Franco Lollia condamné en appel.
Et pour le dire autrement, un militant antiraciste condamné pour acte antiraciste.
Colbert, Léopold II et les monuments à la con : soutien à Franco Lollia
Il paraît qu’on ne touche pas aux statues. C’est sacré.
On peut tabasser un Noir ou un Arabe, mutiler un Gilet Jaune, tuer dans un commissariat, expulser un sans-papiers…
Mais malheur à qui ose peinturlurer un bout de bronze colonial ! Là, c’est le grand tremblement.
Colbert a reçu un peu de peinture ? Alerte rouge. Patrimoine en danger. Mémoire profanée ! Qu’on sorte les juges, les chroniqueurs, les chiens de garde de la mémoire blanche.
Colbert en France. Léopold II chez nous.
Même combat : la mémoire des bourreaux trône fièrement pendant que les militant·es antiracistes récoltent des condamnations, des amendes, des gaz dans le visage et des injonctions à l’apaisement.
C’est ça, la paix coloniale : la paix pour les statues, la guerre pour les vivants.
Dans ce contexte, la condamnation en appel de Franco Lollia, militant historique de la Brigade-collectif Antinegrophobie, pour avoir symboliquement repeint la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale, est un acte politique. Une vengeance d’État contre les porteurs de mémoire noire.
Franco n’a pas détruit l’histoire. Il a exposé sa monstruosité.
Il n’a pas vandalisé la République. Il a gratté son vernis.
Colbert n’est pas un artisan du droit. C’est l’architecte du Code Noir.
Un texte qui a légalisé l’esclavage, organisé la déshumanisation, légiféré l’enfer.
Et on voudrait que nous, enfants des colonies, petits-fils de la chicotte, on le respecte ?
On nous dira :
« Mais la Belgique n’a jamais eu de Code Noir ! »
Non. Elle a eu des mains coupées et une colonie privée comme d’autres ont un yacht. Léopold II a tué plus de Congolais que toute la population belge actuelle.
Mais il a encore des statues dans nos villes, des parcs à son nom, des avenues bien propres pour rappeler à l’ordre colonial son éternité.
Fanon nous avertissait déjà : « Un pays colonialiste est un pays raciste. »
Alors franchement, que Franco tague Colbert, ce n’est pas un crime : c’est un service public. Une forme de contextualisation urbaine.
Ce qui est jugé ici, ce n’est pas une dégradation matérielle : c’est une insoumission. Le refus de s’agenouiller devant l’histoire officielle. Le droit d’être noir·e, en France, sans devoir honorer ses bourreaux.
Franco Lollia n’a pas vandalisé un patrimoine, il a dénoncé une imposture.
Dans un monde antiraciste, on honore les résistants, pas les esclavagistes.
Dans un État où les statues coloniales valent plus que nos vies, résister, c’est vital.
Et ce que subit Franco aujourd’hui — cette criminalisation de l’antiracisme politique, cette traque — on la connaît ici aussi.
En Belgique, et j’imagine en France, on peut manifester contre le racisme, mais pas trop fort.
On peut parler de colonialisme, mais seulement si c’est « pédagogique ».
On peut être antiraciste, mais surtout pas radical.
On nous veut sociables, pas subversifs. Intégrés, pas enragés.
Tu peux être Noir ou Arabe, mais humoriste, footballeur, conteur ou griot dans une ASBL.
Mais Noir/Arabe et révolutionnaire ? Ah non, là, c’est dangereux. Là, tu deviens un problème.
On ne tolère l’antiracisme qu’à condition qu’il soit inoffensif, blanc, apolitique — c’est-à-dire incapable de remettre en cause l’ordre racial national.
La condamnation de Franco Lollia s’inscrit dans une stratégie de l’État français de discipliner et délégitimer l’antiracisme autonome noir, surtout quand il refuse les compromis républicains.
Autrement dit, ce n’est pas tant l’acte que l’identité de celui qui agit qui est visée.
Que ce soit en Belgique ou en France, on notera l’acharnement judiciaire envers des militant·es antiracistes pendant que les actes islamophobes ou négrophobes, ou les discours suprémacistes, se déploient librement.
Cela traduit une volonté de maintenir l’ordre racial par la punition des contre-discours des Noirs, Arabes, Musulman·es.
Franco Lollia n’a ni volé, ni tué, ni agressé. Il a peint une statue.
Il a troublé une paix publique érigée sur l’oubli des crimes coloniaux.
Et pour cela, il est condamné par une justice qui protège les statues plus que les vivants.
Ce que ce procès juge réellement, c’est l’audace d’un homme noir refusant de se taire face à la négrophobie d’État.
Ce que démontre cette affaire, c’est que l’antiracisme acceptable est celui qui ne dérange pas.
Celui qui ne bouscule ni l’ordre symbolique ni les privilèges structurels.
Mais dès qu’un acte politique ose ébranler les fondations de la suprématie blanche — ici incarnée dans une statue de Colbert —, l’État réagit avec une brutalité qui en dit long sur ce qu’il défend réellement : un ordre racial.
Alors moi je dis :
Merci Franco.
Merci d’avoir sali un monument à la con.
Merci de rappeler que les statues, ce n’est pas de l’histoire : c’est de la propagande.
Merci de nous rappeler que nos ancêtres n’étaient pas des Gaulois, mais des esclaves, des colonisés, des expropriés. Et qu’on n’a toujours pas digéré.
Franco, tu n’as rien vandalisé. Tu as décolonisé le décor.
Et à tous ceux qui disent :
« Ce n’est qu’une statue… »
Non. Ce n’est pas « qu’une statue », c’est l’ordre racial figé dans le bronze.
Solidarité depuis Bruxelles Panthères.
Avec toi, Franco. Avec la Brigade Anti Négrophobie.
—
Nordine Saïdi
Bruxelles Panthères
« La liberté, la justice et l’égalité, par tous les moyens nécessaires ! » Malcolm X
« L’égalité ou rien » Edward Said
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