Kimpa Vita, une femme prophétique

Aujourd’hui encore, elle est considérée comme l’une des premières révolutionnaires anticoloniales d’Afrique. Après avoir lu l’histoire de Kimpa Vita, vous n’oublierez jamais son nom, son engagement envers son peuple et son courage sans faille.

Kimpa Vita n’était qu’une adolescente lorsqu’elle a commencé à défier les pouvoirs qui dirigeaient son monde.

Née en 1684 au royaume du Kongo, Kimpa Vita grandit dans l’ombre grandissante de la dévastation coloniale. Autrefois puissant royaume africain, le Kongo que son peuple connaissait avait été déchiré par l’invasion européenne et la traite transatlantique des esclaves. Les envahisseurs portugais avaient alimenté les guerres civiles, dressé les dirigeants contre leur propre peuple et transformé le royaume en champ de bataille.

Mais Kimpa Vita voyait un avenir différent.

Formée aux pratiques spirituelles traditionnelles du Kongo en tant que guérisseuse et médium, Kimpa Vita tomba un jour gravement malade ; et alors qu’elle était allongée sur son lit de mort, elle eut une vision profonde : un Kongo unifié, libre de la guerre et du contrôle étranger .

Une fois remise de sa maladie, elle se proclama prophétesse et fonda le Mouvement Antonien , un puissant soulèvement religieux et politique. Kimpa Vita prêcha que le peuple du Kongo était divinement élu, que le Christ n’était pas une figure européenne mais africaine, et que le royaume devait se libérer de la domination européenne et reconquérir sa souveraineté pour préserver son avenir et la sécurité de son peuple.

Par ses enseignements, Kimpa Vita a réinterprété le christianisme d’un point de vue africain, rejetant la version de la foi des missionnaires européens qui justifiait l’esclavage et la domination européenne.

Son message se répandit comme une traînée de poudre. En quelques années, des milliers de personnes, dont des soldats et des dirigeants exilés, suivirent son appel. Elle ramena ses fidèles à leur capitale abandonnée, São Salvador, et entreprit de reconstruire ce que les Portugais avaient détruit. Mais sa résistance eut un prix. Qualifiée d’hérétique et de rebelle par les autorités catholiques européennes, elle fut capturée par l’élite dirigeante du Kongo, alliée aux Portugais, et brûlée vive en 1706.

 

Elle n’avait que 22 ans.

 

Son exécution était censée éteindre son mouvement, mais son héritage a perduré. Plus de trois siècles plus tard, le combat qu’elle incarnait se poursuit. Aujourd’hui, les femmes congolaises mènent des mouvements pour la justice, l’autodétermination et la libération des forces modernes de l’impérialisme – les entreprises, les puissances étrangères et les élites locales qui exploitent encore les richesses apparemment inépuisables du Congo.

Kimpa Vita est une prophétesse africaine, figure de la résistance à la colonisation portugaise dans l’actuel Angola au 18ème siècle.

Kimpa Vita serait née vers 1684 dans une famille noble à Mbanza Kongo au royaume de Kongo (dont le territoire couvre l’actuel Angola ainsi que du Gabon et du Congo). Le pays ayant été évangélisé dès la fin du XVe siècle, elle est baptisée sous le nom de Dona Beatriz. Kimpa Vita, le nom africain par lequel elle reste connue, signifie « la jumelle née de la guerre », car elle grandit alors que le royaume est déchiré depuis près de 20 ans par la guerre civile provoquée par les conflits de succession et la volonté de conquête des Portugais, qui tentent de prendre le contrôle du territoire où ils pratiquent la traite esclavagiste depuis le siècle précédent.

Mystique, la jeune fille est élevée dans un mélange spirituel alliant les croyances africaines – elle est formée en tant que nganga marinda, un rôle de médium permettant à la communauté de résoudre les problèmes surnaturels – et la théologie catholique. A vingt ans, elle annonce avoir été visitée par saint Antoine de Padoue, un prêtre franciscain portugais du XIIIe siècle canonisé par l’Église catholique pour ses guérisons et ses miracles, qui l’aurait investie d’une mission divine de réunification du royaume autour de son ancienne capitale São Salvador, nouvelle Jérusalem.

Elle fonde alors « l’antonianisme », un mouvement syncrétique où elle mêle les croyances traditionnelles du Kongo et les enseignements de l’Église catholique romaine, en y ajoutant un discours de fierté noire appelé à un grand avenir : elle déclare en effet la race noire bénie de Dieu, et propose à ses adeptes une africanisation du christianisme, dans laquelle Jésus est noir, né à Mbanza Kongo, et où la Terre Sainte est par conséquent située au Kongo. Pour propager cette doctrine dans tout le pays, elle institue son propre ordre missionnaire, qu’elle envoie à travers le royaume pour la propager son message de fierté et d’émancipation, tout en plaidant pour la restauration politique d’un royaume unifié, libéré de l’influence pesante des puissances européennes, notamment le Portugal.

Dans ses discours comme dans ses actes, elle s’oppose aux missionnaires européens, à ses yeux incapables de répondre aux besoins spirituels des catholiques kongolais, et qu’elle accuse de sorcellerie. Rapidement, elle se constitue une puissante communauté de fidèles, plus de 80 000 à travers tout le Kongo, unis par un enseignement dans lequel l’Eglise catholique ne voit qu’une dangereuse déviance. Dans une lettre du 15 mai 1706, le Père Columbano da Bologna, Préfet des Missions du Congo et d’Angola dénonce les pratiques blasphématoires et hérétiques du mouvement : l’interdiction de l’Ave Maria et de jeûner en Carême, l’admission de la polygamie, la rémission des péchés par l’exposition à la pluie etc.

Dans le chaos politique du Kongo, la montée en puissance de la prophétesse divise les élites locales et alerte le Portugal, la puissance coloniale dominante dans la région. Pour l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch, Kimpa Vita « inquiète beaucoup les colons portugais et l’inquisition. Suffisamment, même, pour qu’on veuille la tuer ». Le pouvoir, associé à l’église, finit par frapper : les missionnaires se saisissent du fait que Kimpa Vita vient de mettre un enfant au monde pour contester sa sainteté et, alliés au roi Pierre IV du Kongo, ils lancent la répression contre le mouvement antoiniste et sa cheffe charismatique. Kimpa Vita est arrêtée, jugée et condamnée au bûcher par l’Inquisition avec son compagnon. Elle est brûlée le 2 juillet 1706, avec son enfant dans les bras, à Evolulu dans l’actuel Angola.

Morte en martyre à 22 ans après avoir redonné l’espoir à un pays en proie à la division et à l’emprise de la puissance coloniale portugaise, mystique au croisement des spiritualités traditionnelles africaines et du message évangélique, figure majeure de son temps ayant suscité de nombreux témoignages de son vivant, Kimpa Vita a laissé une empreinte majeure dans l’histoire des résistances africaines à la colonisation. Son apparition unificatrice dans un pays ravagé par la discorde, sa quête prophétique et sa fin tragique sur un bûcher ne peuvent qu’évoquer l’image d’une Jeanne d’Arc, sa théologie syncrétique marquée par la fierté noire en faisant par ailleurs une précurseuse de l’idée panafricaniste.

Pour toutes ces raisons, elle n’a cessé d’être une référence au sein de nombreux cultes messianiques en Afrique, inspirant jusque dans la première moitié du XXe siècle des prédicateurs congolais et angolais à l’image du matswanisme, du kimbanguisme, ou encore des Églises noires anti-apartheid en Afrique du Sud. Pour l’auteur congolais Nginamau Petelo : « on peut lui attribuer, dans une certaine mesure, la maternité de l’indépendance africaine, au titre d’héroïne de la dignité et de la liberté noire ». Aujourd’hui, une statue a été érigée à sa mémoire à Uíge en Angola, son nom reste un synonyme de résistance nationale et spirituelle dans toute l’Afrique, et son destin extraordinaire ne cesse d’inspirer les artistes et créateurs : en 2024, l’écrivain Wilfried N’Sondé lui a consacré son roman « La reine aux yeux de lune ».

Sources d’informations

Kimpa Vita, l’étoile révolutionnaire du Kongo

Brûlée vive sur un bûcher, la prophétesse Kimpa Vita a libéré la fierté de l’identité noire et porté une foi émancipatrice sur un continent en proie à l’oppression.

La prophétesse Kimpa Vita interprétée par une comédienne dans le documentaire « Kimpa Vita, la mère de la révolution africaine », de Ne Kunda Nlaba. © Capture d’écran Youtube
La prophétesse Kimpa Vita interprétée par une comédienne dans le documentaire « Kimpa Vita, la mère de la révolution africaine », de Ne Kunda Nlaba. © Capture d’écran Youtube

Une allure élancée, une prestance de sainte et « de si grands yeux »… C’est ainsi qu’est décrite au début du XVIIIe siècle Kimpa Vita, grande prophétesse du Kongo, par les missionnaires européens. Si les écrits à son sujet sont si nombreux, « c’est qu’elle inquiète beaucoup les colons portugais et l’inquisition. Suffisamment, même, pour qu’on veuille la tuer », précise l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch.

Kimpa Vita, de son nom chrétien Dona Beatriz, utilise la même arme que celle de ses ennemis : la religion. Un jour, alors qu’elle est à peine âgée de 20 ans, la jeune femme a une révélation. Saint Antoine, un chrétien vénéré par les colons portugais, lui apparaît en vision. Tel un frère, il est noir. Il lui ordonne de retrouver Pedro IV, l’actuel roi du Kongo qui a déserté le royaume, et de le ramener à Mbanza Kongo, la capitale (appelée São Salvador par les Portugais), afin d’unifier le royaume qui souffre de divisions internes.

À cette époque, le Royaume Kongo recouvre un immense territoire du centre de l’Afrique, s’étendant de l’Angola au Gabon actuels, en passant par les deux Congo.

L’intensification de l’esclavagisme

La révélation mystique de Kimpa Vita suscite l’espoir dans cette région colonisée. Trois siècles plus tôt, les colons arrivés par bateaux avaient été traités par le roi comme des partenaires commerciaux. « Il y avait alors une bonne entente entre chefs côtiers et négriers portugais ou hollandais », souligne Catherine Coquery-Vidrovitch.

Conséquence : les missionnaires portugais et capucins, également présents, propagent la religion chrétienne dans le royaume. Le roi se convertit lui-même en 1591.

Jésus-Christ n’est pas blanc, mais noir, et la Terre Sainte est le Kongo

La roue tourne au XVIIe siècle. Alors que les plantations de cannes à sucre deviennent prééminentes en Amérique, « le commerce des esclaves s’intensifie drastiquement, jusqu’à devenir la traite que nous connaissons. L’Africain se transforme en personnage méprisable dans le regard de l’homme blanc, et le Noir est perçu en simple esclave », poursuit l’historienne.

Le début du mouvement antoiniste

Les missionnaires, « ces sorciers » comme les nomme Kimpa Vita, tirent profit de la traite négrière dans les provinces. Que des fidèles de Dieu puissent également être leurs oppresseurs apparaît impensable pour la jeune femme. « La vérité est que Jésus-Christ n’est pas Blanc, mais Noir. Les pères de l’Église sont africains et le Kongo est la Terre Sainte », prêche-t-elle alors dans les villages.

Le baptême ne sert à rien, Dieu ne retient que l’intention

Autoproclamée « envoyée de Dieu », elle fonde le culte antoiniste, qui appelle à lutter contre l’emprise portugaise. Différents miracles lui sont attribués dans les villes et son mouvement attire des milliers de fidèles, jusqu’à la propre femme du roi Pedro IV. Contre le cérémonial, les fétiches ou la prière, elle plaide l’action et l’intention : « Le baptême ne sert à rien, Dieu ne retient que l’intention ». La puissance de son aura effrite massivement les visées des missionnaires portugais et capucins.

Face à l’esclavage, la fierté d’être noir

« Les Blancs sont nés de la pierre de savon et les Noirs d’une sorte de figuier », affirme-t-elle face au racisme des colonisateurs. Selon elle, la parole de Saint Antoine peut redonner vie aux racines de ce figuier. Comme des prémices de la négritude, elle prône la fierté d’être noir et le retour à la culture et aux valeurs traditionnelles. Kimpa Vita souhaite l’émancipation du peuple du Kongo.

Le danger est d’autant plus grand pour les colons. Les fidèles de Kimpa Vita, désireux d’acquérir leur indépendance, sont aussi formés à l’art de la guérilla. Face à la puissance du mouvement, le roi Pedro IV décide de s’allier avec les Européens, contre la prophétesse.

Ses compagnons d’armes sont arrêtés et Kimpa Vita est retrouvée dans une contrée, en train d’allaiter un bébé. Une aubaine pour ses détracteurs, qui en profitent pour briser le mythe de la Sainte Vierge qu’elle s’était forgé.

Brûlée vive sur le bûcher

Jugée comme hérétique et ennemie du roi, elle est envoyée sur le bûcher le 4 juillet 1706 par les capucins. Elle est brûlée vive à l’age de 24 ans, dans la ville d’Evolulu, près de Mbanza Kongo, avec son compagnon Barro, et son bébé. Certains virent une étoile scintillante sur le lieu de son exécution. Des Européens l’a surnomment même « la Jeanne d’Arc du Kongo », face à ce destin aussi mystique que funeste.

Kimpa Vita inspira plusieurs mouvements nationalistes dans le pays et au delà des frontières du Kongo. Après sa mort, le mouvement antoiniste subit une véritable répression et ses adeptes furent réduit en esclavage. Telles des graines semées au gré des vents lugubres de la déportation en Amérique, ils ont diffusé la foi émancipatrice portée par celle qui fut un espoir, et une inspiration pour tout un continent.

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