«Un petit trône bancal et branlant avec un petit roi qui s’y hisse»

Abdication: «Un petit trône bancal et branlant avec un petit roi qui s’y hisse»

Jean-Marie Dermagne, Avocat, ancien bâtonnier et membre du cercle républicain
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Abdiquer donne un avantage au titulaire d’une fonction « à vie » : il a droit, de son vivant, à son éloge funèbre et au florilège de gentillesses qui d’ordinaire ont vocation à consoler ses proches. À peine de passer pour un cuistre, celui qui se livre à l’exercice des adieux doit préférer la pommade à la sincérité. Carte blanche.

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Le roi sortant a eu droit à des tombereaux de chrysanthèmes déversés, avec plus ou moins de sincérité, par « ses » ministres et ses obligés. Quant à son successeur, il bénéficiera, durant quelques semaines, du traditionnel état de grâce assorti de flonflons et de drapelets agités par les enfants des écoles réquisitionnés pour les « joyeuses entrées ». Tout cela est classique, normal presque. Ce qui est moins banal, c’est la posture nord-coréenne de quasiment toute la presse ! Pas mieux que la mort de Kim Jong-il en 2011. Aucune critique. Des hectolitres d’eau de rose. Pour certains, Albert est même devenu un dieu vivant et Philippe est promis à un destin fabuleux. Frédéric Deborsu doit être bâillonné au fond d’un placard et les historiens, tous en vacances au bout du monde.

L’unanimisme ambiant est puéril. Trompeur, de surcroît. La sixième réforme de l’Etat n’est pas la panacée voulue par ses auteurs. Le plus puissant parti de Flandres – et du pays – se proclame républicain. Côté wallon, l’évidence républicaine est quasiment inscrite dans les gènes. L’idée de république est consubstantielle au socialisme, même si Elio Di Rupo et les ministres de son parti l’ont mise entre parenthèses par opportunisme. Les Verts l’avaient votée, il y a quelques années, puis ont fait une courbe rentrante pour s’éviter les listes noires ministérielles. Des deux côtés de la frontière linguistique, il n’y a plus guère que dans les partis qui se déclarent de centre gauche ou de centre droit que l’idée monarchiste a encore des défenseurs, et encore est-ce plus par tradition que par conviction.

Les valeurs républicaines d’égalité, de liberté et de fraternité ne sont évidemment pas absentes de Belgique, ni moins enracinées que dans les pays voisins. L’anachronisme du régime monarchique belge se nourrit à deux mamelles : la paresse et la bonhomie. La paresse ? Oui, le changement de régime implique quelques problèmes à régler. Il faut un « plan social » pour les membres de la famille royale qui ne peuvent être simplement pensionnés ; il faut opter pour une élection au suffrage universel ou une présidente ou un président choisi par le parlement ; un toilettage des textes légaux et réglementaires doit substituer président à roi. Une forme d’indolence pousse beaucoup de gens, à la fois dans les partis et dans la population, à considérer le statu quo, sinon comme douillet, à tout le moins comme commode. Quant à la bonhomie, les derniers monarques ont eu l’intelligence d’en faire preuve, en restant silencieux le plus souvent et en ne prenant la parole que pour tenir des propos lénifiants et consensuels. Et puis, bien plus que ses défenseurs attitrés qui envahissent les débats télévisés, la famille royale a une catégorie professionnelle quasiment entièrement dévouée à sa cause et qui assure son prestige bien davantage que ne le feraient les meilleurs avocats : les institutrices et les instituteurs. Avec la photo des couples royaux successifs au-dessus de la tête, les maîtresses et les maîtres d’école inoculent aux enfants, consciemment ou non, dès le plus jeune âge, un attachement à des figures tutélaires et bienveillantes qu’il est difficile d’éradiquer même lorsque les frasques des têtes couronnées sont révélées.

Malgré ses vieux remparts, il ne faudra pas grand-chose pour faire basculer la monarchie belge, si le nouveau roi se pique de faire de la politique et a fortiori s’il se prend, se faisant, les pieds dans le tapis. Côté flamand, il est attendu au tournant. Les francophones pourront le garder comme roitelet, si le pays se disloque, mais beaucoup de Wallons préféreront la république, seuls ou au sein de la France !

Les difficultés ? Elles seront vite balayées. Les écoles remplaceront les têtes couronnées par le visage sévère mais bienveillant de la présidente ou du président. Si la structure fédérale survit, et si l’on ne veut pas du modèle présidentiel français (qui tient, il est vrai, à la fois de la foire d’empoigne et du combat de titans), on s’inspirera des Suisses, des Italiens ou des Allemands. Pour parer aux crises, on trouvera sans grande peine un conciliateur de prestige parmi les ministres d’Etat ou les présidents d’assemblée. Pourquoi pas une personnalité issue de la société civile ? Il lui suffira d’être « au-dessus de la mêlée » (ce que le grand âge, facilite), quelle que soit sa langue maternelle. Et si la personne choisie par le parlement ou le peuple ne s’avère pas à la hauteur, au moins pourra-t-on le remplacer, au lieu de laisser ses conseillers tirer les ficelles et de vivre dans l’angoisse de ses bévues.

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Interview de Jean-Marie Dermagne sur la royauté 

«Le ciment du pays, ce n'est pas le roi mais la dette publique !»

Tous les Belges ne se réjouissent pas en ce royal week-end. La royauté ne fait pas l’unanimité, y compris chez les francophones. Avocat et ancien bâtonnier, Jean-Marie Dermagne est membre du Cercle républicain depuis sa création. Il n’a jamais caché ses idées antimonarchistes. Il s’en explique, avec un brin d’humour.

Jean-Marie Dermagne

Que vous inspire la passation de pouvoir entre Albert et Philippe ?

Albert et Philippe qui ? J’en connais des centaines… Plus sérieusement, c’est pour moi un non-événement absolu. Qu’un fils succède à son père dans une « affaire familiale » est d’une grande banalité. On se demande toujours si le fils sera à la hauteur de la tâche. Mais, comme la couronne de Belgique n’est pas bien lourde, puisque ce sont les conseillers et les ministres qui font tout le boulot, le fiston devrait pouvoir faire illusion quelque temps. Et puis le salaire est stimulant…

Pourquoi voulez-vous abolir la monarchie ?

Je vous retourne la question. Comment se fait-il que certains, au XXIème siècle, veulent à tout prix garder un régime qui remonte à bien avant Nabuchodonosor et qui, par essence, est inégalitaire ? Mes valeurs, ce sont l’égalité, la fraternité et la liberté. Dans cet ordre-là. Tout ce qui octroie des privilèges, a fortiori lorsqu’on les inscrit dans les gènes, me révulse. La question n’est donc pas pourquoi abolir la monarchie mais pourquoi la conserver !

En Belgique, beaucoup pensent que le roi reste le ciment de l’union du pays. Sans roi le pays éclaterait. Une république serait-elle vraiment plus tranquille ?

Si la Belgique a besoin, comme ciment, d’un roi le plus souvent muet et dont le rôle principal est de débiter des mièvreries écrites par d’autres, à la télé, deux fois par an, ou de « recevoir » aux frais de la princesse (ou plus exactement, de ses sujets), c’est la preuve qu’elle est déjà une morte-vivante. Le ciment de la Belgique, c’est la dette publique ! Tout le monde le sait. Sans le casse-tête de la répartition de la dette, au demeurant colossale, Flamands et Wallons auraient déjà divorcé… Quant à la tranquillité, je ne suis pas sûr que la monarchie garantisse quoi que ce soit. C’est bien sous la monarchie que la Belgique a connu une crise politique d’une longueur historique qui a fait rire ou sourire toutes les républiques du monde. On attribue à Albert II la sortie de crise, il faut rappeler qu’il a d’abord ramé pendant 541 jours…

Un argument souvent évoqué par les antimonarchistes est le coût que représente la royauté. Mais une république ne coûte-t-elle pas aussi cher, voire plus ?

Deux réponses à cela. Primo : dans une république, les dépenses du chef de l’État sont contrôlées. En Belgique, c’est depuis quelques semaines, et seulement à cause des révélations sur les « astuces » fiscales de Fabiola, que l’on songe à contrôler ce que le roi et sa famille font des sommes pharaoniques que l’État leur verse chaque année. Lorsqu’une république se montre trop ‘bling-bling’, ça peut coûter la réélection à son président : on l’a vu avec Giscard d’Estaing et les bijoux de Bokassa et, plus récemment, avec Sarkozy, à qui les français n’ont jamais pardonné le goût du luxe du début de son quinquennat. Secundo : quand ils pensent à une république, les Belges voient ipso facto la France mais il y a des tas de pays où le président est à peine connu et vit de manière modeste. En Uruguay, le président Mujica a continué à vivre après son élection dans une fermette en touchant 900 euros par mois.

Le roi a si peu de pouvoir en Belgique qu’Herman Decroo (Open VLD) a souvent dit que la Belgique était une « monarchie républicaine ». D’accord avec lui ?

Pas du tout. Son expression est antinomique. L’étymologie de monarchie, c’est le pouvoir confié à une seule personne alors que, pour la république, c’est la chose publique confiée à tous les citoyens. Depuis quelques années, la Belgique est une monarchie surveillée, certes, mais fondée sur un pacte, une sorte de donnant-donnant, entre le palais et le gouvernement. Le pouvoir de l’un doit rester occulte moyennant quoi l’autre fait des courbettes.

Qu’est-ce qui vous gêne dans le pouvoir du roi ?

Son existence même ! Et les privilèges qui l’accompagnent. Le roi est au- dessus des lois. On a dû l’admettre récemment à propos de la recherche en paternité lancée par la malheureuse Delphine Boël. Même si le roi tue sa femme ou renverse un enfant à moto, personne ne peut l’interpeller ou le condamner. Me déplait aussi le fait que, même s’il se montre simple et gentil avec les ‘‘petites gens’’, son seul ‘‘cercle’’, au roi, c’est la noblesse. Qu’il puisse élargir son cercle en faisant barons des roturiers enrichis me fait sourire, tant c’est anachronique. Je suis dérangé par l’influence qu’il a sans rien devoir demander, uniquement parce qu’il est une « majesté ».

La N-VA est un parti républicain. Des membres du parti nationaliste flamand sont inscrits, comme vous, au cercle républicain, cela ne vous gêne pas ?

Pas du tout. Toutes les républiques du monde sont peuplées de gens et d’électeurs de droite comme de gauche. La N-VA est présentée, côté francophone, comme un épouvantail, un répulsif, un croque-mitaine ! Même si je suis en désaccord total avec elle sur le terrain économique et social, comme sur quasiment toutes les questions dites de société, je veux pouvoir combattre ses idées « à découvert » et je trouve indigne qu’elle soit écartée d’un gouvernement juste parce que le roi n’en veut pas et que ce véto arrange les autres partis politiques flamands.

Les socialistes, encore républicains dans les années 1950, sont devenus les plus ardents défenseurs de la monarchie. Comment jugez-vous cette conversion ?

C’est pour moi comme le mystère de la grande pyramide ! L’idée républicaine est consubstantielle au socialisme. Voir une ministre socialiste, comme Laurette Onkelinx, que j’apprécie par ailleurs, jouer les starlettes au palais de Laeken m’afflige. Personne n’est dupe : tous les socialistes sont républicains. « De cœur », comme disent la plupart. Ce qui se cache derrière l’expression « monarchiste de raison », c’est tout simplement une manœuvre pour rester au pouvoir. Paris valait bien une messe, selon Henri IV. Elio Di Rupo ou d’autres au sein de son parti, se disent qu’une présence au gouvernement et, surtout, un poste de premier ministre valent bien d’endosser de temps à autre des habits de laquais à Laeken…

Une monarchie parlementaire à la belge, n’est-elle pas aussi démocratique qu’une république monarchique comme on qualifie souvent la Vème république française ?

Cessons de considérer la Vème république française comme un modèle. Le présidentialisme ‘‘à la française’’ est, je le pense, une erreur historique. Je suis davantage séduit par la VIème république promue par Jean-Luc Mélenchon en France. Un président peut n’avoir qu’un rôle de médiateur charismatique. Côté francophone, on agite le spectre du président systématiquement flamand. Moi, ça ne me dérange pas puisque les Flamands sont majoritaires. Pour autant que les pouvoirs soient limités. C’est moins grave que des premiers ministres exclusivement flamands se succédant à la queue leu-leu comme ce fut le cas pendant des décennies jusqu’à la « pochette surprise » que fut la nomination d’Elio Di Rupo. Même si le futur président belge est élu au suffrage universel, la langue n’est pas rédhibitoire. Je pense qu’un francophone de gauche votera plus spontanément pour un Flamand de la même tendance que pour un réactionnaire wallon ou bruxellois francophone.

Propos recueilli par Thierry Denoël

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