Huey P. Newton, Le suicide révolutionnaire, 2018, Paris, Premiers Matins de Novembre Éditions, 340 pages, 18 €.
Un billet de Frédéric Thomas
Le suicide révolutionnaire constitue l’autobiographie du co-fondateur (avec Bobby Seale) et leader du Black Panther Party, Huey P. Newton (1942-1989), qui en fut le « ministre de la Défense ». C’est également un essai théorique où l’auteur éclaire les choix stratégiques du mouvement. Et, enfin, une sorte de livre de formation. Le titre, étrange à première vue, renvoie à un positionnement éthique (à acquérir) dans la lutte révolutionnaire :
« Mais avant de mourir, la question est de savoir comment vivre. (…) Le suicide révolutionnaire ne signifie pas que moi et mes camarades désirons mourir, cela signifie exactement le contraire. Nous ressentons un tel désir de vivre avec espoir et dignité qu’une existence qui en serait dénuée nous est impossible » (p. 24).
Comme le fait remarquer avec raison, dans la préface, Amzat Boukari-Yabara, cette conception a des affinités avec « ce que le leader bissau-guinéen et cap-verdien Amilcar Cabral appelait le « suicide de classe » : rendre la « petite bourgeoisie révolutionnaire […] capable de se suicider comme classe pour ressusciter comme travailleurs révolutionnaires » » (p. 7).
Grandir, lire et se battre
Dans Le suicide révolutionnaire, Huey P. Newton raconte son enfance et adolescence, son attachement à sa famille, les jeux et la petite criminalité à laquelle il se livre, lui et ses amis, presque avec légèreté, au cours de son adolescence. Et son éducation…
« Nous partagions les rêves des autres enfants américains. Portés par notre innocence, nous voulions devenir docteurs, avocats, pilotes, boxeurs et bâtisseurs. Comment aurions-nous pu savoir que nous n’allions nulle part ? Rien dans notre expérience n’avait encore montré que le rêve américain ne nous était pas destiné. Nous aussi nous avions de grandes espérances. Et puis l’école a commencé » (p. 37). L’école apparaît en effet et tout à la fois comme un marqueur du racisme et des inégalités, un « fixeur » des classes et des places au sein de la société états-unienne et un vecteur idéologique qui n’a de cesse de « démontrer » aux enfants noirs leur infériorité et leur incapacité. « De toute façon, pourquoi apprendre à lire quand tout ce qu’ils nous offraient n’était que des histoires racistes et complètement hors sujet. Refuser d’apprendre devint une question de résistance, un moyen de préserver coûte que coûte ma dignité au sein d’un système oppressif » (p. 47). C’est avec l’exemple de son frère le plus proche, étudiant à l’université, et grâce à son goût de la poésie, que Newton se décide à apprendre à lire. Mais seul, en cachette, et à partir de La République de Platon ! Il semble s’être rattrapé par la suite tant son appétit de lecture était grand. D’ailleurs, ce livre est rempli de références diverses, qui montrent l’étendue de la connaissance et de la curiosité de l’auteur.
Huey P. Newton a longtemps vécu à Oakland, ville de la côte ouest des États-Unis située dans l’État de Californie ; dans ce qu’il nomme le « système » Oakland ; celui des violences policières et de la corruption. « Tout le monde n’admet pas cette réalité à Oakland, en particulier les structures du pouvoir et la classe moyenne blanche privilégiée. Mais en même temps, aucun d’entre eux ne vit réellement à Oakland » (p. 34). Il s’enthousiasme pour la révolution cubaine, et ses dirigeants, Fidel Castro, Che Guevara, ainsi que pour la lutte des droits civiques menée par Martin Luther King. Mais plus encore, et plus radical, par Malcom X (1925-1965). Il accède à l’université et sa première lutte publique se déroule en son sein, afin « d’inclure l’histoire Noire au programme universitaire » (p. 85 et suivantes).
« Ce sont mes études et mes lectures à l’université, affirme-t-il, qui m’ont conduit au socialisme. Ma transformation de nationaliste à socialiste fut lente, en dépit du fait que j’étais entouré de beaucoup de marxistes » (p. 85). Parmi ces lectures, celles qui semblent l’avoir le plus marquées au-delà des États-Unis, il y a les existentialistes français, Fanon, Mao… Et ce livre est aussi la photographie d’une époque : celle des « Années 1968 ». En adhérant au socialisme, Huey P. Newton n’en abandonne pas pour autant l’analyse spécifique du racisme, offrant un point de vue (alors en tout cas) original : « J’ai aussi pris conscience du lien entre le racisme et l’économie capitaliste, même si je devais admettre qu’il était nécessaire de séparer les concepts pour mieux analyser la situation générale. En termes psychologiques, le racisme peut continuer à exister même une fois que les problèmes économiques, générateurs de racisme, sont résolus. Sans jamais être convaincu par l’idée que détruire le capitalisme détruirait automatiquement le racisme, je sentais cependant que nous ne pourrions pas détruire le racisme sans anéantir ses fondements économiques. Il était nécessaire de réfléchir à ces interconnections complexes de façon bien plus créative et indépendante » (page 86).
Or, ce positionnement était loin d’être partagé au sein du Black Panther Party…
Autodéfense armée
Formé le 15 octobre 1966, le parti se nomme à l’origine le Black Panther Party for Self-Defense [pour l’auto-défense]. Et, de fait, il s’affirme et met d’emblée en pratique l’autodéfense armée [le port d’armes visibles était alors autorisé aux États-Unis] et les patrouilles de surveillance de la police (p. 125 et suivantes). Le septième point du fameux programme (qui en compte dix) du Black Panther Party vise la fin des violences policières. À celles et ceux qui pourraient s’étonner d’une telle focalisation, l’auteur s’en explique longuement dans ces pages. « Nous voulions avant tout éduquer et révolutionner la communauté, il fallait gagner son attention et offrir quelque chose à quoi s’identifier. C’est pour cela que le septième point, concernant la police, fut le premier axe sur lequel nous avons travaillé. Le point 7 statue que : ‘Nous voulons la fin immédiate des violences policières et des meurtres des Noirs’. Il s’agit d’un enjeu crucial pour toutes les communautés Noires. La police ne nous a jamais protégés. Au contraire, il s’agit du bras armé de l’oppresseur et nous sommes en permanence soumis à sa violence » (p. 137).
Face aux violences policières, omniprésentes et « structurantes » dans les quartiers noirs, Bobby Seale et Huey P. Newton veulent donc montrer à leurs « frères », comme ils les nomment, comment se défendre eux-mêmes. Mais il s’agit aussi d’inventer « un modèle de force et de dignité » (p. 143). Et de revenir également sur ce que Newton appelle lui-même « la guerre psychologique » et la désignation des policiers comme des « porcs ». « Le mot ‘porc’ a un autre avantage : c’est un mot neutre en termes de races. Beaucoup de jeunes étudiants blancs ont commencé à comprendre ce que la police faisait réellement quand ils se sont fait tabasser pendant les manifestations contre la guerre du Vietnam et contre leur enrôlement dans l’armée. L’usage du terme s’est élargi et a servi aux victimes pour s’unir contre leurs oppresseurs. Même si les jeunes blancs ne subissaient pas la violence de la même manière ou avec la même intensité que nous, ils sont quand même devenus nos alliés contre la police. Les classes dirigeantes n’ont ainsi pas été capables de monter les victimes les unes contre les autres, comme cela avait été fait dans le Sud en montant les blancs pauvres contre les Noirs » (p. 182).
Par le biais de la question des violences policières, il s’agissait donc aussi de « montrer que les autres violences que subissent les pauvres faisaient partie d’un même ensemble : le chômage, les problèmes de logement, les inégalités du système éducatif, le manque d’équipements publics, l’injustice de l’enrôlement dans l’armée. Si nous étions capables d’organiser les gens contre les violences policières, comme nous avions commencé à le faire, nous pourrions les orienter vers l’élimination des autres formes d’oppression qui y sont liées. En fait, le système nous élimine bien plus souvent par négligence qu’à l’aide des armes de la police. Le flingue, c’est juste le coup de grâce, le bourreau. Notre objectif, c’était d’éradiquer les conditions préalables menant à ce coup de grâce » (p. 204).
Huey P. Newton insiste : « Les patrouilles au sein de la communauté n’étaient qu’une étape de notre programme en dix points, elles n’ont jamais été considérées comme l’unique entreprise communautaire du Black Panther Party ». Reste comme il l’analyse lui-même dans ces pages que cette étape a pu phagocyter la compréhension et la mise en œuvre du programme pour certains (voir plus loin).
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Conséquence ou suite logique des violences policières : la prison. Et ce livre est également un témoignage de l’intérieur, une étude du système carcéral – « partie intégrante d’un complexe plus large, que l’on peut appeler la ‘superstructure institutionnelle américaine’ » (p. 277) – et un cri de révolte contre celui-ci : « un lieu où chaque désir est utilisé contre vous » (p. 273). Il met à nu les mécanismes délibérés pour « attiser la haine raciale pour nous diviser » :
« Beaucoup de détenus blancs ne sont pas des racistes inconditionnels lorsqu’ils arrivent en prison, mais le personnel les pousse vite à le devenir. Les surveillants ne veulent pas que la haine raciale se transforme en actes de violence entre détenus, mais ils veulent la maintenir suffisamment élevée pour empêcher toute unité. Cela ressemble à la stratégie utilisée par les politiciens des États du Sud pour opposer les blancs pauvres aux Noirs pauvres » (p. 273).
Huey P. Newton, comme nombre d’autres membres du Black Panther Party, fut incarcéré à de nombreuses reprises et pour des temps assez longs, au point qu’il affirme : « Durant les cinq années qui suivirent la formation du Parti, il a toujours semblé que le temps ne se mesurait pas en jours ou en mois, ni même en heures, mais par les allers-retours des camarades et des frères en prison, les dates d’audiences, de libérations, de procès. Nos vies n’étaient pas rythmées par le tempo d’événements quotidiens mais par l’horloge forcée du processus judiciaire » (p. 317).
Des enfants afro-américains bénéficiant du Programe des petits déjeuners organisé par le BPP. Aux murs, des affiches de la presse du parti (source : https://rortybomb.wordpress.com/2012/01/19/mental-note-link-black-panther-free-lunch-program-ows-infrastructure/ )
Black Panther Party
« Au Parti, nous avons fondé une famille » écrit-il (p. 112). L’influence de Malcolm X y était omniprésente, et le Black Panther Party est sensé exister à travers son esprit (p. 129). Pourquoi le symbole de la panthère ? Parce que « la panthère est un animal féroce mais qui n’attaque pas sauf s’il est acculé, au pied du mur ; alors seulement il contre-attaque » (p. 130). Le programme, « CE QUE NOUS VOULONS, CE QUE NOUS CROYONS » est composé de dix points, revendiquant : la liberté, le plein emploi, des logements décents, l’éducation, la fin des violences policières et du pillage de la communauté…
L’objectif est : « Tout le pouvoir au Peuple ». Et ce à travers « le contrôle total des institutions par la communauté » et la coopération entre « divers groupes ethniques coopérant dans un esprit d’entraide mutuelle plutôt que dans la compétition » (p. 183). Le suicide révolutionnaire contient cependant peu d’informations sur l’organisation du Parti et sur la mise en œuvre de son manifeste. Il n’en délivre pas moins de précieux éléments sur ce qui est la dimension la moins connue, la moins spectaculaire et peut-être la plus intéressante et originale, à savoir ses programmes communautaires : les programmes de petit déjeuner pour les enfants, les centres de distribution de vêtements, les écoles de la libération, les projets autour des prisons et les centres médicaux, la « trousse de premiers secours juridiques » (p. 172)…
« Nous les [ces programmes communautaires] avons appelés ‘les programmes de survie en attendant la révolution’, parce que nous avions besoin de programmes à long terme et d’une organisation disciplinée pour les mener à bien. Ils étaient conçus pour aider le peuple à survivre jusqu’à l’éveil des consciences, qui n’est que le premier pas vers la révolution qui produira une nouvelle Amérique. J’utilise fréquemment la métaphore du radeau pour décrire les programmes de survie. Utiliser un radeau pendant une catastrophe n’est pas censé changer les conditions mais signifie aider à dépasser ce moment difficile. Pendant une inondation, le radeau est un dispositif de sauvetage, mais c’est seulement un moyen d’atteindre un endroit plus sûr, à l’abri. C’est la même chose avec les programmes de survie, ce sont des programmes d’urgence. Ils ne changeront pas les conditions sociales, mais ce sont des moyens de sauver des vies en attendant que ces conditions changent » (p. 311).
Critique du cas Eldridge Cleaver
Au fil des pages, Huey P. Newton s’en prend régulièrement et longuement à deux membres du parti : Stokely Carmichael (1941-1998) et surtout Eldridge Cleaver (1935-1998). C’est qu’il y voit, particulièrement pour ce dernier, une dérive, voire une falsification du mouvement révolutionnaire. Et cela se manifeste à un double niveau : le fétichisme des armes et les alliances.
Il y revient souvent : le Black Panther Party entendait garder, autant que possible, ses activités à l’intérieur du cadre légal. Il valorisait l’éducation politique, avait même constitué un « Institut idéologique », qui a pu fournir à quelques trois cent camarades « une compréhension du matérialisme dialectique », à travers l’étude en profondeur « des grands penseurs et philosophes marxistes » (p. 312). « Mais le Parti été saboté de l’intérieur et de l’extérieur. Pendant des années, les médias dominants ont présenté une image spectaculaire du Parti, en mettant l’accent sur la violence et sur les armes. Les gros événements comme celui de Sacramento, l’affrontement avec la police devant les locaux de Remparts1, ou la fusillade du 6 avril 1968 ont été déformés et leur signification n’a jamais été comprise ou analysée. De plus, notre programme en dix points fut passé sous silence et nos programmes de survie furent négligés. Les Black Panthers étaient associés aux armes, voilà tout » (p. 343).
Or, Cleaver participe de ce sabotage ; en est même une pièce centrale que, dans son livre, Newton tente de démonter. Ce qui a plu à Cleaver dans le Black Panther Party, « c’était la force, la puissance de feu et ce moment intense où les combattants font face à la mort. Pour lui, c’était ça, la révolution. L’idéologie portée par Eldridge était une rhétorique de la violence ; ses discours abondaient de ‘soit/soit quelque-chose-d’absolu’, comme ‘soit vous prenez les armes, soit vous restez un lâche pleurnichard’. Il ne souhaitait pas soutenir les programmes de survie et refusait de voir qu’il s’agissait d’une partie indispensable du processus révolutionnaire » (p. 343).
Cleaver ne s’intéressait qu’aux « coups d’éclat », aux actions spectaculaires (p. 152), semblant mépriser le travail d’éducation, de formation et les activités économiques solidaires, idéalisant au contraire les émeutes spontanées, alors que, selon Newton, le parti n’en voulait plus « parce que le résultat était toujours le même : le peuple parvenait à libérer son territoire pour quelques jours ou quelques heures, mais la force militaire de l’oppresseur finissait toujours par réduire à néant tout ce qui avait été gagné. Sans la force et sans l’organisation, le peuple était impuissant. En fin de compte, les émeutes ne faisaient qu’intensifier la répression et nous faisaient perdre des hommes courageux » (p. 169).
Le suicide révolutionnaire est d’ailleurs aussi l’occasion pour Huey P. Newton d’interroger de manière critique et auto-critique l’image véhiculée consciemment et inconsciemment par le Black Panther Party. Et par lui-même ; on se souvient de sa fameuse photo, assis dans un fauteuil de rotin, veste en cuir et béret, une lance dans une main, un fusil dans l’autre. Il revient sur la généalogie du mouvement : « Le Parti était né à une époque précise, dans un endroit précis. Il avait vu le jour pour lancer un appel à s’autodéfendre contre la police, qui patrouillait dans nos quartiers et nous brutalisait en toute impunité. (…) Nous avions cherché à créer un contre-pouvoir au sein de la communauté, une image positive d’hommes Noirs forts et courageux. L’accent mis sur les armes fut une phase indispensable dans notre évolution (…). Mais bientôt nous avons réalisé que les armes et les uniformes nous séparaient du reste de la communauté. Nous étions vus comme un groupe militaire de circonstance, agissant hors du tissu communautaire et trop radical pour y appartenir » (p. 341-342).
L’auteur pointe les écueils de la démarche initiale : l’insistance trop prononcée sur l’action armée, sur « l’avant-garde révolutionnaire », qui crée une distance – et même une défiance – avec la communauté. Et de conclure le « cas » Eldridge et, à travers lui, celui de nombreux militants, de manière très critique : « Je comprends maintenant qu’Eldridge n’était pas dévoué à la cause Noire mais qu’il était plutôt en quête d’un symbole de virilité. C’était une idée fausse assez répandue à l’époque, le fait que le Parti cherchait à se forger une forte image masculine. (…) Eldridge était à un moment de sa vie où il voulait explorer sa virilité. Les uniformes, les armes, la violence dans la rue produisaient une certaine image de puissance » (p. 150).
L’image spectaculaire – au sens de Debord – de puissance virile et armée du Black Panther Party rebondit dans la question des alliances ; alliances à faire ou à fuir. Huey P. Newton se montre critique, voire réticent à se lier aux mouvements radicaux « blancs ». Mais non pas sur la base d’un prétendu rapport de « race », mais en fonction d’une analyse et d’un positionnement politique. « Bobby et moi, écrit-il, étions proches du lumpenprolétariat Noir, nous n’aimions pas les bohémiens et les militants blancs » (p. 207). Les drogues étaient d’ailleurs interdites parmi les Black Panthers. Et si le parti s’est lié avec les autres mouvements radicaux « blancs » – notamment la coalition avec le Peace and Freedom Party (organisation californienne de gauche opposée à la Guerre du Vietnam) avec à sa tête, un moment, Eldridge et Jerry Rubin (1938-1994) – cela n’a pas été sans de sérieuses frictions. Il en tire un bilan sous la forme d’une conclusion synthétique et ironiquement amère : « les fantasmes des radicaux blancs et de Cleaver avaient fusionné, et nous, les Black Panthers, humains, trop humains, n’avions pu les satisfaire » (p. 314).
Ces « fantasmes » sont eux-mêmes doublés par le refus d’une frange du mouvement noir, y compris au sein du BPP, de toute alliance avec les organisations « blanches ». Stokely Carmichael incarnait, selon Newton, un tel positionnement. « Il prédisait que les blancs allaient détruire notre mouvement, aliéner les Noirs et amoindrir notre influence sur la communauté », qu’ils « essaieraient de prendre le pouvoir ». En conséquence, il fallait refuser toute alliance avec eux. Si Newton reconnaissait ce risque, il n’y voyait pas une fatalité raciale, mais bien une tendance inscrite dans des rapports sociaux inégalitaires.
À cette attitude, Newton répond par la nécessité d’alliance et le rejet du racisme. « Nous avions besoin d’alliés, écrit-il, et nous pensions sincèrement que des alliances avec de jeunes blancs, étudiants et ouvriers, valaient la prise de risque »2. De plus, la position de Carmichael selon laquelle « il soutiendrait n’importe qui du moment qu’il est un Noir » était (ou devait être) pour les Black Panthers « un point de vue raciste et suicidaire. Soutenir un homme Noir armé, au service de l’oppresseur, c’est participer à sa propre destruction ». Et l’auteur de conclure : « Alors que je reconnaissais l’omniprésence du racisme, le problème devait être considéré plus largement en matière d’exploitation de classe et de système capitaliste. À travers l’analyse de la situation dans le pays, je soutenais qu’il fallait former de nombreuses alliances et créer des solidarités avec quiconque se battait contre cet oppresseur commun. Je répondais à son analyse de race par une analyse de classe » (p. 210-211 ».
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Le livre évoque brièvement la « politique internationale » des Black Panthers, dont leur contact avec le groupe d’étudiants révolutionnaires japonais, le Zengakuren, et le voyage d’une dizaine de jours de l’auteur en République populaire de Chine – pays qui l’a « bouleversé » – en septembre 1971. Seule évocation de tout l’ouvrage dépourvu d’esprit critique, risible si elle n’était nauséeuse, et qu’il faut aussi lire comme un trait de l’époque3. L’internationalisme, ainsi que la lutte des prisonniers politiques, est également soulignée par la seconde introduction de cette édition, écrite par Ahmad Sa’adat, secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
En conclusion
Un livre fort, où se mêlent essai et témoignage, qui, par son style, rappelle parfois James Baldwin ou Frantz Fanon, et qui offre une image autrement complexe et critique du Black Panther Party. Seul regret ; qu’une postface ne donne pas un éclairage sur l’héritage de cette lutte aujourd’hui aux États-Unis. C’est d’ailleurs aussi, de manière générale, cet héritage qui, en arrière-fond, interroge dans les courants post-colonialistes hégémoniques, tant le soubassement marxiste et, plus largement, l’histoire de l’internationalisme ouvrier dans laquelle « baignait » l’expérience des Black Panthers, semblent souvent avoir été évacués.
Quoi qu’il en soit, on ne peut que se féliciter que la maison d’édition indépendante Premiers Matins Novembre4, ait publié ce livre initialement paru en 1973, et encore jamais traduit. Le suicide révolutionnaire est un essai à lire absolument – qu’on complètera utilement avec les mémoires de Bobby Seale, A l’Affut5 – pour ce qu’il donne à voir bien sûr de l’expérience et de l’histoire du Black Panther Party, mais aussi pour les questions – toujours actuelles – qu’il soulève, notamment sur l’autodéfense, le croisement des luttes, et les ressorts et représentations de la radicalité.
1Paraissant de 1962 à 1975, Remparts fut un magazine proche de la Nouvelle gauche et de la « contre-culture », qui en épousa les évolutions et les combats, particulièrement contre la guerre du Vietnam et le racisme. Il n’existe à ce jour aucune étude en français sur cette revue, à notre connaissance.
2Y compris le « risque » de s’allier avec les mouvements de libération féministes et gay, en 1970, allant ainsi à l’encontre de préjugés (y compris les siens comme il le reconnaissait ouvertement) ancrés dans le mouvement. Voir https://warwick.ac.uk/fac/arts/english/currentstudents/undergraduate/modules/fulllist/special/en304/syllabus2017-18/newton_womensliberation.pdf.
3« À chaque aéroport, des milliers de gens nous accueillaient, applaudissant, agitant leur Petit Livre rouge et brandissant des pancartes qui disaient NOUS SOUTENONS LE BLACK PANTHER PARTY » (p. 337).
5Bobby Seale, A l’Affut. Histoire du Parti des panthères noires et de Huey Newton, Paris, Gallimard, collection « Témoins », 1972. Épuisé, ce titre mériterait sans nul doute une réédition.