Bref, j’ai dis à Angela Davis que je l’aimais.
Aujourd’hui, à 15 heures à l’ULB, était invitée Angela Davis, fraîchement proclamée docteure honoris causa, à une séance de questions réponses avec les étudiants. Il est évident que cette rencontre était cruciale pour poser quelques questions urgentes, questions auquel l’aspect solennel et pompeux de la remise du titre de doctorat honoris causa la veille ne se prêtait pas.
C’était donc l’occasion de préciser certaines choses. Et ça l’a été avec brio.
Après une brève présentation et biographie par une étudiante, Angela Davis délaisse le speech qu’elle avait préparé, pour entrer dans le vif du sujet et engager le débat. Plusieurs questions défilent, assez intéressantes, auxquelles Angela Davis répond en anglais, avec ce charisme et cette malice qui font décidément sa personnalité.
Mais il manque quelques chose, on reste sur notre faim. C’est à ce moment qu’une chercheuse de sciences politiques prend le micro et pose cette question (en substance et de mémoire, comme le seront les autres interventions retranscrites dans ce texte): « On parle beaucoup d’espace de libertés et de résistance, mais parlons du lieu où nous sommes en ce moment-même, de l’ULB. C’est le débat qui concerne les universités, de l’espace de liberté potentiel qu’on peut y trouver mais aussi des imbrications entre l’université et le système dominant. Exemple, ici, il y a quelques semaines, des étudiants et des militants ont chahuté la conférence d’une essayiste française. Ils ont ensuite directement été traités de tous les noms, on leur a dénié le caractère de militants de gauche et progressiste, et on a interprété leur action comme étant celle de musulmans intégristes, maghrébins, etc. Qu’en pensez-vous? »
Angela répond, d’abord de manière assez large sur les université. Puis, revenant sur l’épisode de la Burqa Pride, dit ceci: « Je ne connais pas tous les détails de ce qui s’est passé. » Puis elle esquisse un sourire malicieux: « Mais j’en ai entendu parlé ici et là ». Et de continuer: « Ce que je peux dire c’est que, dans mon campus en Californie, quand un officiel du gouvernement israélien était venu s’exprimer, les étudiants qui l’ont chahuté ont tous été arrêtés. Or, ça ne se passait pas de cette manière pour les autres chahuts, il n’y avait pas d’arrestations policières. D’autre part, je me souviens d’une action de protestation où une militante noire a été arrêtée. Il est certes évident qu’elle a été arrêté parce que protestataire, mais il est tout aussi évident que c’était parce qu’elle était Noire. Enfin, je voudrais dire que, dans les universités, on ne devrait pas s’étonner que les étudiants protestent. C’est même ce qu’on leur demandent, de protester! Les aînés ne se rappellent-ils pas leur jeunesse militante? On devrait demander aux étudiants de protester et résister, pas s’en étonner ».
Au moment où la chercheuse avait posé sa question, quelques professeurs et autres étudiants avaient bruyamment protesté. Certains professeurs ont même lancé quelques phrases désapprobatrices. Et pendant la réponse d’Angela Davis, leurs mines se décomposaient. Je ne citerai pas de nom (parmi ces profs que je ne citerai pas, il y avait Anne Morelli, historienne, et Serge Jaumain, vice-recteur de l’ULB).
Mais les mines n’allaient pas s’arrêter de se décomposer. Question suivante, préparée par deux étudiants: « Nous sommes des étudiants engagés pour la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). A ce titre, on revendique le boycott académique, c’est-à-dire le boycott des institutions universitaires israéliennes, en tant que complices de l’occupation. Or, l’ULB collabore avec certaines de ces universités, sur des questions de technologie militaire, etc. Que pensez-vous du boycott académique, et pouvons-nous compter sur votre soutien pour la mise sur pied d’un cercle BDS à l’ULB, dans la mesure où les autorités de l’ULB refusent la création d’un tel cercle? »
Angela répond sans ambages qu’elle connaît BDS et soutient. Puis elle aborde la question du soutien à l’initiative d’un cercle BDS-ULB: « Sur ce point, c’est votre université, c’est à vous de décider! » Puis elle réfléchit avec ce sourire décidément facétieux: « Mais, maintenant que j’y pense, je suis docteure honoris causa de cette université, je suis donc également concernée, alors oui, je suis pour ». Sourire éclatant, étudiants réjouis.
Les mines vont-elles s’arrêter de se renfrogner? Pas de si tôt. Les choses commencent à être délicieuses. Et ce d’autant plus que, avant même que Angela Davis entre dans la salle, se tenait un débat entre quelques étudiants, débat auquel j’avais pris part, sur la question du voile. Un militant trostkyste bien en vue à l’ULB assis devant moi soutenait, avec arrogance et aplomb, que les filles voilées sont aliénées, que la religion les rendent bêtement soumises, et qu’en tant que marxiste il se devait de lutter pour leur libération en soutenant une législation prohibitionniste. Je lui ai rétorqué que c’était un bien étrange raisonnement pour un « féministe », et que certaines des plus respectables féministes soutenaient l’avis contraire. Il me demande d’en citer. Je lui parle de Christine Delphy (il fait la moue); puis Judith Butler (il ne me croit pas); puis, mieux, Angela Davis, qu’il s’apprête à écouter. Il bondit sur son siège, me disant que ce n’était pas possible, et que si elle soutient le droit pour les femmes de porter le voile, c’est qu’elle « était tombée bien bas ».
Or, la question suivante est posée par l’étudiante qui débattait contre ce troskyste du dimanche, et dit ceci dans les grandes lignes: « Que pensez de ce féminisme qui prétend libérer les femmes soumises par d’autres cultures et religions? »
Angela Davis regarde quelques secondes… Puis elle affirma avec force: « Vous savez, je n’ai même pas envie de débattre avec ce genre de féministes. Ce féminisme est le féminisme qui a mauvaise presse depuis longtemps déjà, ce féminisme universaliste qui prétend libérer les femmes empêtrées dans leur culture et imposer des normes. Vous savez, ce féminisme, est un féminisme utilisée par les franges les plus réactionnaires ». Angela Davis regarde à nouveau la salle, et déclare, scande presque: « C’est un féminisme de droite »!
Applaudissement nourris sont de mises après chacune de ces interventions. Et à chaque fois, quelques mines déconfites font plaisir à voir.
Au bout d’un moment, ces mines sont si pathétiques, si drôles à voir, que je ne tiens plus et profite d’un moment de silence pour crier:
« ANGELA, I LOVE YOU! ». La salle applaudit, semble rejoindre ce sentiment, et Angela Davis rit aux éclats.
L’ULB a voulu quelque peu se redorer le blason, un blason terni après la vague réactionnaire qui la frappe depuis quelques années. C’était sans compter qu’Angela Davis n’a rien perdu de son mordant.
Bref, j’ai dit à Angela Davis que je l’aimais.
par Abdellah Boudami.
Écoutez la rencontre avec Angela Davis du 15 mai 2012
Angela Davis, nouvelle Docteur Honoris Causa de l’ULB, a rencontré les étudiants de l’ULB mardi 15 mai pour une session de questions-réponses. Écoutez-la en ligne (fichier mp3).
Angela Davis est aux côtés de Malcolm X et de Martin Luther King, l’icône du mouvement noir américain. Légende vivante, pour sa lutte incessante pour la liberté et l’égalité, elle est aussi philosophe et professeure émérite à l’Université de Californie. Écoutez l’introduction de Chloé Zollman, jeune historienne et alumna de l’ULB, qui a consacré son mémoire de master à étudier la mobilisation en Belgique pour Angela Davis de 1970 à 1972,
REMISE DU TITRE HONORIS CAUSA A ANGELA DAVIS ULB – BRUXELLES
« Les murs renversés deviennent des ponts »Angéla Davis
Renversons donc les murs !
« Aujourd’hui, il est très important d’attirer l’attention sur les dégâts matériels, spirituels et intellectuels provoqués par le racisme et l’islamophobie … » « Il y a quelques décennies, je me suis intéressé à la situation des noirs américains, hier, je luttais contre l’apartheid sud africain, aujourd’hui, je soutiens la cause du peuple palestinien… » (Angela Davis)
REMISE DU TITRE HONORIS CAUSA A ANGELA DAVIS ULB – BRUXELLES
Ce soir, alors que nous attendions la remise du titre honoris causa à Angéla Davis pour faire notre action, nous avons assisté à un spectacle de snobisme et d’hypocrisie effroyable. Dans une ambiance ultra feutrée qui nous donnait l’impression d’être dans une soirée mondaine du 18ème siècle comme on les voit dans les films, de grands blabla-discours ont été tenus sur les valeurs, la diversité, la libre pensée, l’ouverture, etc qu’incarnerait l’ULB selon ses dirigeants…
Nous étions une quinzaine de militants, assis dans l’une des rangées à l’arrière qu’ont bien voulu nous offrir les stewards particulièrement hautains envers nous, en plus de quelques petits groupes de deux ou trois personnes assis ailleurs dans l’auditoire. Nous avons été surveillés de très très près par plusieurs personnes de la sécurité durant toute la cérémonie. Nous avons eu peur à plus d’un moment.
Angela a été la dernière des 7 invités à recevoir son prix. Au moment où elle est annoncée, l’ensemble de l’auditoire se lève pour l’acclamer. C’est à ce moment que nous nous bandons la bouche, nous enfilons notre gant noir, et d’un geste synchrone nous levons le poing très haut pour reproduire le salut des Black Panthers. Tout le monde s’est rassis pour écouter Angéla, nous sommes restés debout, poing levé, très silencieusement dérangeants !
Par ce geste, nous voulions non seulement rendre un hommage au combat antiraciste que fit celui d’Angela Davis, mais nous voulions aussi dénoncer l’hypocrisie totale de l’ULB.
Avant de commencer son discours, Angéla nous a remarqués mais elle a fait mine de ne rien voir. J’ai senti à ce moment une réelle complicité se dégager d’elle, surtout lorsqu’elle a évoqué de manière extrêmement piquante la question de l’islamophobie et de la Palestine (je ne le reproduirai pas ici par crainte de ne pas être exacte). Son discours a été sans aucun doute un coup dur pour les dirigeants de l’ULB présents.
Lorsqu’elle a terminé et qu’elle a rejoint sa place sous les applaudissements, une chanson au tempo militant a été entamée par l’orchestre. Nous avions prévu de quitter l’auditoire le poing levé dès que le discours d’Angéla était fini, mais au dernier moment nous avons décidé de nous diriger vers le centre avant de l’auditoire. C’est là que nous nous sommes positionnés, toujours la bouche bandée et le poing levé, de manière très affirmée.
Le visage du recteur se crispait à vue d’œil, Angéla frappait des mains pour accompagner la musique, des personnes dans l’auditoire se levaient et se joignaient à nous au centre de l’auditoire et levaient le poing, tandis que d’autres nous imitaient de leur place.
Moment d’émotion extrême !!
Lorsque la musique s’est terminée, le recteur a sauté sur le micro pour se mettre à parler d’antiracisme-respect-ouverture-blabla. Nous lui avons tourné le dos et avons quitté l’auditoire, toujours le poing fermement levé.
Je suis très émue d’avoir participé à cette action, avec Angéla Davis et mes ami-e-s militant-e-s!
Nos poings sont désormais liés à celui d’Angela