Caroline Fourest n’est pas du tout contente, après qu’une jeune femme voilée a – encore – été agressée dans Argenteuil.
Caroline Fourest fait donc un tweet pour dénoncer les auteurs «musulmanophobes» de cette agression.
Mais elle limite son commentaire à cette manifestation de son émotion, car elle ne dispose que de 140 signes, pour l’exprimer.
Et c’est un peu dommage, parce qu’elle aurait pu, si elle n’avait pas été contrainte à cette concision – et nous pouvons être bien certain(e)s que c’est ce qu’elle aurait fait, car elle est d’une exceptionnelle rigueur – développer une méditation un peu soutenue sur cette musulmanophobie: la même, que nous autres, qui sommes beaucoup moins exigeant(e)s qu’elle, appelons depuis lurette islamophobie, par une facilité dont Caroline Fourest a de longue date démontré qu’elle faisait de nous les complices des vilenies des mollahs d’Iran.
D’où vient, en effet, que les agressions antimusulmanes se multiplient?
Cela vient notamment, d’après la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), qui n’est pas exactement un repaire de suppôts de Ben Laden, mais qui désormais fait tous les ans ce même désespérant constat, de la libération, dans l’espace public, d’une logorrhée «décomplexée», où les musulman(e)s sont systématiquement – et maladivement – représenté(e)s comme une menace to society, et dont la banalisation facilite la commission d’agressions par des dégénérés qui voient dans ces fustigations à répétition la délivrance tacite d’un droit de ratonner.
Car de fait – nous ne devrons jamais nous lasser de le répéter, aussi longtemps que cette réalité ne suscitera guère qu’une indifférence méprisante: depuis le début des années 2000 (disons comme ça pour aller vite), il est du dernier chic d’exhiber, dans les forgeries où se fabrique l’opinion, un ressentiment antimusulman libéré des urbanités qui empêchaient, auparavant, que ces dégueulasseries-là soient trop dites ailleurs que dans les caves à fafs.
La droite réactionnaire (pléonasme) excelle, bien sûr, dans ce digne exercice – où transparaît, sous des formes actualisées, l’une de ses plus anciennes traditions: n’oublions tout de même pas que ce sont les mêmes dextres patriotes (contrairement à ce qu’assurent les négationnistes au petit pied qui vont depuis quelques ans caquetant que l’antisémitisme et le pétainisme sont des affaires de la gauche), qui sont passé(e)s en moins d’un siècle de la dénonciation du judéo-bolchevisme à celle de l’islamo-gauchisme – et demandons-nous si ça ne nous dirait pas quelque chose de leur personnalité profonde.
C’est donc des rangs de la réaction (point tant nouvelle que rendue à ses fondamentaux) que sont venues quelques-unes des plus remarquables expressions de cette décomplexion, quand, par exemple, l’un de ses représentants de médias, auréolé de sa réputation d’iconoclaste, a publiquement proféré qu’il était « un peu islamophobe ».
Ou quand plusieurs de ses penseurs de chevet – «philosophes» et «politologues» pour plateaux de télévision – ont considéré que la pamphlétaire raciste Oriana Fallaci, nonobstant son style râpeux, avait bien du courage d’oser dire un peu nettement, et d’un ton très nurembourgeois, que «les fils d’Allah» se reproduisaient «comme des rats».
Ou quand, tout récemment, l’un de ses plus caricaturaux plumitifs de service a répété pour la cent millième fois que l’islam était selon lui – et par essence – «totalitaire».
Liste non exhaustive – et que chacun(e) d’entre nous pourra, dans le cours des prochaines vingt-quatre heures, nourrir encore de nouvelles citations «désinhibées» que la presse de droite ne manquera pas de produire dans ce court laps de temps, conformément à la loi, non écrite mais très strictement observée, qui stipule qu’elle ne doit jamais rester plus de deux jours sans confectionner quelque nouvelle imprécation islamophobe.
Mais une fois qu’on a dit ça : on n’a parcouru qu’une petite moitié du chemin.
Car la «gauche» a, elle aussi, assidument contribué à la banalisation de la défiance antimusulmane où des tarés peuvent éventuellement justifier, selon la CNCDH, leurs profanations en tout genre.
Et certes : elle s’est, le plus souvent – mais pas toujours –, montrée plus cauteleuse que la droite.
Plutôt que d’énoncer trop directement que les musulman(e)s en tant que tel(le)s l’incommodaient, elle a proclamé que l’islam devait être placé sous surveillance, car ses fidèles étaient, selon elle, ontologiquement suspect(e)s de fomenter des attentats au vivre ensemble.
La «gauche» ne dit jamais qu’elle se sent un peu slimanophobe: c’est pas dans sa culture, elle ne mange pas de ce pain rassis, elle laisse ces indélicatesses aux supporteurs de MM. Pen, père und fille.
La «gauche» souligne plutôt qu’elle aime beaucoup Slimane (et qu’elle a d’ailleurs passé plus d’une fois de formidables vacances au Maroc), mais qu’elle souhaite tout de même s’assurer qu’il a pour de bon renoncé à la fréquentation de son cousin Ahmed, car ce garçon professe une orthodoxie religieuse qui n’est pas sans rappeler parfois les prêches de salafistes dont les liens avec les Talibans sont un secret de Polichinelle: c’est pourquoi la «gauche» se sent fondée, durant même qu’elle assure Slimane de la sincérité de ses sentiments les meilleurs, à lui demander quand même (et par l’entremise, le plus souvent, de l’appliqué M. Valls) certaines garanties, du style, Slimane, est-ce que tu peux nous jurer, les yeux dans les yeux, à la Cahuzac, que jamais tu n’as séjourné dans les environs de Peshawar?
Mais surtout, et nonobstant l’estime progressiste qu’elle a pour lui: la «gauche» ne peut tout simplement pas blairer – c’est viscéral – la femme de Slimane
Car en effet: Fatima – c’est son prénom – porte un foulard.
Et ça, pour la «gauche»: ça va juste pas être possible, Fatima.
(Ou alors: chez toi.
Mais nulle part ailleurs, parce que si les petits nenfants de la «gauche» te voient ainsi attifée dans des lieux publics: ça va leur traumatiser la laïcité – qui est comme tu sais une reconnaissance égale des droits de l’ensemble des Françai(se)s qui n’ont pas le mauvais goût de vénérer un Arabe à beubar.
Puis bon, Fatima.
Entre nous.
Est-ce qu’Élisabeth Badinter n’a pas un peu raison, quand elle suggère qu’avec ce fichu que tu prétends porter jusque dans nos crèches tu es quelque chose comme le ver islamiste dans le fruit de nos entrailles?)
Par conséquent, la «gauche», depuis bien plus d’années que nous n’en pourrions compter sur les doigts de nos deux mains (nonobstant que nous n’avons pas eu la témérité d’essayer de gravir l’Annapurna circa 1950), n’en finit jamais de restreindre l’espace des libertés qu’elle veut bien consentir aux musulmanes – ç’a commencé dans un collège, ç’a continué partout dans la fonction publique, et ça devrait bientôt se poursuivre, à en croire M. Désir et ses potes du gouvernement, dans de nouvelles interdictions législatives: encore quelques années de ce «socialisme» émancipateur, et les mahométanes seront enfin cantonnées dans leurs cuisines, et libres à elles d’y psalmodier les versets qu’elles voudront, qui serions-nous, pour en juger?
Et si nous adoptons le point de vue de la CNCDH selon lequel la stigmatisation des muslims n’est pas sans effets sur les décérébrés qui trouvent leur plaisir dans la commission d’«actes antimusulmans»: nous pouvons envisager de considérer qu’il y a un lien de cause à effet entre cet acharnement que la «gauche» met dans son harassement des musulmanes voilées et les agressions «musulmanophobes» dont plusieurs d’entre elles ont récemment été victimes, et qui scandalisent tant Caroline Fourest.
Et c’est là que ça devient vraiment intéressant, parce que, question: qui a été de tous ces combats (pour les valeurs) de la «gauche» antifoulard?
Caroline Fourest.
Qui a été à l’avant-garde de chaque nouvelle pétition – de fait ou de principe – pour la limitation des droits des musulmanes voilées, genre, attention, si on les laisse nager seules dans une piscine, elles vont nous bouffer le laïcisme?
Caroline Fourest.
Qui a été de toutes les coteries où s’énonçait le cas échant qu’une mahométane coiffée d’un foulard était forcément «islamiste» – avec toute la charge que porte ce mot depuis que des intellectuels de gros niveau ont décidé que nous étions en guerre des civilisations?
Caroline Fourest.
Qui a scandé que celles et ceux qui prétendaient voir de l’islamophobie dans cette stigmatisation maniaque des musulman(e)s étaient dans le meilleur des cas des idiots utiles de l’obscurantisme – ou du djihadisme?
Caroline Fourest.
Mais fichtre : est-ce bien la même, qu’émeut tant l’agression d’une de ces femmes voilées dont elle a si obsessionnellement contribué à noircir les croyances?
La même, en effet.
Boutefeue entre dans la grange où grésillent sous un soleil de plomb les foins de la dernière récolte.
Boutefeue gratte une allumette, qui embrase tout le truc.
Arrive Nazeau, qui rajoute au brasier quelques bidons de fuel: Boutefeue se récrie, scandalisée soudain par tant de foinophobie.
Boutefeue est-elle sincère, dans cette offuscation?
Ou si des fois elle chercherait à détourner les soupçons des enquêteurs de sa propre responsabilité dans le départ de l’incendie – genre elle se foutrait quelque peu de la gueule du monde?
Je te laisse profiter que tu disposes de plus de 140 signes pour peaufiner ta réponse (1).
(1) Caroline Fourest – dont la conscience professionnelle est décidément admirable – suit de près l’affaire qui l’a, dans un premier temps, si fort émue: