de plus en plus poussée avec les autorités sud-africaines. Dès 1975, Shimon Pérès (alors ministre de la Défense et aujourd’hui chef de l’Etat) signait un accord de sécurité par lequel Israël s’engageait à fournir des armes, ainsi que des missiles à l’Afrique du Sud, et à développer son programme nucléaire de type militaire. Plus symbolique encore : en 1976, Israël invitera officiellement le Premier ministre sud-africain Balthazar John Vorster, au passé nazi avéré. Silencieux sur le comportement de ce dernier durant la Deuxième Guerre mondiale, Yitzhak Rabin veillera à ce qu’on n’en parle surtout pas pendant la visite au mémorial de Yad Vashem, dédié aux 6 millions de Juifs massacrés durant le conflit. Lors du dîner d’Etat offert au dirigeant sud-africain, Rabin portera même un toast «aux idéaux communs à Israël et à l’Afrique du Sud».

[11] : «A l’occasion des élections européennes de juin 2009, nous adressons un appel urgent à tous les candidats aux 736 sièges du Parlement européen. Nous leur demandons de s’engager à obtenir le retrait immédiat et inconditionnel du Hamas et de toutes les organisations de libération palestiniennes de la liste européenne des organisations terroristes. Nous demandons que l’Union européenne reconnaisse le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Cela implique la reconnaissance du Hamas, par l’Union européenne, comme un mouvement légitime de libération nationale».

Parmi les 1.500 premiers signataires, 275 personnalités –dont François Houtart (professeur émérite de l’Université catholique de Louvain), Tom Lanoye (auteur), Jean Bricmont, (physicien), Pol Goossens (journaliste), Ouardia Derriche (membre de l’Association Belgique-Palestine), Ida Dequeecker (féministe), Robbe de Hert (cinéaste), Eric Goeman d’Attac Vlaanderen, Nadia Fadil (sociologue), Herman De Ley et Frank Roels (professeurs émérites de l’Université de Gand), Ludo de Witte (auteur), Raoul Marc Jennar (consultant en relations internationales), Annie Lacroix-Riz (professeur d’Histoire contemporaine, à l’Université de Paris 7), Eric Colonna (citoyen engagé, Lyon), Danielle Bleitrach (sociologue et écrivain), Daniel Bensaïd (philosophe), Giulietto Chiesa (parlementaire européen), Tariq Ali (membre du comité de rédaction de la New Left Review, collaborateur régulier du Guardian), le politologue américain Norman Finkelstein, James Petras (professeur émérite de la Binghamton University, USA), Buti Manamela (Secretaire général de la «Young Communist League of South Africa»)… Sans compter le Prix Nobel de Littérature Jose Saramago ou l’irlandaise Mairead Maguire (Prix Nobel de la Paix).

[12] : Voir «Bahar Kimyongür : le dossier à charge»

http://leclea.be/pages/dossier-a-charge.html

[13] : A propos du traitement qu’il a enduré, Abdelkader Belliraj écrit dans une lettre du 8 février 2010: «Concernant la torture dans mon cas je souligne ce qui suit : pendaison par les pieds, tête vers le bas, pendaison pieds vers le bas, tout en étant dénudé complètement ou parfois en gardant le slip, fouetté par une cravache, ou un bâton crochu sur l’ensemble du corps. Coucher la victime sur le ventre tout en lui infligeant le fouet et le bâton sans parler des coups de pied et autres. La même opération couché sur le dos avec des décharges électriques. Ce calver [sic] a duré un mois et demi, les yeux bandés et les mains liées (…)».

[14] : (14) Le 16 mars 2009 la justice espagnole et le juge d’instruction Baltasar Garzon avaient finalement établi l’absence de fondements aux accusations portées contre le prévenu. Toutefois, la Justice espagnole ordonnera (de façon totalement incompréhensible) le maintien d’Ali Aarrass en prison, au nom d’une mise « sous écrou extraditionnel ». Qui plus est: statuant le 19 novembre, le Conseil des ministres espagnol va entériner le principe de l’expulsion vers le Maroc.

Le 26 novembre, coup de théâtre: le Comité des droits de l’Homme des Nations unies enjoint les autorités madrilènes de surseoir à l’exécution de la décision. Dans une requête en extrême urgence, l’agence onusienne (reconnue internationalement en tant qu’organe de surveillance du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme) donne deux mois, au gouvernement hispanique et aux défenseurs d’A. Aarrass, pour lui faire connaître leurs arguments respectifs sur l’opportunité ainsi que sur la légalité de l’extradition.

Mais, le 14 décembre 2010, Madrid passe outre. Le jour où le représentant du Consulat belge allait –enfin– rencontrer le détenu, en grève de la faim pour la troisième fois, Ali Aarass est livré (via Interpol) aux services de sécurité marocains. Incarcéré à Casablanca, les agents de la DST tentent –depuis– de lui extorquer des aveux « sur mesure » (de la manière que l’on peut imaginer)….

Pour un compte-rendu circonstancié de «l’affaire Aarrass», on se rapportera utilement au site http://www.freeali.eu

[15] : http://lukvervaet.blogspot.com/search/label/Ali%20Aarrass

[16] : Carte blanche, parue dans Le SOIR du 7 mars 2008

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