par Luk Vervaet
Une nouvelle de l’Agence Belga nous apprend que début août, Saïd El Amraoui, un Belgo-Marocain de 32 ans, né à Merksplas (Anvers), parti en vacances au Maroc, a été arrêté par la police marocaine à la frontière et enfermé en prison. Les raisons de son arrestation sont inconnues. Dans le passé, Saïd avait été accusé d’être un recruteur des jeunes pour partir en Syrie. Ce qu’il a toujours nié. Par la suite, la justice belge l’a acquitté de cette accusation. Comme dans nombre d’autres affaires concernant des citoyens Belgo-Marocains, le Maroc s’est-il octroyé le droit de faire sa propre justice ? Quoi qu’il en soit, notre service public fédéral des Affaires étrangères a déclaré à l’agence Belga « qu’ils ne sont pas au courant qu’un présumé terroriste belgo-marocain a été appréhendé au Maroc ce mois-ci ».
Deux mois plus tôt, en juin 2018, un autre jeune Belgo-Marocain, Wafi Kajoua, qui lui est en Belgique depuis ses trois ans, est arrêté à la frontière de Melilla et le Maroc, quand il voulait se diriger à Nador. Activiste sur les réseaux sociaux pour le mouvement Hirak au Maroc, il sera poursuivi « pour atteinte à la sureté de l’État, incitation à la rébellion et atteinte à l’intégrité territoriale du royaume », rien que ça, et incarcéré à la prison de Nador. Fin juin, il a été condamné à un an de prison. Quant à la réponse des Affaires étrangères belges, le site Rifonline écrit : « Le ministre des Affaires étrangères belge n’a pas souhaité réagir à l’arrestation de l’activiste belgo-marocain Wafi Kajoua à Nador, au Maroc. En réponse à un mail adressé par Rifonline au ministère des Affaires étrangères belge sur les conditions de détention de Wafi Kajoua, le porte-parole adjoint Matthieu Brander a répondu que son département ne pouvait pas se prononcer sur des cas individuels : « Nous ne pouvons pas, par principe, communiquer sur des cas individuels ».
Dans un article paru dans le magazine Knack du 17 juin, on peut lire que des Comités de soutien ont essayé de faire intervenir le ministère des Affaires belge pour mettre la pression sur le Maroc pour libérer Wafi Kajoua : « Des comités de soutien pour le Hirak, tels que Mohcine Fikri Belgique et ANZUF, ont mis la Belgique au courant et le premier s’est assis autour de la table avec des responsables du Ministère. Ces derniers auraient déclaré avoir pris des mesures pour aider Kajoua. Les affaires étrangères ont dit aussi qu’ils ne peuvent pas intervenir dans la souveraineté du Maroc. « Mais je pense que si la Belgique met la pression sur la question, le Maroc écoutera », déclare Mustafa Ouarghi de l’ANZUF. « En janvier déjà, j’avais envoyé une lettre au Premier ministre, au ministère de la Justice et des Affaires étrangères au sujet de mon souhait de voyager au Maroc et de ma crainte que j’y sois arrêté. Je n’ai pas reçu de réponse. Je trouve que ça ne va pas. Nous sommes des citoyens belges, nous payons des impôts, nous avons le droit d’obtenir des réponses. » Maintenant, il attend encore une réponse à sa dernière lettre à propos de Kajoua. « Si la Belgique respecte ses citoyens, elle doit essayer de le libérer ».
Qu’est-ce qui se cache vraiment derrière le silence de nos autorités ? Derrière leurs déclarations sur « la souveraineté du Maroc » ou derrière des déclarations telles que « nous ne sommes pas au courant », « nous ne pouvons pas nous prononcer sur des cas individuels » ?
Reynders…sans gêne |
Il s’y cache ce que le ministère des Affaires étrangères de Monsieur Reynders n’ose pas (encore) dire tout haut. C’est que sur proposition des ministres Reynders et Geens, le 8 mai 2018, une nouvelle loi sur la protection consulaire est passée, qui enlève, par la loi (!), toute protection consulaire belge aux citoyens belges ayant une double nationalité, une fois qu’ils se trouvent dans le pays de leur deuxième nationalité.
Dans ce premier article, voici le résumé de cette nouvelle loi.
La protection consulaire, c’est quoi ?
En cas de problèmes lors d’un séjour à l’étranger, un citoyen belge peut s’adresser au poste consulaire ou à l’ambassade de la Belgique se trouvant dans ce pays. La nouvelle loi stipule dans son article 10 qu’il s’agit des situations suivantes : le décès d’un Belge ; un accident grave survenu à un Belge; un crime grave dont est victime un Belge; une disparition inquiétante d’un Belge ; l’arrestation ou la détention d’un Belge; une situation de détresse extrême dans laquelle se trouve un Belge; une crise consulaire majeure; l’enlèvement international d’enfants lorsque l’enfant et/ou un des parents de celui-ci sont Belges. Dans tous ces cas, un citoyen belge peut solliciter une aide consulaire de la part de la Belgique.
À condition, stipule la nouvelle loi dans son article 14, que le citoyen belge a prouvé avoir épuisé toutes les possibilités de secours de la part de son employeur, des assurances, de la mutuelle, des tour-opérateurs, des compagnies de transport et des proches.
Aussi, stipule la loi dans son article 15, ne peut-on pas compter sur une assistance consulaire si les Belges se sont rendus dans une région déconseillée par le Ministère ou dans une région où sévit un conflit armé ; s’ils n’ont pas donné suite à l’appel du Ministère de quitter la région où ils séjournent ; s’ils prennent des risques démesurés, sans s’assurer en conséquence.
Mais au cas où vous avez rempli toutes ces conditions, le consulat vous viendra en aide.
La protection consulaire en cas d’arrestation ou de détention
Prenons le cas d’une arrestation ou d’une détention. Que se passe-t-il à ce moment-là ? Le nouvel article 21 dit ceci (les phrases mises en gras par moi): « Lorsque le poste (consulaire) a connaissance de l’arrestation ou de la détention d’un Belge, il rapporte cette information dans les meilleurs délais à l’administration centrale des Affaires étrangères, qui informe les proches, à la demande du Belge concerné. Lorsque le Belge arrêté ou détenu est incapable, le Service public fédéral Affaires étrangères informe les proches de sa propre initiative. Le Service signale l’arrestation ou la détention aux autorités judiciaires belges si les faits touchent à la sécurité publique de la Belgique… Le poste veille à ce que les droits de la défense du Belge arrêté ou détenu soient respectés et que les conditions de son arrestation ou de sa mise en détention soient conformes aux normes internationales en la matière et compatibles avec les droits de l’homme. Le poste ne fournit pas d’avis juridique au Belge arrêté ou détenu. Le poste peut fournir au Belge et à ses proches les informations suivantes : 1° / les traités existants entre la Belgique et l’Etat où a eu lieu l’arrestation ou la détention; 2° / une liste d’avocats. Si la détention a lieu dans un pays hors de l’Union européenne, et si le Belge concerné le souhaite, le poste lui rend visite selon les modalités définies par le Roi. Lorsque l’arrestation ou la détention d’un Belge est effectuée par l’autorité étrangère à la requête des autorités judiciaires belges, ou lorsque le Belge arrêté ou détenu fait l’objet d’un mandat d’arrêt en Belgique, le poste peut s’abstenir de fournir l’assistance consulaire prévue. »
Voilà la promesse à l’information, à la protection, aux visites, à l’assistance sur lesquels un Belge arrêté ou détenu à l’étranger peut compter de la part de son pays.
We are Belgium ? Pas vraiment
Bien sûr, insiste la loi dans son article 7, comme si ce n’était pas encore assez clair, « l’assistance consulaire est exclusivement réservée aux Belges et aux citoyens de l’Union non représentés dans les pays tiers assimilés aux Belges. » Pas de problème, me diriez-vous. Depuis la coupe du monde de football, nous sommes tous des Belges, qu’on s’appelle Kevin De Bruyne ou Marwan Fellaini. We are Belgium, Tous ensemble. Et bien non. Stupéfaction ! Pour la première fois dans son histoire, la Belgique inscrit dans la loi que cette assistance consulaire ne sera accordée qu’à une partie des Belges. C’est-à-dire exclusivement aux Belgo-Belges. Pas à Fellaini ou à Chadli. Pas à Ali Aarrass. Pas à Wafi Kajoua. Pas d’aide de la part de la Belgique en cas de décès, d’accident grave, de crime grave, de disparition inquiétante, d’arrestation ou la détention, de situation de détresse extrême, de crise consulaire majeure, d’enlèvement international d’enfants, etc. aux Belges disposant d’une autre nationalité.
Le nouvel article 11 dit ceci : « Il est inséré un article 79 : Ne peuvent prétendre à l’assistance consulaire les Belges qui possèdent aussi la nationalité de l’État dans lequel l’assistance consulaire est demandée, lorsque le consentement des autorités locales est requis ». Dans l’exposé des motifs de la loi, cette mesure est justifiée comme suit : « Dans le contexte international, le principe de non-ingérence dans les affaires internes prévaut, particulièrement en ce qui concerne l’administration de ses citoyens. Certains types d’assistance consulaire à un binational qui possède la nationalité de l’État d’accréditation, sont perçus dans un grand nombre d’États comme une ingérence dans leurs affaires intérieures. » »
Que cette nouvelle loi de l’Apartheid à la Belge a tout à voir avec l’affaire du Belgo-Marocain Ali Aarrass sera le sujet d’un article prochain.