« Nous avons la prétention de resocialiser des individus en leur imposant la pire des vies sociales qu’on puisse imaginer (1) » (C. Demonchy). Dans sa déclaration de politique fédérale au volet Justice et Affaires intérieures du 17 octobre 2006, le gouvernement se fixait comme « défi » pour 2007 « l’indispensable mobilisation de tous les niveaux de pouvoirs concernés pour œuvrer à la réinsertion sociale des détenus en misant plus encore sur la formation par exemple« . En 2012, le défi n’a pas été relevé. Les missions des services sociaux et psycho-sociaux des prisons ont été réduites. Dans l’opinion publique, on observe un désintérêt pour le développement de l’éducation dans les prisons, ce qui se traduit par une opposition à l’affectation de moyens financiers et humains pour améliorer les conditions de vie des personnes incarcérées. L’état de carence du système pénitentiaire et le contexte économique s’opposent à la réinsertion. Le casier judiciaire et l’absence de diplômes rendent la recherche d’un emploi très difficile. Sans argent et sans travail, il est impossible de se loger. Faute de budget, nous dit-on, mais pour construire de nouvelles prisons, l’argent est là (un milliard d’euros pour la construction de ces nouveaux établissements semi-privatisés). Lors d’un débat sur Canal C en mai 2012 sur le thème « La prison est-elle utile ? » Eric Delchevalerie, directeur de la prison de Namur et ancien directeur de la prison d’Andenne, vingt ans d’expérience carcérale, concluait : « La réinsertion n’a jamais été la priorité des prisons [ ] et elle ne le sera jamais« , alors que la fonction de resocialisation fait partie, d’après l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de leurs missions. Parler de réinsertion a d’ailleurs quelque chose de paradoxal dans la mesure où ces personnes n’ont jamais été réellement insérées dans la société. Leur passé est marqué par l’exclusion sociale : faible niveau d’éducation, chômage, assuétudes, problèmes familiaux Faute de réinsertion réussie, la récidive est une réalité. En Belgique, l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) a publié les résultats d’une enquête sur le taux de récidive. Pour les personnes en régime normal, le taux est de 45,6 %; celles sous surveillance électronique ont un taux de récidive moindre, soit 36,1 %; pour celles en semi-liberté (travail à l’extérieur avec réintégration de la prison le soir), le taux est de 47 %. En 2011, il y a eu trois cent quarante-trois libérations conditionnelles alors que les détenus ayant accompli leur peine jusqu’à la fin sont au nombre de cinq cent soixante-huit ! Cette comparaison est révélatrice du manque de préparation à la réinsertion. Lorsque le professeur Lieven Dupont, qui est à l’origine de la loi qui porte son nom, propose de réduire le « traumatisme carcéral », ce n’est pas le seul intérêt des détenus qui est visé, mais celui de la société tout entière. Les 130 euros que coûte quotidiennement un détenu en prison ne représentent qu’une infime partie du coût d’une non-réinsertion. Pour les détenus, le prix financier et humain est immense, mais, pour la société, la criminalité peut constituer un coût important en termes de réparation des dégâts commis et en frais de sanction et représente une menace importante contre l’ordre social et la cohésion. La peine doit avoir un sens et cela passe par une mission psycho-sociale et éducative. On devrait outiller les détenus, leur faire découvrir leur potentiel et leurs qualités, leur apprendre ce que sera leur vie une fois dehors (gestion d’un budget, contacts avec les diverses administrations) afin qu’ils ne soient plus des assistés sociaux. Car, pour moi, une des causes de la récidive est l’infantilisation du détenu : on l’assiste et il ne parvient plus à prendre des initiatives. En ce qui concerne le domaine professionnel, une formation effectuée en détention avec des simulations d’entretien d’embauche donnerait davantage confiance au détenu pour vaincre la peur de son futur employeur. Il serait utile de l’initier également à Internet pour des recherches d’emploi, de logement Enfin, la remise en question par le détenu se fait via la justice restauratrice, un service d’aide aux justiciables mal connu en prison (comme l’ASBL Médiante, subventionnée par le ministère de la Justice). Or la justice restauratrice est une triangulation « société, victime, agresseur ». Il reviendrait plutôt aux associations sociales officielles (et non aux ASBL) d’organiser la médiation : la justice restauratrice doit être une justice parallèle à la justice pénale (2). Mon expérience de dix-neuf années de détention où je suis passé par dix établissements pénitentiaires différents me fait dire que les deux prisons semi-ouvertes que sont Marneffe et Saint-Hubert devraient pouvoir accueillir les détenus en congé ou en permission pour une préparation à la réinsertion. Les détenus sont des gens comme tout un chacun. Sauf qu’à un moment, leur vie a basculé dans la transgression et l’illégalité. Il ne sert à rien de rappeler que tout le monde est en sursis face à l’envers du décor. Dès lors, ne sommes-nous pas tous concernés par leur sort, véritable reflet de notre société ? Aujourd’hui, chaque citoyen se doit de comprendre ce qui se passe derrière « les hauts murs », de poser un regard nouveau sur les personnes incarcérées et d’exiger qu’elles soient traitées avec dignité dans ces lieux où notre société les a mises à l’écart. Les aider aussi à se remettre debout, à réparer et à se réintégrer dans la vie courante après leur sortie. En Belgique, à l’exception de quelques cas, tous les détenus sortent un jour de prison. Les médias et le monde politique portent une part de responsabilité si l’on vit dans une société axée prioritairement sur la sécurité. Si une partie du budget consacré à la sécurité était affectée à la réinsertion, il y aurait davantage d’acteurs sociaux en prison et à l’extérieur de celle-ci pour l’accompagnement des ex-détenus et il y aurait beaucoup moins de récidives. Comme le disait Socrate, la seule chose qu’on ne peut pas enlever à un homme, c’est son espoir. Si vous enlevez tout espoir à un homme, il faudra se préparer à en subir les conséquences. Car le désespoir conduit au néant ! Je tiens vivement à remercier Luk Vervaet et Gérard De Coninck pour leur aide et leur soutien. (1) C. Demonchy, « La réinsertion des personnes détenues« , http://prisons.free.fr/reinsertion.htm. (2) Jean-Pierre Malmendier, Jean-Marc Mahy, Anne-Marie Pirard, « Après le meurtre, revivre », Editions Couleurs livres.
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