Pour Ali Aarrass

Ali, j’ai honte

 

 

Un homme risque de mourir. Il s’appelle Ali Aarrass. Emprisonné depuis cinq ans pour un crime qu’il n’a pas commis. Torturé dans une geôle de la dictature marocaine sous l’œil complice de la « démocratie » belge. Oui, Ali est Belge d’origine marocaine. Cela suffit pour être considéré comme un « terroriste » même s’il a été innocenté en 2009 par le juge antiterroriste Balthazar Garzon … Poussé à bout par ces tortionnaires marocains, abandonné par l’État belge, Ali a décidé d’entrer en grève de la faim et de la soif. A l’heure d’écrire ces lignes, c’est son vingtième jour sans nourriture ; son sixième sans boire.

La députée écologiste, Zoé Genot, a interpellé à plusieurs reprises le gouvernement belge sur le scandale Ali Aarrass.

Ali, j’ai honte.
De nos soi-disant responsables politiques qui se lavent les mains de ton sort et s’apprêtent, comme chaque année, à partir en vacances ; le devoir accompli et la conscience tranquille.

Ali, j’ai honte.
De l’impuissance des rares démocrates, révoltés par l’injustice que tu endures et qui ont tenté sans succès d’y mettre fin.

Ali, j’ai honte.
D’être comme toi, comme l’a déclaré ton avocat : un « belgo-quelque chose ». Soit ce citoyen belge de seconde zone qui ne dispose pas des mêmes droits ni ne bénéficie de la même solidarité institutionnelle qu’un Belge blanc.

Ali, j’ai honte.
De notre pays où – comme nos parents du temps de la colonisation – nous restons considérés et traités comme des « indigènes ». Avec pour véritables droits effectifs, celui de la fermer, de raser les murs et de rester à notre (mauvaise) place.

Ali, j’ai honte.
De ces médias, de ces associations et de ces moralistes qui agitent les mots « diversité » et « vivre ensemble », mais persistent à ignorer qu’entre autres injustices ton martyr a réduit en poussières ces néologismes. Pire : cela pousse vers l’extrémisme certains de nos frères et sœurs, fondés à ne plus rien attendre d’un État « des droits de l’homme blanc ».

Photo article Aarrass CV

L’enquête de Georges Huercano (RTL-Tvi ; 2010) et les 4 pages de Candice Vanhecke (Marianne Belgique ; juin 2013) constituent les rares traitements journalistiques sérieux du scandale Ali Aarrass.

Ali, j’ai honte.
De bon nombre de nos compatriotes qui jugent qu’il n’y a « pas de fumée sans feu » ; qu’au vu de ton « nom bizarre », tu as « sûrement fait quelque chose » …

Ali, j’ai honte.
De ces « Ali-alibis », de ces « Fatima-mets-toi-là » et autres nègres(ses) de maison qui pensent : «Mieux vaut lui que moi ! » ; « Ça ne m’arrivera pas : moi, je suis bien intégré(e) ! ».

Ali, j’ai honte.
De ces gauchistes qui ont su se solidariser contre l’injustice et le harcèlement politico-judiciaires endurés par Bahar Kimyongür, mais n’osent un mot, n’ont pas pris un risque, te concernant. Car voilà : il n’est « politiquement pas rentable » de prendre la défense d’un arabo-musulman dans une société largement islamophobe.

Ali, j’ai honte.
De ces « belles âmes » qui ne se fatigueront pas de m’accuser « d’islamo-gauchisme » ou de racisme anti-blancs tandis qu’elles ne cessent de tolérer ou de consolider depuis tant d’années une hiérarchisation raciale dans notre pays.

Ali, j’ai honte.
De ces gens qui ressemblent furieusement à ces fonctionnaires des années 30 et qui, si tu venais à mourir, diront : « On ne pouvait rien y faire » ; « On a obéi aux ordres » ; « J’avais aussi une famille à nourrir ».

Ali, j’ai honte.
De cette violence inouïe que notre État fait subir à longueur d’années à tes parents et ta sœur Farida.

Ali, j’ai honte.
De mes mots dérisoires qui, s’ils pourront atteindre certains cœurs, ne changeront rien à l’injustice, au mépris raciste et à l’indifférence institutionnels qui ont brisé ta vie.

Ali, j’ai honte.
Pour nos enfants qui vont grandir dans une société où leur destin risque d’être pulvérisé par d’obscurs intérêts « stratégiques », par la raison d’État … Car, quels que soient leurs efforts et leurs degrés de probité, nos enfants ne seront jamais vraiment belges.

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