Au cours de la journée sur la dette en Afrique, le 2 décembre 2022 à l’Institut International de Recherches et de Formation (IIRF) d’Amsterdam, Omar Aziki a montré en quoi la dette a été le principal instrument du nécolonialisme sur le continent africain. Il a expliqué comment l’endettement a été, successivement, un moyen de coloniser, puis de maintenir dans la dépendance et dans la pauvreté le continent après les indépendances. Omar Aziki a ensuite analysé la situation actuelle. Aujourd’hui, le service de la dette dépasse les budgets sociaux dans de nombreux pays africains, la dette enrichit les bourgeoisies locales et justifie les politiques néolibérales dont la majorité de la population est victime. Ont enfin été listées certaines des expériences d’audits ou de répudiations de dettes qui ont eu lieu dans l’Histoire, les leçons à en tirer et le rôle du CADTM dans cette lutte pour l’annulation des dettes illégitimes.
Omar Aziki est membre du secrétariat national d’ATTAC CADTM Maroc et du secrétariat international partagé du CADTM.
Compte-rendu de la journée sur la dette en Afrique le 02 décembre 2022 à L’Institut International de Recherches et de Formation (IIRF) à Amsterdam
8 décembre par Omar Aziki
Statue de Ruben Um Nyobé : figure de proue de la lutte armée pour l’indépendance du Cameroun, à Éséka au Cameroun. Source : Florettesokeng, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Eseka,_statuette_de_Ruben_Um_Nyobe.jpg
Le réseau CADTM a collaboré depuis longtemps avec l’IIRF pour la formation de ses membres en Afrique, Amérique Latine, Asie et Europe. Il a organisé également des formations internationales dans les locaux de l’Institut.
L’IIRF partage les mêmes valeurs que les chercheur/ses et militant-e-s de base. Les sociétés peuvent et doivent être changées, démocratiquement, par en bas, et ces changements doivent être effectués principalement par ceux et celles qui souffrent de l’exploitation, de l’oppression et de l’injustice. Chaque lutte dans un pays donné doit être située dans un contexte de solidarité internationale.
L’Institut International de Recherches et de Formation (IIRF) basé à Amsterdam organise chaque année une école de formation de 3 semaines en trois langues : anglais, français et castillan. Cette école appelée « École écosocialiste » intègre toutes les questions liées à la crise multidimensionnelle du capitalisme. La crise écologique est située au centre de la stratégie et de la pratique des militant·e·s actif-ve·s en faveur du changement radical. Cette école veut contribuer au renouveau de la pensée socialiste parmi de larges couches d’activistes.
Dans la session de l’École écosocialiste de 2019 de l’IIRF, deux représentants du CADTM Afrique ont participé. Il s’agit de Bambi Soumaré du CADTM Sénégal et Sanoussi Saidou du réseau national dette et développement RNDD au Niger.
Pour l’École de cette année 2022 (du 20 novembre au 10 décembre), la candidate du CADTM Afrique était Agnès Adélaïde Metougou de la Plate-Forme d’Information et d’Action sur la Dette (PFIAD) au Cameroun. Malheureusement, elle n’a pas pu participer à cause des problèmes de visa.
Exposé sur la dette en Afrique
Dans la première partie, j’ai présenté la situation de l’Afrique à travers la question de la dette. J’ai donné un aperçu sur la traite négrière dès le 15e siècle, l’invasion et la domination du continent par les grandes puissances occidentales à partir du 19e siècle. La dette a constitué l’arme la plus puissante utilisée par des puissances européennes pour assurer leur domination.
A l’obtention de l’indépendance des pays de l’Afrique, dans les années 1960, l’endettement constitue un mécanisme principal du néocolonialisme. En plus des transferts financiers par la dette (service de la dette), j’ai cité l’ensemble des transferts négatifs de l’Afrique vers les pays impérialistes : eau, ressources fossiles, minières, forestières, agricoles, génétiques et humaines (dans le sens d’exploitation du travail), fuite des cerveaux, évasion fiscale, etc. Il en résulte un appauvrissement des couches populaires et un enrichissement phénoménal d’une minorité capitaliste au Nord et en Afrique.
Les transferts du Nord Global (pays industrialisés) vers le continent africain : les déchets, pollutions, réchauffement climatique avec sécheresses et pluies torrentielles, produits agricoles subventionnés, semences brevetées, engrais et pesticides, etc. Ces pays adoptent des stratégies d’enfermement face à la migration montante des africain-nes de plus en plus paupérisé·e·s.
Dans la deuxième partie, j’ai abordé le nouveau contexte de la dette en Afrique dans le contexte de la crise multidimensionnelle du capitalisme à partir de 2007-2008, la pandémie de Covid et l’invasion russe de l’Ukraine. La dette constitue un outil de la mondialisation capitaliste qui vise notamment à privatiser toute l’économie, les services publics, les ressources, la nature au profit des capitalistes du Nord et de l’Afrique. La dette par type de créancier fait ressortir l’importance des créanciers privés. Les remboursements de la dette absorbent les budgets des États au détriment des secteurs sociaux.
L’endettement est utilisé comme un vecteur de l’accumulation capitaliste et rend possible la domination économique du secteur financier. Le pouvoir de ce dernier est entre les mains des grandes banques privées et de leurs holdings, des organismes financiers internationaux –principalement le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale –, des agences de notation, des banques centrales et de développement, entre autres. Ce pouvoir financier assujetti les pays d’Afrique à travers les dettes publiques, mais aussi les ménages pauvres à travers les dettes privées. Contractées par des régimes et gouvernement autoritaires et mandataires des gouvernements occidentaux, les dettes servent avant tout à l’enrichissement des bourgeoisies locales.
Le courant révolutionnaire de libération en Afrique qui a nourri les espoirs de nouvelles alternatives pour l’Afrique pendant la crise du colonialisme durant la période 1945-1954 a été confronté à une violence coloniale inouïe pendant la période de 1955 jusqu’à 1962 où le néocolonialisme a été imposé. Des grands leaders panafricains ont été assassinés dont :
- Ruben Um Nyobé : figure de proue de la lutte armée pour l’indépendance du Cameroun. Il fut abattu par l’armée française le 13 septembre 1958 dans la forêt où il se cachait.
- Patrice Lumuba : mort assassiné le 17 janvier 1961 au Katanga en République démocratique du Congo (RDC).
- Mehdi ben Barka : assassiné en 1965 en France.
- Thomas Sankara : assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso.
Le marxisme a joué un rôle central dans la pensée africaine de libération dans le cadre du « communisme » des années 1950 -1960 avec ses divergences et contradictions : URSS, la Chine et Cuba à partir de 1959. Che Guevara avait tenté une expérience de guérilla révolutionnaire au Sud-Kivu en République démocratique du Congo en 1965. Le marxisme était présent aussi dans la conférence de Bandung (Indonésie) en 1955 et la Tricontinentale en 1966. Il y avait des réflexions visant à adapter le marxisme à la réalité du continent à travers la dimension culturelle africaine.
Dans la troisième partie, j’ai parlé des solutions préconisées par les IFI et le G20 lors de la crise sanitaire qui excluent les créanciers privés. Pour notre réseau CADTM, ces mesures, en plus de leur inefficacité, servent plutôt à détourner la discussion sur l’abolition de la dette et la remise en cause radicale du système de la dette. Le CADTM international participait avec d’autres réseaux et organisations à cette réflexion à l’échelle internationale. Il faut préparer les conditions d’un autre rapport de force contre les IFI par des mobilisations populaires fortes, nationales, continentales et internationales. La procédure pour identifier la partie illégitime de la dette publique sera basée sur un large processus d’audit citoyen de cette dette qui débouchera sur des mobilisations pour aboutir à une décision politique, à un acte politique souverain de répudiation de la dette. Ce sont les leçons qui ressortent des deux expériences de l’Équateur et de la Grèce.
Simultanément à l’annulation de la dette, il est indispensable de mettre en pratique d’autres alternatives radicales contre le capitalisme et lutter pour l’émergence d’un monde fondé sur la souveraineté des peuples et la solidarité internationale.
Ernest Mandel avait écrit en 1986 : « Loin de favoriser une quelconque subordination des travailleurs à la bourgeoisie nationale, la mobilisation contre la dette accentuerait l’indépendance de classe du prolétariat de ces pays par rapport à la bourgeoisie, dans la mesure où elle démontrerait que c’est la classe ouvrière et le mouvement ouvrier qui défendent la souveraineté nationale contre l’impérialisme, défense conséquente dont la bourgeoisie s’avère incapable. Elle stimulerait ainsi l’alliance des ouvriers, des paysans, des couches pauvres et marginalisées urbaines, de la petite bourgeoisie urbaine indépendante de la bourgeoisie. C’est pourquoi le mouvement ouvrier devrait lier à la revendication de l’annulation de la dette celle, notamment, de contrôle ouvrier sur les opérations bancaires… »
L’utilité du CADTM comme instrument de combat s’avère aujourd’hui plus grande dans la nouvelle crise de dette qui s’annonce. Comme c’est bien explicité dans sa charte politique, le CADTM est un réseau d’éducation populaire sur le système dette comme outil de domination, les dettes privées illégitimes, les questions pratiques d’audit et la nécessité d’initier de large mobilisations pour rompre avec les IFI et le G20 et développer des alternatives anticapitalistes radicales.
La discussion et les ateliers ont porté sur comment créer concrètement un rapport de force contre les IFI et les gouvernements capitalistes, la dette odieuse, les mécanismes d’annulation de la dette en relation avec le secteur financier, la dette et migration, la dette coloniale. Des cas d’endettement sont aussi été cités : l’Ukraine en guerre et nécessité d’annuler la dette ; le Brésil et la dette pour la dictature ; la dette des étudiants aux USA ; la mobilisation contre l’accord d’un emprunt conditionné par plus de réformes néolibérales avec le FMI en Argentine.
Les participant·e·s ont abordé concrètement la situation de leurs pays à travers la question de la dette. Ils/elles ont également posé des réflexions sur le contexte actuel du capitalisme et la situation des organisations de lutte pour initier des mobilisations contre la dette et ses conditionnalités contraignantes dans une perspective anticapitaliste.
La dette comme instrument du
néocolonialisme
L’exemple du continent africain
Formation Amsterdam
2 Décembre 2022
Omar Aziki