Quand Bruxelles censure Dieudonné

 

Une première européenne : la police bruxelloise a empêché manu militari le spectacle de l’humoriste Dieudonné ! Malgré l’absence de violences ou   « d’incitations à la haine », des moyens répressifs disproportionnés ont été déployés : dix fourgons, une autopompe anti-émeutes, plus d’une centaine de policiers ! A la clé : menaces de tabassage et d’arrestation de 300 spectateurs si la représentation se poursuivait …  A la lumière d’un manifeste censuré d’Albert Camus (1), voici l’unique reportage de cette soirée hallucinante. En opposition à une désinformation médiatique qui masque  une question centrale : laisserons-nous écraser nos libertés par le lobby pro-israélien et sa police politique ? 

 

Bruxelles, 9 mai 2012, 19h00. Une interminable queue patiente le long du Fiesta Club. Située Quai des usines, la spacieuse boîte de nuit s’apprête à accueillir plusieurs centaines de personnes pour le dernier spectacle de Dieudonné : « Rendez-nous Jésus ». Initialement prévu la veille, à Roosdaal, le one-man-show a été annulé in extremis par le propriétaire de la salle. Harcelé et menacé par la police fédérale, l’exploitant du Roosdaal Palace a finit par jeter l’éponge (2). Solution de rechange : le Fiesta Club.

Autour du nouveau lieu, l’air est électrique. Les regards, parfois inquiets. Une question  domine toutes les autres : « le spectacle aura-t-il lieu ? ». Depuis 2009, pour assister  aux  représentations de Dieudonné à Bruxelles, il faut vraiment le vouloir ! Et abandonner toute idée de confort. Aucune affiche, Aucune pub, aucun relais médiatique. Tout s’apprend via Internet pour, souvent, s’adapter à un changement de salle de dernière minute imposé par des censures politiques, fallacieusement déguisées en risques de « troubles à l’ordre public » (3).

Dieudo en train de jouer face au premier public

20h30. Fiesta Club, bondé ! Dieudonné monte sur une scène improvisée sous les applaudissements de 700 spectateurs. Dense, satirique, subversif, le champion de l’humour noir dynamite sujets tabous et injustices comme aucun humoriste francophone n’ose ou ne peut le faire. L’affaire DSK, journalistes, musulmans, juifs, gays, Camerounais, Chinois, Québécois ou Belge : chacun en prend pour son grade. Y compris la vingtaine de policiers en civils dans l’assistance. Une heure quart plus tard, concluant par un paisible et jésuitique « Aimez-vous les uns les autres !», l’artiste remercie son public. Ovations à tout rompre.

 

En écho nous revient un manifeste d’Albert Camus, censuré en 1939 et exhumé en mars dernier. L’écrivain, également journaliste, y définissait « les conditions et les moyens par lesquels la liberté peut être non seulement préservée mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l’ironie et l’obstination. »

La lucidité

 

Au lieu de retrouver les « coulisses », Dieudonné ne quitte pas la scène. Il annonce que la police ne veut pas d’une seconde représentation. A plusieurs reprises, l’humoriste invite un représentant des forces de l’ordre à venir expliquer les raisons de cette soudaine interdiction. Monte une clameur du public : « Assumez ! Assumez ! Assumez ! ». Dehors, 300 personnes détentrices d’un billet, patientent pour pouvoir entrer. Aucun pandore ne viendra donner la moindre explication …

Visiblement très tendu, le propriétaire du Fiesta Club, Olivier Da Silva, rejoint Dieudonné sur scène. Et prend le micro : « A Bruxelles quand vous faites des one-man-show, vous êtes dans l’obligation de transmettre un dossier à la Ville de Bruxelles, qui accepte ou qui refuse – ce que je n’ai pas fait vu qu’on n’avait que 24 heures. Il se fait que les gens qui font leur travail savent que ça se passait ici : ils sont là ! Gentiment, ils ont accepté que M. Dieudonné termine le spectacle, maintenant, et ne donnent pas leur accord pour le deuxième vu que je n’avais déjà pas l’accord pour le premier ». Directement conspué à l’énoncé de ses derniers mots, l’exploitant rétorque : « Ça ne sert à rien de huer : ces gens-là ont laissé le spectacle se terminer ». « J’aurais bien aimé voir comment ils auraient pu m’arrêter ?! », interrompt Dieudonné, soulevant l’approbation générale.

Plan large de Dieudo et Da Silva (manager Fiesta club) et le public.

Rapport de forces et résistance citoyenne. Totalement solidaire de l’artiste, les 700 spectateurs refusent de quitter les lieux ! Objectif : permettre au second public d’assister au spectacle qu’ils viennent de voir. La tension monte. Des débuts d’échauffourées éclatent aux deux extrémités de la scène. Les perturbateurs sont rapidement soustraits par la sécurité. Dieudonné réitère les appels au calme : « Pas de violences, s’il vous plaît ! Pas de violences ! ». Et d’ajouter : «  Evidemment, ce sont des agitateurs de l’extérieur qui viennent … ». « C’est la police qui fait ça ! », hurle une spectatrice. « Oui, c’est fatiguant », répond Dieudonné. « Mais je pense que la résistance veut que, puisqu’ils ne veulent pas laisser entrer, on va attendre un petit peu …». Nouvelle ovation à tout rompre ! Et nouvelle intervention « élégante » de Da Silva auprès de l’humoriste : « Ou tu marches avec moi et il n’y a pas de problème ou tu les allumes et ça va partir en couilles! ».

A cet instant précis, près de dix années de boycotts, d’annulations, de censures et de harcèlement judiciaire se cristallisent dans l’esprit de l’artiste. « La meilleure façon pour que tout se passe bien et dans le calme, c’est que je puisse faire cette deuxième représentation ! », objecte Dieudonné à Da Silva. « Je suis désolé que ça se passe chez toi, mais est-ce qu’on doit accepter cette injustice ? C’est ça la question ! Moi, je suis patient. On est patient. Ce peuple est patient : c’est fatiguant ! Y en a même pas un (policier, ndlr) qui va venir nous parler ! Dans notre dos, encore une fois ! », conclut-il, excédé. Redoublement des cris solidaires du public. Olivier Da Silva disparaît. Provisoirement.

« La vertu de l’homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie », écrivait Camus, il y a 73 ans. Devant l’extrême tension de la situation, d’autres mots du manifeste de l’écrivain restent furieusement d’actualité : « La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. »

Le refus

 

« Ecoutez, je crois qu’ils veulent que j’aille négocier quelque chose », annonce soudain Dieudonné, souriant. « Ce que je vous propose, c’est de rester là jusqu’à mon retour ». Trois minutes plus tard, l’humoriste remonte sur scène : « Bon, les amis, vous pouvez y aller, vous pouvez sortir : les gens sont en train de rentrer ! ». Une cri de victoire retentit à travers la salle. Les 700 spectateurs sortent ; 300 autres prennent leurs places. Dieudonné entame sa seconde représentation. Pour vingt minutes …

Gros plan de Dieudo et Da Silva s'opposant sur scène.

 

Aux cris d’« Arrêtez ! Arrêtez ! », Da Silva déboule sur scène flanqué d’un vigile menaçant. Proche de la crise de nerfs, le manager du Fiesta Club menace ouvertement l’artiste: « Fais gaffe à toi ! J’ai été gentil avec toi : fais attention à ce que tu vas faire ! Calme tout le monde ou je commence par toi ou par lui ! Ici, t’es chez moi ! ». Avec sang-froid, Dieudonné ramène son interlocuteur sur terre : « Tu ne peux pas me menacer. Il faut que ça se fasse calmement. Ce que je veux dire, c’est qu’on est nombreux ici … Donc il faut vraiment que ça soit calme, ok ?! ». Un ton plus bas, Da Silva implore : « Il y a une demi-heure, j’ai demandé de stopper parce qu’on m’oblige à stopper. Le problème, c’est que ces gens-là (les policiers, ndlr) vont se rebeller sur nous et nous, on n’a rien avoir : on t’a accueilli les bras ouverts ». Chargé de la sécurité de l’humoriste, Joss Elise enchaîne : « Je vais vous demander de respecter. Il a la pression ! Et il y a du monde qui vous attend dehors ! On va sortir calmement ». Cris et huées fusent de toutes parts ! Davantage que le public précédent, les spectateurs n’ont aucune intention de se laisser voler leur soirée …

Dieudonné reprend alors la parole : « C’est un spectacle comique : on n’est pas là pour faire autre chose que s’amuser. Ma propre équipe me dit que les policiers veulent rentrer et taper sur tout le monde… On va certainement arrêter pour éviter… On pourrait mais vous avez vu l’ambiance générale. On est des résistants. C’est vrai qu’on est face à une injustice hallucinante et que j’ai été, dans le passé, plutôt conciliant. Aujourd’hui, je suis fatigué ! Ces gens-là me fatiguent, ils m’empêchent de travailler, ils m’empêchent de m’exprimer. On est là pour rigoler : on m’envoie des cars de policiers. Putain, est-ce qu’il n’ont pas du boulot ces gens-là ?! ».

Plus compréhensive, la foule est désormais au diapason de l’artiste. Ce qu’elle fera dépendra de ce qu’il dira. Dieudonné décide de sauver son public d’une ratonnade programmée : « Ce que je vous propose, c’est de terminer ce spectacle à un autre moment. Vous allez sur Internet, on vous dira comment ça se passe. Il va falloir qu’on trouve un endroit. C’est pas facile ! Mais je reviendrai pour vous : ça , c’est sûr ! ». Les 300 spectateurs quittent le Club et se retrouvent nez-à-nez avec plus d’une centaine de policiers. Une auto-pompes anti-émeutes à 50 mètres des lieux (4)…

 

Parenthèse médiatique. Excepté l’auteur de ces lignes, aucun journaliste n’a assisté à cette première européenne, made in Belgium, consistant à censurer un artiste en pleine représentation. Pour pondre un papier sur cette dérive, Marc Metdepenningen, journaliste au Soir, siphonne la propagande frelatée des Autorités. Sans peur du ridicule : « Une personne aurait harangué la foule, l’invitant à faire le salut nazi. La police a dressé un procès-verbal à l’encontre de Dieudonné pour incitation à la haine raciale ». Parmi 700 spectateurs, un illuminé lève le bras, poing serré; le rabaisse, puis le relève à nouveau, main tendue. Aussi étrange que regrettable. Mais insinuer que le trublion a invité la foule à faire de même alors que personne ne l’avait remarqué, ce procédé  porte un nom : désinformation.

Metdepenningen conclut avec un historique judiciaire à moitié mensonger : «  En mars dernier, il s’était produit à Herstal devant près d’un millier de personnes. Le parquet de Liège a ouvert une enquête en raison de propos antisémites tenus à l’occasion de cette représentation. Dieudonné a déjà été condamné à trois reprises en France pour antisémitisme. Son dernier film, parodie d’Auschwitz financé par des fonds iraniens, a été interdit de diffusion. ».

Le parquet liégeois accuse effectivement l’humoriste d’antisémitisme, sans pour autant divulguer ou établir le moindre élément probant. Malgré l’enregistrement policier du spectacle d’Herstal (10 mars 2012) et après plus deux mois d’enquête … D’autre part, ces huit dernières années, Dieudonné a bien essuyé trois condamnations pour antisémitisme et a été relaxé près d’une trentaine de fois de la même accusation. Ne comptez pas sur Metdepenningen pour s’interroger sur « l’éventualité » d’un harcèlement procédurier contre l’artiste provocateur.

Enfin, le premier film réalisé par Dieudonné n’a pas été interdit de diffusion par le Tribunal des référés de grande instance de Paris ! Demandant l’interdiction et 10.000 € de dommages et intérêts, la Licra s’est vue déboutée. La juge, Anne-Marie Suteraud, a notamment estimé que « malgré son caractère insidieux et particulièrement outrancier, la séquence (et non ’le film‘, ndlr) n’est nullement présentée comme une thèse scientifique ou sérieuse et nul ne peut se tromper sur son aspect parodique » (5) …

Ici également, les mots de Camus résonnent au présent : « En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire d’opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. Or, et pour peu qu’on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s’assurer de l’authenticité d’une nouvelle. C’est à cela qu’un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s’il ne peut dire tout ce qu’il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu’il ne pense pas ou qu’il croit faux.  »

 

L’ironie

 

Certains l’ont compris : inutile de gloser indéfiniment sur « la dangerosité raciste » de Dieudonné, pour les uns, ou « sa maîtrise quenellière », pour les autres. Mais plutôt de s’interroger sur la diabolisation d’un artiste antisioniste qui conduit élites politiques et officines du lobby pro-israélien à violer l’article 25 de la Constitution comme les libertés individuelles de milliers de citoyens. Le tout, maquillé à la hâte par une presse vénale, plus enthousiaste à coller servilement aux pouvoirs qu’à exercer son métier en toute indépendance.

En 2004 et 2009, le Conseil d’Etat belge a consacré la liberté d’expression de Dieudonné. Jurisprudence systématiquement omise par nombre de journalistes amnésiques (6). Autrement dit, Dieudonné, on l’aime ou on le déteste. On court le voir ou on s’enfuit en sens inverse. On le soutient ou on dépose plainte. Mais il est illégal d’interdire a priori ses spectacles ! En conséquence, des bourgmestres censeurs envoient leur polices harceler et menacer tout propriétaire de salle en contrat avec la société de production de l’humoriste. Agitant la pure fiction de « bagarres rangées » ou « d’attentats »; leur promettant des amendes administratives de plus de 20.000 € (7). Et si cela ne suffit pas ? Des bataillons de policiers pour censurer le spectacle en cours feront l’affaire !

Comment justifier ces pratiques liberticides dignes de l’ex-URSS ou de l’Allemagne nazie ?  « Après avoir constaté la tenue de propos ‘xénophobes’, les policiers ont exigé que l’exploitant interrompe le spectacle en coupant l’électricité. Les spectateurs se sont alors dispersés dans le calme, selon Nicolas Dassonville, porte-parole du Bourgmestre de la Ville de Bruxelles », rapporte La Libre Belgique. Et d’ajouter sans la moindre réflexion critique : « Le porte-parole n’a pas précisé la nature exacte des propos tenus, mais il a souligné que le ‘PV de la police avait été transmis au parquet’, qui pourra entamer des poursuites.»

Par esprit civique et confraternité professionnelle, aidons ces braves gens à repérer les « propos xénophobes » contre lesquels plus de cent policiers ont bossé dur le 9 mai 2012. Nous ne voudrions pas être en reste dans cette splendide lutte antiraciste d’une ampleur  jamais égalée en Europe ! Passons en revue quelques extraits de « Rendez-nous Jésus ». Celui-ci nous semble fort suspect : « La première religion au Cameroun, c’est l’argent ! Faites-vous arrêter par un policier camerounais … » ? Non. Ridiculiser la corruption en Afrique, ce n’est pas xénophobe. Dans le registre, les inoubliables Michel Leeb et Annie Cordy ont commis plus outrageant sans jamais mobiliser une autopompe anti-émeutes.

Alors, c’est sûrement celui-là : « Le mollah, il rigole pas comme ça. Sa nature, c’est de s’éclater sur des chants religieux. J’ai un copain mollah qui m’a invité dans une soirée de mollahs : si t’as pas fait une sieste dans l’après-midi, on est mal ! » ? Autant pour moi. Vanner des musulmans, iraniens de surcroît, c’est plutôt encouragé. Attendez ! Là, on en tiens un : «  Jésus a sorti cette fameuse phrase : ‘Il faut chasser les marchands du temple’. Là, il était mort. C’était fini : antisémitisme, etc. Les marchands du temple, ils étaient pas Congolais, réfléchis ! C’était déjà la bande à Strauss-Khan. C’est le FMI qui a crucifié Jésus ! » … Pour autant, nous hésitons fébrilement avec cet ultime extrait : « J’ai toutes les associations israéliennes sur le dos, jusqu’à l’Élysée qui est quand même la plus connue ».

On comprend mieux pourquoi des mois d’enquête sont nécessaires au parquet de Liège. Et pourquoi les policiers bruxellois n’ont pas réussi à choisir un exemple « xénophobe » à retranscrire dans leur procès-verbal. Qu’à cela ne tienne : pouvions-nous éprouver plus grande fierté citoyenne que de collaborer avec la police politique de notre pays ? Le devoir accompli, laissons les parquets de Bruxelles et de Liège ficeler le dossier en vue des indispensables procès contre l’insupportable M’Bala M’Bala …

Comme l’écrivait Albert Camus, visiblement pour l’éternité : « Il reste donc que l’ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu’elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. »

L’obstination

 

Du côté de la société de production de Dieudonné, on ne risque pas non plus d’oublier la « super-soirée » au Fiesta Club. Préférant conserver l’anonymat vu « l’ambiance », l’un de ces responsables témoigne : « Pendant que Dieudonné jouait sa première représentation, j’ai été appelé dans le bureau d’Olivier Da Silva. En refermant la porte, j’ai vu qu’il était ‘vert ’ ! Entouré de policiers, une terreur se lisait dans ses yeux. Un pandore m’interpelle : « Vous devez arrêtez le spectacle ! Il y a des risques de troubles à l’ordre public ! ».

 

« Je lui répond que c’est faux, qu’il n’ y a aucun trouble. Je le renvoie à la jurisprudence du Conseil d’Etat belge qui a cassé chaque interdiction de spectacle de Dieudonné. Je lui fait  aussi remarquer que c’est eux, et personne d’autre, qui vont amener des troubles ! Là, Da Silva m’interrompt : « Je suis obligé d’arrêter la seconde représentation. J’ai des pressions directes du Bourgmestre et celui-ci m’a même dit que ça venait de plus haut » … Il me raconte ensuite que cela fait neuf ans qu’il est en très bon termes avec la Ville, qu’il a négocié un projet immobilier de six étages comprenant notamment une brasserie. Durant  l’échange, je comprends que se trouve, parmi les policiers, un fonctionnaire de l’Urbanisme de la Ville de Bruxelles. Rien n’a été laissé au hasard pour mettre la pression maximale sur Da Silva ».

A tel point que le pauvre manager tentera ensuite quelques arrangements avec la vérité. Au quotidien La Capitale, il déclare : « J’ai été floué, je ne savais pas qu’il s’agissait de Dieudonné. J’ai reçu un coup de fil mercredi (9 mai, ndlr) dans la journée. On m’a dit qu’on souhaitait réserver ma salle pour un humoriste, en me donnant le nom de Plume Productions, sans me donner le nom de l’artiste. J’ai pensé que ce devait un être jeune humoriste ou une société, pour que mon interlocuteur s’y prenne aussi tard. J’ai donc dit OK. Ce n’est que le soir que j’ai compris. J’ai débarqué en catastrophe » (8).

 

« Il savait parfaitement qu’il s’agissait du spectacle de Dieudonné », réplique un autre employé de Plume productions. « Nous en avons discuté au téléphone le lundi 7 mai et, ce jour-là, vers une heure du matin, il m’a transmis un mail pour les conditions de location ». Courriel que nous nous sommes procuré. Celui-ci est effectivement envoyé et signé par Olivier Da Silva. Objet : une location du Club en date du 8 mai, de 14h à minuit pour un montant de 5000 €. Le manager propose à son destinataire « de nous rencontrer à 14h sur place pour le paiement de la salle ». Les protagonistes se verront finalement dans l’après-midi du 9 mai. Mais la date d’envoi comme le contenu de ce courriel démontrent que Da Silva ment lorsqu’il affirme qu’il « ignorait » qu’il s’agissait de Dieudonné.

Au sujet du proçès-verbal pour « propos xénophobes », le responsable français se montre formel : « Cette raison n’a jamais été invoquée durant la soirée. A aucun moment, je n’ai entendu Da Silva ou les policiers reprocher à Dieudonné d’avoir tenu des propos xénophobes ou d’avoir inciter à la haine raciale. Ils répétaient sans arrêt que nous n’avions pas d’autorisation et qu’il fallait tout arrêter ».

Avec Camus, « il faut convenir qu’il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l’inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L’obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l’objectivité et de la tolérance. »

 

Contre-attaque

 

Obstiné, Dieudonné ne compte pas en rester là. Une contre-attaque judiciaire s’organise. Ses avocats belges, Maîtres Sébastien Courtoy et Henri Laquay, ont tenu une conférence de presse à Paris, aux côtés de l’humoriste, dans son Théâtre de la Main d’Or. Une seconde  conférence est annoncée à Bruxelles…

« Depuis plusieurs années, on lui a mis des bâtons dans les roues », estime Me Courtois. « Comme c’est un type débrouillard, intelligent et qu’il reste encore des gens courageux, il finissait toujours par trouver une salle. Depuis le 9 mai, nous sommes entré dans une phase supérieure : l’envoi de la police pour chasser Dieudonné à coups de gourdins. Et après ? Plus rien ! J’ai écris un recommandé au Bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Freddy Thielemans, et au Ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet, pour connaître le fondement sur lequel les Autorités s’étaient basées pour poser un acte aussi grave que d’arrêter le spectacle d’un humoriste ? Aucune réponse à ce jour ».

Pour autant, un dossier pénal contre Dieudonné est ouvert au Parquet de Bruxelles. « Celui-ci concerne non seulement la soirée du 9 mai », poursuit Me Courtoy, « mais ils comptent également le poursuivre pour un spectacle antérieur tenu à Bruxelles. Un P-V, dressé en 2009, a été ajouté au dossier. En résumé, il s’agit d’une attaque du parquet pour antisémitisme. Action sur laquelle vient se greffer le Centre pour l’Egalité des Chances qui attaque aussi pour incitation à l’homophobie ».

Directeur-adjoint du Centre pour l’Egalité des chances, Edouard Delruelle ne manque pas une occasion médiatique de diaboliser Dieudonné. Suite au spectacle d’Herstal, l’inquisiteur a encore poussé le curseur. Sur les ondes de la RTBF ou sur le plateau de Controverses (RTL-TVI), le « philosophe » balance : « Il n’est pas seulement antisémite, il est aussi homophobe. Son spectacle est aussi un spectacle homophobe ». Et de promettre que le Centre « va vraiment essayer de le coincer et de faire un procès » (9). Pour sa part, Sébastien Courtoy se dit surpris : « Je m’étonne que ce Monsieur, à la tête d’un organe censé lutter contre les incitations à la haine, jette en pâture une personne dans les médias avant même qu’un seul juge, en Belgique, ait statué sur le bien-fondé des accusations que ce Monsieur estime pouvoir formuler. J’ai l’impression que celui qui est dans l’incitation à la haine, c’est le directeur-adjoint du Centre et non Dieudonné » …

 

Delruelle a-t-il assisté à la représentation liégeoise de « Rendez-nous Jésus » ? On peut en douter. A chacune de ses saillies médiatiques, il « oublie » cet extrait du spectacle : «Je tiens quand même à préciser que je ne voudrais pas, par ces quelques plaisanteries, me mettre la communauté homosexuelle à dos. Même si ce n’est pas le gros de ma clientèle. Non, s’il y a des homos dans la salle, bien sûr, vous êtes les bienvenus ! Ai-je besoin de le dire ? Y a-t-il d’ailleurs des homosexuels dans la salle ? Levez la main pour voir. Non, mais c’est vrai que se moquer de la Gay pride, c’est devenu blasphématoire. Au même titre que la Shoah. Ce sont les deux sujets interdits. Moi, j’ai un copain, un humoriste homo, il m’a dit : ‘Surtout ne fait aucun sketch sur la Gay pride sinon t’es mort !’. Je lui ai dit : ‘Bon, ben, je vais le faire’ » …

D’autres feignent aussi d’oublier qu’il est assez rentable d’incriminer l’humoriste antisioniste lorsqu’on souhaite plaire au lobby pro-israélien ou éviter d’être dans sa ligne de mire. Il y a cinq mois, deux de ces ardents lobbyistes, les politiciens Viviane Teitelbaum (MR) et Alain Destexhe (MR), ont exigé à grands cris la démission de Delruelle (10). Ce dernier chercherait-il aujourd’hui à protéger son poste en traînant Dieudonné en justice ?

A cela, s’ajoute une curieuse coïncidence. « Sur les 127 substituts du procureur que compte le parquet de Bruxelles, il se fait que Julie Feld s’est vue confier le dossier », nous apprend Sébastien Courtoy. Ancienne avocate du Centre pour l’Egalité des Chances, Julie Feld a récemment quitté le barreau pour travailler au parquet. « Nous sommes dans une affaire où l’Etat doit apporter un arbitrage sur la question de savoir si quelqu’un attaque la communauté juive », poursuit l’avoué.

« Dès lors, je m’étonne que la personne censée représentée l’Etat dans cette affaire soit issue de la communauté juive. Cela ne donne pas une apparence d’indépendance de la part du ministère public. Je vous le dis comme je le pense : ça ne va pas ! Dans ces conditions, j’aurais préféré qu’on désigne un substitut d’origine camerounaise. Encore faudrait-il qu’il y en ait un ? Sommes-nous arrivé à ce degré d’acception de l’immigration africaine dans notre pays ? Au Tribunal, je vois des prévenus d’origine africaine, des avocats d’origine africaine, mais je n’ai jamais vu un membre du ministère public qui soit Africain … En l’occurrence, le substitut du procureur ne devrait être issu ni de l’une ni de l’autre des communautés concernées. Même tactiquement, pour le parquet, c’est une erreur ! ».

 

A ce stade, il n’est pas certain que les poursuites débouchent sur un procès. Éventualité que refusent fermement Maîtres Courtoy et Laquay : « Si le parquet abandonne en cours de route, nous nous constituerons parties civiles et nous ferons un procès contre la Ville de Bruxelles et les policiers qui se sont rendus coupables de ce fait gravissime ».

Les chances de l’humoriste de l’emporter devant un tribunal ? Nulles en première instance, selon Sébastien Courtoy : « Il va comparaître devant la 61ème chambre du Tribunal correctionnel où il est condamné d’avance ! Nous y allons dans le respect de la magistrature, même si on ne croit pas en l’issue favorable. Ensuite, nous irons devant la Cour d’appel ».

Face au risque d’une longue procédure qui, de fait, interdirait à Dieudonné de se produire en Belgique pendant plusieurs années, l’avocat affiche une détermination remarquable : « A partir du moment où l’on envoie 200 policiers avec autopompe pour arrêter un spectacle, cela signifie que, dans le chef des Autorités, ce qu’a fait Dieudonné est d’une gravité absolue. Cette enquête, soyons sérieux, ne nécessite pas d’analyses génétiques ni de commissions rogatoires à Singapour ! Il s’agit d’un dossier où, en un mois, le parquet peut arrêter une argumentation et rassembler des preuves. Avec autant de policiers sur place, cela n’a pas dû être trop difficile d’en réunir … Nous estimons que ce procès doit avoir lieu de manière imminente ! Chaque semaine qui s’écoulera, sans que le procès ne débute, sera une semaine supplémentaire où le parquet comme la Ville de Bruxelles seront en aveux d’avoir commis un acte illégal ».

Olivier Mukuna

Notes :

(1)   Lire ici l’entièreté du manifeste de Camus ainsi que la façon dont il a été exhumé : http://jbonillasaus.blogspot.com/2012/03/un-manifeste-inedit-d-albert-camus-sur.html

(2)   A cet égard, le témoignage d’un responsable de la société de production de Dieudonné : « Une semaine avant le 8 mai, le propriétaire du Roosdaal Palace m’appelle. Il me dit qu’il fait l’objet de pressions de la police fédérale et de la Bourgmestre de Roosdaal, Christine Hemerijkx. Les policiers lui ont affirmé qu’il y avait des menaces d’attentats, que sa salle allait brûler et que ce serait le fait du public de Dieudonné. Je lui répond que c’est faux. Et lui demande s’il dispose d’un document officiel ? Il me dit ‘non’. Je l’invite à ce qu’il le demande aux Autorités. Rassuré, souhaitant maintenir notre contrat, il promet de me rappeler. Le lendemain, il me dit que la police a refusé de lui envoyer tout document et qu’elle a ajouté : ‘ Si votre salle brûle, on ne pourra pas vous protéger ! ‘. Suite à cela, il s’est finalement désisté » … S’ajoute à cela un courriel de la Fnac envoyé aux détenteurs d’un billet acheté en pré-ventes :  http://chrisactu.com/dieudonne-lettre-de-la-fnac

(3)   Sur l’avant-dernière censure politique bruxelloise et son contournement citoyen : https://www.facebook.com/note.php?note_id=117567471610786

(4)   Les images du processus de censure policière sont notamment visible ici : http://www.youtube.com/watch?v=09Egq2hF84U&feature=related. Et là, les réactions du public expulsé du Fiesta Club (3 min 00′) ainsi que les fourgons et autopompe anti-émeutes en  fin de vidéo (12 min 15′)  :  http://www.youtube.com/watch?v=G4iKr4E-n0s&feature=related

(5)   http://www.rtl.be/info/magazine/cinema/870788/la-justice-n-interdit-pas-le-film-de-dieudonne-l-antisemite-

(6)   En 2004 : http://archives.lesoir.be/humour-interdit-d-olympia-dieudonne-se-produira-a-quatr_t-20040227-Z0P3FC.html et en 2009 : http://www.rtl.be/info/votreregion/bruxelles/228794/saint-josse-ne-peut-pas-interdire-dieudonne

(7)   http://archives.lesoir.be/dieudonne-la-facture-envoyee-aux-exploitants-de-la-sall_t-20090326-00MC5K.html

(8)   http://www.lacapitale.be/412267/article/regions/bruxelles/2012-05-10/un-spectacle-de-dieudonne-interrompu-par-la-police-a-bruxelles-video

(9)   http://www.rtl.be/videos/video/395213.aspx (à partir de 15 min 46′).

(10)                      http://www.rtbf.be/info/societe/detail_delruelle-refute-l-accusation-d-antisemitisme?id=7241753

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