dimanche 6 mai 2012 – Omar Barghouti
The Nation
Le droit des Palestiniens à l’égalité n’est ni négociable ni relatif ; il est la condition sine qua non d’une paix juste en Palestine et dans la région. Comme Edward Saïd le disait : « L’égalité ou rien ! ».
Quiconque soutient l’autodétermination des Palestiniens en appelant simplement à la fin d’une occupation israélienne de 45 ans de la bande de Gaza et de la Cisjordanie dont Jérusalem-Est, ne fait que défendre beaucoup des droits de seulement 38 % des Palestiniens, comptant sur les autres pour qu’ils acceptent l’injustice comme une fatalité. D’après les statistiques 2011, sur les 11,2 millions de Palestiniens, 50 % vivent en exil, beaucoup étant privés de leur droit énoncé par les Nations-Unies au retour dans leurs foyers d’origine, et 12 % sont des citoyens palestiniens d’Israël qui vivent sous un système de « discrimination institutionnelle, juridique et sociétale », selon le Département d’État US. Plus des deux tiers des Palestiniens sont des réfugiés ou des personnes déplacées à l’intérieur.
L’égalité des droits pour les Palestiniens, cela signifie, au minimum :
la fin de l’occupation et de la colonisation de 1967 par Israël,
la fin du système de discrimination raciale en Israël,
et le respect du droit des réfugiés palestiniens au retour sur leurs terres d’où ils ont été chassés par le nettoyage ethnique qu’ils ont subi durant la Nakba de 1948.
L’appel palestinien de juillet 2005 au Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) a été approuvé par une majorité écrasante de Palestiniens, parce qu’il soutient les trois. En faisant appel aux personnes de conscience de par le monde pour aider à mettre fin à ce système d’oppression israélien à trois niveaux, le mouvement BDS ne leur demande rien d’héroïque. Il leur demande simplement de cesser toute complicité dans l’oppression.
En outre, avec les milliards de dollars généreusement distribués chaque année par les États-Unis à Israël, les contribuables états-uniens subventionnent les violations du droit international par Israël à un moment où les programmes sociaux américains subissent de sérieuses coupes budgétaires. S’efforcer de mettre fin à la complicité US avec l’occupation est bon pour les Palestiniens, et aussi pour les 99 % qui se battent pour la justice sociale et contre la guerre perpétuelle.
S’appuyant sur son ascendance mondiale, le mouvement BDS – dirigé par la coalition la plus large dans la société civile palestinienne, le Comité national BDS – se répand à travers les États-Unis, spécialement sur les campus et dans les Églises, remportant des victoires significatives comme celle de l’Olympia Food Co-op. Mondialement, les fédérations syndicales ayant des millions d’adhérents ont approuvé BDS. Veolia et Alstom, deux sociétés complices de l’occupation israélienne, ont perdu pour des milliards de dollars de contrats. Deutsche Bahn, compagnie ferroviaire contrôlée par le gouvernement allemand, s’est retirée d’un projet israélien qui empiétait sur la terre palestinienne occupée. L’université de Johannesburg a coupé tout lien avec l’université Ben Gourion à cause des violations des droits humains. Des artistes de renommée mondiale – notamment, pour les plus récents, Cat Power et Cassandra Wilson – ont annulé leurs représentations en Israël, respectant le boycott culturel et faisant de Tel Aviv en un nouveau Sun City.
BDS défend l’égalité des droits pour tous et s’oppose à toutes les formes de racisme, y compris l’antisémitisme. Cet engagement universaliste a gagné des cœurs et des esprits dans le monde, déclenchant la panique et les tentatives d’intimidation les plus outrancières pour écraser le BDS aux États-Unis, comme en ont témoigné la conférence nationale BDS à l’université de Pennsylvanie et le vote de la Co-op de Park Slope sur le boycott des produits israéliens, où près de 40 % ont voté pour le BDS. Peut-être incité par cette intégration du BDS, le Président Obama l’a attaqué pour la première fois dans son récent discours à l’AIPAC, se joignant à de nombreux politiciens US qui se mettent, avec leurs véhémentes diffamations contre BDS, sur le même plan moral que ces Américains blancs qui s’opposaient au boycott des bus de Montgomery et/ou au boycott de l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Avec ses succès impressionnants dans les domaines économiques et culturels, et avec l’impact grandissant de ses partisans israéliens, BDS est considéré par l’establishment d’Israël comme une « menace stratégique » pour son système d’oppression – à savoir, l’occupation, le colonialisme et l’apartheid. Ceci explique le vote à la Knesset de la loi draconienne anti-boycott, l’an dernier, un vote qui met bas le dernier masque de la prétendue démocratie d’Israël. Mais les campagnes de plusieurs millions de dollars du ministère des Affaires étrangères israélien contre le BDS, pour relooker l’image d’Israël par l’art et les sciences et en utilisant cyniquement les droits des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) pour pinkwasher le déni d’Israël des droits fondamentaux palestiniens, ces campagnes ont largement échoué.
De tous les partisans internationaux du BDS, l’archevêque Desmond Tutu est parmi les plus éloquents quand il argumente sur les pratiques d’apartheid d’Israël. Le Tribunal Russel sur la Palestine, dans sa récente session au Cap, a constaté qu’Israël pratiquait l’apartheid contre l’ensemble du peuple palestinien. De même, des dirigeants chrétiens d’Afrique du Sud ont condamné l’apartheid d’Israël comme étant « encore pire que l’apartheid sud-africain ». Et l’éditeur de Ha’aretz, quotidien influent israélien, a récemment décrit une idéologie israélienne fanatique de « saisie territoriale et d’apartheid ».
Avec son siège de Gaza qui se poursuit ; ses constructions sauvages dans les colonies illégales et le mur en Cisjordanie occupée ; sa stratégie de « judaïsation » à Jérusalem, en Galilée, dans la vallée du Jourdain et au Naqab (Néguev) ; son adoption de nouvelles lois racistes et son déni des droits des réfugiés, Israël s’est embarqué dans une phase plus agressive pour tenter d’étouffer la question de la Palestine en faisant « disparaître » littéralement les Palestiniens, comme le dirait Saïd.
Israël et ses groupes lobbyistes bien rodés, que Thomas Friedman accuse d’avoir acheté l’allégeance du Congrès, ont essayé de délégitimer la volonté des Palestiniens pour l’égalité des droits en prétendant que si l’appel non violent du BDS insistait sur l’égalité des droits et le droit au retour, c’était dans l’objectif de « détruire Israël ». Mais si l’égalité et la justice détruisent Israël, alors que dire d’Israël ? L’égalité et la justice ont-elles détruit l’Afrique du Sud ? Ont-elles détruit l’Alabama ? La justice et l’égalité n’ont fait que détruire leur négation, leur injustice et l’inégalité. La contestation efficace par le mouvement BDS de l’apartheid et du joug colonial israéliens pétrifie Israël et ses lobbies.
Prêts à tout pour « sauver Israël », surtout en tant qu’État apartheid, et motivés par une crainte réelle de la disparition du sionisme, les sionistes « libéraux » sont sous une pression exceptionnelle étant donné la rapidité avec laquelle s’étend le BDS. Conscients de l’impact de son appel sur un nombre de plus en plus grand de militants juifs plus jeunes, certains veulent brouiller les cartes en faisant la promotion d’un boycott sioniste conciliant, pour saper le mouvement. Mais BDS est un mouvement moralement cohérent, basé sur le droit, qui ne peut coexister avec aucune sorte de racisme, dont le sionisme. Un « BDS sioniste » est aussi logique qu’une « égalité raciste » !
BDS concerne les droits palestiniens dans leur ensemble, pas pour simplement mettre fin à l’occupation israélienne de quelque territoire palestinien densément peuplé afin de sauver Israël et qu’il soit un apartheid « plus pur ». Même ceux qui visent à la fin de l’occupation, sans plus s’occuper des droits fondamentaux du plus grand nombre de Palestiniens, se battent pour expliquer leur opposition à un boycott total d’Israël, puissance occupante qui en vertu du droit international porte l’entière responsabilité de l’occupation et de ses manifestations. Le mouvement BDS appelle à boycotter Israël, comme l’Afrique du Sud a été la cible de boycotts à cause de son régime d’apartheid, la Chine de son occupation du Tibet, et le Soudan de ses crimes au Darfour.
Pourtant, BDS n’est pas un mouvement dogmatique ou centralisé – tout est lié à la sensibilité du contexte et à la créativité. Les partisans du BDS, dans leur contexte particulier, décident de leurs cibles et des moyens pour mobiliser et organiser leurs campagnes locales. Tant qu’ils respectent les droits fondamentaux de tous les Palestiniens, les partenaires internationaux peuvent décider de cibler sélectivement les sociétés impliquées dans l’occupation ou la colonisation israéliennes à partir de seules considérations pragmatiques, plutôt que d’approuver les autres injustices d’Israël.
Un mouvement qui habite la conscience des citoyens, qui puise ses racines dans les acquis du combat du peuple opprimé pour la justice, et qui s’inspire de l’héritage riche et varié de Nelson Mandela et Martin Luther King Jr, ce mouvement ne peut être ni vaincu ni récupéré.
Notre moment Afrique du Sud est arrivé.
Note du rédacteur en chef : celui-ci est le premier des deux articles qui seront publiés sur le Forum sur le BDS.
Omar Barghouti est un militant des droits humains, membre fondateur du mouvement de boycott mondial contre Israël à direction palestinienne, et auteur de Boycott, désinvestissement, sanctions. (BDS) contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine (Éditions La Fabrique).