La Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires de Détroit

 par Selim NADI, membre du PIR
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Quarante ans après sa première publication anglophone, les éditions Agone publient en français « Détroit : pas d’accord pour crever. Une révolution urbaine », une étude magistrale de Dan Georgakas1 et Marvin Surkin2.
Ce livre se penche sur les luttes révolutionnaires noires dans le Détroit du début des années 1970, et notamment sur la naissance de la Ligue des Travailleurs Révolutionnaires Noirs (L.T.R.N – créée en 1969). La L.T.R.N, inspiré par le Drum (Dodge Revolutionary Union Movement), a unifié en son sein une multitude de « RUM » (Mouvements syndicaux révolutionnaires) : « Le succès de Drum entraîna une floraison de RUM : Uprum (travailleurs à l’United Parcel Service), Hrum (travailleurs de la santé [Health]) ou encore Newrum (travailleurs du Détroit News) ». L’objectif de la L.T.R.N : proposer une approche politique de la condition raciale des ouvriers noirs, notamment dans l’industrie automobile.

Au-delà de son intérêt proprement historique, l’ouvrage témoigne d’une conjoncture politique et économique spécifique aux Non-Blancs dans de nombreux pays industrialisés, dans les années 1970. De quoi faire écho aux luttes du Mouvement des Travailleurs Arabes en France–, envisagées par Sadri Khiari comme l’une des formes les plus radicales de la résistance immigrée des années 19703 –, aux luttes des ouvriers turcs dans l’industrie automobile en Allemagne, et aux résistances des travailleurs caribéens et indiens en Grande-Bretagne à la même époque.

Ce livre offre un panorama complet de la formation de la L.T.R.N et de l’évolution de ses cadres, des problèmes stratégiques et de la lutte politique des ouvriers noirs dans le Détroit des années 1970 ainsi qu’un éclairage sur les racines économiques de l’oppression raciale aux États-Unis. Sans jamais réduire les rapports de force raciaux à une lutte de classes, l’historiographie des luttes noires aux États-Unis est un bon indicateur de la pénétration du racisme au cœur du système économique. À ce titre, l’ouvrage s’inscrit dans une lignée de travaux sur la naissance et l’évolution de la lutte des races sociales – pour reprendre l’expression de Sadri Khiari – aux États-Unis, tels que ceux de Theodore W. Allen (The Invention of the White Race, 1994) ou encore de David Roediger (How Race Survived U.S. History, 2008).

De plus, l’inscription locale de la L.T.R.N dans la ville de Détroit présente des aspects très instructifs pour les luttes anti-racistes qui se développent en France. Comme l’écrit Michael Staudenmaier dans Truth and Revolution :

 

« À la fin des années 1960, alors que de nombreux révolutionnaires nord-américains avaient tourné le dos à la classe ouvrière, trois expériences majeures apportèrent un renouveau d’attention à l’idée selon laquelle le prolétariat industriel est l’agent révolutionnaire principal : la grève générale de 1968 en France, l’« automne chaud » en Italie en 199, et les premiers succès des Revolutionary Union Movements (RUMs) et de la Ligue des Travailleurs Révolutionnaires Noirs de Détroit. »4

 

Alors qu’une large part de la gauche blanche française appelle abstraitement à la lutte des classes, l’ouvrage de Dan Georgakas et de Marvin Surkin rappelle que la question raciale et la question sociale ne s’excluent pas mutuellement, mais surtout qu’on ne peut les « articuler » théoriquement. L’expérience politique d’un groupe révolutionnaire noir dévoile les structures concrètes et les obstacles politiques (notamment des syndicats tels l’AFL-CIO) face auxquels les travailleurs noirs étaient confrontés. Loin de la condamnation traditionnelle de la question raciale accusée de « diviser » la classe ouvrière, cet ouvrage met le curseur sur les bases véritablement matérielles à l’origine de cette division. En témoigne la réalité sociale des Noirs, cantonnés à un statut de « sous-prolétaires » assignés aux tâches les plus pénibles et dangereuses.

Cet ouvrage dresse ainsi un bilan des résistances noires, partant de la Grande Rébellion de Juillet 1967, en passant par la création du journal Inner City Voice, par les diverses grèves organisées par des organisations noires, par la création de la Ligue, mais également par les nombreux combats judiciaires qu’ont dû affronter les militants ouvriers noirs

Néanmoins, l’ouvrage ne se contente pas de poser un diagnostic mais pose les bases d’une stratégie politique antiraciste. Kenneth Cockrell, l’une des figures majeures de la L.T.N.R, déclarait dans l’un des ces discours :

 

« Nous ne reprenons pas le discours habituel du militant noir occasionnel, qui pointe du doigt et dénonce ouvertement les  »chiens blancs », menace de rayer de la surface de la Terre l’intégralité de la population blanche, se tient droit, les jambes écartées, juché sur ce qui reste du monde, et proclame la beauté intrinsèque de la noirceur sans rapporter tout cela à un programme politique concret qui mette fin à l’oppression pour les peuples du monde. Nous disons le plus sérieusement du monde qu’il n’y a qu’une seule solution, et que cette solution, c’est la destruction du mécanisme d’État actuel. Le démantèlement de ce mécanisme d’État et le processus par lequel il se réalisera implique que ceux qui veulent réellement provoquer des changements révolutionnaires prennent le pouvoir d’État – et ce que nous proposons, c’est le programme de la Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires. »5

 

Nul doute qu’une partie de la gauche blanche y trouvera le moyen d’applaudir les prouesses politiques d’ouvriers noirs se réclamant de la lutte des classes. Il reste que ce livre témoigne parfaitement des rapports intrinsèques qui lient les concepts de « races » et de « classes », sans jamais les confondre. En ceci, il permet de renseigner sur les difficultés des travailleurs noirs à imposer leurs priorités dans les partis et les syndicats de la gauche blanche dans les années 1970, époque charnière pour les luttes ouvrières. Détroit : pas d’accord pour crever s’inscrit ainsi dans la continuité de l’historiographie décoloniale, démontrant une fois encore que le « nègre docile est un mythe »6.

 

Selim NADI, membre du PIR

 

Notes

 

[1]Membre fondateur du groupe anarchiste « Up Against the Wall Motherfuckers », il est également connu pour ses poèmes et son travail d’historien. Il a notamment publié des ouvrages sur Ezra Pound, sur l’I.W.W et plus généralement sur la gauche étatsunienne.

[2]Ancien membre de la Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires, docteur en science politique et spécialiste de politiques urbaines.

[3]Pour un panorama complet des luttes immigrées en France, voir notamment le chapitre IV, intitulé « Premières escarmouches raciales au cœur de l’Hexagone », de : Sadri KHIARI, La contre-révolution coloniale en France. De de Gaulle à Sarkozy, La Fabrique, Paris, 2009.

[4]Michael Staudenmaier, Truth and Revolution. A History of the Sojourner Truth Organization : 1969 – 1986, AK Press, Oakland, 2012, p. 42

[5]Kenneth V. Cockrel, « De la répression à la révolution », Période

[6]C.L.R. James, « Revolution and the Negro »

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Restructuration, audit, suspension et annulation de la dette

Restructuration, audit, suspension et annulation de la dette
Eric Toussaint interviewé par Maud Bailly

Docteur en Sciences politiques de l’Université de Liège et de Paris VIII, également historien de formation, Éric Toussaint est porte-parole du CADTM International. Il se bat depuis de nombreuses années pour l’annulation de la dette des pays du Sud et des dettes publiques illégitimes au Nord. Il a été membre de la Commission d’audit intégral de la dette de l’Équateur (CAIC) mise en place en 2007 par le président Rafael Correa. Cette même année, il a également conseillé le ministre des Finances et le président de l’Équateur en ce qui concerne la création de la Banque du Sud, de même qu’il a fourni son expertise en la matière en 2008 au secrétariat des Nations Unies. En 2008 également, le président paraguayen Fernando Lugo a fait appel à son expérience pour lancer l’audit de la dette de ce pays. Il soutient et est impliqué depuis 2010 dans différentes initiatives d’audit citoyen de la dette en Europe (Grèce, Portugal, Espagne, France, Belgique). En 2011, ses conseils ont été sollicités par la commission d’enquête parlementaire du Congrès brésilien sur la dette (CPI) et en 2013 par la commission économique du Sénat brésilien. En 2012 et en 2013, il a été invité par Alexis Tsipras, le président de Syriza, pour des discussions sur la dette grecque. En novembre 2014, il a été invité au Congrès argentin par les parlementaires de la majorité présidentielle qui souhaitent la mise en place de la commission d’audit de la dette prévue par la loi dite du « paiement souverain » adoptée en septembre 2014. Il a écrit plusieurs ouvrages de références sur la problématique de la dette et des institutions financières internationales et a participé à la rédaction de deux manuels d’audit citoyen de la dette.

 

Selon Éric Toussaint, les processus de restructuration de dettes sont toujours le résultat de calculs économiques et géopolitiques de la part des créanciers et débouchent rarement sur une situation durablement favorable aux débiteurs – à moins que cela ne soit stratégiquement intéressant aux yeux des créanciers. La « restructuration » des dettes souveraines – terme adopté par le FMI, le Club de Paris et les banques privées dans le dernier quart du 20e siècle, et plus récemment, prôné par des mouvements de gauche en Espagne, en Grèce et au Portugal – ne constitue pas une solution satisfaisante. Il est dangereux de reprendre à son compte le terme de restructuration pour définir la solution car dans la pratique les créanciers ont donné à celui-ci le contenu qui leur convient. Le porte-parole du CADTM International recommande à des gouvernements de gauche de donner la priorité à la réalisation d’un audit intégral de la dette (avec une participation citoyenne active), combinée si nécessaire à la suspension des remboursements. Il s’agit de refuser de payer la part de la dette identifiée comme illégitime, illégale, odieuse et/ou insoutenable, ainsi que d’imposer une réduction du reliquat. La réduction du reliquat [c’est-à-dire de la part restante, après annulation de la part illégitime et/ou illégale] peut s’apparenter à une restructuration, mais en aucun cas elle ne pourra isolément constituer une réponse suffisante.


Qu’entend-on par « restructuration » de dette ?

Selon les termes définis par le FMI |1| et le Club de Paris dans une série de documents officiels, une restructuration de dette souveraine implique un échange de dettes contre de nouvelles dettes dans l’écrasante majorité des cas, ou contre des liquidités dans une très faible quantité. Généralement, la restructuration de la dette passe par des négociations entre le pays débiteurs et différentes catégories de créanciers.

Une restructuration de la dette souveraine peut se concrétiser sous 2 formes principales |2| :

1° : Un réechelonnement de dette : en baissant les taux d’intérêt pour diminuer le service de la dette et/ou en allongeant le calendrier des remboursements.

2° : Cela peut se combiner à une réduction de la dette (diminution du stock de dette par abandon de créances dues). La plupart du temps cela passe par le remplacement d’anciens titres ou d’anciens contrats par de nouveaux titres ou contrats. La réduction de dette peut passer par un rachat de dettes avec des liquidités.

Le rachat de la dette contre des liquidités n’a lieu que rarement. Sur les 600 cas de restructurations qui ont eu lieu entre 1950 et 2010, seules 26 d’entre elles impliquent un rachat de dette contre des liquidités. Il s’agit donc d’une infime minorité qui, dans la plupart des cas, était liée à l’initiative PPTE au cours de laquelle, ce qui s’est passé en réalité, c’est qu’une partie des créanciers ont payé aux autres créanciers une partie des dettes accumulées par un pays |3|.

Les restructurations de dettes souveraines prennent donc place dans des situations de crise, souvent en réponse à un défaut (= suspension du paiement total ou partiel) ou à un risque de défaut de paiement du pays débiteur. Lorsque le FMI, le Club de Paris ou la Troïka (comme cela a été le cas en Grèce en 2012) interviennent en organisant une restructuration de la dette, ils visent à rétablir la solvabilité d’un pays débiteur en rendant tout simplement la dette soutenable du poids de vue du paiement. Très souvent, en échange d’une restructuration, les créanciers imposent des conditions qui sont contraires à l’intérêt du pays endetté et surtout à son peuple |4|. D’autre part, les stratégies géopolitiques des créanciers jouent un rôle déterminant dans le choix des pays auxquels est accordé une restructuration de dette et dans les termes de celles-ci.


Y a-t-il eu des restructurations de dettes contrôlées par les créanciers qui ont été durablement favorables aux débiteurs ?

Oui, le cas emblématique est celui de l’Allemagne |5|. Lors d’une conférence tenue en 1953 à Londres, les créanciers de l’Allemagne occidentale, à savoir avant tout les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Belgique et les Pays-Bas |6|, lui ont octroyé une réduction très importante de dette. Les montants empruntés par l’Allemagne entre les deux guerres mondiales et dans l’immédiat après seconde guerre mondiale ont été réduits de 62,5%. Un moratoire de 5 ans a été accordé. De plus, les dettes de guerre qui auraient pu être réclamées à l’Allemagne, notamment pour les destructions et les dommages provoqués par l’Allemagne nazie au cours de la seconde guerre mondiale, ont été reportées sine die. On peut estimer que la dette totale (créances de l’entre-deux guerres, de l’immédiat après seconde guerre mondiale, les réparations et les compensations de guerre) que les puissances alliées pouvaient réclamer à l’Allemagne a donc été réduite de plus de 90 % |7|. Ajoutons à cela que les termes de remboursement pour la part restante suite à la restructuration étaient conçus pour permettre à l’Allemagne de se reconstruire très vite et de redevenir une puissance économique importante.

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Hermann Josef Abs ratifie l’Accord de Londres du 27 février 1953


Quels étaient ces termes favorables ?

1° : L’Allemagne pouvait rembourser dans sa propre monnaie l’essentiel de la dette qui lui était réclamée. Or, le deutschemark n’avait quasiment aucune valeur sur le plan international à cette époque puisque l’Allemagne était une puissance vaincue largement détruite, dont la monnaie n’était ni une monnaie de réserve ni une monnaie forte. Cette possibilité lui a largement bénéficié. Il faut souligner qu’il est très rare que les créanciers acceptent d’un pays qu’il rembourse dans sa monnaie nationale si elle est faible |8|. Généralement les créanciers exigent d’être remboursés en devises fortes (dollar, euro, livre sterling, yen, etc.).

2° : Les créanciers se sont engagés à acheter des produits allemands afin de fournir à son économie des débouchés importants, de lui permettre de dégager des recettes commerciales, d’accumuler des devises étrangères et d’équilibrer sa balance des paiements.

3° : Les créanciers acceptaient qu’en cas de litige avec l’Allemagne, des tribunaux allemands soient alors compétents.

4° : Il était prévu que le service de sa dette ne dépasserait pas 5 % des revenus tirés par l’Allemagne de ses exportations.

5° : Les taux d’intérêt ne pouvaient pas dépasser 5 % et pouvaient dans certaines circonstances être renégociés et revus à la baisse.

Cela a permis à l’Allemagne de se reconstruire rapidement. Il est très important de préciser que l’accord de Londres concernait l’Allemagne de l’Ouest. Le pays était en effet séparé en deux parties : l’Allemagne de l’Est [la République démocratique allemande (RDA)] qui faisait partie du bloc soviétique, et l’Allemagne de l’Ouest [la République fédérale d’Allemagne (RFA)] rattachée au camp occidental. Si les créanciers de l’Allemagne de l’Ouest ont fait de telles concessions aux autorités de RFA, c’est qu’ils voulaient absolument que l’Allemagne de l’Ouest soit stable face au bloc soviétique dans un climat de guerre froide. Ils craignaient des troubles sociaux importants dans une Allemagne alors ébranlée, ce qui aurait bénéficié aux mouvements les plus à gauche, au détriment des intérêts des puissances occidentales dans un contexte de guerre froide avec le bloc soviétique. Il s’agissait également de tirer les leçons des conséquences du Traité de Versailles de 1919 qui imposait à l’Allemagne des contraintes intenables |9|. Enfin, n’oublions pas que l’Allemagne était devenue dès la fin du 19e siècle la principale puissance économique et militaire du continent européen.

En résumé, non seulement le fardeau de la dette a été très fortement allégé et d’importantes aides économiques sous forme de dons (environ l’équivalent en 2014 de 10 milliards de dollars versés à l’Allemagne de l’Ouest par les États-Unis via le Plan Marshall entre 1948 et 1952 |10|) ont été octroyées à l’Allemagne de l’Ouest, mais surtout on lui a permis d’appliquer une politique économique tout à fait favorable à son redéploiement. Les grands groupes industriels privés ont pu se consolider, ceux-là mêmes qui avaient joué un rôle clé dans l’aventure militaire de la première guerre mondiale, dans le soutien aux nazis, dans le génocide des peuples juifs ou tziganes, dans la spoliation des pays occupés ou annexés, dans la production militaire et l’effort logistique gigantesque de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne a pu développer d’impressionnantes infrastructures publiques, elle a pu soutenir ses industries afin de satisfaire la demande locale et de conquérir des marchés extérieurs.

Ce rappel des conditions historiques dans lesquelles l’annulation de la dette allemande a été accordée montre bien qu’il est difficile d’imaginer qu’aujourd’hui, des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou Chypre puissent obtenir, au travers d’un processus de restructuration de leur dette, des conditions proches de celles obtenues par l’Allemagne de l’Ouest dans les années 1950. Cela paraît impossible à cause de la composition et de l’orientation des instances européennes, des gouvernements de pays les plus forts de l’Europe, de la direction du FMI ainsi que du contexte historique actuel.


Hormis l’Allemagne de l’Ouest, quels sont les autres exemples de restructurations de dette favorables aux débiteurs ?

Un autre cas de restructuration de dette est celui de la Pologne en 1991. Le pays a bénéficié d’une réduction de dette importante, de l’ordre de 50 % de sa dette bilatérale à l’égard des créanciers du Club de Paris. Ceux-ci voulaient favoriser le gouvernement pro-occidental de Lech Walesa, qui venait de quitter le Pacte de Varsovie, l’alliance militaire entre les pays du bloc soviétique. Certes la réduction de la dette polonaise a été moins importante que la réduction de la dette allemande, mais le contexte rappelle un peu ce qui a été fait à l’égard de l’Allemagne occidentale en 1953. Il s’agit d’un des pays les plus importants quittant le bloc de l’Est pour passer dans le camp occidental, en adoptant des mesures économiques en adéquation avec cette ligne, c’est-à-dire des politiques néolibérales, des politiques de privatisation, qui ont débouché quelques années plus tard sur l’intégration de la Pologne à l’Union européenne.

C’est lors du même sommet du G7 à Londres en 1991 que fut également octroyé à l’Égypte une réduction de la moitié de sa dette bilatérale à l’égard des créanciers du Club de Paris. Il s’agissait pour les États-Unis et leurs alliés d’obtenir une coopération du régime en place, en l’occurrence le soutien du dictateur Moubarak lors de la première guerre du Golfe.

Enfin, on peut parler de la réduction de la dette en Irak, obtenue en 2004 |11|. Rappelons le contexte : les États-Unis et leurs alliés envahissent l’Irak le 20 mars 2003. Quelques jours plus tard, le secrétaire d’État au Trésor états-unien invite ses collègues du G7 à une réunion à Washington, au cours de laquelle il déclare que la dette contractée par Saddam Hussein est une dette odieuse. Il enjoint aux créanciers de concéder une très forte réduction de la dette, afin que les nouvelles autorités désignées par les forces d’occupation puissent reconstruire le pays. On assiste à une réduction de l’ordre de 80 % de la dette réclamée par les principaux créanciers bilatéraux de l’Irak, les autres créanciers (privés, ainsi que la Banque mondiale et le FMI) ont ensuite suivi.


Quelles sont les similitudes et les différences entre les cas cités ci-dessus ?

Le point commun entre tous ces exemples est que l’on se situe dans une situation de conflit armé ou de tension extrêmement forte entre blocs ou puissances, ce qui amène la puissance dominante, dans ce cas-ci les États-Unis, à obtenir de ses partenaires un effort important de réduction de dette servant leurs intérêts géostratégiques. Il n’en reste pas moins que l’Allemagne avec l’accord de 1953 est un cas exceptionnel, car toutes les conditions liées à la réduction de dette visaient réellement à ce que le pays redevienne une puissance de premier plan. Tandis que dans les autres cas, il s’agissait de faire des concessions à des pays pour les remercier de leur acte d’allégeance, et non de faire de ces pays de véritables puissances économiques. D’une certaine manière, on peut comparer ce qui a été fait à leur égard à ce qu’un suzerain de l’époque féodale pouvait faire à l’égard de ses vassaux, dans des rapports de domination/soumission et de fidélité.


N’y a-t-il pas eu des cas où les pays concernés par la restructuration de leur dette n’ont pas fait preuve de cette allégeance ?

Je connais un seul cas, qui a pu arriver parce que le scénario ne s’est pas déroulé comme les créanciers l’avaient prévu. C’est le cas de la Bolivie en 2005 qui a bénéficié d’un allègement de sa dette multilatérale dans le cadre de l’IADM [Initiative d’allégement de la dette multilatérale] entreprise par le G8, la Banque mondiale, le FMI et d’autres créanciers multilatéraux, dans le prolongement de l’initiative PPTE. Pour les créanciers, il s’agissait là aussi de faire des concessions aux autorités d’un pays se comportant de manière docile. La Bolivie est un pays qui a été soumis à une « stratégie du choc » à partir de 1985, avec un programme de privatisation massif mis au point avec la collaboration active du FMI, de la Banque mondiale, du Club de Paris et des États-Unis. Au bout d’une douzaine d’années de politiques d’ajustement structurel, la Bolivie se trouvait dans une santé économique défaillante et avait perdu de sa capacité de se relever. C’est dans ce contexte là que le pays a intégré l’initiative PPTE. Et c’est parce qu’il acceptait de poursuivre des politiques d’ajustement qu’il a bénéficié d’un allègement important de ses dettes |12|. Le calcul des créanciers s’appuyait sur le fait que cela allait conforter au pouvoir les partis qui avaient appliqué ces politiques d’ajustement. Or, c’est un outsider, Evo Morales, qui a été élu en tant que candidat d’un mouvement politique de gauche radicale, le MAS [Movimiento al socialismo, Mouvement vers le socialisme]. Le nouveau gouvernement a donc pu bénéficier de l’allègement de dette qui venait d’être octroyé au régime précédent. Il était trop tard pour que les créanciers fassent marche arrière puisque la dette avait déjà été allégée.

Cette restructuration de dette a donc bénéficié au pays et à sa population parce qu’au même moment, a accédé au pouvoir un gouvernement menant des politiques qui tournaient radicalement le dos aux mesures politiques et économiques prônées par les créanciers. C’est important de préciser cela dans le sens où toute une série de pays qui ont obtenu des allègements de dette comparables n’en ont pas fait bénéficier leur économie et leur population puisqu’ils se sont engagés dans 5 ou 10 années supplémentaires d’ajustement structurel. Rappelons que dans tous les cas précités de restructurations de dette contrôlées par les créanciers, ces derniers avaient stratégiquement intérêt à opérer des réductions significatives de dette.


Qu’en est-il de l’Argentine ? Suite à la plus importante suspension de paiement de dette de l’histoire opérée en 2001 par le gouvernement argentin, ce dernier a renégocié sa dette souveraine : quels étaient les termes de cette restructuration ?

Effectivement, en 2005 et en 2010, la dette argentine a été restructurée au travers d’un processus d’échange de titres : d’anciens titres ont été échangés contre de nouveaux. Le contexte était le suivant : fin décembre 2001, les autorités argentines, en l’occurrence le président intérimaire Adolfo Rodríguez Saá, a suspendu unilatéralement le paiement de la dette argentine sous la forme de titres pour un montant de 80 milliards de dollars à l’égard des créanciers privés et du Club de Paris (6,5 milliards de dollars). Signalons qu’il n’a toutefois pas suspendu le paiement de la dette à l’égard du FMI, de la Banque mondiale et d’autres organismes financiers multilatéraux. Cette suspension est intervenue dans un contexte de crise économique et de soulèvement populaire contre les politiques menées depuis des années par une succession de gouvernements néolibéraux, le dernier en date étant celui de Fernando De la Rua. C’est donc sous la pression populaire et alors que les caisses de l’État étaient quasiment vides que les autorités argentines ont suspendu le paiement de la dette.

La suspension de paiement de la dette sous forme de titres souverains a duré de décembre 2001 à mars 2005. Cette suspension a été bénéfique pour l’économie et pour le peuple argentin. De 2003 à 2009, l’Argentine a enregistré chaque année un taux de croissance de 7 à 9%. Certains économistes affirment que la croissance argentine ne s’expliquent que par l’augmentation des prix des matières premières qu’elle exporte. Or il est clair que si l’Argentine avait continué les remboursements les gains réalisés par l’État grâce aux exportations (càd les impôts qu’ils prélèvent sur les bénéfices des exportateurs privés) auraient été destinés au remboursement de la dette.
Entre 2002 et 2005, les autorités argentines ont mené des négociations intenses avec les créanciers en vue de convaincre une majorité d’entre eux d’accepter un échange de titres. Les autorités argentines proposaient d’échanger les titres en cours contre de nouveaux, dotés d’une décote de plus de 60 %, mais s’engageaient en échange à honorer ces nouveaux titres et à garantir un taux d’intérêt intéressant qui, de plus, serait indexé à la croissance du PIB de l’Argentine. Il s’est donc agi d’une restructuration de la dette par échange de titres : 76 % des titres ont été échangés en mars 2005. Ceci était alors considéré comme une majorité suffisante pour se protéger contre les 24 % qui n’avaient pas participé à l’échange. Les autorités avaient annoncé à l’époque que ceux qui ne participeraient pas perdraient tous droits à une restructuration ultérieure de dette.


Mais alors pourquoi l’Argentine a-t-elle opéré une autre restructuration de dette en 2010 ?

En effet, en contradiction avec ces propos, et sous les protestations de Roberto Lavagna, l’ancien ministre de l’économie qui avait participé activement à la restructuration de 2005, le gouvernement argentin a ouvert à nouveau la négociation avec les 24 % des créanciers restants. Ceci a abouti à un nouvel échange de titres en 2010 avec 67 % d’entre eux. Au total, 8 % des titres qui étaient en suspension de paiement depuis 2001 sont restés en dehors de ces deux échanges successifs (2005 et 2010), c’est ce qu’on appelle les « hold out ». Dans ces deux restructurations, outre les caractéristiques des bons échangés citées précédemment, les nouveaux bons de 2005 et de 2010 comportaient une clause dans laquelle l’Argentine acceptait qu’en cas de litige, la juridiction compétente soit celle des États-Unis |13|.


In fine, cette restructuration peut-elle être considérée comme une réussite ? D’autres gouvernements peuvent-ils s’inspirer de la stratégie argentine ?

Cette restructuration a été présentée par les autorités argentines comme une réussite puisque la réduction de la dette (en matière de stock par rapport au montant réclamé au pays) était importante, de l’ordre de 50 à 60 %. Mais en échange, l’Argentine a octroyé de très fortes concessions aux créanciers : des taux d’intérêt importants ; une indexation sur la croissance du PIB, ce qui signifie que le pays acceptait lui-même de perdre une partie des bénéfices de sa croissance puisqu’il en faisait profiter les créanciers ; la renonciation à l’exercice de sa souveraineté en cas de litige.

En réalité, la voie argentine n’est pas celle à suivre, mais elle constitue néanmoins une source d’inspiration. Elle montre l’intérêt de la suspension de paiement et les limites d’une restructuration négociée en faisant d’importantes concessions aux créanciers. On peut en prendre pour preuve la situation d’aujourd’hui.

1° : les montants à rembourser aux créanciers qui ont accepté l’échange sont tout à fait considérables ; les autorités argentines reconnaissent elles-mêmes qu’elles ont remboursé l’équivalent de 190 milliards de dollars de 2003 à aujourd’hui.

2° : la dette argentine a certes diminué en 2005 et 2010, mais elle dépasse aujourd’hui le montant de 2001.

3° : l’Argentine est mise sous pression pour rembourser de manière tout à fait abusive les fonds vautours qui ont refusé de participer à l’échange, suite aux verdicts de la justice américaine – c’est-à-dire pas seulement un juge de New York mais également la Cour suprême des États-Unis – qui a donné raison aux fonds vautours |14|.


Quid de l’Équateur : suite à l’audit intégral de sa dette publique opéré en 2007-2008, le pays a également obtenu une réduction de dette en 2009. Peut-on dans ce cas parler de « restructuration » ?

Non, dans le cas de l’Équateur, il ne s’agit pas d’une véritable restructuration |15|. Il n’y a pas eu d’échange de titres, et surtout il n’y a pas eu de négociation avec les créanciers. C’est une très bonne chose. Les anciens titres n’ont pas été remplacés par de nouveaux. L’Équateur a suspendu unilatéralement le paiement de sa dette publique et a annoncé aux créanciers privés de ces titres, qui s’appelaient bonos Global 2012-2030 |16|, qu’il était disposé à les racheter avec une décote de 65 % et avant une certaine date limite. Ces titres n’existent donc plus aujourd’hui. L’Équateur n’a dès lors pas restructuré sa dette en négociant avec ses créanciers des taux d’intérêts ou la durée de remboursement sur de nouveaux titres.

Ajoutons que l’Équateur a combiné cela avec un audit intégral de la dette publique, qui a précédé la suspension de paiement. Le timing a été le suivant : en juillet 2007 a été créée une Commission d’audit intégral dont j’ai fait partie. Celle-ci a fonctionné jusqu’en septembre 2008, c’est-à-dire 14 mois au cours desquels il y a eu un dialogue entre le gouvernement et les membres de la commission. Cette dernière a remis ses travaux et recommandations au gouvernement et à la Présidence de l’Équateur. Sur cette base, l’exécutif de l’Équateur a décidé de suspendre le paiement d’une partie de sa dette sous la forme de titres, comme mentionné précédemment. Ce n’est qu’ensuite, en 2009, qu’il a imposé aux créanciers une réduction très importante de dette.

Pour donner des chiffres concrets : le Trésor public équatorien a racheté pour moins de 1 milliard de dollars des titres valant 3,2 milliards de dollars. Cela lui a permis d’économiser environ 2,2 milliards de dollars de stock de dette, auxquels il faut ajouter les 300 millions de dollars d’intérêts par an pour la période 2008-2030. Au total, grosso modo, l’Équateur a épargné plus de 7 milliards de dollars. Cela a permis de dégager de nouveaux moyens financiers permettant au gouvernement d’augmenter les dépenses sociales dans la santé, l’éducation, l’aide sociale et dans le développement d’infrastructures de communication.


Faut-il considérer que cette voie bénéficie davantage au pays que celle de l’Argentine ?

Oui, sans aucun doute. On pourrait également se poser la question : est-ce qu’une attitude aussi ferme d’un pays comme l’Équateur l’a empêché d’avoir de nouveau accès aux marchés financiers ? La réponse est négative. Alors qu’en 2009 l’Équateur a imposé à ses créanciers l’effort que je viens de mentionner, moins de 5 années plus tard, le pays émettait de nouveau sur les marchés financiers des titres avec un taux d’intérêt de l’ordre de 7 %, ce qui est nettement inférieur au taux payé par l’Argentine ou le Venezuela (le taux d’intérêt payé par ce pays oscille entre 12 et 15% alors qu’il paye sans interruption ses dettes depuis 1990). Ce qui montre que des actes radicaux n’excluent pas forcément des sources traditionnelles de financement.

Ainsi, dans le cas de l’Équateur, on peut parler d’acte unilatéral souverain de suspension de paiement et de rachat de dette sans négociation, combiné à un audit, qui a abouti à un résultat tout à fait bénéfique pour la population.


Qu’en est-il de l’Islande suite à l’effondrement du système bancaire en 2008 ?

Dans le cas de l’Islande, on ne peut pas non plus parler de « restructuration ». Que s’est-il passé ? Le système bancaire privé islandais s’est effondré en octobre 2008, victime de ses propres aventures financières frauduleuses. Le bilan des banques islandaises représentait plus de 10 fois la production annuelle de richesse de l’Islande ! Le système bancaire islandais avait donc grossi de manière démesurée, à l’instar de l’Irlande, voire de la Belgique à la même époque. Suite à l’effondrement du système bancaire, les autorités islandaises ont mis en faillite ces institutions bancaires privées et ont refusé d’octroyer les 3,5 milliards d’euros exigés par les gouvernements du Royaume-Uni et des Pays-Bas qui avaient spontanément indemnisé ceux de leurs ressortissants qui étaient clients de ces banques islandaises. Il est important de souligner que cette mesure a été prise sous la pression populaire : la mobilisation sociale a en effet été extrêmement forte, s’exerçant à plusieurs reprises à l’encontre de la volonté des autorités du pays. Deux référendums ont été organisés suite à la pression de la rue. Au cours du premier, plus de 90 % des votants ont déclaré qu’ils refusaient qu’on indemnise le Royaume-Uni et les Pays-Bas |17|. Des négociations ont donc débouché sur un nouveau plan d’indemnisation. Celui-ci a de nouveau été rejeté lors d’un second référendum par près de 2/3 des votants. Ce refus d’indemnisation a été combiné à une autre mesure forte prise par les autorités islandaises, à savoir un contrôle très strict sur les mouvements de capitaux. En effet, en guise de réponse à une situation de crise où le pays était menacé d’une fuite massive de capitaux de la part des grandes sociétés capitalistes nationales et étrangères, les autorités islandaises ont interdit les sorties de capitaux. A noter que le FMI a soutenu l’instauration du contrôle strict des mouvements de capitaux ! |18|

Les résultats de ces différentes mesures ont été bénéfiques à l’Islande, qui a connu une récupération économique nettement plus importante que les pays d’Europe qui ont procédé d’une autre manière. À l’instar de l’Irlande ou la Grèce qui ont sauvé leur secteur bancaire au profit des banquiers privés, ont accepté des prêts de la Troïka et une restructuration de leur dette et ont honoré leurs créanciers.

Il est intéressant d’ajouter que dans le cas islandais, la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange [plus communément appelée « Cour AELE » et qui concerne le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande] a donné tort en janvier 2013 au Royaume-Uni et au Pays-Bas qui l’avaient saisie afin d’obtenir une condamnation de l’Islande à payer les compensations qu’ils exigeaient. La Cour de justice a considéré que rien n’obligeait les autorités publiques à assumer les devoirs d’institutions privées islandaises. Cette conclusion est à retenir puisqu’elle pourrait servir de base de jurisprudence pour trancher dans d’autres litiges possibles |19|.

Dans le cas de l’Islande, il ne s’agit donc pas non plus de restructuration de dette, mais bien d’un acte unilatéral souverain de refus de payer des indemnités réclamées par deux puissances économiques beaucoup plus fortes qu’elle.


Tu as mentionné le fait que la Grèce a procédé à une restructuration de sa dette qui ne lui a pas été bénéfique : pourquoi ?

C’est exact. Le contexte est le suivant : à partir de début 2010, la Grèce a été victime d’attaques spéculatives des marchés financiers qui ont exigé des taux d’intérêt totalement exagérés en contrepartie de financement servant à rembourser sa dette. La Grèce était donc au bord de la cessation de paiement parce qu’elle ne parvenait pas à refinancer sa dette à des taux raisonnables. La Troïka est intervenue avec un plan d’ajustement structurel sous la forme d’un « Mémorandum ». Il s’agissait de nouveaux crédits octroyés à la Grèce, à condition qu’elle rembourse ses créanciers : c’est-à-dire avant tout des banques privées européennes, à savoir dans l’ordre les banques françaises, allemandes, italiennes, belges… Ces crédits étaient bien évidemment assortis de mesures d’austérité qui ont eu un effet brutal, voire catastrophique, sur les conditions de vie des populations et l’activité économique elle-même.

En 2012, la Troïka a organisé une restructuration de la dette grecque concernant uniquement les créanciers privés, à savoir des banques privées des États de l’Union européenne qui avaient déjà réussi à fortement se désengager mais conservaient tout de même certaines créances sur la Grèce, et d’autres créanciers privés tels que des fonds de pension de travailleurs grecs. Cette restructuration impliquait une réduction de la dette grecque de l’ordre de 50 à 60 % à l’égard des créanciers privés. La Troïka elle-même, qui avait prêté de l’argent à la Grèce à partir de 2010, a organisé la restructuration de la dette grecque en refusant de réduire les créances qu’elle détenait. Cette opération a été présentée comme une réussite par les médias dominants, les gouvernements occidentaux, le gouvernement grec ainsi que le FMI et la Commission européenne. On a tenté de faire croire à l’opinion publique internationale et à la population grecque que les créanciers privés avaient consenti des efforts considérables pour tenir compte de la situation dramatique dans laquelle se trouvait la Grèce. En réalité, cette opération n’a absolument pas été bénéfique pour le pays en général, et encore moins pour sa population. Après une baisse momentanée de la dette au cours de l’année 2012 et au début 2013, la dette de la Grèce est repartie à la hausse et a dépassé le niveau atteint en 2010-2011. Les conditions imposées par la Troïka ont entraîné une chute dramatique de l’activité économique du pays, le PIB a baissé de plus de 25 % entre 2010 et début 2014. Et surtout, les conditions de vie de la population ont été dramatiquement dégradées : violation des droits économiques et sociaux et des droits collectifs, régression en matière de système de retraite, réduction drastique des services rendus par la santé publique et l’éducation publique, licenciements massifs, perte de pouvoir d’achat… Ajoutons de plus que l’une des conditions à l’allègement de la dette grecque était le changement de droit applicable et de juridiction compétente en cas de litige avec les créanciers. En somme, cette restructuration de dette peut être considérée comme totalement contraire aux intérêts de la population grecque et de la Grèce en tant que pays.


En quoi compares-tu cette restructuration de la dette grecque avec le Plan Brady qui a été déployé dans les pays du Sud suite à la crise de la dette qui a éclaté en 1982 ?

Le Plan Brady |20| a effectivement été mis en place à la fin des années 1980 et a concerné une vingtaine de pays du Sud endettés. Il s’agissait d’un plan de restructuration de dettes avec un échange des créances bancaires contre des titres garantis par le Trésor états-unien, à condition que les banques créditrices réduisent le montant des créances et qu’elles remettent de l’argent dans le circuit. Le volume de la dette a été réduit de 30 % dans certains cas, et les nouveaux titres [les bons Brady] ont garanti un taux d’intérêt fixe d’environ 6 %, ce qui était très favorable aux banquiers. Le problème était ainsi réglé pour les banques et repoussé pour les débiteurs.

On retrouve les mêmes ingrédients au sein du Plan Brady que dans les restructurations de dettes imposées à la Grèce, mais aussi à l’Irlande, au Portugal et à Chypre.

1° : Le Plan Brady, tout comme les Mémorandums imposés aux pays de la « périphérie » de l’Union européenne, ont en commun le fait que les autorités publiques des grandes puissances et des institutions internationales remplacent comme principaux créanciers les banques privées. Tous ces plans visent donc à permettre aux banques privées de se retirer comme créanciers principaux des pays concernés et de s’en tirer à bon compte, en étant remplacées par les pouvoirs publics des grandes puissances créancières et par des institutions multilatérales comme le FMI. C’est exactement ce qui s’est passé dans le cadre du Plan Brady. En Europe, c’est la Commission européenne, le Mécanisme européen de stabilité [MES], la BCE et le FMI qui ont, en tant que créanciers, remplacé progressivement et massivement les banques privées et les autres institutions financières privées.

2° : Toutes ces opérations sont bien évidemment accompagnées de conditionnalités qui imposent la mise en œuvre de politiques d’austérité et d’orientation néolibérale extrêmement dures.

3° : L’autre point commun, c’est l’échec de ces restructurations pour les pays débiteurs. Dans le cadre du plan Brady, même des économistes néolibéraux comme Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart |21| reconnaissent que celui-ci n’a pas été bénéfique pour les pays concernés : les réductions de dette ont finalement été beaucoup plus faibles que ce qui avait été annoncé et, sur le long terme, le montant total de la dette a augmenté et les montants remboursés sont considérables. On peut en dire autant aujourd’hui de la Grèce, de Chypre, du Portugal et de l’Irlande.


En somme, si la restructuration de dette n’est pas la solution, quelle voie préconises-tu pour que les États puissent résoudre le problème de la dette ?

« Restructurer » signifie remodeler, sans toucher à la structure. « Répudier », en revanche, implique une rupture, un refus de quelque chose. Il s’agit pour les États de poser des actes souverains unilatéraux : 1° en réalisant un audit intégral de la dette – avec une participation citoyenne active ; 2° en suspendant le paiement de celle-ci ; 3° en refusant d’en payer la part illégitime ou illégale ; 4° en imposant une réduction du reliquat. La réduction du reliquat [c’est-à-dire de la part restante, après annulation de la part illégitime et/ou illégale] peut s’apparenter à une restructuration, mais en aucun cas elle ne pourra isolément constituer une réponse suffisante.


Que se passe-t-il si un gouvernement entame des négociations avec les créanciers en vue d’une restructuration sans suspendre le paiement de la dette ?

Sans suspension de paiement préalable et sans audit rendu public, les créanciers se trouvent en situation de domination. Or il ne faut pas sous-estimer leur capacité de manipulation, qui amènerait les gouvernements à faire des compromis inacceptables. C’est la suspension du paiement de la dette en tant qu’acte souverain unilatéral qui crée le rapport de force avec les créanciers. De plus, une suspension force les créanciers à se montrer. En effet, quand il s’agit d’affronter les détenteurs de titres, s’il n’y a pas de suspension ceux-ci agissent de manière masquée, opaque car les titres ne sont pas nominatifs. Et c’est seulement en faisant basculer ce rapport de force que les États créent les conditions pour pouvoir imposer des mesures qui fondent leur légitimité sur le droit international et et sur le droit interne.


Dans ce cas, le gouvernement pourrait entamer une négociation afin de démontrer à l’opinion publique que les créanciers adoptent une position inacceptable et qu’il ne lui reste pas d’autre issue que d’opter pour une action unilatérale ?

Oui, mais cette démarche comporte un risque. Il n’est pas exclu que les créanciers fassent traîner la négociation et réussissent à créer de la confusion dans l’esprit de la population en faisant passer le gouvernement pour intransigeant et en gagnant un maximum de temps, alors que le pays a besoin d’une solution d’urgence et ne peut pas se permettre de vider ses caisses pour payer la dette.

Définir le moment opportun pour décréter la suspension du remboursement de la dette correspond aux conditions spécifiques de chaque pays : état de la conscience de la population, situation d’urgence ou non, chantage ou non des créanciers, situation économique générale du pays… Dans certaines circonstances, l’audit peut précéder la suspension de paiement ; dans d’autres, les deux actions doivent se dérouler simultanément.

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Luther King : plus radical qu’on ne le croit ?

Article inédit, en français, pour le site de Ballast L’historien américain Thomas J. Sugrue entend, d’un même élan, briser la légende persistante dans les milieux militants (Luther King ne serait qu’un bourgeois bonne pâte, un Oncle Tom prêt à tous les compromis) et la récupération éhontée dont il fait désormais l’objet, jusque dans les rangs de ceux qui l’auraient … Lire la suite

Entretien avec Angela Davis

Entretien paru dans le n°1 de Ballast Née en 1944 en Alabama, Angela Davis est devenue – sans vraiment le vouloir, confia-t-elle dans ses mémoires – l’une des principales figures du Mouvement des droits civiques américains. Opposante à la guerre du Vietnam, membre du Parti communiste, marxiste, féministe et proche du philosophe Herbert Marcuse, Davis fut inculpée en 1971 – l’État de Californie l’accusant d’avoir pris … Lire la suite

Qu’est ce que ça fait d’être un problème ?

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Qu’est ce que ça fait d’être un problème ?

Pour remédier à « l’aveuglement général devant les sources de la violence qui a frappé » Paris les 7, 8 et 9 janvier, et qui voudrait qu’il s’est agi avant tout d’un problème « musulman », « il est indispensable de revenir aux faits et d’adopter une analyse profane de la violence politique », affirme un groupe d’universitaires parmi lesquels Nacira Guénif-SouilamasAbdellali Hajjat et Marwan Mohammed.

« Qu’est ce que ça fait d’être un problème ? » écrivait le sociologue noir W. E. B. Dubois en 1903. C’est la question lancinante que se posent, depuis une trentaine d’années, les (présumés) « musulmans » français et étrangers vivant en France et en Europe. Le massacre à Charlie Hebdo et la prise d’otages antisémite et meurtrière, perpétrés par un commando armé de trois combattants français se réclamant d’Al Qaïda et de l’organisation « État islamique », ne font qu’exacerber des tensions politiques et sociales déjà existantes dans la société française. Pour certains, ces tueries ne seraient que la concrétisation macabre des prophéties littéraires et journalistiques qui perçoivent la « communauté musulmane » comme « un peuple dans le peuple », dont la présence problématique ne peut se résoudre que par la « remigration », concept euphémisant voulant dire « expulsion ». Pour d’autres, s’il est important de ne pas faire d’amalgame entre islam et terrorisme, il n’en reste pas moins que la solution à cette violence serait la « réforme de l’islam » que devraient (enfin) entamer les théologiens et responsables musulmans.

Ces deux grilles d’interprétation des tueries se trompent sur un fait social majeur : « la communauté musulmane n’existe pas », comme le rappelle justement Olivier Roy. Les organisations musulmanes ne représentent pas les présumés musulmans. Les présumés musulmans constituent une population diverse en termes de classes sociales, de nationalité, de tendances politiques et idéologiques, etc. pluralité qui est complètement écrasée par les injonctions à la « désolidarisation », néologisme qui suppose une solidarité cachée entre les tueurs et les supposés musulmans. Autrement dit, les présumés musulmans sont aussi des présumés coupables, même lorsque l’un d’entre eux est un policier assassiné froidement et un autre un ancien sans-papiers ayant sauvé plusieurs vies dans le supermarché casher. Les présumés musulmans font ainsi face à une situation terrible : ils seraient la source du problème parce que musulmans et se voient dans le même temps sommés de se « désolidariser » publiquement en tant que musulmans… Ils sont ainsi animés d’une double indignation : l’une qui condamne les tueries et compatit avec les familles des victimes, et l’autre qui refuse l’injonction diffamante à la « désolidarisation ».

Si ces deux types de discours se sont imposés en France, c’est parce que les immigrés d’hier sont devenus les présumés musulmans d’aujourd’hui. Après le « problème de l’intégration des immigrés », nous sommes passés au « problème musulman », dont l’enjeu est pourtant identique : ont-ils la légitimité de vivre sur le territoire français ? On ne conçoit pas que l’expulsion des chômeurs français soit la solution du « problème du chômage », mais elle est ouvertement envisagée lorsqu’il s’agit du « problème musulman ». Il existe donc une vérité inavouable lorsqu’on réduit l’identité des présumés musulmans à leur islamité. La chose n’est pas nouvelle : ils ne seraient que des Français de papier, qui mériteraient d’être expulsés même s’ils ont la nationalité française.

On ne peut dès lors que s’interroger sur l’aveuglement général devant les sources de la violence qui a frappé la capitale. L’émotion nationale et internationale soulevée par les tueries tend à disqualifier les chercheurs en sciences sociales et les journalistes qui déconstruisent les mécanismes de production de cette violence (François Burgat, Olivier Roy, Farhad Khosrokhavar, Dietmar Loch, Vincent Geisser, Ahmed Boubeker, Samir Amghar, Mohamed-Ali Adraoui, Valérie Amiraux, Romain Caillet, etc.). Ils sont discrédités pour leur « angélisme », leur « politiquement correct » et leur « incapacité à voir la réalité en face ». La conjoncture historique ressemble à celle de l’après 11-Septembre, où les journalistes de bureau et philosophes de plateaux donnaient des « leçons de terrain » aux politistes, sociologues et journalistes qui menaient depuis des années des enquêtes sur les groupuscules violents à référence islamique. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité même de produire un discours rationnel, fondé empiriquement, à l’heure où les islamophobes de tout poil profitent de la fenêtre d’opportunité pour imposer le retour de l’idée de « choc des civilisations ».

Après la mise à l’index des présumés musulmans, ce sont les journalistes et militants ayant supposément dénoncé l’islamophobie de Charlie Hebdo qui sont cloués au pilori. Ceux-ci seraient « responsables » des tueries et devraient rendre des comptes, comme si les tueurs s’étaient inspirés de leurs articles et communiqués pour mener leur opération. C’est leur attribuer une surface médiatique qu’ils n’ont pas, tant l’accès à l’arène publique est sélective et témoigne d’une asymétrie persistante dans les régimes de prise de parole. C’est méconnaître les véritables influences idéologiques du commando, à chercher dans les écrits des cheikhs de la nébuleuse d’Al Qaïda. Le raisonnement sous-jacent à cette accusation relève du sophisme : défendre la ligne éditoriale du journal et attaquer ceux qui ont pu la critiquer, c’est prendre acte du fait que la tuerie pourrait éventuellement être justifiée par la nature de cette ligne éditoriale. Il semble que l’émotion l’emporte sur la raison et il y a un risque de censurer toute parole universitaire, journalistique et militante qui dénonce l’islamophobie, phénomène social qui existe réellement. Le risque est que cette responsabilité collective devienne une punition collective : tous ceux qui « ne sont pas Charlie » seraient des ennemis en puissance.

Pour éviter cet aveuglement morbide qui ne peut qu’alimenter une escalade de la violence déjà illustrée par la multiplication des actes islamophobes, il est indispensable de revenir aux faits et d’adopter une analyse profane de la violence politique. Ces combattants ne sont pas les seuls à user de la violence : d’autres groupes le font au nom d’autres idéologies et dans le cadre d’autres conflits. Il faut absolument déspécifier la violence commise par les combattants à référence islamique pour en saisir les mécanismes profonds et, si l’on est responsable politique, tâcher de la prévenir. La question qui se pose est dès lors la suivante : comment entre-t-on dans cette « carrière » de combattant ? Quelles sont les conditions de possibilité de la violence politique ? Les trajectoires des membres du commando nous donnent quelques indications : leur combat prend d’abord sa source dans les bourbiers géopolitiques provoqués par les interventions militaires occidentales avant et après le 11-Septembre (Syrie, Yémen, Irak, etc.). Après avoir été soutenus par les États-Unis contre l’Union soviétique, les « combattants de la liberté » qu’étaient les Talibans et les futurs cadres d’Al Qaïda ont pris pour cible leurs anciens alliés étasuniens après la chute du Mur. Ils ont imposé en Afghanistan leur ordre politico-religieux à l’aide de puissances étrangères et constitué un havre pour tous les combattants du monde partageant leur idéologie et voulant apprendre facilement les techniques d’exécution et de destruction. Plusieurs générations de combattants ont été formées dans les camps d’entraînement afghans. La « bête immonde » est l’enfant des interventions occidentales, s’est nourrie des conflits de pouvoir en Algérie, en Tchétchénie, en Bosnie, etc., mais elle a frappé au cœur des puissances occidentales en 1995 à Paris, en 2001 à New York, en 2004 à Madrid et en 2005 à Londres. Après l’accumulation de capital militaire depuis les années 1970, une vague de violence sans précédent s’abat sur les puissances occidentales, perpétrée par des combattants aguerris. Alors que ces groupes violents étaient confinés à quelques pays, la « guerre contre le terrorisme » a favorisé leur multiplication dans des pays jusque-là épargnés ou moins concernés : Irak, Syrie, Lybie, Yémen, Mali, Pakistan, etc. Une nouvelle génération, incarnée par les leaders de l’organisation « État islamique », se forme militairement dans le combat contre l’occupation occidentale, se radicalise dans ou à la vue des geôles d’Abu Ghraib et de Guantanamo et circule dans un véritable réseau transnational allant de l’Afrique à l’Asie. Autrement dit, la première source de la violence politique à référence islamique réside dans la violence d’État au Moyen-Orient et les conséquences désastreuses des guerres menées précisément au nom de la « lutte contre le terrorisme ».

Tarir la source internationale est sûrement la tâche la plus difficile : comment mener une politique étrangère française fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et sur le (véritable) respect des droits humains, sans remettre en cause les alliances avec les régimes autoritaires dans le monde arabe et en Afrique, la politique coloniale israélienne et les intérêts des multinationales françaises ?

La seconde source de la violence est liée à l’anomie sociale qui s’aggrave dans les quartiers populaires français. Contrairement à ce que sous-entend l’injonction islamophobe de la « désolidarisation », les trois membres du commando sont en quelque sorte des « électrons libres » avec de faibles attaches personnelles et affectives, produits de ruptures biographiques traumatisantes, de la désaffiliation sociale et des inégalités structurelles, qui les ont plongés dans le monde de la délinquance et des groupuscules violents. Ces électrons libres se sont « désolidarisés » de leurs pairs, notamment la famille élargie et les fidèles de la mosquée locale, n’ont pas été « repris » par les structures d’assistance éducative, et ont été magnétisés par des prêcheurs convaincus de l’imminence du « choc des civilisations », alliés objectifs de leurs pendants néoconservateurs. Ces enfants des classes populaires ont incorporé un haut niveau de violence sociale, faisant d’eux des écorchés vifs, et ne trouvent plus de sens à leur existence dans les structures traditionnelles, mais dans une idéologie nihiliste et mortifère qui leur promet puissance et reconnaissance et reste ultra-minoritaire dans les quartiers populaires.

On peut distinguer de multiples tendances dans le paysage islamique en France : les mosquées non-affiliées, les grandes organisations proches des pays d’origine (Maghreb et Turquie), de confréries ou des Frères musulmans, le Tabligh, les « salafistes » piétistes et apolitiques, les soufis, etc., et enfin, les groupuscules violents dits « takfiristes ». Tous les jours, des habitants, des militants et des responsables politiques locaux luttent à bas bruit, sans faire la Une de l’actualité, contre l’influence de ces groupuscules violents. Ainsi, les membres du « réseau des Buttes Chaumont », dont les frères Kouachi, s’étaient fait exclure des manifestations pro-palestiniennes par les militants de l’immigration et antifascistes au début des années 2000. Ironie de l’histoire : ce sont ceux qui se sont hier opposés sur le terrain aux groupuscules violents qui sont aujourd’hui pointés du doigt lorsqu’ils dénoncent l’islamophobie… L’existence et le maintien de ces groupuscules violents sont donc directement liés aux rapports de force internes aux classes populaires : s’ils ont une influence sur certains électrons libres, c’est parce que les autres forces politiques, notamment celles des héritiers des marches pour l’égalité et contre le racisme, sont en perte de vitesse et laisse un relatif vide politique d’où émergent les candidats à l’horreur. Ce phénomène s’appuie aussi sur la facilité déconcertante d’acheter des armes de guerre venant de l’ex-URSS et la mobilisation constante des réseaux takfiristes pour recruter sur les réseaux sociaux, transmettant une idéologie et un savoir-faire militaire au delà des frontières.

Tarir la source française n’est pas chose aisée non plus. Elle consisterait à attaquer les inégalités économiques et sociales, les écarts scolaires, la disqualification politique, le racisme endémique, la stigmatisation territoriale, aux sources de la violence sociale et de la délinquance, et promouvoir une politique de l’égalité réelle pour les abonnés du bas de l’échelle sociale.

Les conditions de possibilité de la violence politique de janvier 2015 sont multiples. Les analyses des chercheurs en sciences sociales mériteraient d’être mieux écoutés par les responsables politiques. Or ce sont les experts ès « islam-et-terrorisme » qui ont l’oreille complaisante du prince, de ses conseillers et des médias. Les défaillances des services de renseignement, qui avaient repéré et auditionné les tueurs, semblent être occultées par l’aura de leur « neutralisation ». Les premières réactions politiques semblent aller dans le sens du pire : voter un « Patriot Act à la française » alors qu’une loi liberticide sur le terrorisme a déjà été votée il y a deux mois ; relancer le débat sur la peine de mort ; cibler l’« ennemi intérieur » musulman inassimilable, etc. On peut s’attendre que certains voudront remettre en cause le droit du sol. En bref, les leçons de la politique post 11-Septembre semblent ne pas avoir été retenues : la violence politique se nourrit de la violence d’État et de la violence sociale.

Chadia Arab, chargée de recherche au CNRS
Ahmed Boubeker, professeur à l’Université de Saint-Étienne
Nadia Fadil, professeure assistant à l’Université catholique de Louvain
Nacira Guénif-Souilamas, professeure à l’Université Paris 8
Abdellali Hajjat, maître de conférences à Université Paris-Ouest Nanterre
Marwan Mohammed, chargé de recherches au CNRS
Nasima Moujoud, maîtresse de conférences à l’Université de Grenoble
Nouria Ouali, professeure assistant à l’Université Libre de Bruxelles
Maboula Soumahoro, maître de conférences à l’Université de Tours

Source

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Violence policière raciste au Portugal

Violence policière raciste au Portugal – 8 Février 2015 Le 5 Février 2015, en début d’après-midi – selon les informations relayées par l’observatoire du contrôle et de la répression(1) au Portugal, par le site internet esquerda.net(2) et par plusieurs reportages(3) – une patrouille spéciale (SIR – Serviço de Intervenção Rápida) de la police de Alfragide … Lire la suite

La police fut créée pour contrôler les pauvres et les classes ouvrières.

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La police fut créée pour contrôler les pauvres et les classes ouvrières.
Par Sam Mitrani
Dans la plupart des discussions libérales sur les récents meurtres de policiers sur des hommes noirs désarmés, il est supposé que la police est censée protéger et servir la population. C’est après tout, ce pour quoi elle a été créée. Si seulement des relations normales, décentes entre la police et la communauté pouvaient être rétablies, ce problème serait résolu. Les gens pauvres sont plus susceptibles d´être victimes de crimes que les autres, si nous suivons ce raisonnement, ils ont plus besoin que quiconque de la protection policière. Peut être y a-t-il quelques mauvaises pommes, mais si seulement la police n´était pas aussi raciste, ou ne menait pas de politiques de fouille corporelle, ou n´avait pas peur des noirs, ou tuait moins d´hommes désarmés, ils pourraient fonctionner comme un service utile dont nous aurions tous besoin.

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Pour la liberté égalitaire de s’exprimer, de contester et de dénoncer le racisme d’état, l’islamophobie, la négrophobie.

« Le mensonge prend toujours l’ascenseur. La vérité, quant à elle, emprunte l’escalier et finit toujours par arriver. » Proverbe kinois.

Pour la liberté égalitaire de s’exprimer, de contester et de dénoncer le racisme d’état, l’islamophobie, la négrophobie.

Dimanche 18 janvier à 13h00 au Pianofabriek, rue du Fort à 1060 Bruxelles.

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Outre les silences de l’école sur l’histoire, reflétant un récit national faisant l’impasse sur les apports de la colonisation, et donc du Congo, doit-on voir dans le refus de reconnaître la parole des Belges d’origine immigré, une continuité avec la politique coloniale dont les logiques ségrégatives refusèrent de penser l’intégration des indigènes dans l’espace social, économique et culturel ?

Contre l’offensive médiatique libérale de grande ampleur visant par la manifestation du 11 janvier à nous détourner des véritables responsabilités et à absoudre la violence des politiques menées par les pays occidentaux.

Pour la liberté égalitaire de s’exprimer, de contester et de dénoncer le racisme d’état, l’islamophobie, la négrophobie.

Maintenant que le temps de « l’émotion » est passé, il est plus que temps de regarder devant nous.
Comment analyser les mouvements massifs qui ont eu lieu, et surtout comment construire notre intervention dans les semaines et mois qui viennent ?

De nombreuses questions seront abordées :

• Quid des responsabilités du drame parisien ? (gouvernements occidentaux, école, médias, prisons…)
• Qui est « Charlie » ? Différentes interprétations des manifestations du 11 janvier ?
• Liberté d’expression ? Pour qui ? Qui en est privé ?
• Comment inciter à dépasser le stade de l’émotion pour passer à la nécessaire réflexion et à l’action concrète de défense des droits fondamentaux ?
• Les musulman.e.s de France, de Belgique (et d’ailleurs en Europe) principales victimes des actes commis par des terroristes se réclamant de l’Islam (multiplication dramatique des actes visant les lieux de culte musulman, etc…). Les événements parisiens vont-ils constituer un frein pour celles et ceux qui luttent légitimement contre l’islamophobie ? Quels sont ces freins ? Comment les dépasser ? …

• L’invisibilité voire la négation de la négrophobie en sociétés occidentales et comment lutter/s’émanciper contre ce phénomène, susceptible d’être réactivé à partir d’amalgames faits entre l’origine africaine du terroriste Amedy Coulibaly et celle de citoyens français et belges d’apparence négro-africaine ?

Il s’agira ce dimanche de se réunir (discussion interactive intervenants – public) pour aborder ensemble ces questions et réfléchir aux perspectives d’avenir et d’articulation de ces luttes légitimes que nous menons contre toutes les formes de racisme et de discrimination.

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Solidariteit met het Griekse volk / Solidarité avec le peuple grec:

Manifestatie voor steun aan het Griekse volk.Afspraak morgen, zaterdag 17/1, om 14u in Brussel aan het Madouplein. Oproep: Juncker, Tusk, Michel, Samaras: wij verwerpen uw besparingsbeleid! In België zijn we volop gewikkeld in de strijd tegen de neoliberale regering Michel. Maar het laat ons ook niet onberoerd dat er chantage en terreur uitgeoefend wordt door … Lire la suite

Signez l’appel « Reprenons l’initiative, contre les politiques de racialisation

L’appel ! Reprenons l’initiative ! APPEL CONTRE LES POLITIQUES DE RACIALISATION Nous assistons actuellement à une régression idéologique : l’antiracisme se réduit trop souvent à un combat contre le racisme individuel à l’occasion de « dérapages » qui se multiplient effectivement. C’est minimiser la réalité du racisme systémique, c’est-à-dire, au-delà des idéologies racistes, des discriminations … Lire la suite