S’agissant de la énième récente sortie médiatique de Madame Badinter [1] revendiquant son droit à l’islamophobie et appelant les gens à « ne pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe », ma première réaction fût de me demander à qui elle s’adresse. Il y aurait donc des penseurs férus d’étymologie en France qui souffrent de la peur de ne pouvoir dire qu’ils ont peur de gens (qui leurs semblent) différents en prétendant qu’ils ne font que s’en prendre à des idées, à une religion et pas à ses pratiquants ? « J’ai peur de dire que j’ai peur et je devrais pas avoir peur de ça et d’ailleurs c’est trop injuste»[2]. Ça sent « l’exception culturelle » à plein-nez.
Pierre et Jean-François, un « ami Facebook » et un autre IRL, qui montent ensemble à l’insu de leur plein gré une association pour la protection radicale des privilèges qui leurs sont propres m’ont fait le plaisir de m’interpeller sur ma réaction à cette déclaration milliardairo-occidentalo-égalitaire.
Pierre (prénom athée) se demande quel mot il a à sa disposition pour critiquer l’Islam, le Coran et tout ce qui tourne autour, sans se faire traiter de raciste. Je propose « Athéisme » à Pierre.
Jean-François (prénom athée aussi), m’explique lui que : « Nier l’existence de dieu, ne revient pas à détester les religions, Mouhad. Tout comme un sceptique ne croit pas aux soucoupes volantes ou à l’homéopathie sans pour autant haïr ceux qui y croient. Badinter a raison. Quand on critique une religion (ici, l’islam) avec discernement, on ne doit pas avoir peur d’être traité d’islamophobe. Quand on critique le sionisme avec discernement, faut-il avoir peur d’être traité d’antisémite ? » (sic)
Alice (prénom merveilleux) lui rétorque, à juste titre, que le sionisme n’est pas une religion et que Madame Badinter n’est privée nulle part de son droit d’exprimer toutes les pensées qui lui passent par la tête sans en subir aucune conséquence concrète négative. Pierre et JF tentent ensuite de nous emberlificoter, sans convaincre.
Nos deux amoureux de la grandeur de la Culture exceptionnelle de la Langue et de la Civilisation française n’ont pas la même définition du mot phobie que… le Larousse :
a. « Crainte angoissante et injustifiée d’une situation, d’un objet ou de l’accomplissement d’une action. »
b. « Aversion très vive pour quelqu’un ou peur instinctive de quelque chose ». [3]
Vous m’accorderez qu’il n’est question dans cette définition ni de raison, ni d’idée mais bien de fantasme et d’instinct face à « quelque chose » ou « quelqu’un ». Entre fantasme et définition, j’ai fait un choix. Et voici, à ce stade, des réponses que je pense que vous devriez entendre.
Merci pour ta tentative d’explication Jean-François mais elle ne tient pas debout.
Nier l’existence de Dieu, c’est de facto nier l’existence du contenu des religions puisqu’elles sont censées, pour les croyants, être d’essence divine, ce qui va encore plus loin que de les détester. L’athéisme est donc parfaitement suffisant pour répondre à l’interrogation de Pierre.
Le combat pour la liberté de conscience en Europe, des guerres de religions jusqu’à l’affrontement politique entre cléricaux et anticléricaux au 19ème siècle, a abouti à la situation que décrit Alice ci-dessus : on est libre aujourd’hui en Europe (où vit madame Badinter) de nier l’existence de Dieu, de dire tout le mal qu’on pense des religions et de stigmatiser les croyants sans en subir aucune conséquence négative concrète. Madame Badinter revendique un droit qu’elle possède déjà. Et elle le possède d’autant plus facilement et plus complètement qu’il s’agit d’une héritière milliardaire qui dirige une des plus importantes sociétés de publicité/communication du monde (dont je m’interroge au passage sur la part du chiffre d’affaire réalisé « en orient »). Au final en nous disant qu’il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, elle nous dit que l’eau mouille (elle n’est pas doctor honoris causa de l’ULB pour rien), on le savait déjà, merci. Mais, elle a le droit de dire ce qu’elle veut et c’est très bien comme ça.
Par contre ce à quoi elle n’a pas droit, en tant qu’islamophobe, c’est de prétendre à un silence consentant des gens à la gueule de qui elle crache sa version de la liberté d’expression à la moindre occasion.
Elle n’a pas raison. Ce qu’elle dit est faux, ses arguments comme ses conclusions.
Prétendre que les musulmans ou l’Islam ont le moindre pouvoir en France, c’est faux.
Prétendre qu’être islamophobe serait mal-vu, effrayant ou interdit en France, c’est faux. C’est même le contraire, c’est très bien vu. Il suffit d’observer les résultats des élections ou d’écouter attentivement les journalistes, les intellectuels et les politiques qui monopolisent l’espace médiatique pour s’en convaincre.
Prétendre que l’égalité femme-homme ferait partie des valeurs de base de la société occidentale issue des Lumières (qu’elle en parle à Olympe de Gouges), que cette égalité serait aujourd’hui ici établie alors que partout où il y a des arabo-musulmans les femmes sont opprimées et le sont à cause de l’Islam, c’est faux. Sur la trentaine d’auteurs qui m’ont été indiqués comme faisant partie de ceux qui ont posé les valeurs fondatrices de notre civilisation occidentale avancée, il n’y a pas une seule femme. Que de brillants et lumineux mâles occidentaux. Qui ne mentionnent quasi jamais l’existence même des femmes dans leurs grandioses œuvres sinon pour les rabaisser. Si les femmes jouissent ici d’une liberté et d’un certain niveau d’égalité qui apparaît naturellement satisfaisant, vu d’ici en se comparant à un ailleurs qu’on ne connait pas sans se priver de le juger, c’est au combat de femmes contre le patriarcat qu’elles le doivent et pas à une quelconque valeur fondatrice de la société occidentale. Les violences et discriminations de toutes sortes que les femmes subissent n’ont rien à voir avec l’Islam.
« Une femme sur trois en Europe a subi une forme de violence physique ou sexuelle depuis l’âge de 15 ans, ressort-t-il d’une enquête réalisée par l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA). En Belgique, ce sont 36% des femmes qui sont concernées, souligne mardi l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, en référence aux résultats de l’enquête. Au-delà de la violence physique ou sexuelle, 43% des femmes dans l’UE ont subi au cours de leur vie de la violence conjugale d’ordre psychologique. Les résultats sont alarmants, notamment au sujet de la violence physique et/ou sexuelle vécue au cours des 12 mois précédant l’enquête, puisque cela touche près de 8% des victimes.
En Europe, parmi les femmes qui ont, ou ont eu un/une partenaire, 22% (24% en Belgique) ont subi des violences de nature physique ou sexuelle de la part de ce partenaire depuis l’âge de 15 ans. Au total, environ 12% des femmes rapportent avoir fait l’objet d’une forme d’abus ou d’incident sexuel perpétré par un adulte avant l’âge de 15 ans, soit 21 millions de femmes dans l’UE. En Belgique, il s’agit de 14%, précise l’institut pour l’égalité des femmes et des hommes.
L’enquête aborde également le phénomène du harcèlement sexuel, mentionnant que plus d’une femme sur deux (55%) dans l’UE a indiqué avoir été victime depuis l’âge de 15 ans (60% en Belgique). » [4]
C’est bien de l’Europe dont il s’agit. Et il n’est question ici que de la partie émergée d’un seul type de discrimination subie par les femmes. La prise en compte de l’aspect socio-économique, par exemple, des discriminations subies par les femmes rendrait de fait le tableau encore plus accablant.
Quel rôle, à part dans la tête de Badinter et de ses groupies islamophobes, peut-on sérieusement attribuer à l’Islam dans ce minable état-des-lieux des droits des femmes et de l’égalité femme-homme en Europe ?
Si les liens entre patriarcat et religions monothéistes ne peuvent être niés, ce ne sont pas ces religions (même pas l’Islam) qui sont les premières ennemies des femmes. Leurs ennemis, les ennemis de leurs droits, ce sont les hommes, croyants ou pas.
Je répète donc que quand Badinter dit que la situation des femmes est naturellement meilleure chez nous que dans le monde arabo-musulman elle jette de la poudre aux yeux. Et encore une fois, c’est son droit. Son usage etymologico-philosophique de l’islamophobie ne lui sert cependant qu’à dénigrer les hommes « arabo-musulmans » (en avoir l’apparence suffit) tout en ne manquant pas de qualifier les femmes arabo-musulmanes de traitres à la cause des femmes et de complices de leur propre soumission.
Revendiquer le droit d’être islamophobe alors qu’on le possède déjà c’est à tout le moins d’une hypocrisie consternante, voire, sans vouloir porter atteinte à votre droit à l’athéisme, d’une mauvaise foi crasse.
Ce que vous revendiquez, en réalité, c’est le droit de tenir des propos soi-disant etymologico-philosophiquement islamophobes, c’est aussi que la réalité concrète des conséquences discriminatoires de ces propos pour les arabo-musulman.e.s (en avoir l’apparence suffit) soit niée et qu’en plus on vous donne une médaille pour ça. Vous pouvez toujours courir. Soyez aussi islamophobe que vous le souhaitez, mais il faut aussi l’assumer.
Pour en revenir au sexisme, vous avez le comportement d’un mec qui traite une femme de salope, qui lui interdit de réagir parce que ce serait porter atteinte à la liberté d’expression et qui irait en plus en appeler à la Justice pour censure aggravée si elle osait quand même réclamer. Je tape le premier et si tu te défends je vais en plus porter plainte ! C’est exactement le discours de Badinter et des islamophobes (et de la police).
Sur le sionisme, Jean-François, tu te comportes sur ce coup-ci, comme l’un de ses adeptes.
Le post concerne les religions. C’est toi qui as amené le sionisme dans la discussion. D’où la remarque tout à fait pertinente d’Alice : le sionisme n’est non seulement « pas la religion du juif », ce n’est pas une religion du tout. C’est un projet politique colonialiste et raciste tout ce qu’il y a de plus classique qui est concrètement en application et qui a des conséquences terribles au quotidien pour des millions de gens. Les seuls à faire le lien entre ce projet et une religion, et c’est là que tu les rejoins, ce sont les sionistes eux-mêmes. Ce faisant, très intelligemment, comme toi sur ce coup-ci, ils jouent sur la polysémie du mot antisémitisme pour toujours retomber sur leurs pattes. Contre le peuple Juif ? Antisémite ! Contre la religion juive ? Antisémite ! Contre le sionisme ? Antisémite ! Philosémite et antisioniste ? Antisémite ! Juif et antisioniste ? Antisémite ! La validité de ta comparaison confusionniste est donc du même ordre que celle du discours sioniste quand il utilise l’antisémitisme: nulle. Bien essayé, mais la manœuvre, éculée, est bien connue et ne passe pas si on est capable de la plus basique des réflexions.
Donc, elle a évidemment le droit d’être islamophobe, elle a aussi le droit de le dire.
Mais, elle ne critique rien du tout avec discernement, ses analyses et leurs conclusions sont fausses et elle ne fait que maquiller un racisme coutumier et structurel en France contre les arabo-musulman.e.s, sous le vernis etymologico-philosophique du terme islamophobie. Elle n’a donc pas le droit, en plus, et les autres islamophobes avec elles non plus, de se faire remettre une médaille de martyre de la laïcité et de la liberté d’expression. Quand on tient des propos qui ont des conséquences négatives concrètes et quotidiennes pour des millions de français.e.s et de belges, ce que ces gens sont (paraît-il par ailleurs) avant d’être musulman.e.s (fût-ce d’apparence toujours), je vous le rappelle, il faut assumer qu’on tient effectivement des propos racistes. La non-discrimination et même mieux, l’égalité, voilà des valeurs fondamentales que j’aimerais voir défendues et finalement appliquées à toutes les femmes et à tous les hommes. En suivant la voie de Badinter et de l’islamophobie vous ne défendez que vos privilèges et ce faisant vous piétinez ce que vous prétendez chérir et abriter.
Vous refuseriez à l’herbe le droit de plier sous le vent parce que le vent, merde, ça a le droit de souffler !
– Mouhad Reghif
[1] http://www.marianne.net/elisabeth-badinter-il-ne-faut-pas-avoir-peur-se-faire-traiter-islamophobe-100239221.html
[2] Caliméro (Sexe: masculin, Espèce : poulet domestique, Phrase fétiche : « c’est trop injuste ! »)
[3] http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/phobie/60302
[4] http://www.lalibre.be/actu/belgique/belgique-36-de-femmes-sont-victimes-de-violence-physique-ou-sexuelle-5316382b3570916b3964d403#86626