D’où vient la dette ? A-t-elle été contractée dans l’intérêt général ? Peut-on alléger le fardeau de la dette sans appauvrir les peuples ?
En France le service de la dette Service de la dette Somme des intérêts et de l’amortissement du capital emprunté. est le premier budget de l’État, avant celui de l’Éducation Nationale. La dette qui écrase le tiers monde depuis des années arrive au Nord.
A Liège, le CADTM propose des alternatives et milite pour un audit citoyen de la dette publique. Avec Éric Toussaint.
Nouvelle version d’un reportage d’Antoine Chao et de Daniel Mermet.
Vous pouvez écouter et/ou télécharger, ici…
Nouvelle émission remixée du jeudi 10 mai 2012 |
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Daniel Mermet et Antoine Chao, de l’émission radiophonique française Là-bas si j’y suis sur France Inter, ont suivi le Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM) durant la formation approfondie « Pour mieux affronter la crise de la dette en Europe » organisée à Liège (Belgique) les 12 et 13 décembre 2011.
Faisant suite à une série d’émissions sur la crise grecque (où on entend, entre autre, Sonia et Yorgos Mitralias du Comité contre la Dette, organisation membre du CADTM), deux émissions sont consacrées aux analyses et aux propositions du CADTM, celles du 14 et du 15 décembre 2011.
Émission du mercredi 14 décembre |
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Émission du jeudi 15 décembre |
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ou Là-bas
LA DETTE OU LA VIE !
Il faut rassurer les marchés ! Il faut sauver notre triple A ! Il faut des plans de rigueur, on n’a pas le choix ! Voila la chanson dominante aujourd’hui. Acceptez la rigueur, sinon ça vous arrivera !
Mais d’où vient la dette ? Le CADTM propose des alternatives et milite pour UN AUDIT CITOYEN DE LA DETTE PUBLIQUE.
Un reportage d’Antoine Chao et de Daniel Mermet.
La formation a été un véritable succès. Avec plus de 90 participant-e-s venu-e-s de France, de Belgique, de Grèce, du Portugal, d’Angleterre, d’Espagne, de Pologne, d’Allemagne, d’Italie, de Tunisie, d’Égypte, du Maroc, de RDC, du Brésil et de Colombie. Les deux jours de formation ont été retransmis en direct et en streaming sur le site USTREAM. Chaque jour, plus de 80 personnes se sont connectées pour suivre les exposés et les débats. Les diaporamas et les exposés des intervenants, ainsi que la vidéo de la formation seront rapidement mis en ligne sur ce site.
A bientôt,
L’équipe du CADTM
Là-bas si j’y suis : La dette ou la vie
Émission du 14 décembre 2011
[…]
Daniel Mermet : …Il est grand temps d’essayer de comprendre comment ça fonctionne. Je vous ressors le chiffre de Thomas Piketty. Vous connaissez Thomas Piketty, c’est un économiste. C’est loin d’être un gauchiste avec un couteau entre les dents. Or, Thomas Piketty estime que le 1% des contribuables français les plus riches ont perçu, depuis dix ans, depuis 2001, 150 milliards de cadeaux fiscaux.
Qu’est-ce qu’ils ont fait de ces cadeaux fiscaux ? L’argument est de dire : ils vont investir, faire de la croissance, de l’emploi, etc. Nenni, bien évidemment. Ils ont mis cela dans des fonds de placements, dans des fonds de pension.
Ce manque à gagner pour l’État s’est traduit par des destructions de postes de fonctionnaires, d’hôpitaux, des plans de rigueur, par la nécessité pour l’État d’emprunter, et d’emprunter à qui ? À ces mêmes banques de placement, fonds de placement, etc. Précisément où nos 1% de contribuables avaient gentiment placé leur pognon. Je vous la résume, je vous la fais un petit peu à la truelle.
Ce qu’on aimerait, c’est que vous compreniez ce qu’on a compris. Parce que cela risque d’ouvrir des perspectives, d’ouvrir des revendications, et d’ouvrir une envie de comprendre comment fonctionne la dette publique. C’est tellement important.
Il ne faut pas perdre de vue que le service de la dette Service de la dette Somme des intérêts et de l’amortissement du capital emprunté. , en France, c’est le premier budget de l’État : 46 ou 47 milliards d’euros chaque année. Une dépense qui n’est absolument pas débattue dans nos assemblées. Cela mérite bien qu’on s’y intéresse.
Aussi existe-t-il, depuis quelque temps, un mouvement qui réclame l’audit citoyen de la dette publique. C’est-à-dire que les citoyens se mettent en audit pour étudier ces dettes publiques et faire la distinction entre les dettes légitimes et la partie de la dette qui ne l’est pas. Ce qu’on a fait dans un certain nombre de pays dans le monde, dont l’Équateur, dont nous allons parler aujourd’hui avec Éric Toussaint.
Nous sommes à Liège pour une heure (journées d’étude : les 13 et 14 décembre organisées par le CADTM).
[Dette légitime : celle qui a profité à la population.] Définition donnée par un des interviewés, participant aux journée d’étude de Liège.
Daniel Mermet : Écoutez bien cette phrase : « Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué ». Cette phrase vient d’un document du FMI de novembre 2010 qui est très clair. Il s’agit de faire avancer, de faire appliquer une politique, une idéologie qui est bel et bien l’idéologie du néo-libéralisme, du libre-échange qui s’est installé sur cette planète depuis une trentaine d’années.
« Or, l’endettement des gouvernements est aujourd’hui une arme pour imposer les réformes propres au capitalisme libéralisé, financiarisé et mondialisé. »
François Chesnais : Les dettes illégitimes, quand les banques font main basse sur les politiques publiques, Raisons d’Agir, 2011
Ce genre de travail, ce genre de recherche s’inscrit bien dans le travail que mène depuis longtemps, depuis 1989, le CADTM, le Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde, que j’ai présenté déjà succinctement et qui, désormais, depuis 2, 3 ans, se trouve non plus concentré sur la dette du Tiers-Monde, mais sur la dette de tout le monde, la dette du monde entier, en tous les cas sur la dette publique. […] Ces pays ont déjà été frappés, non pas dans la tête par des idées, des grands courants, des grandes convictions, mais dans la vie quotidienne, dans l’assiette, dans le boulot qu’on n’a pas. Et ça, ça fait réfléchir, ça fait comprendre. Ce qui serait bien, c’est qu’on comprenne avant que cela n’arrive. Peut-être qu’on sera capable de déjouer ce piège énorme, ce racket extraordinaire qu’est la dette publique. Souvenez-vous en 2005, comment les français ont été capables, cette année-là, de se concentrer sur un texte si aride et si difficile qu’était le texte du traité de Constitution européenne. Ce n’était pas facile, mais ils ont bossé. Nous avons bossé pour finir, en mai 2005, par dire NON à ce projet de traité de constitution. On sait comment ce référendum a été bafoué et violé par la suite. Mais on a été capable, à ce moment-là, de nous concentrer sur quelque chose d’assez austère. C’est l’effort qui nous semble, à Là-bas si j’y suis, nécessaire.
(À Éric Toussaint) : Depuis des années tu arpentes la planète, du côté du Tiers-Monde, pour expliquer comment et pourquoi ces régions sont dominées et vivent dans ce chaos et dans cette misère. Vous avez mis en lumière le système de la dette, le fait que ces pays enfoncés payent des dettes qui souvent sont illégitimes ou odieuses et surtout les intérêts de ces dettes illégitimes et odieuses. Et vous avez raconté, inlassablement, pays par pays et en général, comment tout cela fonctionne. Et on se dit c’est bien qu’ils le fassent. Mais, depuis deux ans, cette dette du Tiers-Monde est arrivée ici. Avec la crise de 2007-2008, on est passé d’une crise bancaire à une crise des dettes publiques. Ça commence à taper très fort ici. Et ça commence à préoccuper sérieusement ceux qui s’en croient protégés, comme pour le nuage de Tchernobyl.
Du coup, tout ce travail que vous faites depuis des années devient précieux, parce que cela se rapproche de nous. Jusque-là, il y avait le kilomètre affectif. Maintenant, on se tourne vers vous pour vous dire : expliquez-nous comment ça marche.
Éric Toussaint : Pour moi, c’est un retour aux sources. Dans les années 1980, j’étais enseignant à la ville de Liège. Et un plan d’austérité massue nous est tombé dessus, lorsque les taux d’intérêt ont explosé au début des années 1980, et ont fait que les montants remboursés par la ville de Liège étaient énormes. Ce qui a amené le pouvoir de la municipalité à mettre en place une politique d’ajustement avec privatisation massive de services. On est passé d’un personnel municipal de 17 000 travailleurs (incluant les enseignants, le personnel de santé, etc.) à un personnel communal, maintenant de l’ordre de 7 000. La ville s’est défait de toute une partie importante de son personnel et des services, les a privatisés, remis à d’autres structures, etc. Et on a diminué les salaires très fortement. En fait, j’ai vécu et lutté, notamment au niveau du mouvement syndical, une lutte extrêmement dure avec une grève de cinq semaines. Une bataille avec une banque qui est bien connue : DEXIA qui est tombée en faillite pour la deuxième fois en octobre 2011. À cette époque cela s’appelait le Crédit communal. Cela s’est ensuite transformé en DEXIA, banque franco-belge.
C’est pour dire que, dans les années 1980, j’ai démarré sur la question de la dette du Nord. Et puis, j’ai pris conscience que cela touchait très fortement les pays du Sud. En 1989, c’était le bicentenaire de la Révolution française. Mitterrand a invité le G7 à la Bastille. Des personnes comme Renaud, Gilles Perrault ont convoqué une campagne, avec une série d’organisations politiques qui s’appelait « ça suffa comme ci ». A été adopté l’appel de la Bastille qui disait : annulation de la dette des pays du Tiers-Monde. Et c’est là qu’on a créé le CADTM, il y a un peu plus de vingt ans. C’est un retour aux sources, pour moi. Mais pour la majorité des gens, de la population européenne, c’est une découverte totale. Ils découvrent tout d’un coup que, sous prétexte de faire rembourser une dette publique qui a explosé ces dernières années, à cause de la crise et du sauvetage des banques, notamment (et pour d’autres raisons que je vais dire tout de suite), la dette publique est le prétexte ou l’argument pour dire : il faut l’austérité, l’austérité et encore l’austérité.
Daniel Mermet : Reprenons les choses à plat. Comment se constitue une dette publique ?
Éric Toussaint : Prenons l’exemple que vivent aujourd’hui les Français, les Belges, tous les habitants de l’Union européenne. Partout, depuis vingt à vingt-cinq ans, on a appliqué le même type de politique fiscale qui a consisté à réduire radicalement les impôts payés par les grandes entreprises privées, par les ménages les plus riches. On a multiplié les niches fiscales, les réformes fiscales qui font que les recettes tirées de l’impôt des personnes physiques pour les couches les plus riches (on va parler du 1%, des 10% les plus riches)… Cette infime minorité de la population, elle, elle a bénéficié d’allègements absolument massifs. De même que les grandes entreprises ; les entreprises du CAC 40 ont payé en moyenne un impôt réel de l’ordre de 8%. Une petite ou moyenne entreprise, en France, paye du 22% d’impôts, le taux légal est supérieur à celui-là. Je parle du taux effectivement payé.
Donc, grandes entreprises et ménages très riches, – j’appellerai cela par son nom : c’est la classe capitaliste – ont bénéficié d’allègements fiscaux énormes. Cela a diminué les recettes de l’État. L’État a augmenté les impôts indirects, sur la consommation et les services, la fameuse TVA, que paye principalement la majorité sociale qui a les revenus assez faibles. Ils payent le même pourcentage de TVA. Sauf qu’un riche qui consacre 5 % de ses revenus mensuels à bouffer, à se chauffer, à s’éclairer, etc., il va payer une TVA de 15 à 20 % sur ça. On va lui diminuer parce qu’il va souvent au restaurant, mais ça représente peu de chose vu qu’il dépense 5 % de son revenu mensuel. Ça nous donne 1 % d’impôt sur son revenu via la TVA. Mais un ménage modeste qui consomme la moitié de son revenu à de la consommation courante, à se chauffer, à se vêtir, etc., il va payer aussi du 15 % ou du 20 % mais sur 50 % ou 60 % de son revenu. Il va payer en impôt beaucoup plus.
Cela n’a pas suffi. Dès lors, les États ont recouru de plus en plus à la dette publique.
Là, il y a quelque chose d’absolument vicieux. Les revenus des plus riches augmentent, les bénéfices des entreprises augmentent. Ils augmentent leur patrimoine et leurs revenus. Qu’est-ce qu’ils en font ? Ils achètent des titres de la dette publique ! Les capitaux sont allés dans la finance, dans toute une série de produits dérivés, des opérations spéculatives. Et dans ce qui apparaissait comme un investissement sûr et rentable pour les très riches, c’est les titres de la dette publique.
Il faut savoir qu’en France, le pourcentage des ménages qui détient des titres de la dette publique, c’est 3% des ménages. Cela représente un infime pourcentage de la dette publique, de l’ordre de 1 à 2%. L’essentiel de la dette publique est détenue soit par de grandes institutions financières françaises (des sociétés d’assurance, des banques et d’autres fonds de placement collectifs) et des sociétés financières étrangères.
Donc, première cause de l’explosion de la dette publique, c’est les cadeaux, la réforme fiscale qui a favorisé délibérément une classe sociale. Politiquement, il faut en tirer une conclusion. Cette politique de 25 années est illégitime. Elle ne respecte pas le principe d’égalité, de fraternité, ni d’équité. C’est du favoritisme pur et simple et une inégalité parfaite dans le comportement : on fait des cadeaux aux uns et, par ailleurs, on maintient les dépenses publiques dans un carcan important. Maintenant, on passe à une compression des dépenses publiques. Mais je parle des 20-25 dernières années. C’est une chose très importante : la dette publique n’a pas du tout augmenté, causée par une augmentation des dépenses publiques. C’est totalement faux. La dette publique a augmenté parce que les recettes d’impôts ont diminué et qu’il fallait pallier à la diminution des recettes d’impôts venant des entreprises les plus grosses et des ménages les plus riches par de la dette publique.
Daniel Mermet : Ce n’est pas la crise de la dette publique, mais la crise de la recette.
Éric Toussaint : Oui, c’est la première cause. La deuxième cause, c’est 2008. La crise qui avait éclaté en 2007 aux États-Unis a un effet de contagion très important sur l’Europe. En septembre/octobre 2008, toute une série de banques européennes tombe en faillite et est sauvée par les gouvernements. Moins en France qu’en Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse. L’État français apporte quand même de l’argent aux grandes banques françaises. C’est-à-dire que ces banques à qui l’État français avait prêté à du 8% (et le président de la république s’est vanté ensuite que c’était une parfaite opération parce que cela avait eu un rendement). Ce qu’il ne vous dit pas, c’est que ces banques pour rembourser l’État français, empruntaient à la Réserve Fédérale des États-Unis à 0,25% et à la Banque centrale européenne à 1%. Pour rembourser anticipativement des prêts octroyés à 8%, c’est une très bonne opération d’accéder à d’autres institutions publiques (FED et BCE qui ne prêtent pas aux États, qui ne prêtent qu’aux banques).
On a l’affaire suivante : on a sauvé des banques. Ce que les États ont injecté en capitaux –je parle bien d’une injection dans le capital des banques, pas un prêt, mais une donation -, cela totalise dans les trois dernières années en Europe, 450 milliards d’euros. Les États qui ont fait ça, n’avaient pas d’argent en caisse. Ils ont émis des emprunts publics pour financer cette opération. Qui a acheté ces emprunts publics ? Ces banques, qui venaient d’être sauvées et qui recevaient de l’argent frais, ont acheté ces titres, absolument sûrs, avec cet argent public. Je ne sais pas si tu vois l’arnaque.
Daniel Mermet : Nos gouvernements ont renfloué les banques sans contrepartie. On aurait pu penser que cela donnait l’occasion de nationaliser (tout ou partie) les banques ou d’en reprendre le contrôle. Pas du tout. On a continué as usual.
Éric Toussaint : Or, ces banques venaient de démontrer et démontrent depuis, qu’elles gèrent leurs fonds de manière parfaitement aventuriste pour le profit maximum immédiat en empruntant à court terme (pour faire simple) et prenant des positions à long terme. Cela veut dire : j’emprunte à du 3 mois, comme banquier. Mais avec l’argent emprunté à 3 mois, je vais le prêter ou l’investir dans des produits financiers à 5 ou 10 ans. Le problème, c’est que tous les 3 mois, tu dois rembourser ce que tu as emprunté à 3 mois. Mais l’argent que tu as emprunté, tu l’as placé à 5 ou 10 ans. Tu ne l’as pas. Donc, tu dois constamment refinancer ta trésorerie pour rembourser de trois mois en trois mois. Et comment les banques ont-elles fait ? En profitant d’une manne fabuleuse d’argent fourni par la FED et la BCE. La FED a prêté 13 000 milliards de dollars en trois ans. Et les banques françaises (et d’autres banques européennes) sont allées se financer aux États-Unis, à du 0,25% comme taux.
C’est une opération extraordinaire. Dans le même temps, les États européens qui avaient sauvé les banques et qui étaient confrontés à la crise, et qui voyaient en conséquence de la crise provoquée par les banques,… les recettes fiscales ont diminué fortement (là, comme conséquence de la crise), il fallait de plus en plus emprunter. En 2008, 2009, 2010, on a une nouvelle explosion de la dette publique.
Et les banques utilisent les emprunts (argent fourni à 0,25% ou 1%) pour le prêter aux États. La France va rembourser entre 2 et 3 % (cela dépend de la maturité de son emprunt). Mais la Grèce paie du 5 ou 6 % pour emprunter à trois mois ou à six mois. Si un banquier emprunte à 0,25% et prête à du 5%, tu vois le pognon que cela fait. J’appelle ça de l’enrichissement abusif, un taux usuraire.
Les banques, en 2008, 2009, début 2010, recevant de l’argent de la FED et de la BCE à très bas coût, se sont défaits de toute une série de titres (comme les subprimes) à toute vitesse. Ils ont essayé de s’en défaire. Ils n’ont pas complètement réussi : il y a énormément d’actifs toxiques dans les comptes des banques. Et ils ont remplacé cela, jusqu’au début 2010, par des titres publics grecs, portugais, irlandais et d’autres États qui étaient considérés comme le plus sûr du plus sûr. Parce que ces banques doutaient des autres banques, doutaient des entreprises privées. Donc, l’État, c’était du sérieux.
Mais comme on a énormément prêté…, en octobre 2009, la Grèce émet un emprunt à trois mois, et elle propose 0,35 %. C’est bas, 0,35 %. Et 0,54 % à six mois et 0,94 % à un an. Pour l’emprunt à six mois qu’elle veut faire, elle demande 1 500 millions. Les banques lui proposent, à 0,54 % à six mois, pour 7 500 millions. C’est-à-dire que les banques, les banques françaises et allemandes notamment, ont jeté littéralement à la tête du gouvernement grec de l’argent qu’elles pouvaient prêter à ce taux, parce qu’elles l’empruntaient à la FED à 0,25 %. On a jeté tellement d’argent à la tête de la Grèce qu’à un moment donné sa dette publique augmente aussi. En mars/avril 2010, Goldman Sachs et les autres disent : le pourcentage d’endettement de la Grèce a atteint une situation intolérable, insoutenable. Les agences de notation disent : on dégrade la Grèce. Là, les attaques spéculatives contre la Grèce commencent et les taux d’intérêt que doit payer la Grèce qui étaient ridiculement bas un an avant, explosent littéralement. Ce qui empêche dorénavant la Grèce d’emprunter au-delà d’un an sur les marchés financiers. On est en décembre 2011, le taux que payerait la Grèce pour emprunter à dix ans, c’est du 36 %. Évidemment, la Grèce ne peut pas payer du 36 % et elle n’emprunte pas à dix ans.
Qu’est ce qui s’est passé ? La Grèce n’avait plus accès aux marchés financiers. Là, se présentent la Troïka : la Commission européenne, la BCE et le FMI. Ils disent à la Grèce : vous n’avez plus accès aux marchés, nous allons être généreux avec vous. On va vous sauver. On va vous prêter pour 120 milliards d’euros à sept ans à du 5,5 %. On vous prête cela mais vous allez utiliser ce qu’on vous prête intégralement pour rembourser vos créanciers : les banques françaises et les banques allemandes principalement. Ceux qui avaient poussé la Commission européenne, dans ses sommets, à ce type de sauvetage : Nicolas Sarkozy, Angela Merckel. Pas pour venir en aide à la Grèce, pour être sûr que les banques françaises et allemandes qui avaient prêté massivement à la Grèce sans regarder sa solvabilité, pour être sûr qu’elles ne tombent pas en faillite. Mais en plus, on a prêté à du 5,5 % quand la France emprunte à du 2,5 %. Elle aussi, elle s’enrichit abusivement sur le dos de la Grèce. On parle de sauvetage de la Grèce, alors que la France prête à du 5,5 % en empruntant à du 2,5 %. L’Allemagne emprunte à du 1,86 % et prête à du 5,5 %.
Mais ce n’est pas fini. On dit : on vous prête cela si vous appliquez un plan d’austérité, un plan d’ajustement structurel. Là, notre expérience comme CADTM de ce qui s’est passé dans le Tiers Monde pendant trente ans, est très importante. Si tu regardes les différentes recettes du plan d’austérité imposé à la Grèce, c’est un décalque parfait des plans d’ajustement structurel imposés aux pays du Tiers Monde depuis trente ans. Dont ils se sont débarrassés depuis sept ou huit ans. La plupart d’entre eux n’ont plus ces plans d’ajustement structurel. Mais c’est l’Europe, qui a versé dans cette politique d’ajustement structurel conduite par une institution que les peuples du Sud connaissent parfaitement et qui s’appelle le Fonds monétaire international. Il avait disparu du terrain européen. La dernière fois que le FMI était intervenu en Europe, c’était en 1986 à l’égard du Portugal et cela a laissé un très très mauvais souvenir aux Portugais. Le FMI n’est intervenu que dans les pays du Sud ou dans les pays de l’ex-bloc soviétique, une fois que le bloc soviétique a implosé.
Donc, le FMI, dont plus personne ne voulait…, les gouvernements du Sud ne voulaient plus du FMI. Ils remboursaient anticipativement en disant : on ne veut plus vous voir. Le FMI ne savait plus où trouver des clients et voilà que se présente la crise. En fait, le FMI va très bien quand il y a une très grosse crise parce qu’il vient alors avec de l’argent face à des pays qui n’ont plus accès aux marchés financiers, aux banques qui leur prêtaient jusque-là massivement, et il dit : je viens vous rendre service mais vous allez appliquer ma politique. Cette politique était parfaitement néfaste dans les pays du Sud et ils vont mieux depuis qu’ils l’ont abandonnée. Et maintenant, on l’applique en Europe et cela va avoir les mêmes effets.
En résumé, je pense qu’il faut avoir des critères politiques concernant la dette publique. L’essentiel de la dette publique est illégitime parce que elle a été accumulée dans le cadre d’une politique qui a favorisé, comme je l’ai dit tout à l’heure, une seule classe sociale, qui est une infime minorité de la population au détriment du reste de la population, premièrement.
Deuxièmement, elle est illégitime, parce qu’elle a été augmentée par le sauvetage des banques. Les États qui ont sauvé les banques n’ont posé aucune condition, n’ont pas repris le contrôle des institutions bancaires. Dexia, l’État français l’a sauvée avec l’État belge en octobre 2008, on a laissé Dexia avec un français à la tête, Pierre Mariani, dilapider les fonds qu’on avait injectés en 2008. Et Dexia est retombée en faillite début 2011 et on l’a sauvée une deuxième fois. Qu’est-ce qu’il y a de plus illégitime que cette politique qui consiste à aider des banquiers sans leur fixer des conditions et à chaque coup devoir utiliser des fonds publics pour les sauver.
Troisième raison d’illégitimité, les recettes fiscales ont baissé à cause d’une crise provoquée par les banques et la déréglementation financière. On a dû aussi augmenter l’endettement public. Et quatrièmement, un autre facteur d’illégitimité c’est que dans le cadre européen, et en particulier de la zone euro, les États ne peuvent pas emprunter à la banque nationale ou à la Banque centrale européenne. Dans le cadre de la construction européenne, et en particulier dans le cas de l’euro-zone, les constructeurs néo-libéraux ont dit : c’est les banquiers qui ont le monopole du crédit aux États. Les États doivent emprunter aux banquiers. Mais les banquiers, ils se financent auprès de l’institution publique qui s’appelle la Banque centrale uropéenne. Ou bien avec les dépôts des gens qui reçoivent en début de mois leur salaire sur leur compte en banque, qui prêtent à leur banque. Et la banque ne les rémunère pas sur leur compte courant pour le prêt que fait pendant quinze jours, trois semaines, un mois le travailleur ou le chômeur ou l’allocataire social français. Donc, ces banques se financent d’une part du côté des institutions publiques bancaires et d’autre part du côté du public et ont le monopole du prêt, du crédit aux finances publiques. Et là, elles font du chantage et les agences de notation leur viennent en aide pour dire : on va vous enlever une des trois lettres du triple A ou on va mettre un petit moins à côté du triple A et ça va faire augmenter les taux d’intérêt que l’État devra payer. Je parle réellement d’une arnaque impressionnante qui a pour conséquence que cette dette publique est illégitime. Il faut donc, par un audit citoyen, il faut donc que les citoyens et citoyennes françaises et dans les autres pays d’Europe, constituent des collectifs locaux pour rompre le tabou de la dette et se poser les bonnes questions. Mettre à nu le système de la dette
Là-bas si j’y suis : La dette ou la vie
Émission du 15 décembre 2011
[…]
Christian Celdran : Je suis au conseil scientifique d’ATTAC et, au fait, j’appartiens également au dispositif de coordination du collectif national de l’audit citoyen de la dette publique, en France. Donc ma présence ici est extrêmement intéressée. Je pense qu’ il y a [aux journées d’étude CADTM de Liège] des compétences tout à fait rares et extrêmement précieuses. Je suis venu confronter mes orientations avec les compétences des trois conférenciers. Pour relayer ces compétences et optimiser le travail que l’on peut faire en France sur cette question de l’audit citoyen de la dette.
C’est un chantier qui a déjà été ouvert depuis deux mois et, en fait, un appel a été lancé. Cet appel, qui a été rédigé par plusieurs organisations a fait l’objet d’une pétition en ligne. La première pétition a été signée par un certain nombre d’autorités, des grandes personnalités. Ensuite, cette pétition a été mise en ligne. On a recueilli actuellement plus de 45 000 signatures. Sur ces 45 000 personnes, 27 000 personnes ont demandé à être abonnées à une mailing list, à avoir des informations régulières sur le travail qui se fait.
Ce qui se fait également, c’est, naturellement, la constitution de collectifs locaux pour l’audit de la dette. Et on en est à plus de la moitié des départements. Ce sont des collectifs départementaux. La dynamique est extrêmement puissante. Et nous sommes en train de réfléchir à la fois à la coordination et à l’orientation de ce travail qui est crucial sur le plan civique et démocratique.
Daniel Mermet : Un petit chiffre intéressant, publié par le CADTM, sur le patrimoine des très riches. Il y a un avant et après la crise. Nombre de milliardaires en dollars en 2001 : 497, leur patrimoine cumulé : 1 500 milliards de dollars. En 2007, nombre de milliardaires en dollars : 1 125, avec un patrimoine cumulé de 4 400 milliards de dollars. En 2010, ils sont plus nombreux : 1 210 et leur patrimoine cumulé : 4 500 milliards de dollars. Ils sont plus nombreux et plus riches après la crise qu’auparavant. Voilà une réponse à la question : à qui rapporte la crise ?
Vous connaissez la chanson : il faut rassurer les marchés, il faut sauver notre triple A, il faut des plans de rigueur, des règles d’or. Bien sûr, on est bien d’accord avec vous, c’est très difficile, c’est douloureux. Mais on n’a pas le choix. Le spectre de la Grèce est agité partout comme une menace. C’est accepter la rigueur sinon, cela vous arrivera.
Mais on est en droit de se poser la question : d’où vient la dette ? A-t-elle été contractée dans l’intérêt général ? Qu’est-ce qu’une dette publique ? Et si elle n’a pas été contractée dans l’intérêt général (ce qui est le but de ces audits qui sont en train de se mettre en place, de savoir si oui ou non elle ont été contractées dans l’intérêt général) alors, dans ce cas, peut-on alléger le fardeau de la dette, sans appauvrir les peuples (ce qu’on est en train de faire) ?
En France, le service de la dette est le premier budget de l’État, avant celui de l’Éducation nationale. Voilà pourquoi nous sommes avec le CADTM, à Liège, en vue de cet audit citoyen de la dette publique. Vous pouvez aller voir cette pétition qui est en ligne : audit-citoyen.org, vous serez ainsi au courant. Et peut-être que vous aurez à votre tour envie de participer à ces collectifs locaux pour l’audit de la dette. C’est ce que nous souhaitons. Nous souhaitons que les auditeurs de « Là-bas si j’y suis » participent à cet audit. C’est-à-dire : étudier la dette publique. C’est une affaire publique, donc les informations doivent être rendues publiques. Le premier budget de l’État ne fait l’objet d’aucun débat dans nos assemblées. Il y aurait peut-être là un certain déficit démocratique, que nous sommes bien disposés à tenter de rattraper, avec vous.
Thomas Sankara. : Nous ne pourrons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pourrons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pourrons pas payer la dette parce que, au contraire les autres nous doivent, ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang.
Daniel Mermet : Je rappelle ce chiffre qu’il ne faut jamais perdre de vue : depuis 10 ans, les cadeaux faits aux plus riches et aux grandes entreprises ont entraîné un manque à gagner pour l’État, pour la collectivité, de 150 milliards d’euros. Ces 150 milliards n’ont pas été consacrés à des investissements, à de la croissance et à du développement. Ces 150 milliards sont allés dans des banques de placement, des fonds de placement. C’est vers ces fonds de placement que se tournent aujourd’hui les États et le nôtre par exemple. Puisque cet État, manquant de rentrées, de recettes, s’est appauvri et a réduit toutes les dépenses sociales. Notre État s’est endetté auprès de ces banques d’investissement, ces fonds d’investissement, fonds constitués par ceux à qui ces cadeaux fiscaux importants avaient été accordés depuis des années. C’est ça en gros le schéma.
Éric Toussaint : Cette dette publique, elle est illégitime. Il faut donc, par un audit citoyen, rompre le tabou de la dette et se poser les bonnes questions, et décider de ne pas payer cette dette-là.
Daniel Mermet : Dans une dette publique, il y a une partie de la dette qui est légitime. Tu as travaillé sur la dette de l’Équateur. Vous avez fait des audits. Des experts de la finance, comme toi, sont venus. Vous avez épluché tous les comptes de l’Équateur et vous vous êtres aperçus que 70% de la dette de l’Équateur n’était pas légitime. En ce qui concerne notre pays, la France par exemple, comment peut-on établir la partie légitime de la dette et la partie illégitime de la dette ?
Éric Toussaint : Je pense que c’est par un audit citoyen, justement, pour mettre à nu le système de la dette. Comment la dette a augmenté ? A qui emprunte-t-on ? A quel taux ? Est-ce qu’il y avait d’autres choix politiques qui pouvaient être fait ? Que représente le sauvetage bancaire, son impact sur l’augmentation de la dette publique ? Que représentent les cadeaux fiscaux faits aux plus riches, comme impact sur la dette publique en termes de nécessité de recours aux emprunts publics ? Toute une série de questions, je peux allonger la liste, que tout le monde peut se poser et qui ne demandent pas de percer des secrets d’État. En fait, on peut parfaitement analyser le processus de la dette française ou des autres pays européens, en se basant sur toute une série d’informations accessibles pour tout le monde. Bien sûr que si on a accès en plus à de la documentation secrète, tenue au secret par les banquiers, par le ministère des finances, par la Banque nationale de France et par des institutions européennes, cela nous révèlerait des choses tout à fait intéressantes, impressionnantes. On n’a pas besoin nécessairement de percer des coffres pour se faire une opinion, adopter des critères.
Je pense que l’essentiel de la dette publique aujourd’hui, pas loin des 100%, pour moi, je la considère comme illégitime ; maintenant, ce n’est pas moi qui vais fixer les critères. C’est les gens qui, par une opération d’analyses, de discussions et de débats, où ils vont entendre différentes opinions, vont adopter leurs critères.
Daniel Mermet : Formellement, cet audit, il peut ressembler à quoi ? Cela veut dire : dans vos villes, dans vos villages, réunissez-vous et constituez des audits, des commissions… ?
Éric Toussaint : Et cela se passe. Il y a deux mois a été lancé un appel pour un audit citoyen, en France. Il a été signé, via Internet, par plus de 40 000 personnes. Il y a un site audit-citoyen, qui est disponible. Et il y a des collectifs locaux qui viennent de se constituer, dans les deux derniers mois, dans à peu près tous les départements français. Cela commence, la grande presse n’en parle pas encore. Et il y a des tas d’associations derrière : ATTAC, le CADTM France, une série d’organisations syndicales, la CGT finance, le SNUI. Il y a aussi le DAL (Droit au logement) qui participe à ce collectif.
Daniel Mermet : Et les partis politiques ?
Éric Toussaint : Le Front de Gauche, le NPA, Verts Écologie. Le PS n’y est pas. L’UMP, le FN non plus. D’ailleurs, ils ne sont pas invités, je le dis tout de suite.
Daniel Mermet : Et pourquoi pas le PS, cela peut les intéresser…
Éric Toussaint : Pourquoi pas le PS ? Soyons francs. C’est clair que ce tabou, s’il est aussi important, c’est que c’est non seulement une position des néo-libéraux, c’est aussi une position des sociaux-libéraux. Les liber-socialistes, ils ont été aux affaires, à la gestion. Ces vingt-cinq années de politique de cadeaux fiscaux, en France, les socialistes français ont été au gouvernement pendant une partie. Ce n’est pas que la droite, c’est aussi les sociaux-libéraux qui ont participé tout à fait à cette politique. D’ailleurs c’est tellement vrai que, en Grande Bretagne, c’est Gordon Brown, les travaillistes Tony Blair et Gordon Brown qui ont mené cette politique. En Espagne, c’est Zapatero, un socialiste. Le chef du gouvernement grec jusqu’il y a pas longtemps, c’était George Papandréou, un socialiste. Certainement, si des responsables socialistes se présentent, ils doivent s’attendre à entendre des critiques pour leur gestion
Daniel Mermet : Supposons que ce grand audit citoyen arrive vraiment à déterminer, précisément, qu’il y a une partie de cette dette qui est illégitime, totalement ou presque, ou en partie, est-ce que cela restera quelque chose de symbolique ou est-ce que ça peut rentrer dans les actes ?
Éric Toussaint : C’est quelque chose qui doit rentrer dans les actes. L’audit citoyen, c’est un instrument à la fois de prise de conscience pour rompre un tabou et de mobilisation. Parce que, à partir du moment où l’on fait l’exercice de l’audit et qu’on considère que la dette est largement illégitime, on se mobilise pour dire : on ne paye pas la dette ! On suspend le paiement de la dette.
Daniel Mermet : Si on ne paye pas, ça sera au détriment de qui ?
Éric Toussaint : Pour moi, c’est très simple. Les petits porteurs de titres, ils se présentent et on les rembourse à 100 %. Il n’y a pas de problème. Les institutions financières qui détiennent ces titres, elles ne sont pas remboursées. Point. On annule. Oui, mais tu me diras, alors, c’est la faillite de ces banques ! Ces banques, est-ce qu’on est bien conscient qu’elles sont réellement, depuis trois ans, au bord de la faillite. Et qu’il est largement temps, c’est combiné pour moi au non-paiement de la dette, il faut transférer à nouveau tout le secteur bancaire capitaliste dans le domaine public. Et donc, sans indemnisation. Quelque part, si tu déclares la faillite des banquiers, qu’est-ce que tu dois faire, c’est garantir les dépôts des épargnants, la population française. Ça, tu la garantis. Si l’État reprend cette banque, les autres créanciers qui sont les entreprises, d’autres entreprises financières qui sont créancières de la banque, c’est terminé, ils ne reçoivent pas. Mais les déposants, qui sont des créanciers de la banque, ils ont prêté à la banque, eux, on protège leur épargne. Ils ont accès à leur compte. Donc, on met sous statut public, on transfère dans le domaine public, les banques et on efface les dettes, on les efface comme dettes et on les efface comme créances du côté des créanciers.
Il faut savoir que depuis trois ans, les banques ont effacé dans leur livre de compte, si je prends les pays les plus industrialisés, pour 1 500 milliards de dollars, là on compte en dollars parce que ça inclue les banques américaines. Elles ont renoncé à des créances, parce que ces créances, c’était des produits toxiques, des produits dérivés du marché des subprimes aux États-Unis. Si elles ont fait cela et sans se remettre à flot, elles sont tenues à bout de bras par la BCE et par la FED, il est temps de dire : écoutez, on siffle la fin du jeu. Et l’État reprend le contrôle des banques et assure leur assainissement. Mais sans la moindre indemnisation ou compensation des gros actionnaires. Rien du tout.
Daniel Mermet : Voilà le détriment. L’avantage, c’est que le budget français se verrait allégé dans ses dépenses de ces 46 milliards chaque année, ou une partie de ces 46 milliards payés au titre des intérêts. Et là on pourrait peut-être reprendre quelques enseignants, on pourrait rouvrir quelques maternités.
Éric Toussaint : C’est ça l’objectif, en fait. L’objectif, ce n’est pas une sorte d’objectif moral. Dire : parce que c’est illégitime, on supprime. Bien sûr, qu’il faut supprimer, parce que c’est illégitime. C’est aussi parce que ça permet à l’État de retrouver une marge de manœuvre, une marge financière pour relancer l’économie. On ne paye pas la dette publique qui est illégitime. On transfère dans le secteur public les institutions financières. Ce qui permet aussi aux pouvoirs publics, en ayant les institutions financières, d’avoir un outil d’investissement public avec des fonds. Et on augmente les dépenses publiques également. Et on fait, bien sûr, une réforme fiscale qui remet de la justice sociale dans la collecte des impôts.
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Daniel Mermet : Vous vous dites : qu’est-ce qu’ils proposent concrètement ces gens qui sont si critiques. Je vous renvoie à un ouvrage qui vient d’être publié qui s’intitule « La dette ou la vie ». C’est les éditions Aden, éditeur belge. Vous avez toute une série de propositions alternatives pour une Union européenne, parce que c’est quand même ça qui nous préoccupe beaucoup en ce moment. Il y a toute une série de propositions qui mérite évidemment débat, mais il y a bel et bien des propositions qui sont le fruit de tout ce boulot d’une vingtaine d’années sur le thème de la dette du Tiers Monde. Et dont on tire les enseignements aujourd’hui pour la dette publique, dont la crise s’étend à toute l’Europe.
J’ai oublié de citer un ouvrage d’ATTAC aux éditions LLL « Le piège de la dette publique, comment s’en sortir ». C’est à peu près les mêmes propos, la même approche que celles du CADTM. Vous voyez qu’il y a une convergence de ces préoccupations actuellement.
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Éric Toussaint : La Grèce doit suspendre unilatéralement le paiement de sa dette. Tant qu’elle payera sa dette, ce sont les créanciers qui fixeront les règles du jeu. Si tu veux reprendre la main comme pays endetté, tu dois suspendre. Parce que c’est les créanciers alors qui doivent se présenter et te demander de bien vouloir te mettre autour de la table avec eux pour résoudre le problème.
Daniel Mermet : C’est valable pour l’Italie, le Portugal, l’Irlande.
Éric Toussaint : Il y a un adage populaire bien connu : si tu as une dette de 2 000 euros avec ta banque et que tu as un problème pour la rembourser, c’est toi qui a un problème. Si tu as une dette de un million d’euros, ou de 10 millions d’euros, à l’égard de ta banque et que tu arrêtes de payer, ce n’est pas toi qui a un problème, c’est ton banquier qui a un problème. Et qui va essayer de t’aider à trouver une solution. C’est ça qui se passe quand on suspend le paiement de sa dette. En plus, quand on suspend le paiement de sa dette, si tu veux savoir qui détient tes titres, suspend le paiement de ta dette. Parce que les gens qui détiennent des titres doivent se présenter, dire qui ils sont. Et ce qui va se passer si tu suspends ta dette, les détenteurs de titre vont essayer à tout prix de les revendre. Et le prix de ces titres va s’écraser. S’il est mis dessus 1 000 euros, ils vont se revendre sur le marché de l’occasion de la dette, qui s’appelle le marché secondaire, à 150 euros. Cela va faire diminuer la valeur de ta dette.
Et là, je peux passer à l’Équateur. J’ai participé à la commission d’audit de la dette interne et externe publique équatorienne qui a été instituée par un président démocratiquement élu à la fin de l’année 2006 et qui, dès les premiers mois de sa présidence, alors que pendant sa campagne, il avait dit : je ne payerai pas la dette illégitime, il a mis en place une commission d’audit. On a travaillé 14 mois, de juillet 2007 à septembre 2008, on a étudié la dette équatorienne, et après 14 mois, on lui a rendu notre rapport. On a analysé, avec une documentation suffisante, 85 % de la dette, et nous recommandons d’annuler entièrement cette dette. L’Équateur a réfléchi pendant un mois et demi sur nos recommandations et puis, le 14 novembre 2008, le président Correa a dit : j’arrête le remboursement des titres de ma dette vendus aux banquiers qui étaient essentiellement des banquiers des États-Unis, pour 3 milliards de dollars. Ces banquiers se sont défaits de ces titres. Ils se sont vendus à 20 %. Qu’a fait l’Équateur ? Il a acheté, sur le marché secondaire, à du 20 %. Il ne peut pas, ce n’est pas légal. Il a utilisé les règles du jeu et la concurrence. Il a demandé à une banque, dont je ne te dirai pas le nom mais c’est une banque française, qui a, elle, racheté, soi-disant pour son propre compte. Mais elle travaillait pour le compte de l’État équatorien. Et elle a racheté à du 20 %. Ils ont réussi à racheter 30 % des titres en circulation à du 20 %. Ils ont atteint une masse critique. Le président Correa a dit, c’était cinq mois plus tard, il a dit aux marchés : on va être généreux avec vous. Ceux qui veulent vendre leurs titres, on leur rachète à 35 % de la valeur.
En tout, le 10 juin 2009, l’Équateur a pu dire : j’ai racheté 91 % des titres. Cela lui a coûté grosso modo 900 millions de dollars pour racheter 3 milliards de titres. La moitié de ces titres, il fallait payer des intérêts jusqu’en 2030. Tu dois ajouter dans ton gain les intérêts que tu ne paies pas. Donc, là, c’est 7 milliards qui ont été économisés. Cela a permis de dégager une marge financière dans le budget pour augmenter très fortement les dépenses de santé publique, d’éducation, de soutien à la création d’emplois, l’amélioration d’infrastructures et y compris des primes aux équatoriens qui avaient quitté massivement le pays en 1999 quand il y avait eu une crise bancaire, et qui étaient partis massivement aux États-Unis et en Espagne travailler dans l’immobilier et qui se sont retrouvés sans emploi quand la crise des subprimes et immobilière en Espagne a explosé en 2008. Ce qui fait que c’est un vrai changement de politique. Dans les sondages, Correa, alors qu’il ne fait pas que des bonnes choses, il est quand même extrêmement populaire, il a 60 % de taux de popularité. Tandis que tous les chefs d’État européens, ils sont entre 20 % et 32 % de taux de popularité dans tous les sondages des derniers mois.
URL: http://www.cadtm.org
Précisions :
Cette retranscription des deux émissions de D. Mermet a été faite de manière artisanale et n’est pas, malgré l’attention que nous avons portée à la qualité, exempte d’erreurs. “A CONTRE COURANT”