lundi 12 décembre 2011
Dernière modification : lundi 12 décembre 2011
Après plus d’un an de tractations institutionnelles et 4 mois de négociations socio-économiques, un gouvernement s’est formé en Belgique. La « note gouvernementale » est devenue publique après la manifestation syndicale (65.000 personnes) contre l’austérité du vendredi 2 décembre. Elle imite, en partie, les plans d’austérité qui frappent la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre et l’Irlande. Ici comme ailleurs, au nom de « rassurer les marchés » le gouvernement s’attaque aux formes de protection collective et singulièrement aux allocataires sociaux. Très concrètement ce sont 110.000 personnes qui risquent dans trois ans de perdre leur revenu si cet accord gouvernemental est voté. Tour d’horizon des futures mesures au niveau du chômage.
Les chômeurs sont trop gros : on dégraisse !
Le nouveau budget de l’Etat est un florilège de mesures attaquant les chômeurs. On a peine à comprendre le lien entre la crise bancaire, les millions d’euros investis pour sauver « l’économie » et le fait que ce soit les segments les plus précaires du marché du travail qui doivent trinquer.
Premier angle d’attaque : la généralisation à toutes les catégories de chômeurs du principe de dégressivité des allocations aboutissant désormais à un forfait proche du seuil de pauvreté (880 euros). Beaucoup de chômeurs vont ainsi perdre jusqu’à 10, voire 15% de leur revenu mensuel. Au bas mot, cette mesure va rapporter 200 millions d’euros sur un budget recherché de 11 milliards. On s’en doute : la question est moins budgétaire que politique. Le problème est direct : plus on abaisse les allocations de chômage moins un patron devra payer pour engager un travailleur. En Grèce, un emploi plus ou moins précaire se négocie à 600 euros, au Portugal à 400 euros et combien en Chine ?
Ceux qui attendent : dehors !
La mesure « phare » concernant le chômage est pourtant ailleurs. Elle vise les personnes entrées au chômage sur base des études et qui perçoivent dès lors des « allocations d’attente ». Celles-ci seront désormais limitées dans le temps pour les « plus de 30 ans » et pour tous les « cohabitants ». Pour une partie de ceux-ci, le décompte se fera dès le 1er janvier 2012. Pour les plus de trente ans , le compte à rebours de « 3 ans » commencera à la même date pour se terminer… au 1er janvier 2015. 110.000 personnes sont potentiellement concernées par cette mesure « budgétaire ». En dehors de la violence sociale de cette mesure et des coûts indirects qu’elle va nécessiter (logement social, transfert vers les CPAS, « gestion » de l’explosion de la pauvreté …), on serait intéressé de savoir à combien a été chiffrée cette économie ?
Il y a tout de même deux évidences à rappeler dans toute cette histoire : d’abord l’emploi, il n’y en a plus depuis longtemps pour tout le monde ; ensuite les chômeurs, ils sont insérés dans une diversité de projets, d’activités, de soins aux autres… On n’aura de cesse de le répéter : la frontière ne passe pas entre actif (travail) versus passif (chômage) mais à travers une zone grise où se mélangent divers statuts et activités (travail, allocations,…) [1].
Mais peut-être que ces évidences « empiriques » n’intéressent pas grand monde et qu’elles sont contrées par une exigence dogmatique : faire en sorte que la réalité corresponde au dogme libéral. C’est-à-dire : faire exister un marché du travail précarisé (interim, PFI, RPI…) sans plus de protections collectives.
Contrairement à une idée répandue, cette mesure concernera des personnes de tout âge. Le statut « allocation d’attente » correspond directement à trente années de déréglementation et de précarisation du marché du travail. Le contrat indéterminé à temps plein (CDI) n’est plus la norme. Aujourd’hui pour bon nombre de personnes « faire carrière », c’est passer par un nombre incalculable de statuts (mi-temps, CDD, contrat temporaire…) qui ne permettent pas de sortir de ces allocations d’attente. Il faut de 12 à 24 mois de travail quasi continu pour passer au régime dit « allocation sur base du travail ». La note gouvernementale est claire sur ce régime précaire des « allocations d’attente » : ceux ou celles qui pourront prouver 156 jours de travail sur une période de référence de 24 mois maintiendront leurs « alloc’ » pendant encore six mois avant une nouvelle évaluation, celle-ci se répétant tous les semestres par la suite.
Cette mesure s’étend également à un autre groupe de chômeurs, et ici de manière complètement discriminatoire : les « cohabitants » dit « non privilégiés » (c’est-à-dire qui cohabitent avec une personne ayant des revenus autres que des allocations sociales ou équivalentes). Cette mesure va toucher principalement les femmes. On ne sait pas exactement combien de personnes cela va toucher. Mais selon, une étude de la FGTB, publiée dans le soir du 10 décembre, ce sont 24.000 « cohabitants » qui seront exclus du chômage d’ici… avril 2012.
Un service militaire pour les jeunes : le stage d’insertion
En 1984, une « marche des jeunes » à Bruxelles se termine en affrontement avec les forces de l’ordre. L’un des motifs de cette colère est la création institutionnelle d’une nouvelle case au niveau du chômage : « stage d’attente et ensuite allocation d’attente pour les jeunes ». Avant cette date, la discrimination entre étude et travail n’existait pas au niveau du chômage.
La réforme du stage d’attente (pour les jeunes qui sortent de l’école), c’est-à-dire la période qui précède l’obtention des allocations d’attente est l’autre volet de cette mesure « phare ». En 1984, après cette « marche des jeunes », il fallait trois mois pour accéder aux allocations. En 1992, on est passé à six mois, puis à 9 mois et demain à 1 an. A cet allongement de la durée correspond aussi une intensification des contrôles. Tous les quatre mois durant ce stage (gratuit), il faudra montrer sa « bonne volonté », son « activation ». C’est-à-dire sa capacité subjective à répondre et à anticiper les demandes du marché.
Au terme du stage, le jeune chômeur, s’il est isolé et a plus de 21 ans, par exemple, aura droit pendant six mois à une allocation de 750 euros. A la moindre frivolité de sa part, il se verra exclu du chômage, avec possibilité de revenir six mois plus tard montrer sa « positivité ».
Ce dispositif de contrôle est beaucoup plus dur que celui actuellement en vigueur pour les chômeurs dits de « longue durée » (deux ans). Ceux-ci sont contrôlés tous les 16 mois et si ça se passe mal ils doivent passer deux autres « épreuves » dans les huit mois avant d’être exclus. Des dizaines de milliers de chômeurs en dix ans ont été exclus par ce plan d’activation.
Un contrôle plus près de soi…
Enfin, la note gouvernementale nous parle aussi d’autre chose. La première partie est consacrée au volet dit institutionnel. Au niveau du chômage, les compétences sont transférées vers les régions. Cette mesure est prise dans un carcan, dit « de responsabilisation ». Le critère est le suivant : d’ici 2020, il faut que chaque région arrive à un taux d’emploi de 73% sinon le budget fédéral qui lui est alloué sera raboté. La « note » dit que cet « objectif ambitieux nécessite d’augmenter de plus de 5% le taux d’emploi » [2]. Mais si l’on regarde de près ces chiffres on constate une très grande différence entre les régions : la Flandre est en 2011 à 71,8%, la Wallonie à 62% et Bruxelles à 58 %. Ce qui signifie pratiquement mettre les régions (Actiris, Forem) sous pression pour qu’elles fassent à leur tour pression sur « leurs » chômeurs. Alors comment vont-ils faire ? Appliquer ici aussi le dogme libéral et prescrire ou préformer le futur. La note précise d’ailleurs les directions à suivre : intensifier les contrôles et toutes autres mesures allant vers cet objectif.
Dans cette chaîne de « responsabilités » visant les 73%, il va y avoir du dégât à tous les étages. Actiris et le Forem sont traditionnellement des « placeurs », des formateurs au niveau du marché du travail. La mue « néo-libérale » de ces institutions a déjà commencé depuis quelques années. Actiris, par exemple, sanctionne de plus en plus (via l’Onem) les chômeurs ne se présentant pas ou en retard à leurs convocations. Mais cette mue n’est pas complète. Il y a, semble-t-il, encore des forces qui résistent à cette transformation. La note gouvernementale le suggère lorsqu’ils écrivent : « néanmoins, les régions qui le souhaitent seront libres de déléguer le pouvoir de sanction à l’Onem, contre rémunération ».
Apprendre à viser…
J’ai beau avoir été bercé par cette vieille et classique ritournelle de la « socialisation des pertes et privatisation des gains », je n’arrive pas à m’y habituer. J’essaye de me calmer mais à chaque fois ça chauffe en moi. Une affaire de température sans doute… mais il y a aussi autre chose. Cette sale petite histoire d’austérité n’est pas seulement économique, elle est aussi toxique. Comme si les mots, les lettres de cette note gouvernementale se détachaient du papier et formaient un nuage de pollution.
Une pollution, c’est plus indiscernable. Elle attaque un corps, elle le contamine, elle l’affaiblit. Je me réveille la nuit avec elle, je la porte avec moi dans des discussions, je m’énerve plus rapidement pour des histoires sans trop d’importance. C’est une histoire sociale également, de conjoints, d’amis qui s’inquiètent, les parents ou la famille aussi… En un mot, un climat se crée et se propage dans des réseaux sociaux.
Cette histoire d’austérité est à prendre depuis ces trois volets de toxicité : économique, mental et social. Il me semble important de ne pas « trop garder en soi » cette pollution mais de mettre en circulation des récits, des impressions, des analyses. Il s’agit de faire de ces sentiments de colère, de peur, d’anxiété, de rire aussi, des armes collectives de guérison « on n’est pas tout seul » et projectives. Autrement dit, apprendre à ne pas retourner la colère sur soi ou ses proches mais l’articuler vers les agresseurs. C’est une vieille sagesse antique à pratiquer en meute.
David Vercauteren
Adresse originale de l’article : http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5924