Est-il acceptable que la tenue d’une conférence portant sur la résistance palestinienne entraîne la descente d’une brigade anti-terroriste dans un lieu culturel et dans la rédaction d’un média ?
ZIN TV
Analyser les enjeux fondateurs qui sous-tendent la situation actuelle en Palestine est une entreprise d’intérêt général. Il est évident que le débat public est actuellement influencé par certains effets de cadrage et des mécanismes de légitimation/délégitimation qui doivent être mis en perspective. ZIN TV travaille depuis de longues années sur ces mécanismes de propagande. Nous sommes même subsidiés pour accomplir ce travail et pour le promouvoir. La nécessité d’entendre d’autres récits que celui proposé par la diplomatie israélienne est pour le moins légitime. Pourtant, les propositions d’analyses qui s’écartent du récit imposé depuis le 7 octobre 2023, sont silenciées, criminalisées, accusées de faire l’apologie du terrorisme ou de l’antisémitisme.
Face à ce manque de pluralité médiatique, il nous semblait important de soutenir l’expression de voix qui ne s’inscrivent pas dans ce « bruit médiatique ».
En ce sens, dans le cadre de la Permanence Vidéo des Luttes Sociales, nous avons documenté depuis les premières mobilisations la solidarité populaire exemplaire qui s’exprime en soutien à la Palestine. Afin de rendre compte de la situation avec plus de profondeur et de sensibilité, nous avons également mis en place un cycle de projections de films documentaires autour de cette question. Nous avons aussi réalisé une émission qui permettra de déconstruire les biais majeurs et récurrents du traitement médiatique israélien, en essayant d’assumer au mieux ce rôle délaissé de contre-pouvoir (bientôt en publication sur notre site).
Entretemps, le collectif Samidoun, un réseau international de solidarité avec les milliers prisonniers politiques palestiniens détenus dans les geôles israéliennes, nous a demandé d’accueillir un de leurs événements dans nos locaux au CBO à Jette (il s’agit d’une occupation temporaire qui regroupe une dizaine de collectifs et associations).
L’événement en question portait sur la criminalisation croissante des organisations (pro-)palestiniennes en Europe. En tant que média d’action collective, cultivant une proximité avec le terrain associatif et militant, nous estimions que cela entrait en adéquation avec nos missions et qu’il s’agissait d’un sujet d’intérêt général. Nous avons donc accepté la demande.
A peine Samidoun a‑t-il publié une annonce faisant la promotion de cet évènement, que nous recevions un appel de la commune de Jette disant avoir été informée par l’ambassade israélienne qu’un évènement “problématique” avait été programmé au CBO. Nous apprenions qu’une enquête de police et de l’OCAM avait été diligentée pour déterminer si cette conférence représentait un danger quelconque. Nous comprenions aussi par des sous-entendus à peine voilés que nous aurions intérêt à annuler cet évènement. Étant financés par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour faire usage de la liberté d’expression dans une perspective d’émancipation individuelle et collective, nous avons évidemment décidé de rester imperméables aux pressions politiques.
La veille de l’événement, nous apprenions que l’enquête de l’OCAM concluait qu’on ne pouvait pas interdire la conférence. Nous apprenions également que des agents de police en civil assisteraient à la rencontre pour relever d’éventuels propos tombant sous le coup de la loi. La soirée fut un franc succès et aucun désordre ne se produisit.
Pourtant quelques jours plus tard, nous étions convoqués par la commune de Jette pour nous voir reprocher d’avoir maintenu l’événement. Nous comprenions que le soutien communal accordé au CBO risquait d’être remis en question et que cet évènement aurait fait des remous bien au-delà de la commune de Jette, sous-entendant que ZIN TV risquait peut-être de perdre ses subsides.
Nous apprenions également qu’une interpellation citoyenne intitulée « Non à la subvention publique de la commune de Jette d’évènements qui véhiculent la haine et font l’apologie du terrorisme » aurait lieu le 29 novembre 2023. Nous avons assisté à cette interpellation, stupéfait·e·s par son contenu extrêmement diffamatoire et mensonger. D’autant plus que d’après les dires de cette personne qui s’est exprimée sur le réseau social X (ex-Twitter) le 22 octobre 2023, elle ne serait restée que 10 minutes à cette conférence. Selon elle : « Manifestement, ce soir-là, la résistance collective portait aussi sur l’usage du déodorant, du savon et de la lessive ; l’odeur pestilentielle de dessous de bras aromatisé à l’oignon rance conjuguée au contenu de la première intervention eurent sur moi un effet émétique radical. Je suis venue, j’ai tenue (10 minutes), j’ai vomi, je suis partie (chez moi, sniffer de la sauge dans mon jardin » (sic).
Suite à la lecture de l’interpellation, sans en avoir demandé aucun élément de preuve, un conseiller communal demande un contrôle de la programmation du CBO et de toutes les associations subsidiées par la commune. Un autre réclame des sanctions envers le CBO. D’autres encore déplorent une erreur de programmation et qualifient d’inacceptables des propos qui se seraient tenus durant la conférence. Pourtant aucun de ces conseillers communaux n’était présent à cette conférence, aucun d’entre eux n’a contacté les organisateurs ou les services de police présents ce jour-là pour vérifier ces propos.
La commune a le devoir de respecter la liberté d’expression des associations qu’elle subsidie. Elle ne peut en aucun cas choisir les activités et encore moins choisir le discours qui est tenu lors d’un débat. Seuls les propos interdits par la loi peuvent être reprochés (nous rappelons encore que les services de police étaient présents à cette conférence). En aucun cas la commune ne peut intervenir dans le contenu d’un débat organisé et ne peut menacer de couper les subsides à une association qui accueille un événement, même si cet événement déplait ou choque. C’est le principe de la liberté d’expression.
Mais pour certains de nos élus, ces droits fondamentaux peuvent être balayés d’un revers de la main, sur la seule base d’un texte anonyme ou presque !
Suite à cet épisode, naturellement, la peur et le doute s’installent. La peur de perdre des subsides précieux au vu de la précarité structurelle du grand nombre d’ASBL qui occupent le CBO ; la peur d’organiser quelque événement que ce soit autour de la situation en Palestine ; la peur de subir la vindicte des organisations et individus ayant des sympathies sionistes sur les réseaux sociaux ; la peur de dénoncer, trop fort, le génocide en cours…
La menace pèse sur notre travail et sur notre santé. Cela instille le doute, nous fait perdre du temps précieux. Le sentiment d’injustice est prégnant, certain·e·s ont envie d’interpeller la commune pour lui faire part de leur inquiétude face à l’attitude très peu démocratique de nos élu·e·s. Mais nous y renonçons pour ne pas mettre en danger nos membres les plus précaires. C’est très difficile à accepter et pour certain·e·s, cela provoque une grande désillusion quant au fonctionnement supposé démocratique de notre société. Les membres du CBO restent malgré tout soudé·e·s et uni·e·s.
Puis, le samedi 2 mars, 15 personnes, des agents de police en uniforme et en civil, des agents du SPF justice et du SPF économie ainsi qu’un inspecteur ONSS arrivent au CBO en début d’après-midi. Ils prétextent une inspection sociale. Nous ne pouvons donc pas refuser l’accès. Nous devons également leur fournir une série de documents ainsi que les numéros de téléphone de tous les membres du CBO. Un inspecteur explique qu’ils sont là à cause de l’évènement de Samidoun accueilli en octobre. Il s’agissait là d’une perquisition déguisée. Nous comprenons que nous venons de recevoir “la visite” des brigades BELFI. L’acronyme de Belgian Fighter : un projet mis en place pendant les attentats de 2015, associant la police judiciaire, les polices locales et différents services d’inspection (fiscale, sociale, etc.). Les opérations menées par BELFI ont pour objectif de lutter contre les sources de financement du terrorisme. Cette opération très intrusive et délibérément floue ne laissera personne indemne.
Nous sommes inquièt·e·s de cette utilisation disproportionnée de mesures d’exception établies pour faire face aux attentats terroristes sur le sol belge. Est-ce qu’il est acceptable qu’une activité portant sur la résistance palestinienne autorise une cellule comme BELFI à s’introduire impunément dans un lieu culturel, et interrompre un stage de vacances ou une activité de cuisine collective sous prétexte d’un contrôle social ? Comment de tels moyens peuvent être mis en œuvre sans en connaître les commanditaires ?
Nous analysons cette « enquête » comme une tentative d’intimidation et la suite logique des différentes pressions subies depuis le mois d’octobre. Tout cela favorise un climat fascisant qui mène à l’autocensure. La pluralité des opinions politiques et médiatiques devrait être protégée par nos institutions.
Nous tenons aussi à rappeler que ZIN TV est aussi un média d’information. À ce titre, trois membres de l’équipe de ZIN TV possèdent une carte de presse, ce qui fait des locaux de ZIN TV une rédaction journalistique, soumise à la protection des sources. Un espace qui ne peut être visité par la police sans précautions préalables.
Enfin, nous nous interrogeons sur l’ingérence d’un État étranger dans les affaires associatives bruxelloises. Car la criminalisation de Samidoun est impulsée par Israël. C’est bien l’ambassade d’Israël qui a contacté la commune de Jette pour tenter d’empêcher la tenue de la rencontre organisée par Samidoun. C’est un ministre israélien, Amichai Chikli (Likoud), qui a écrit 2 fois à notre ministre de l’Intérieur pour demander l’interdiction de Samidoun en Belgique.
L’extrême-droite en Belgique a ensuite pris le relais. Michael Freilich (NVA) a interrogé la ministre Verlinden par voie parlementaire pour savoir pourquoi elle n’avait pas encore répondu à ces lettres et si une enquête sera ouverte. La Ministre de l’Intérieur a répliqué en soulignant qu’il n’y avait pas de raison d’interdire ce collectif. Depuis, Théo Francken (NVA) s’exprime régulièrement sur cette question sur les réseaux sociaux…
Ce communiqué vise à rendre publique cette situation mais aussi à lancer un appel à toutes autres associations ou médias qui auraient également subis des tentatives d’intimidation similaires. En dépit des pressions multiples et de l’autocensure qui se généralise, nous restons persuadé·e·s que face à ce génocide en cours, il est important de nous unir et de continuer à prendre position pour faire exister et entendre d’autres voix.