Palestine, ces prisonniers ignorés en grève de la faim
mardi 8 mai 2012, par Alain Gresh
Imaginons un instant deux mille prisonniers politiques en Chine engagés dans une grève de la fin depuis plusieurs semaines ; ou bien deux mille autres, mobilisés dans un mouvement similaire en Russie. Il y a peu de doute que les télévisions et les radios, si promptes à se mobiliser sur les atteintes aux droits humains dans de lointains pays, ouvriraient leurs bulletins d’information sur cette nouvelle, s’indigneraient de cette violation des droits élémentaires, appelleraient nos autorités à réagir et même à intervenir, à imposer des sanctions à Pékin ou à Moscou.
Il y a bien deux mille prisonniers politiques qui font la grève de la faim, mais en Palestine. Et l’information ne semble pas intéresser grand-monde. Mais nous le savons depuis longtemps, les Palestiniens, les Arabes, les musulmans ne sont pas vraiment des êtres humains comme les autres.
Revenons d’abord sur les faits, rapportés par le correspondant du Monde (« Le mouvement de grève de la faim des prisonniers palestiniens en Israël s’étendrait à 2 000 détenus », Lemonde.fr, 6 mai) :
« Israël éprouve des difficultés croissantes à contrôler le mouvement de grève de la faim des prisonniers palestiniens, qui ne cesse de s’étendre. Commencée le 17 avril pour protester contre la pratique de la détention administrative (qui permet de maintenir un suspect en prison sans jugement, pendant une période de six mois renouvelable), cette action regrouperait aujourd’hui quelque 2 000 détenus, selon Addameer, l’association palestinienne de défense des droits des prisonniers. » (…)
« Deux prisonniers au moins sont dans un état critique : Bilal Diab, âgé de 27 ans, est originaire de Jénine, et Thaer Halahla, âgé de 33 ans, originaire de Hébron (tous deux membres du Djihad islamique), ont commencé leur grève de la faim le 29 février. Après soixante-six jours sans alimentation, ils sont entrés dans ce que les médecins appellent “une phase aléatoire de survie”. Les deux hommes ont comparu, jeudi 3 mai, sur une chaise roulante, devant le Cour suprême d’Israël, mais celle-ci a renvoyé sa décision sur une éventuelle remise en liberté à une date ultérieure. »
« Au moins six autres prisonniers sont dans un état de santé jugé alarmant. Ce mouvement de grève s’est étendu aux principaux centres de détention en Israël, et plusieurs chefs de file de la résistance palestinienne, comme Ahmad Saadat, chef du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), l’ont rejoint. Alors que les manifestations de solidarité se multiplient dans plusieurs villes palestiniennes, le gouvernement du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, hésite sur la conduite à adopter. »
Cette grève pose d’abord la question des détentions administratives (c’est-à-dire sans preuve et sans jugement), une pratique héritée de l’époque du mandat britannique, quand Londres luttait (1944-1948) contre le « terrorisme sioniste ». Comme je le rappelle dans De quoi la Palestine est-elle le nom ?, ces lois d’exception avaient été dénoncées par nombre de juristes, dont le docteur Moshe Dunkelblum, qui devait siéger plus tard à la Cour suprême d’Israël. Le 7 février 1946, il déclarait : « Ces ordonnances constituent une menace constante contre les citoyens. Nous, juristes, voyons en elles une violation flagrante des principes fondamentaux de la légalité, de la justice, de la discipline. Elles légalisent le plus parfait arbitraire des autorités militaires et administratives. (…) Elles dépouillent les citoyens de leurs droits et confèrent aux autorités des pouvoirs illimités. » Mais, une fois arrivés au pouvoir, les sionistes oublièrent ces critiques et retournèrent ces lois contre les Arabes.
La Cour suprême d’Israël, que certains présentent comme le garant de la démocratie dans ce pays, a rejeté l’appel de deux prisonniers administratifs en grève de la faim depuis deux mois (« Court rejects petition by Palestinian hunger strikers against detention », Haaretz, 8 mai 2012). En toute hypocrisie, elle a noté que cette pratique de la détention administrative était « une aberration dans le domaine juridique » et devait donc être utilisée « aussi peu que possible », mais les prisonniers qui avaient fait appel étaient déboutés. Il fut un temps où Israël autorisait officiellement des « pressions physiques modérées » contre les détenus palestiniens : un peu de torture, pas trop… Une décision que cette Cour suprême « humaniste » a soutenue jusqu’en 1999 (on était, à l’époque, en pleines « négociations de paix » entre Israël et l’OLP !).
La grève des prisonniers palestiniens a été relayée par les déclarations de Richard Falk, le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, qui s’est déclaré « écœuré par les violations continues des droits de l’homme dans les prisons israéliennes. Depuis 1967, 750 000 Palestiniens, dont 23 000 femmes et 25 000 enfants, ont été en détention dans les prisons israéliennes, soit près de 20% du total de la population palestinienne des territoires occupés », a-t-il rappelé (cité dans Armin Arefi, « Israël : la dernière arme des prisonniers palestiniens », AFPS).
Conclusions : silence radio dans la plupart des médias ; aucune pression sur le gouvernement israélien ; aucune indignation morale de tous ces grands intellectuels… La terre continue de tourner et certains s’étonnent que les discours européens sur la démocratie et les droits humains suscitent surtout des ricanements dans le monde arabe.