Beaufs et Fanfares
Introduction
Le 11/12 janvier dernier, des camarades français.e.s réfléchissaient aux étroits chemins à emprunter pour allier les beaufs et les barbares (aka Bourgs et Tours). Au même moment, le film « En Fanfare » dépassait les 2.000.000 d’entrées. Quel rapport !?
Beaufs et Barbares (1) , c’est le titre du livre de Houria Bouteldja et dans le même temps, le nom donné à un projet politique « révolutionnaire » visant la création d’un bloc politique entre blanc.he.s et Non Blanc.he.s des « classes populaires (2) ». Dans la France 2025, ce projet politique relève quasi de la science-fiction. De son côté, le film « En Fanfare » a beau être une fiction, il décrit et défend une alliance bien réelle entre les beaufs Blancs et la Blanche bourgeoisie.
La greffe générale
« En Fanfare », c’est l’histoire de Thibaut Desormeaux, un chef d’orchestre de renommée mondiale, à qui est diagnostiqué une leucémie foudroyante nécessitant d’urgence une greffe. Les tests médicaux vont lui révéler deux « surprises » : (1) Thibaut n’est pas le fils biologique de ses parents – il a été adopté par une famille bourgeoise- ; (2) Thibaut a un frère biologique (Jimmy Lecoq), lui aussi adopté mais par une famille « Beaufs » qui vit dans le nord de la France (Walincourt).
Thibaut va donc à la rencontre de son « nouveau » frère Jimmy, lui présente sa situation médicale et après quelques hésitations, Jimmy va donner de la moelle osseuse à son frère Thibaut. Les deux frères s’attachent ensuite progressivement l’un à l’autre et découvre tout ce qui les sépare mais aussi tout ce qui les réunit.
Si loin, si proche
Barbares et Bourgeois
Mais pour saisir pleinement la proposition politique du film « En Fanfare », je vous propose de faire un détour par le film « Intouchables » -la célèbre comédie sociale sortie en 2011. « Intouchables » nous proposait également une rencontre surprenante entre Philippe, un bourgeois devenu tétraplégique après un accident de parapente, et Driss, un jeune Français d’origine sénégalaise qui sortait de prison. La relation sociale entre les deux hommes – et donc entre les deux groupes sociaux (« barbares Noirs » et « bourgeois blancs ») – allait mettre Driss « le mauvais assisté » au service de Philippe, « l’assisté légitime ». Le film « En Fanfare » propose un léger déplacement de cette relation sociale : le délinquant Noir (Driss) du film « Intouchables » devient l’ouvrier Blanc (Jimmy) du film « En Fanfare » ; le Bourgeois handicapé (Philippe) reste un Bourgeois handicapé (Thibaut) :
Tel est sauvé qui croyait sauver
Dans ces deux films et en échange du « soin » dont ils bénéficient, les deux bourgeois (Philippe/Thibaut) vont éduquer/coacher les Barbares/Prolos (Driss/Jimmy). Dans le film « Intouchables », cette éducation/acculturation se déroule tout au long du film, par petites touches quasi imperceptibles mais les résultats de ce travail de fourmi effectué par Philippe apparaissent lors de l’une des dernières scènes : Driss décroche en effet un boulot parce qu’il devine un alexandrin énoncé malgré elle par la RH et qu’il reconnait une peinture de Dali accroché au mur de cette même RH. Philippe a éduqué et désauvagé l’assisté/délinquant.
Dans « En Fanfare » le coaching est par contre bien plus visible : Thibaut encourage Jimmy à prendre la direction de la fanfare, il l’encourage à prendre au sérieux sa pratique musicale et il l’aide à construire une relation avec Sabrina (une musicienne de la fanfare). Thibaut renforce la confiance en soi du Prolo/Beauf Blanc.
En plus du coaching personnalisé de son frère, Thibaut va également s’impliquer dans le soutien de la communauté ouvrière locale (3) : il va s’appuyer sur sa renommée mondiale pour donner de la visibilité à une longue grève engagée dans une grosse usine de la région. Le chef d’orchestre propose d’organiser une représentation du Boléro de Ravel dans l’usine : il forme les ouvriers, il fait le tour des médias nationaux pour promotionner le concert mais ses efforts s’avéreront vain, l’usine fermera ses portes et le mouvement social s’évanouit. Un malheur n’arrivant jamais seul, Thibaut va également rejeter la greffe et voir sa maladie ressurgir.
Pauvres oui, mais français (Blanc.h.es) !!!
L’engagement social de Thibaut n’a pas empêché le déclin industriel de la région mais le coaching va tout de même produire un miracle : dans la dernière scène du film et alors que Thibaut conclut dans un tonnerre d’applaudissements l’accompagnement de ce qui sera peut-être son dernier concert philarmonique, les membres de la fanfare Beauf conduite par Jimmy, se lèvent et entament a capella le « boléro de Ravel ». La fanfare est rejointe par les musicien.ne.s de l’orchestre, ce qui donne à voir une parfaite harmonie sociale entre la société bourgeoise blanche et la société blanche beauf : Thibaut conduit son orchestre, Jimmy conduit sa fanfare.
Ce final nous suggère peut-être que la Bourgeoisie française ne peut certes plus rien contre la désindustrialisation des bourgs mais elle invite les Beaufs à la rejoindre pour apprécier et défendre la grandeur de la culture blanche/française : de la fanfare au Boléro de Ravel : les Beaufs acceptent l’invitation.
Les goûts, les couleurs…
La musique tient bien entendu une place importante dans « En fanfare » : on a la musique « Beauf » de la fanfare, la musique classique du monde Bourgeois, le boléro de Maurice Ravel qui comme nous venons de le voir va rassembler les deux classes et puis…un rappeur : Jeremy, le collègue trisomique de Jimmy.
- Bouteldja, H. (2023). Beaufs et Barbares : Le pari du nous. Paris : La Fabrique éditions
- Les guillemets car le sociologue Pierre Bourdieu (mais pas seulement) nous invite à utiliser le mot « peuple » avec précautions. Voir notamment Badiou, Alain., et al. Qu’est-ce qu’un peuple ? Paris, La Fabrique Éditions. « Hors collection », (2013)
- On notera que dans le film « Intouchables », le bourgeois Philippe n’entre à aucun moment en contact avec le « communauté » de Driss.