Les voyous peuvent s’acheter une respectabilité – ou, du moins, quelque chose qui y ressemble.
L’industrie cigarettière fournit un exemple classique de la façon d’exercer des pressions en secret. Sachant que son image publique est toxique, elle crée divers groupes de front afin de soudoyer les puissants.
L’European Policy Centre (Centre de la politique européenne) est l’un de ces groupes. Il a été créé dans les années 1990 par feu Stanley Crossick, un consultant au service de British American Tobacco. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir l’association créée par Crossick se profiler comme l’un des groupes de réflexion les plus éminents de Bruxelles et faire adroitement progresser un agenda appuyé par de grosses sociétés.
Les représentants politiques et ceux du monde des affaires continuent à se mélanger au cours des événements qu’il organise aujourd’hui, et sur invitation seulement ; l’industrie cigarettière reste un sponsor important, même si elle est discrète.
L’European Policy Centre a-t-il cette fois proposé ses services au lobby israélien ?
Dirigé par un faucon
L’un des contributeurs au budget du centre n’est autre que l’European Leadership Network. Cette organisation au nom insipide se consacre en fait à renforcer les relations entre Israël et l’Union européenne.
Bien qu’il prétende soutenir la « recherche de la paix », l’European Leadership Network est dirigé par un faucon. Larry Hochberg, le faucon en question, a précédemment présidé l’association Friends of the IDF (Les amis des FDI), qui finance le recrutement pour l’armée israélienne.
J’ai demandé à Fabien Zuleeg, directeur exécutif de l’European Policy Centre, pourquoi il acceptait d’être financé par une association pro-israélienne. Il m’a prétendu que le financement émanant de l’European Leaders Network « n’affectait en rien l’indépendance » de son centre.
Il est malaisé d’évaluer si l’European Policy Centre jouit d’une autonomie réelle en raison des activités secrètes dans lequel il est impliqué.
Des « experts » du centre ont participé à un « dialogue stratégique » initié par l’European Leadership Network en 2010. Chaque session du « dialogue » se tient dans un « lieu privé et isolé », peut-on lire sur son site Internet officiel.
L’un des membres de l’équipe qui anime ce « dialogue » est Michael Herzog, un général de brigade retraité de l’armée israélienne. Herzog a été mis au ban des accusés, dans le cadre de la loi espagnole de « juridiction universelle », à propos d’une attaque à la bombe, en 2002, contre une zone résidentielle de Gaza.
Modérer des gangsters
Les rares informations disponibles à propos du « dialogue » ne suggèrent pas que ce dernier encourage la liberté intellectuelle. Un document s’appuyant sur le « dialogue » et publié par l’European Policy Centre prétend que Benjamin Netanyahoui, le Premier ministre israélien, « doit définir un équilibre malaisé mais indispensable » entre les appels émanant de partis de la coalition qu’il dirige et ceux de ses « partenaires diplomatiques » à l’étranger.
Voilà bien des termes équivoques. Le gouvernement dirigé par Netanyahou comprend des ministres qui ont insisté sur la nécessité urgente d’annexer la majeure partie de la Cisjordanie, d’expulser les Palestiniens vivant à l’intérieur d’Israël et d’exterminer les femmes de Gaza.
L’« équilibre » prôné par l’European Policy Centre serait censé modérer ces gangsters.
De son côté, l’European Leadership Network est tout sauf transparent sur ses activités.
Selon des détails fournis par un registre des lobbyistes qui interagissent entre les institutions de l’UE, le « réseau » n’a entamé des « activités régulières » à Bruxelles qu’à partir de 2016.
Pourtant, des documents déposés auprès des autorités américaines indiquent que le bureau du réseau à Bruxelles recevait des dons d’outre-Atlantique plusieurs années plus tôt déjà. En 2014, par exemple, il a reçu près de 550 000 dollars d’un groupe d’« amis de » utilisant une adresse dans l’Illinois et ce don a été enregistré au nom de Larry Hochberg.
Ce groupe d’« amis de » était dirigé à une époque par Mark Moskowitz, un autre lobbyiste pro-israélien. Tant Hochberg que Moskowitz ont travaillé précédemment pour l’AIPAC, considéré partout comme l’un des groupes de pression les plus influents de Washington.
Aujourd’hui, Moskowitz est le vice-président de la Jewish Agency, une institution œuvrant directement pour l’État d’Israël. Il y gère la « philanthropie internationale ».
Le groupe des « amis de » a été créé en 2011, après avoir reçu près de 4 millions de dollars en actifs de la part de StandWithUs, un lobby en partie financé par Israël et qui entretient des liens étroits avec les milieux islamophobes en Amérique du Nord.
Roz Rothstein, le CEO de StandWithUs, a également contribué à la gestion de l’European Leadership Network, selon des documents déposés auprès des autorités belges.
J’ai demandé à Ines von Behr, la directrice à Bruxelles de l’European Leadership Network, si son bureau recevait des fonds du gouvernement israélien. J’ai également cherché à savoir si le « réseau » coordonnait ses activités avec celles du lobby pro-israélien à Washington. « Nous ne répondons pas aux questions des médias à ce propos », m’a dit von Behr.
Ses réticences ne sont guère surprenantes. L’European Leadership Network s’avère être un fan club de l’agression israélienne, mais déguisé en forum de discussion et d’analyse.
En recourant à des tactiques retorses, il essaie de conférer de la respectabilité à un État voyou.
Publié le 11 mai 2017 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
David Cronin est l’auteur de Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a écrit des articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ »arrestation citoyenne » à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité.