Nous, militant·es de l’antiracisme politique, exprimons notre solidarité totale et indéfectible à la famille de Mehdi Bouda. Justice pour Mehdi.
Ce fils, ce petit frère, fauché en 2019 par une voiture de police en pleine ville de Bruxelles, rejoint la longue liste des victimes racialisées de l’État belge. Aujourd’hui encore, après des années de deuil, de silence, de procédures judiciaires, la justice belge choisit de condamner la famille de la victime à verser de l’argent à la police responsable de sa mort.
Une décision aussi révoltante que prévisible.
Car dans ce que nous nommons le racisme d’État, toutes les institutions — police, justice, hôpitaux, écoles, médias — fonctionnent selon une même logique de préservation de la suprématie blanche. Ce que nous vivons ici, ce n’est pas une défaillance. C’est le fonctionnement normal. C’est la pleine capacité de la justice blanche à protéger l’ordre colonial, l’uniforme, le silence, l’impunité.
Quand la justice donne raison à une famille Noire, Arabe, Rrom, Musulmane ou Sans-Papiers, c’est l’exception qui confirme la règle : un système bâti pour nier nos douleurs, nos morts, nos luttes.
Cette décision ne nous surprend donc pas.
Mais elle nous écorche, nous épuise, nous révolte.
Nous avons beau être lucides sur le fonctionnement du racisme d’État, nous restons profondément humains. Et humainement, politiquement, éthiquement, nous ne pouvons digérer une décision qui transforme les proches d’un jeune assassiné en débiteurs de l’institution qui l’a tué.
Comme dans l’affaire Lamine Bangoura – étranglé par la police dans sa propre maison à Roulers en 2018 – la justice impose à la famille non seulement la perte irréversible, mais le coût financier de leur dignité.
Rappelons-nous Mawda, bébé kurde tuée d’une balle dans la tête par un policier belge en 2018. Le policier ? Peine avec sursis. Les migrants dits “passeurs” ? Incarcérés.
Rappelons-nous Adil, Ibrahima, Mawda, Mehdi, Lamine. Tous morts entre les mains ou les roues de la police. Tous trahis par la justice.
Toutes ces familles, qu’on enterre dans le silence, puis qu’on saigne à blanc au nom de la procédure.
Le message est clair, brut, brutal :
“Si vous êtes Noir, Arabe, Rrom, Migrant, Sans-Papiers ou Musulman,
ne portez pas plainte. Vous perdrez.
Et en plus, vous paierez.”
Cette décision n’est pas neutre. C’est un message politique. Une punition symbolique. Une intimidation.
Elle vise à dissuader toute contestation, à briser la résistance, à tuer une deuxième fois les victimes : d’abord par la violence d’État, ensuite par la justice qui la blanchit.
C’est un terrorisme d’État, à visage légal.
On nous demande souvent : “Comment vous pouvez encore supporter ça ?”
Mais on ne supporte pas.
On endure. On encaisse. On se bat.
Mais on est fatigué·es. Traumatisé·es. Organisé·es. Et on n’est plus jamais surpris·es.
Car quand on connaît l’histoire de la Belgique, on sait que la justice n’a jamais été de notre côté.
Un pays qui a colonisé, violé, mutilé, volé et tué — et n’a jamais réparé.
Un pays où les seuls procès de l’histoire coloniale sont ceux que mènent nos mémoires.
Aujourd’hui, ce ne sont plus les colons au Congo.
Ce sont les policiers en patrouille.
Ce sont les juges en robe.
Ce sont les élus qui se taisent.
Ce sont les médias qui banalisent.
Mais on ne se taira pas. Jamais.
Parce que nous sommes organisés.
Nous sommes des mères, des pères, des frères, des collectifs, des quartiers.
Nous sommes la rue, la cellule, la salle d’audience, la mosquée, le café.
Nous sommes un réseau de deuils, de combats, de promesses.
Nous n’oublierons pas Mehdi Bouda.
Nous n’oublierons pas l’humiliation judiciaire infligée à sa famille.
Et nous ne pardonnerons pas.
Cette justice-là n’est pas la nôtre. Elle ne l’a jamais été.
Mais notre dignité, elle, ne se juge pas.
À vous, élu·es : payez l’amende. Pas avec des mots. Avec votre argent.
Ces dernières années, plusieurs élu·es ont renoncé à leur prime de sortie ou à une partie de leur indemnité “pour l’exemple”.
On n’a plus besoin d’exemples. On a besoin de moyens.
Vous touchez des salaires que les familles n’auront jamais.
Vous avez des budgets de cabinet, des jetons de présence.
Alors, reversez.
Reversez à la famille de Mehdi Bouda, qui doit payer 18 000 euros pour avoir porté plainte.
Reversez à la famille de Lamine Bangoura, étranglée puis abandonnée.
Reversez aux familles qui luttent dans l’ombre sans budget et sans statut.
C’est le strict minimum si vous voulez parler de justice.
Vous voulez être antiracistes en politique ? Montrez-le. En actes. En cash.
Nous appelons :
à la solidarité politique et financière avec la famille de Mehdi Bouda ;
à une mobilisation large contre cette décision judiciaire inique ;
à une riposte politique antiraciste ferme ;
à une contribution des élu·es solidaires à hauteur des 18 000 €.
Vous tuez nos enfants, on portera leur mémoire.
Vous ruinez nos familles, on construira des caisses de solidarité.
Vous nous méprisez, on s’organisera.
Mehdi, on ne t’oublie pas.
Mehdi, ton nom est une cicatrice, et une promesse de lutte.
Nordine Saïdi
Bruxelles Panthères
« La liberté, la justice et l’égalité, par tous les moyens nécessaires ! » Malcolm X
« On a été condamné pour avoir choisi le chemin de la justice »: la famille de Mehdi Bouda doit payer 11.000 euros d’indemnités
La chambre des mises en accusation de Bruxelles vient d’annoncer que les policiers impliqués dans la mort de Mehdi Bouda en 2019 n’allaient pas être renvoyés au tribunal. Une décision incompréhensible pour la partie civile. La famille du jeune homme avait fait appel de la décision rendue l’année dernière de ne pas poursuivre les policiers impliqués dans l’accident.
Ayoub Bouda, qui mène depuis six ans une importante mobilisation autour de la mort de son frère, a réagi à cette décision jugée « incompréhensible », rendue par mail, une heure avant l’audience annoncée puis annulée: « On avait le parquet et le procureur qui disaient qu’il y avait assez d’elements et qu’il pouvait y avoir un debat public. Quand on voit l’actualité récente, on se rend compte qu’il en faut un ».
Peu de réponses
L’homme explique que l’appel porté par la partie civile était un argumentaire d’une soixantaine de pages. « Ils ne répondent qu’à deux éléments. Ils ne reviennent pas sur le comportement inhumain et dégradant », commente Ayoub Bouda. « Ils ont même dit que mon frère était polytraumatisé et que c’est pour ça que les policiers ne lui sont pas venus en aide. Mais on ne dit pas pourquoi il a quand même été fouillé alors qu’il était polytraumatisé », souligne-t-il. « On ne se sent pas écouté par la justice. Il n’y a pas le droit au débat public ». Le frère de Mehdi Bouda précise que cette audition avait déjà été repoussée trois fois.
Une suite
Ayoub Bouda ne compte pas s’arrêter là et il annonce que la famille portera l’affaire en cassation, « parce que le réquisitoire montre un manque de réponse ». « On ira jusqu’au bout », souffle-t-il. Ayoub Bouda rappelle d’autres accidents mortels qui impliquent la police et qui se sont déroulés ces dernières semaines, dont la mort du jeune Fabian au parc Elisabeth, celle d’un homme en scooter dans les Marolles par un policier qui n’avait plus le permis, ou encore celle d’un mineur à Anvers.
« On se demande quel signal on envoie à ces policiers-là. Il y a un manque sur le plan légal, sur le plan pénal. Ces personnes doivent être sanctionnées par rapport à ça », explique Ayoub Bouda, ajoutant que le policier qui a tué son frère a été condamné neuf fois avant l’accident mortel. « C’est un mauvais signal que ça envoie », explique-t-il.
Des indemnités à payer
« La justice condamne les parties civiles (dont la famille) à verser 18 000 euros aux policiers qui ont tué Mehdi. (…) Voilà la valeur d’une vie pour cette justice. Voilà ce qu’ils font des morts qu’ils veulent faire oublier », écrit le collectif JusticepourMehdi dans un post sur Instagram. « Tuer ne coûte rien – mais réclamer justice vous ruine », ajoute-t-il encore.
Ayoub Bouda explique que la famille doit désormais payer 11.200 euros d’indemnités aux policiers. Ces derniers devraient recevoir au total 18.000 euros. Il rappelle également que les frais d’avocats des agents sont pris en charge par la police. « Je ne sais même pas pourquoi… pour avoir tué mon frère. Parce que nous les avons poursuivis par rapport à ça. On a pris la voie de la justice et on a été condamné pour ça », conclut-il.
« Une décision irrespectueuse »: le frère de Mehdi Bouda réagi à la décision de ne pas poursuivre les policiers
https://www.bruxellestoday.be/faits-divers/justice/mehdi-bouda-decision-frere-temoignage.html
© BruxellesToday