Sahara occidental: la Belgique à la croisée des chemins
Rédaction en ligne
Le 17 février dernier, un tribunal militaire marocain a condamné vingt-quatre prisonniers sahraouis à des peines allant de deux ans d’enfermement à la prison à perpétuité pour 9 d’entre eux. Ce prononcé extrêmement sévère prétendait sanctionner leur comportement lors du démantèlement, par les forces marocaines, d’un camp monté par les Sahraouis afin de protester contre leurs conditions de vie en territoire occupé, soit plusieurs milliers de tentes dressées dans un mouvement considéré par d’aucuns, a posteriori, comme le berceau du printemps arabe.
Rappelons que le Maroc occupe militairement depuis 1975 l’immense territoire du Sahara occidental et qu’il y réprime fermement toute velléité d’indépendance exprimée par le peuple qui y réside : le peuple sahraoui. Rappelons aussi qu’en 1975, la Cour internationale de Justice a reconnu la légitimité du combat du peuple sahraoui.
La condamnation de ces vingt-quatre prisonniers a engendré un émoi certain au sein du bureau des droits de l’homme des Nations Unies. Amnesty International, pour sa part, a déclaré que la sentence devait être annulée et la procédure reconduite en respectant cette fois les dispositions prévues par les conventions relatives aux droits humains en matière de procès équitable.
Ces préoccupations sont légitimes pour au moins trois raisons. D’une part, alors que les Sahraouis jugés étaient des civils, leur cas a été étudié par des tribunaux militaires, ce que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ratifié par le Maroc) prohibe. D’autre part, parce que les preuves utilisées pour procéder à l’enfermement, parfois à vie, des prisonniers Sahraouis semblent soit très peu fiables (photos floues) soit non pertinentes dans un procès portant sur le meurtre de policiers marocains. Le fait par exemple que le ministère public présente, comme preuve à charge, des photos des accusés en compagnie de militants reconnus de l’indépendance du Sahara occidental rapproche en effet davantage le processus judiciaire d’un jugement politique que d’un procès pénal. Cette thèse est enfin renforcée par le fait que, si tous les prisonniers sahraouis ont été condamnés, aucune enquête n’a en revanche été diligentée pour connaître des actes de torture que ceux-ci disent avoir subi dans le but de leur faire signer des aveux compromettants. Pareillement, aucune enquête ne semble en cours à l’encontre des forces qui ont démantelé le camp sahraoui et tué deux manifestants.
Si les Nations Unies, Amnesty international et d’autres organisations transnationales (la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, Human Rights Watch…) s’émeuvent de la situation en cours au Sahara occidental et des violations des droits humains qui s’y déroulent dans l’impunité depuis près de quarante ans, il n’en est pas de même dans la majorité des chancelleries occidentales où règne un silence gêné. Formellement, aucun Etat au monde n’a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Mais jusqu’il y a peu, aucun Etat ne prenait le dossier à bras-le-corps pour le faire réellement avancer. Depuis quelques années, toutefois, les choses changent. Le gouvernement norvégien, qui est à la tête du plus grand fonds souverain du monde, a décidé de ne plus investir dans le capital d’entreprises qui profitent de la domination marocaine sur le Sahara occidental. Il refuse ainsi de financer des entreprises qui exportent du sel ou des phosphates en provenance des territoires occupés. La Suède pour sa part mène une fronde qui commence à porter ses fruits pour que l’Union Européenne cesse d’être complice de l’occupation et amende le traité qui permet actuellement à des navires européens de pêcher dans les eaux sahraouies avec la bénédiction de l’occupant. En bref, les lignes de force changent peu à peu et le sujet devient sensible, sinon au sein de la communauté internationale, du moins au sein de l’Union européenne.
Il est dès lors temps que la Belgique, traditionnellement engagée en faveur de la protection internationale des droits humains, prenne ses responsabilités. Interrogés sur la question, les ministres des affaires étrangères des gouvernements précédents avaient l’habitude de botter en touche et de se réfugier derrière le processus onusien qu’ils disaient « en cours » – alors que chacun sait qu’un processus onusien ne progresse que si certains États ont la volonté de le faire avancer. Ce silence de la Belgique devant des violations si évidentes des droits humains peut étonner. Il s’explique en réalité par le fait que, en coulisse, ce dossier est considéré comme « explosif ». Parce qu’ils assimilent l’opinion du Royaume du Maroc à celle des citoyens belges d’origine marocaine, nombre de politiciens actuels ont peur, en s’opposant à l’un, de perdre le vote des autres. Mais la prémisse du raisonnement est fausse. Il existe certes des Belges d’origine marocaine qui soutiennent l’annexion du Sahara occidental et qui vont, à la demande de l’ambassade, manifester périodiquement pour la poursuite de l’occupation. Mais il en existe tout autant qui, soit ne s’intéressent pas à la politique du pays de leurs parents ou grands parents, soit s’opposent à la poursuite de l’occupation. Nous les avons rencontrés, dans nos universités, dans les mouvements militants, dans les cabinets d’avocats. Ce sont des Belges qui croient à l’importance de la démocratie et qui, à ce titre, ne peuvent que soutenir le peuple sahraoui, lequel souhaite simplement que son indépendance ou son intégration au Royaume marocain soit déterminé par les urnes et non par les armes. Si nos décideurs politiques décident de construire sur ces Belges-là, il ne leur faudra pas beaucoup de courage pour faire ce qui est juste, à savoir dénoncer les violations de droits de l’homme en cours au Sahara occidental et se mobiliser pour qu’un référendum d’autodétermination ait lieu le plus rapidement possible dans ce territoire occupé.
Vincent Chapaux (Chercheur en relations internationales – ULB – New York University)
Eric David (Professeur de droit international – ULB)
Pierre Galand (Ancien sénateur)
Véronique van der Plancke (Avocate au barreau de Bruxelles, chercheuse UNamur et Vice-Présidente de la Ligue des droits de l’Homme)
Olivia Venet (Avocate au barreau de Bruxelles et Présidente de la commission justice de la Ligue des droits de l’Homme)
Pierre Verbeeren (Directeur général de Médecins du Monde-Belgique)