Surpopulation carcérale : la spirale

Reportages télévisés, réactions syndicales et articles n’ont pas manqué pour dénoncer la surpopulation carcérale et ses ravages. Mais, sur le terrain, rien ne change.

Un univers fait de violences, de cris et de tumultes. Une échauffourée par jour, le cachot pour tout détenu considéré comme une menace, des interventions violentes des gardiens lorsque des prisonniers pètent les plombs, qui aboutissent parfois à la mort comme à Lantin en 2003 ou à la prison de Forest en 2006.

Situations moyenâgeuses où des êtres humains sont entassés comme dans un entrepôt : trois prisonniers dans une cellule conçue pour une ou deux personnes maximum, pas de lit pour le troisième occupant, mais un matelas sur le sol. Des seaux pour tout sanitaire, un enfermement en cellule 23 heures sur 24, l’enfer de l’annexe psychiatrique
Dans les interviews, directeurs et gardiens s’étonnent que la marmite n’ait pas encore explosé. Cela devrait faire réfléchir les partisans de la suppression de la loi sur la libération conditionnelle après un tiers ou deux tiers de la peine. Si l’explosion n’a pas encore eu lieu, c’est que cette loi existe encore. Dans les reportages, pas de banquier ou de criminel en col blanc, mais un tas de misère humaine issue des classes populaires, avec une surreprésentation des personnes issues de l’immigration, des pauvres, des personnes peu scolarisées, des rebelles, des malades mentaux dont la plupart sont déclarés socialement morts.
Et pour compléter le tableau, il faudrait encore montrer les familles des détenus. Dans notre pays, pas moins de 15 000 enfants ont un père ou une mère en prison. Leur situation est déjà difficile sur le plan matériel mais de plus, sur le plan psychologique, ils partagent l’enfermement du parent.
Les raisons de cette surpopulation ont aussi été évoquées, la principale étant l’alourdissement des peines. Mais on pourrait y ajouter les effets de la crise économique (la population carcérale s’élevait à 5 000 prisonniers en 1975) ou encore l’inflation galopante des détentions préventives.
Avec d’autres collègues qui enseignent en prison et crient dans le désert depuis des années, je ne peux qu’être reconnaissant aux journalistes, aux directeurs ou gardiens de prison, aux criminologues et aux détenus qui ont permis la réalisation de ces reportages et articles. Ils permettront peut-être d’effriter la tolérance installée dans notre société à l’égard de traitements inhumains et inacceptables qui se répandent dans nos prisons comme un cancer. Ils permettront peut-être de calmer les ardeurs de ceux qui réclament toujours davantage de peines de prison, et de plus longues. En cette période de surenchère électorale, de tels signaux sont plus que nécessaires.
Cette attention médiatique pour la surpopulation carcérale mène inévitablement à la question essentielle : que peut-on faire ? A quelques rares exceptions près, toutes les voix qui s’élèvent réclament la construction de nouvelles prisons et l’élargissement des capacités carcérales. Le Master Plan prévoit de créer 2 552 nouvelles places pour 2012 et de bâtir pour 2015 sept nouveaux établissements pénitentiaires. Cette « solution » présente un inconvénient majeur : elle liquide tout débat de société sur la prévention de la criminalité et le rôle de la prison.
Rappelons tout d’abord que la surpopulation n’est nullement un problème belge mais bien européen. Prenons les Pays-Bas, connus entre 1950 et 1975 pour leur taux particulièrement faible d’emprisonnement; la population en prison y a quadruplé. En France, le chiffre record de 63 838 prisonniers a été atteint en 2008, pour 50 807 places disponibles. Durant cette même année, 112 détenus se sont suicidés. En Grèce, 12 000 prisonniers se disputent 7 500 places. La moitié d’entre eux a protesté le 8 novembre dernier par une grève de la faim contre les conditions d’emprisonnement et les modalités d’exécution des peines. Tous ces chiffres montrent que les capacités pénitentiaires sur le vieux continent n’étaient nullement préparées à l’application du modèle américain d’enfermement sur large échelle et de longue durée, reproduit en Europe depuis une vingtaine d’années.
Les Etats-Unis comptent sept millions de prisonniers (emprisonnés ou en liberté conditionnelle) ! L’extension des capacités carcérales pour les adultes, des prisons pour jeunes et des centres fermés pour les demandeurs d’asile signifie la poursuite de cette voie américaine, ou plutôt de cette impasse américaine.
Les prisons fonctionnent comme les parkings : à peine ouvertes, elles sont déjà pleines. Et la crise profonde qui s’annonce ne fera certes pas baisser la délinquance. Il est illusoire de penser d’autre part que la modernisation des prisons va de pair avec leur humanisation. Il n’en est rien. Il suffit de regarder quelques reportages sur les prisons les plus modernes aux Etats-Unis. Ce sont aussi les plus dures. Pas de surpopulation, certes, mais une cellule par personne, presque médicalement « clean ». Dans ces institutions hypermodernes, les détenus deviennent presque fous de solitude, de la surveillance électronique permanente, des doubles portes en acier, de la promenade dans l’isolement le plus total. Il suffit encore de lire le dernier livre de l’aumônier Philippe Landenne « Peines en prison, l’addition cachée » sur la prison super-moderne d’Andenne pour comprendre toute l’horreur de la modernité carcérale.
La surpopulation nous offre cependant une opportunité : celle de changer de voie. La première solution alternative la plus évidente consiste à vider les prisons de tous ceux qui ne devraient pas s’y trouver : les handicapés, les malades mentaux, les personnes âgées, les femmes, toutes personnes qui ne présentent pas un danger pour la société. On pourrait fermer les annexes psychiatriques et replacer les malades dans des hôpitaux où ils recevront les traitements appropriés dans des conditions plus humaines. On pourrait placer les détenus dont la peine est liée à l’usage de la drogue dans des centres où du personnel compétent pourrait les accompagner dans leur désintoxication.
La deuxième solution alternative consiste à placer l’argent prévu pour la rénovation et la construction de nouvelles prisons dans des investissements sociaux en matière d’enseignement, de formation, de logement, de travail, de soins médicaux et de prévention de la délinquance.
La troisième solution consiste à réduire l’utilité de la prison à sa portion la plus congrue en ne l’utilisant que pour la minorité de criminels dangereux. Pour tous les autres délinquants, il faut investir des forces humaines pour développer l’application des peines alternatives.
Des projets et des gens qualifiés existent en suffisance : seul manque le financement. Ces mesures simples, humaines et raisonnables éviteraient à la Belgique de se voir à nouveau condamnée par l’Europe pour le traitement inhumain de ses prisonniers. Mais elles constitueraient aussi les premiers pas indispensables pour briser la spirale de la délinquance. Car la surpopulation carcérale est la meilleure manière de reproduire la délinquance et d’en aggraver les formes.

Luk VERVAET

Enseignant en milieu carcéral – 04/04/2009

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